L’art de la rissole, ou r’zoule, dans le massif des Bauges

Les savoirs faire, pratiques et valeurs de la fabrication des r’zoules dans le massif des Bauges

Les savoirs faire, pratiques et valeurs de la fabrication des r’zoules dans le massif des Bauges sont un héritage vivant des communautés locales. Une mémoire longue s'exprime dans la connaissance des variétés des fruits locaux et dans les soins apportés à la préparation de la pâte feuilletée, aux gestes du pétrissage et aux techniques de cuisson. Cette tradition porte et transmet des valeurs de partage et de faire-ensemble ancrés dans les mémoires et le vécu local, aujourd’hui réappropriées par les anciens et les nouveaux habitants des Bauges.

Les savoirs faire, pratiques et valeurs de la fabrication des r’zoules dans le massif des Bauges sont un héritage vivant des communautés locales. Une mémoire longue s'exprime dans la connaissance des variétés des fruits locaux et dans les soins apportés à la préparation de la pâte feuilletée, aux gestes du pétrissage et aux techniques de cuisson. Cette tradition porte et transmet des valeurs de partage et de faire-ensemble ancrés dans les mémoires et le vécu local, aujourd’hui réappropriées par les anciens et les nouveaux habitants des Bauges.

Les praticiens et porteurs des savoirs de fabrication de la rissole sont les familles et communautés locales du massif des Bauges. Selon les villages et selon les familles, les variantes se multiplient. Chacun semble se presser de révéler un petit secret, une recette particulière, une autre manière de préparer le dessert de fête le plus symbolique des Bauges.

Certaines rissoles, de production de familles bien connues du cœur de Bauges, comme la famille Châtelain, dont la grand-mère Andrée Châtelain, dite la Dédée, tenait un restaurant bistrot réputé dans le pays, font référence. Selon les villages, les variantes se dévoilent. Séverine Châtelain de La Compôte-en-Bauges (Savoie) ou Josiane Ferrand d’École-en-Bauges (Savoie), sont souvent citées dans les circuits locaux d’interconnaissance.

Séverine Châtelain, à La Compôte-en-Bauges, a mis en place un projet d’implantation d’une petite auto-entreprise de fabrication de rissoles, avec la célèbre recette de sa grand-mère. Cette logique de professionnalisation et ce projet de transmission d’un artisanat traditionnel, qui puise son sens dans les mémoires locales et les rituels sociaux, sont un cas significatif d’une évolution à soutenir, dans un esprit de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

La rissole est une production familiale, une pratique sociale qui transforme le temps donné en valeur collective et sacrée. Josiane Ferrand produit ses rissoles dans un esprit de partage, lors des fêtes de famille, de village, ou même d’alpage.

D’autres acteurs locaux sont intéressés par la rissole comme moyen de sensibilisation à l’environnement et au lien entre connaissances traditionnelles et biodiversité en Bauges : ce sont les associations qui œuvrent pour la sauvegarde des vergers traditionnels. Un aspect très important, dans la mémoire et la transmission de cette pratique, est en effet lié à la pâte de fruits qui sert de fourrage pour la rissole, qui fait tout le charme et la valeur de ce dessert. Les Associations « Croqueurs de Pommes » de Haute Savoie et « Croësons et Carmaniules », sont intéressées par la mise en place d’actions de sauvegarde des variétés de pommes, de poires ou de prunes locales, éléments du patrimoine alimentaire. Des liens se créent avec des actions déjà̀ mises en place sur le massif tel le recensement, la sensibilisation aux variétés anciennes de fruits, la plantation d’arbres fruitiers et la valorisation des fruits, réalisés conjointement par le Parc naturel régional du Massif des Bauges et les associations « Croqueurs de Pommes » et « Croësons et Carmaniules».

L’Association de la Chapelle de la Lésine, à Jarsy, ou l’association Saint-Laurent d’Arith, engagées dans la sauvegarde du patrimoine bâti, organisent régulièrement la vente de rissoles traditionnelles pour financer des activités de restauration de patrimoine ou d’autres activités culturelles.

La vente de rissoles, préparées par des bénévoles, est une pratique que l’on retrouve pour d’autres occasions de mobilisation des habitants et collecte d’argent, comme lors du téléthon, à Aillon-le-Jeune.

Lieu(x) de la pratique en France

 

Les rissoles sont un élément du patrimoine culturel partagé et diffus dans le massif des Bauges (Savoie et Haute-Savoie, région Auvergne-Rhône-Alpes). Toutes les communes du massif, avec des variantes selon les secteurs, sont concernées par la pratique. Néanmoins, c'est dans le secteur du cœur des Bauges (les quatorze communes de l’ancienne communauté de communes) que l'on accorde le plus d'importance aux pratiques traditionnelles de fabrication de la rissole, telle que la fabrication à la main de la pâte feuilletée. Ces quatorze communes des Bauges sont considérées et se considèrent comme le « berceau » de la vrai r’zoule.

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

La fabrication de rissoles se retrouve dans le ressort des départements de la Savoie et de la Haute-Savoie. Les variantes en sont nombreuses entre vallées, villages et cuisinières. Plusieurs types de rissoles sont présents sur le territoire français, des rissoles salées à sucrées.

Lors des fêtes d’hiver et de diverses occasions festives, les familles des Bauges préparent et partagent une pâtisserie traditionnelle, petit chausson de pâte feuilletée fabriquée à la main, fourrée avec une compote de fruits locaux : la rissole. Dans un pays marqué par une forte tradition agropastorale, la vie des familles a été rythmée par les saisons et les travaux associés, les fêtes annuelles et les célébrations familiales. Noël, Pâques, fêtes de village et bals, gromailles, fête du Cochon, fête des Montagnards de la « mi-août », fêtes des Alpages, veillées, mais aussi réceptions en famille pour accompagner les proches dans les rites de passage, « du berceau à la tombe » : baptêmes, communions et mariages. Raconter et présenter la rissole, c'est parcourir le calendrier festif dans le cycle des saisons et dans le cycle de la vie. La rissole semble signifier et accompagner l'existence familiale et collective incarnée dans la fête, moment où se resserrent les liens communautaires.

