La fête de la Sainte-Agathe, célébrée le 5 février, est une tradition de rassemblement entre femmes pour la célébration du culte de la jeune martyre de Catane
La fête de la Sainte-Agathe, célébrée le 5 février, est une tradition de rassemblement entre femmes pour la célébration du culte de la jeune martyre de Catane, patronne des nourrices. Dans la commune de Saint-Pierre d'Albigny, en Savoie, la tradition est demeurée très vivante. Ainsi, tous les 5 février, se prépare et se partage une pâtisserie locale : la « main de Saint Agathe », aussi appelée en patois la guêta.
La fête de la Sainte-Agathe, célébrée le 5 février, est une tradition de rassemblement entre femmes pour la célébration du culte de la jeune martyre de Catane, patronne des nourrices. Dans la commune de Saint-Pierre d'Albigny, en Savoie, la tradition est demeurée très vivante. Ainsi, tous les 5 février, se prépare et se partage une pâtisserie locale : la « main de Saint Agathe », aussi appelée en patois la guêta.
Au sein de la commune, M. Richard est reconnu comme l'artisan-boulanger ayant introduit la pâtisserie actuelle en 1918, alors produite dans le but d'honorer Joséphine Richard, une parente nourrice qui sauva une petite fille de Lyon en lui donnant son lait. La recette est aujourd'hui transmise par l'artisan boulanger Carmine Di Masullo, qui a repris le fonds de commerce de M. Richard.
Partagée entre villageoises et voisines, la main de Sainte Agathe est le signe d'une solidarité féminine ainsi que d'une volonté de faire perdurer cette tradition de dévotion et rassemblement.
Les communautés et groupes associés concernés par la tradition du repas partagé et de la main de Sainte-Agathe sont à la fois les habitants et groupes de femmes, les artisans professionnels (boulangers), les associations et les élus locaux de Saint-Pierre d’Albigny.
Lieu(x) de la pratique en France
Commune de Saint-Pierre d’Albigny et massif des Bauges (Savoie, région Auvergne-Rhône-Alpes)
Pratique similaire en France et/ou à l’étranger
Dans beaucoup de régions de France et d'Europe (Suisse, Italie...), sainte Agathe fait l'objet d'un culte. Dans le massif des Bauges, il existe une tradition de rassemblement entre femmes, au mois de février durant la période de célébration du culte de la Sainte-Agathe, jeune martyre de Catane, patronne des nourrices. Les femmes d’un même hameau communal ou de communes voisines se retrouvent pour un repas partagé, aujourd’hui généralement dans des restaurants.
Au fil des enquêtes, les témoignages dévoilent la présence des « repas des Agathines » dans d’autres villages du massif des Bauges, comme à Francin, Bellecombe-en-Bauges et École. En Savoie, il existe des pâtisseries populaires en forme de sein dédiées à la sainte. Il s’agit du gâteau de Saint-Genix, inventé en 1880 par le pâtissier Pierre Labully à Saint-Genix-sur-Guiers ; ou encore des nichons de Grésy, meringues en forme de seins que l'on trouve à Grésy-sur-Isère. À Rumilly (Haute-Savoie), l'église est consacrée à sainte Agathe, patronne de la ville, mais aussi à Fréterive, où l'église possède une statue en bois que vénèrent les fidèles le jour de la fête.
En Sicile (Italie), dans les villes de Catane, Caltanisette et Palerme, et sur l'île de Malte, sainte Agathe est la patronne des nourrices, des bijoutiers et des fondeurs de cloches. Dans la ville de Catane, lieu d’origine du culte, des pâtisseries en forme de sein sont préparées à l'occasion de la Sainte-Agathe, le 5 février : le minne di Sant'Agata.
À Saint-Pierre-d’Albigny le culte de la Sainte-Agathe, très vivant, est célébré de deux façons : le repas entre femmes du hameau de La Noiriat, d’une part, et la fabrication et consommation familiale d'une pâtisserie, la main de Sainte-Agathe, d’autre part. Ce gâteau brioché au safran, en forme de main, est appelé guêta en patois.
La semaine du 5 février, les femmes du hameau de La Noiriat – un des vingt hameaux de la commune de Saint-Pierre-d'Albigny – se réunissent pour manger ensemble dans un restaurant de la commune ou d'une commune voisine (ill. 1 a-b). Les hommes ne sont pas admis à ce moment de ritualité féminine. Elles partagent le repas, se racontent les dernières nouvelles et, une fois le repas terminé, dégustent des mains de Sainte-Agathe. Le partage du gâteau en forme de main est un signe de solidarité entre femmes et de bon augure pour la grossesse et l’allaitement. Pour Lucie et Jeanine, les doyennes du groupe, la tradition de la main est un moyen de valoriser la femme et les traditions locales : « C'est une vieille tradition que j'ai toujours connue et que je pense qu'il ne faut pas laisser perdre. Et puisqu'on en est là..., maintenant, on fait plein d'histoires autour de la condition féminine ; ben, c'était à la gloire des femmes, ça ! C'est ancré dans la vie du village. Il n’y a plus beaucoup de gens qui savent ce que c'était Saint-Pierre… ».
Ces femmes dévoilent une profonde affection pour la tradition, qui contribue à renforcer une fierté d’appartenance : « Pour mes enfants, la main de Sainte-Agathe, c'est sacré ! Mes petits-enfants aussi ! Je voudrais que vous voyiez ma petite-fille manger la main de Sainte-Agathe ! J'en achète des grosses. Elles coupent, mes deux petites-filles, les doigts de haut en bas. Elles mangent tout ! ». Le partage du gâteau est raconté comme un signe de solidarité entre femmes et générations. Aujourd'hui, les plus anciennes offrent aux femmes enceintes une main de Sainte-Agathe en signe de bon augure pour leur grossesse. Lorsque des Agathines sont absentes au repas, on leur amène un bout de main à leur domicile. Selon les témoignages, la tradition plus ancienne voulait que seules les mères et nourrices fussent invitées. L’évolution contemporaine y intègre les jeunes filles. À travers la transmission et l’évolution de cette tradition, les femmes de La Noiriat entretiennent des liens forts et privilégiés (ill. 2).
Les plus jeunes femmes témoignent :« C'est parce que, dans le village, il y a une bonne ambiance. Les dames âgées, elles sont quand même “modernes”, ça aide ! Elles s'intéressent à ce qu'on fait (...). On ne serait peut-être pas venues si elles n’étaient pas aussi ouvertes. Et puis, il y a beaucoup de solidarité dans le village ». À la fin du repas, lorsqu’arrive l'heure de la main de Sainte-Agathe, les doyennes se voient attribuer la tâche de couper le gâteau. Dans ce geste symbolique de transmission se rencontrent les valeurs de l’ancienne dévotion et le renouveau d’une tradition locale : « C'est bien celle de M. Richard ».
Carmine Di Masullo, artisan-boulanger, fabrique la main de Sainte-Agathe pour les habitants du village, au mois de février. En 2007, lorsqu'il a repris le fonds de commerce de l’ancienne boulangerie de M. Richard. à Saint-Pierre-d'Albigny (ill. 3), il hérite de la recette originale. « Je l'ai connu avec la boulangerie quand on a repris le magasin, il y a dix ans. Il y avait une recette qu'on nous avait un peu jeté comme ça, dans la transmission de l'entreprise ».
Grâce aux conseils des petits-enfants de M. Richard et de sa clientèle, Carmine a réussi à améliorer sa recette pour atteindre celle que l’on considère aujourd'hui comme la recette originelle (ill. 4). Cela fait deux ans maintenant que ses clients « retrouvent la main de Sainte-Agathe d'autrefois ».
Carmine explique que le safran est l'ingrédient phare de la recette. « Si vous n’avez pas le safran, ce n’est pas une main de Sainte-Agathe (…). Ce n’est pas parce qu’il y a la forme de la main que c’est une Agathe, c’est vraiment le safran qui fait… ».
La manière de façonner la main est aussi un critère important de la recette traditionnelle. Dans la version de Carmine, la main est façonnée en simple boule (ill. 5), avec des doigts formés par des coups de couteau, sans séparer les doigts les uns des autres (ill. 6 a-b). « Il faut qu’il y ait vraiment une boule et juste des coups pour faire les formes de doigts. Et effectivement, c’est meilleur, parce que ça reste plus moelleux encore (…). Donc, en fait, la simplicité, c’est meilleur ».Pour la levée, il n'est pas nécessaire de beaucoup travailler la pâte (ill. 7). « Là, elle va gonfler énormément, vu qu’elle est moins travaillée. Plus vous la travaillez, plus elle va être dure à lever. Là, je ne l’ai quasiment pas travaillé, elle a levé énormément et elle est bien alvéolée ». La cuisson est rapide. La main n'est pas cuite à trop haute température, car elle doit être saisie tout de suite pour lever et ne pas sécher à l'intérieur (ill. 8 a-b). Le type de four est un critère déterminant de la réussite des mains (ill. 9). Dans les fours à pain professionnels, les mains cuisent sur la sole et non pas à chaleur tournante comme dans les fours électriques.
La clientèle de la main de Sainte-Agathe se constitue essentiellement de Saint-Pierrains. Dans la boulangerie de Carmine, la vente de la main est accompagnée d’un petit récit avec des notes historiques sur une feuille de papier. « J’ai bien un résumé de l’histoire, à chaque fois que je vends une main de Sainte-Agathe, parce que j’ai fait des photocopies avec le vrai tampon du père Richard ». La passion pour cette tradition, transmise per Carmine et sa femme Sylvie, participe à sa sauvegarde. Sylvie utilise le terme de « palier » pour se définir comme intermédiaire dans la transmission de ce patrimoine : « Je dirais que l’ancienne génération vient à nous, parce qu’elle sait, au fur et à mesure des années, qu’on transmet cette brioche, qu’on fait au mieux pour la refaire comme le père Richard la faisait. Et c’est vrai qu’à chaque fois on retrouve un petit bout d’histoire et puis les mamies dévoilent quelque chose ».
La boulangerie devient un lieu de rencontre et de transmission : pour favoriser les échanges, un petit salon de thé a été installé dans un coin du magasin.
Les recettes et les techniques de fabrication maison varient de celle du boulanger ; elles varient aussi d’une famille à l’autre. « Il faut qu’elle soit saisie tout de suite pour qu’elle lève (...), pour pas qu’elle sèche à l’intérieur. Faut juste qu’elle soit un tout petit peu croûtée, le dessus le dessous ». La fabrication familiale reste importante, contribuant à la vitalité de cette tradition.
Le français principalement, et quelques dénominations en patois local, tel le nom de la pâtisserie : la « guêta ».
Patrimoine bâti
Divers éléments matériels sont liés au culte de la Sainte-Agathe, notamment des bâtiments et monuments religieux, tels que l'église de Rumilly (Haute-Savoie), consacrée à sainte Agathe, ou la statue en bois de Sainte-Agathe dans l'église Saint-Christophe de Fréterive (Savoie), ainsi que d'autres lieux spécifiques de réunion des Agathines et des consommateurs de la main, restaurants et pâtisseries.
Objets, outils, matériaux supports
Les éléments matériels liés à la préparation de la main de Sainte-Agathe sont les objets et outils utilisés pour la fabrication domestique de la brioche, ainsi que ceux du boulanger-pâtissier : récipients, corne ou raclette, couteaux, four professionnel, pelle en bois, paniers de présentation.
Les connaissances, pratiques, compétences et valeurs liées à ce patrimoine se transmettent de plusieurs manières. Tout d’abord, par la volonté des femmes de se retrouver et de perpétuer la coutume, en la partageant avec les plus jeunes et les enfants. À Saint-Pierre d’Albigny, et en particulier au hameau de La Noiriat, ce processus de transmission est renforcé par la volonté, affichée par les « Agathines », de partager ce moment rituel et festif avec les femmes les plus jeunes et les nouveaux habitants du territoire. Au sens de partage d’une tradition et d’une mémoire locale, cette pratique vient renforcer les liens entre voisins et les liens intergénérationnels.
Le travail des artisans-boulangers, tel Carmine Di Masullo, est stratégique pour le maintien et la transmission de cette tradition au niveau local. Sa boulangerie, au centre-ville, est devenue, au fil du temps, un véritable petit laboratoire de transmission de la tradition locale, liée en particulier à la recette de la main de Sainte-Agathe de M. Richard, ancien boulanger qui habite les mémoires locales. Chez Carmine, à la boulangerie « La Grange des Pains », la tradition fait l'objet d'une véritable recherche collective, visant à se rapprocher autant que possible de la « recette originelle ». La main de Sainte-Agathe fait sensation chez les anciens, pour qui la Guêta fait ressurgir des souvenirs, goûts et odeurs de l'enfance, comme chez les plus jeunes. Le petit papier qui accompagne la vente de la Guêta, en 2018, porte ces mots : « la légende veut que les mamans et nourrices qui, en souvenir de la sainte, mangeront la Guêta (diminutif d’Agathe), le jour de sa fête, auront un lait sain et abondant. Celles qui, au contraire, dédaignent de célébrer cette solennité verront leur lait s’aigrir et disparaître (…). Voilà pourquoi les dames de nos régions ont gardé jalousement le culte de la jeune sainte ».
Une autre forme de transmission est favorisée par l’association locale Autrefois Saint-Pierre, qui a permis une prise de conscience de la valeur de cette pratique et de sa portée à la fois historique, géographique et sociale. Des recherches historiques, de la documentation ancienne, des articles de journaux constituent déjà un petit patrimoine documentaire qui pourra s’enrichir par de nouvelles recherches, allant constituer des archives du culte de Sainte-Agathe en Savoie et à Saint-Pierre d’Albigny, à disposition de tous les intéressés. Ce processus de connaissance pourra favoriser des échanges avec d’autres communautés liées à ce culte, dans le massif des Bauges, en Savoie et ailleurs.
Dans le cadre de divers événements, comme le Salon du Goût savoyard, organisé par la commune de Saint-Pierre-d’Albigny, depuis 2016, un atelier de façonnage de la main de Saint-Agathe, pour la transmission de la tradition aux nouvelles générations, a été organisé, en lien avec des particuliers et avec l'Association cantonale d'animation (ACA) Combe de Savoie. Ces initiatives rencontrent un véritable succès.
Une volonté est également présente au niveau des écoles. Des enseignantes de la commune ont manifesté leur volonté d'organiser des ateliers pour les enfants autour de la Sainte-Agathe. Le projet ne s'est pas encore concrétisé. Le travail en cours dans le cadre de l’inventaire du patrimoine culturel immatériel et du projet Alpfoodway est à l’origine d’une nouvelle dynamique de prise de conscience et d’auto-documentation, animée par la boulangerie de Carmine Di Masullo, par l'Association Autrefois Saint-Pierre et par des habitants de Saint-Pierre-d'Albigny. De possibles échanges avec les villes de Catane et Caltanisette, en Sicile, ont été évoqués lors de la réunion publique du 9 avril 2018, à la mairie de Saint-Pierre d’Albigny.
Les acteurs principaux de la transmission de cette tradition sont les groupes de femmes de Saint-Pierre-d'Albigny, qui se réunissent pour la Sainte-Agathe comme dans le hameau de La Noiriat. Un rôle important est également joué par l’artisan-boulanger Carmine Di Masullo, par des particuliers qui fabriquent la main de Sainte-Agathe à la maison, mais aussi par des élus locaux qui perpétuent et soutiennent la tradition, en particulier Rémy Saint-Germain et Lionel Gouverneur.
L'association Autrefois Saint-Pierre-d'Albigny a fait de nombreuses recherches à ce sujet, et l'Association cantonale d’animation (ACA) de la Combe de Savoie a organisé en 2017 un atelier autour de la main de Sainte-Agathe lors du Salon du Goût savoyard organisé par la municipalité de Saint-Pierre-d'Albigny.
Au cours du siècle dernier, cette pratique a perdu de son importance avant de faire l'objet d'un renouveau, grâce à la reprise de la tradition par des professionnels locaux et par les femmes. Après une période d'absence pendant la seconde guerre mondiale, la main de Sainte-Agathe est réapparue au cours des années 1950. Durant les années 1970 s'organisent à nouveau des rassemblements de femmes, notamment dans le hameau de La Noiriat. Les femmes les plus âgées du hameau ont décidé de revitaliser la pratique en recommençant à se réunir et à fabriquer la main. Elles ont progressivement touché les femmes plus jeunes et les rassemblements se sont fait plus importants. La valeur de ces moments de partage se mesure dans l'intimité retrouvée entre habitantes, et dans l'ouverture à l'échange et à la rencontre de femmes de générations et d'origines différentes, ressenties comme un besoin à partir des années 2000. Les anciennes du hameau ont à cœur de transmettre cette tradition aux nouvelles arrivantes, elles-mêmes animées par un besoin et un désir d'ancrage au territoire. Dans un contexte de mobilité des populations et de profonds changements des styles de vie, ce moment de partage a une fonction sociale forte, de continuité et de mémoire pour les gens du pays, d'échange et d’ouverture vers les nouveaux habitants.
L'origine du culte de Sainte-Agathe remonte au IIIe siècle après J.-C., quand vécut Agathe, jeune vierge de Catane, en Sicile. Selon les sources, Agathe était si belle que le proconsul romain Quintianus la supplia de l'épouser. Fidèle à sa religion, elle refusa cette union et fut martyrisée et torturée. Comme elle ne céda pas, il lui fit trancher les deux seins. Dans un mouvement de protection, elle eut une main coupée. La légende raconte que, le lendemain, Agathe présentait des seins et des mains intacts. Quintianus décida de la brûler au bûcher, mais, quand il fut allumé, un tremblement de terre secoua l'île et fit entrer l'Etna en éruption. Selon certaines sources, Agathe protégea la ville de la coulée de lave, en tendant le voile qu'elle portait. C'est ainsi qu'elle est invoquée pour protéger des brûlures et des incendies. Elle mourut le 5 février de l'an 251, date de célébration de son patronage.
Le culte atteint la Savoie avec l'annexion de la Sicile au duché de Savoie en 1713. On en retrouve des traces à Saint-Genix-sur-Guiers, avec le gâteau de Saint-Genix, à Grésy-sur-Isère, avec les « nichons de Grésy », à Rumilly, où l'église est consacrée à Sainte-Agathe, patronne de la ville, ou encore à Fréterive, où l'église possède une statue en bois, que vénèrent les fidèles le jour de la fête.
À Saint-Pierre-d'Albigny, le culte est resté fort par le biais de la main de Sainte-Agathe, pâtisserie qui fut réintroduite en 1918 par M. Richard, boulanger de la commune. La recette aurait été retrouvée par son père auprès d'un ancien prêtre de Saint-Pierre-d’Albigny. Il relança la tradition dans le but d'honorer Joséphine Richard, une parente nourrice qui sauva une petite fille de Lyon en lui donnant son lait. Un ami des parents du bébé remercia Joséphine en lui offrant un costume de nourrice et une photographie (ill. 10), très rare à cette époque.
Sainte-Agathe étant la patronne des nourrices et des jeunes mères, il était de coutume pour celles-ci, à Saint-Pierre-d'Albigny, de se réunir autour d'un repas ou d'un goûter, où l'on consommait la main de Sainte-Agathe. On transmettait, par ce geste, une croyance selon laquelle la consommation de la Guêta assurait, aux nouvelles et futures mères, la production d'un lait saint et abondant. Dans un article du Dauphiné libéré de 1974, il est fait mention de M. Richard et de la renommée de la main de Sainte-Agathe : « À 82 ans, voici quelque 65 ans qu'il travaille lui-même dans ce fournil où exerçait déjà son père. François Richard est un modèle de conscience professionnelle. Il ne laisse à personne le soin “d'aller livrer” (…). Depuis toujours, il pétrit la pâte destinée à ces fameux gâteaux de la Sainte-Agathe, qu'en patois on appelle tout simplement “la Guêta” (…). La plupart des pâtissiers et des boulangers du village l'ont imité, à la grande satisfaction de leur clientèle (…). Sa renommée [de la main de Sainte-Agathe] a d'ailleurs largement débordé le cadre communal, et plus d'un Chambérien est friand d'une spécialité que l'on apprécie aux quatre coins de la France grâce, d'une part, aux Saint-Pierrains “expatriés” et, d'autre part, à quelques touristes ; “la Guêta” voyage beaucoup par colis-postal (…) ». C'est ainsi qu'à Saint-Pierre-d’Albigny, comme les hommes se réunissaient pour la Saint-Antoine, les femmes se retrouvaient pour la Sainte-Agathe, dans la plus grande salle communale du village, et préparaient des crèmes, des pâtisseries, et la main de Sainte-Agathe. Dans le bourg, les dames et commerçantes, occupées en semaine, fêtaient la Sainte-Agathe le dimanche qui suivait, dans un restaurant.
Récits liés à la pratique et la tradition
La fête de la Sainte Agathe est un moment de réunion entre femmes, pour célébrer une tradition dont la mémoire est ancrée dans la vie de Saint-Pierre-d’Albigny. Ce jour-là était l’occasion de partager entre femmes, les hommes étant exclus :
● « C'est une vieille tradition que j'ai toujours connue, et que je pense qu'il ne faut pas laisser perdre. Et puisqu'on en est là..., maintenant, on fait plein d'histoires autour de la condition féminine ; ben, c'était à la gloire des femmes ça » (extrait d’entretien de Jeanine Bertrand, 10 février 2018, La Noiriat).
● « Sur le calendrier, le 5 février, c'est la Sainte-Agathe, donc c'était à ce moment-là qu'on la faisait. Et puis, les femmes se réunissaient entre elles pour manger la main de Sainte-Agathe, et les dames on les appelait les Agathines (…). Dans les villages, elles se réunissaient un après-midi pour boire le café et manger la main. Ça faisait une réunion. Les hommes avaient la Saint-Antoine et les femmes avaient la Sainte-Agathe » (extrait d’une table ronde, 4 avril 2016, Saint-Pierre-d'Albigny).
● « Les femmes mariées se rassemblaient. Oui, parce que c'était lié aux nourrices, alors il fallait être mariée pour faire partie de la Sainte-Agathe. On faisait un repas comme on pouvait le faire, comme ça se présentait chacune à notre façon. Et puis on chantait, puis on buvait, et ce jour-là, les hommes, ils nous laissaient tranquilles ! Ils allaient au boulot et nous on s'amusait ! Parce que, eux, ils avaient leur jour aussi, les hommes, la Saint-Antoine » (extrait d’entretien de Marthe Pajean, 28 juillet 2016, Saint-Pierre-d’Albigny).
La recette du gâteau de la Sainte-Agathe à Saint-Pierre, dans sa version actuelle, a été introduite dans les coutumes de la commune par le boulanger « Monsieur Richard ». Aujourd'hui, la mémoire de M. Richard et la tradition locale sont souvent connectées :
● « La main de Sainte-Agathe, c'est Monsieur Richard. Sans Monsieur Richard, il n’y aurait jamais eu de main de Sainte-Agathe à Saint-Pierre ! » (extrait de table ronde, 4 juin 2016, Saint-Pierre-d'Albigny).
● « C'est une sainte qui a eu la main coupée pour se protéger les seins. M. Richard, il avait dans sa famille, une dame du village du Bourget qui a joué le rôle de nourrice pour une petite fille qui était très malade d'une famille bourgeoise, aisée de Lyon ; des soyeux, je crois. Et, donc, cette fille a été sauvée. Je ne sais pas en quelle année c'était, peut-être pendant la guerre de 14, ou avant. Et donc, après, pour la mettre en valeur, je pense..., puisque cette famille, ils lui ont même offert un costume de nourrice, pour cette parente de M. Richard, ils ont fait la main. Et ça vient de là ! Et moi, toutes les années, j'en mange » (extrait d’entretien de Jeanine Bertrand, 10 février 2018, La Noiriat).
● « C’est avec Madame Richard, c'était pour remercier une nourrice (…). Et après c'est devenu à l'effigie de la nourrice qui a su donner son lait à des enfants qui n’en avaient pas. Et en remerciements, la communauté a voulu commémorer au travers d'un peu plus qu'une photo ou qu'un nom sur un mur, quelque chose de beaucoup plus humain, ce qui rejoint encore ce qu'on disait tout à l'heure sur le fait de manger ensemble, de manger une tradition culinaire, et donc a été créée la main de Sainte-Agathe, en mémoire justement... Et à l'origine, c'est en Sicile que ça démarre » (extrait d’entretien de Lucie Falquy, 10 février 2018, La Noiriat).
Si la tradition de la Sainte-Agathe relie étroitement la dévotion à la sainte, au repas des femmes habitant un même hameau et à la consommation du gâteau rituel de la main de Sainte Agathe à Saint-Pierre-d’Albigny, il existe un risque de fixation sur un produit et une recette figée, qui finirait par gommer la valeur d’une pratique sociale en mouvement. En ce sens, la fabrication et la commercialisation de la main de Sainte-Agathe, selon la recette de M. Richard, comme elle se transmet dans le cadre d’une activité artisanale et commerciale à haute valeur sociale, ne devraient pas décourager les fabrications domestiques de ce gâteau rituel.
D’autre part, un risque d’une fabrication et d’une consommation non respectueuse de l’origine locale, et de la recette de M. Richard, étroitement liée au culte de Sainte-Agathe, tel qu’il se transmet à Saint-Pierre-d’Albigny, est signalé par les participants de l’inventaire. Une des menaces identifiées consiste en effet dans la banalisation de la tradition, liée à une possible exploitation commerciale de ce gâteau, en particulier par les grandes surfaces et par l'important marché des stations de ski. Fabriquer la main de Sainte-Agathe, sans respect du calendrier (fête du 5 février), de la localité (Saint-Pierre-d'Albigny et ses alentours) et du contexte culturel de la dévotion, est considéré localement comme un danger pour la transmission de cette tradition. Il s’agit d’un risque d’expropriation et d'exploitation à des fins commerciales.
Un autre risque, lié en partie aussi au travail d’inventaire, repose sur la confusion qui pourrait se produire entre le gâteau en tant que produit artisanal, lié à une recette particulière, à un artisanat et un lieu, et la tradition dans son ensemble. Si l’histoire de la recette de M. Richard et la consommation rituelle de la main de Saint-Agathe est propre à Saint-Pierre-d’Albigny, le processus de sauvegarde ne devrait pas encourager une fixation de cette tradition, notamment celle du repas entre femmes, comme exclusive à Saint-Pierre-d'Albigny. D’autres témoignages de repas des Agathines signalent, en effet, la présence de cette tradition dans le massif des Bauges et en Savoie.
Il faut aussi signaler le poids d’un contexte culturel et idéologique peu favorable à la transmission de la diversité des traditions religieuses en France. Cette situation semble changer depuis quelques années, comme en témoignent les enquêtes en cours. Les élus locaux parlent de la « fierté retrouvée des traditions locales ».
Modes de sauvegarde et de valorisation
La communauté patrimoniale de la Sainte-Agathe, à Saint-Pierre-d’Albigny, a mis en place, depuis les années 1970, plusieurs initiatives de sauvegarde. Un processus local de sauvegarde est en train de se renforcer, grâce aussi au travail d’inventaire et aux réunions de sensibilisation organisées en 2016 et 2018 sur le territoire.
Plusieurs idées de mesures à mettre en place ont été exprimées lors de la réunion « Table des Savoirs partagés autour de la main de Sainte-Agathe » (Saint-Pierre-d’Albigny, 9 avril 2018) :
● Ateliers de transmission, notamment avec les écoles ;
● Rédaction d’une petite histoire illustrée de la main de Sainte-Agathe et/ou d'un livret descriptif, en partenariat avec l'association Autrefois Saint-Pierre et le PNR du Massif des Bauges ;
● Organisation de veillées et de fêtes ;
● Création d’un sac/packaging en papier pour transporter et conserver la main de Sainte-Agathe, avec notamment l'idée de faire travailler des étudiants en école de design sur ce projet.
Une autre idée a été évoquée avec les femmes de La Noiriat : organiser un atelier de fabrication de la main de Sainte-Agathe entre elles, mené par l'une des doyennes, Lucie, qui « sait encore les faire ». L’atelier serait destiné à la transmission des savoirs de fabrication de la main aux jeunes femmes du hameau.
Actions de valorisation à signaler
● Renouveau du repas partagé entre femmes, en particulier au hameau de La Noiriat, à Saint-Pierre-d’Albigny
● Ateliers de démonstration du façonnage de la main lors du « Salon du Goût savoyard », manifestation grand public à Saint-Pierre-d’Albigny (édition 2016), en partenariat avec l’Association cantonale d’animation
● Recherches historiques menées par l’Association Autrefois Saint-Pierre-d'Albigny
● Valorisation par les professionnels, en particulier par la boulangerie « La Grange des Pains »
Modes de reconnaissance publique
Lors d’une réunion publique avec les acteurs impliqués dans l'inventaire de la main de Sainte-Agathe, dite « Table des savoirs partagés de la main de Sainte-Agathe », tenue à la mairie de Saint-Pierre-d’Albigny, le 9 avril 2018, l'idée a émergé de créer un signe de qualité et d'origine, afin de protéger le produit artisanal de la « Main de Sainte-Agathe de Saint-Pierre-d’Albigny ».
Dans le cadre du projet Alpfoodway, une réflexion pourrait démarrer sur la mise en place d'un cahier des charges (définissant les grands axes de la recette, la méthode, la forme, la période de fabrication et le lieu), par la création d'une indication géographique ou d’une appellation d’origine protégée, et par l'identification des critères spécifiques du système de fabrication/distribution/consommation, dans le respect de la tradition locale et de son histoire.
Inventaires réalisés liés à la pratique
Inventory of traditional Alpine Food (projet européen AlpFoodway) : fiche d’inventaire « Fêter la Sainte-Agathe à Saint-Pierre-d'Albigny, dans le Massif des Bauges »
En ligne sur le site « Intangible Search » :
Bibliographie sommaire
Association Autrefois Saint-Pierre-d'Albigny, Journal, n° 9, juillet 2016.
Debas (Josette), « Pour une heureuse maintenance des traditions locales, Sainte-Agathe et Saint-Pierre (... d'Albigny) continuent à faire bon ménage ! », Dauphiné libéré, vendredi 8 février 1974.
Duperier (Juliette), « Des façons d’être à la façon du patrimoine. Patrimoines culturels immatériels alimentaires au PNR du Massif des Bauges », mémoire d’expertise ethnologique du patrimoine immatériel, dir. Nicolas Adell, Université de Toulouse Jean Jaurès, 2018.
Rey-Bogey (Annick), L’Architecture et l'élan religieux de la Savoie au XIXe siècle, Chambéry, Société savoisienne d'Histoire et d'Archéologie, vol. 110, 2007.
Articles de journaux recueillis lors des enquêtes de terrain [cfr infra en annexe I] :
● Boccon, « Almanach savoyard », 1934, p. 119-120.
● « De la martyre de Catane à la “Guêta” : le long chemin de Sainte-Agathe », s.l., lundi 7 février 1972.
● Debas (Josette), « La Sainte-Agathe, de l'origine aux traditions », s.l., lundi 11 février 1980.
● Coutin (Michel), « La Sainte-Agathe : mange ta main, et garde l'autre pour demain... », rubrique « Tradition », s.l., 1986.
● Armand (André), « La paroisse fête sainte Agathe », rubrique « Queige », s.l.n.d.
● Charbon (Raymond), « La fête de la Sainte-Agathe », rubrique « Tradition », s.l.n.d.
Filmographie sommaire
Sans objet
Sitographie sommaire
● Intangible Search (fiche d’inventaire « Fêter la Sainte-Agathe à Saint-Pierre-d'Albigny, dans le Massif des Bauges ») :
● Blog « La recette du dredi », Gâteau de Sainte Agathe :
http://blog.deluxe.fr/cuisine/gateau-sainte-agathe.html
● Wikipédia, notice « Agathe de Catane » :
Isabelle BERTHET, secrétaire comptable, berthet.isabelle@wanadoo.fr
Jeanine BERTRAND, institutrice, 04 17 28 52 80
Emmanuelle CHARPINET, professeure de sport, manue.seb@sfr.fr
Agathe COMBAZ, pépiniériste, 04 79 28 61 70
Marie CORRIDOR, animatrice, 07 83 05 48 96 / aca.collectifamille@free.fr
Dominique DELESCLUSE, professeure de français, 06 17 90 43 06 / dominique.delescluse@laposte.net
Carmine DI MASULLO, artisan-boulanger, gérant de la boulangerie « La Grange des Pains », 04 79 26 13 81 / 06 99 20 01 13 / c.d.m2@orange.fr
Sylvie DI MASULLO, accueil clientèle, gérante de la boulangerie « La Grange des Pains », 04 79 28 61 89
Lucie FALQUY, aide-soignante, 04 79 28 56 34
Élisabeth FRECHET, femme au foyer, 07 81 86 81 36
Claire GEX, trésorière de l’association Autrefois Saint-Pierre, 04 79 28 61 89 / 06 32 73 05 29
Lionel GOUVERNEUR, conseiller municipal de Saint-Pierre-d’Albigny, 06 10 18 06 47 / lionel.gouverneur@gmail.com
Marguerite MACÉ, assistante d’école, 04 79 28 62 23
Marthe PAJEAN, Pau, 73250 Saint-Pierre d'Albigny
Yves PAJEAN, président de l’association Autrefois Saint-Pierre, 06 46 04 79 02 / yves.pajean@sfr.fr
Marie-Madeleine RIONDY, 04 79 71 43 73
Rémy SAINT-GERMAIN, conseiller municipal de Saint-Pierre-d’Albigny, 06 15 24 21 13 / remyspa@gmail.com
Yvonne VELLETAZ, pépiniériste, 04 79 28 50 21
Des consentements et soutiens à la démarche d’inscription de la fête de Sainte-Agathe à l’Inventairee national du patrimoine culturel immatériel en France ont été reçus de toutes les personnes rencontrées, citées supra.
Rédacteurs de la fiche
Silvia ALA, chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, PNRMB, s.ala@parcdesbauges.com
Juliette DUPERIER, anthropologue, chargée d'étude pour l'enquête, analyse et rédaction de fiches d'inventaire sur le patrimoine alimentaire, j-dup@hotmail.fr
Valentina LAPICCIRELLA ZINGARI, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le PNRMB, vzingari@gmail.com
Maïté LOYRION, consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural, maite.loyrion@outlook.fr
Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé
Silvia ALA, chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, PNRMB
Valentina LAPICCIRELLA ZINGARI, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le PNRMB
Maïté LOYRION, consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural
Lieux(x) et date/période de l’enquête
● Saint-Pierre-d’Albigny (Savoie) : présentation de l’enquête sur les savoirs et pratiques alimentaires et culinaires (4 juin 2016), entretien collectif (28 juillet 2016), entretien à la Boulangerie « La Grange des Pains » et mission photographique (5 février 2018).
● hameau de La Noiriat et Cruet (Savoie) : observation participante de repas partagé entre femmes (10 février 2018)
● Saint-Pierre-d’Albigny (Savoie) : « Table des savoirs partagés autour de la main de Sainte-Agathe » (9 avril 2018).
Données d’enregistrement
Date de remise de la fiche : 3 avril 2019
Année d’inclusion à l’inventaire : 2019
N° de la fiche : 2019_67717_INV_PCI_FRANCE_00432
Identifiant ARKH : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2mt
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf
Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia :https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Pierre-d'Albigny
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