La préparation des rissoles est une activité traditionnellement féminine, qui mobilise des sensibilités particulières, tant pour la préparation de la pâte feuilletée que pour celle de la pâte de fruits. Un art culinaire transmis à travers les générations, par la mère ou la grand-mère, dans la pratique, le visuel et le toucher. Sa fabrication comporte plusieurs étapes.

Dans un premier temps, il faut préparer la pâte feuilletée, étape complexe qui demande des techniques et savoir-faire particuliers. Travailler la farine et le beurre à la main, sentir la texture au toucher, faire les pliages, rouler la pâte, voir et comprendre en faisant. La préparation du pâton doit se faire au froid. Autrefois, les femmes préparaient les rissoles dans la pièce la plus froide de la maison. Selon les familles, les ingrédients de la pâte feuilletée et leur quantité varient : farine, beurre ou saindoux, eau ou lait, œufs, levure, sucre et sel.

Après le pétrissage de la pâte, celle-ci est étalée afin de réaliser les gestes qui permettront le feuilletage. Il existe pour cela deux techniques : l'une consiste à réaliser plusieurs pliages de la pâte, et l'autre à rouler la pâte sur elle-même. Dans les deux cas, pour que le feuilletage soit un succès, on accorde une grande importance au graissage de la pâte. Des quantités de beurre sont utilisées entre chaque pliage et avant le roulage de la pâte. Le beurre doit être ramolli afin qu'il soit aisé de l'étendre. « Il faut que le beurre ait à peu près la même consistance que la pâte » [témoignage de Séverine Châtelain, École, 2016]. Autrefois, les femmes pouvaient utiliser la graisse de cochon, appelée saindoux, car la plupart des familles élevaient et tuaient leurs propres cochons. Certains témoignages attestent la meilleure efficacité du saindoux pour le feuilletage. Une fois le pliage ou le roulage de la pâte effectué, la pâte est maintenue au repos, au frais pendant quelques heures. « Sentir la pâte, quelle texture elle a, tout ça, c'est vraiment en le faisant. Parce que ce n’est pas qu'une question de grammes, la pâte feuilletée est aussi très sensible à l'humidité, à la chaleur. Vous la sentez sous les doigts, quoi, si ça va aller, ou si ça va aller moins bien. Et ça, il y a qu'en le faisant plusieurs fois qu'on le ressent... » [témoignage de Séverine Châtelain, École, 2016].

 

La seconde étape de fabrication des rissoles révèle une profonde connaissance des variétés locales d'arbres fruitiers : mémoire vivante des vergers. Il s'agit de la préparation de la garniture à laquelle sont fourrées les rissoles : une compote de fruits assez consistante, qui ne doit pas couler durant la cuisson. Il existe dans les Bauges de multiples variantes de la rissole selon les familles et les secteurs du territoire. Les rissoles sont le plus souvent fourrées aux poires ou aux coings, mais aussi aux prunes, aux figues ou aux pommes. Autrefois, on utilisait les fruits que l'on ne pouvait consommer au couteau et que l'on faisait cuire ou sécher pour les conserver. C'est le cas de beaucoup de poires, considérées de fait comme des « poires à rissoles » : poires Fer, Blesson, Livre, Loup, Maude, Caloué ou Torleu. Certaines étaient séchées dans le four du village pendant plusieurs jours, afin de les conserver tout l'hiver. On les appelait les ruclions. Au moment de faire les rissoles, les poires étaient réhydratées et transformées en une mixture consistante. « Puis on faisait les ruclions. C'était des poires spéciales qu'on faisait sécher, il y en a plus de ces poires. On les faisait sécher dans le four et l'hiver on faisait les rissoles avec… » [témoignage de Séverine Châtelain, École, 2016]. Résultats d'une sélection correspondant aux exigences de conservation des réserves alimentaires en montagne, ces « poires d'hiver », se dévoilent dans les imaginaires au travers d'une multitude de goûts, parfums et couleurs d’affection. Certaines prunes, comme la Cul de Poulet, étaient, de la même façon, séchées au four et servaient à la garniture des rissoles.

Aujourd'hui, la pratique du séchage des poires au four se fait rare. Aussi sont-elles directement transformées en pâte et conservées en bocaux. Le coing est très souvent utilisé. Le mélange de figues et pruneaux séchées est aussi très répandu en Bauges, selon une tradition de conservation des fruits que l’on achetait dans les piémonts du massif, au climat plus doux. L’utilisation de la pomme semble plus rare. Bien qu'un grand nombre de variétés anciennes et locales de fruits ait disparu au cours du dernier siècle, on trouve encore, des arbres d'anciennes variétés de poires à rissole. Les vergers du massif sont une trace vivante à la fois d'une polyculture familiale et de spécialisations locales, correspondant à des vocations écologiques et des contextes historiques. Synthèse de farine, beurre et fruits, la rissole semble réunir la mémoire et la culture du massif : les « Bauges derrière », au climat plus propice à la production de fruits, et les « Bauges devant », vouées à l'élevage et à la production pastorale.

L’étape de cuisson des rissoles demande aussi des connaissances particulières. Les différentes modalités de cuisson déterminent des variantes locales : au four, comme Séverine Châtelain à La Compôte-en-Bauges (Savoie), ou à l'huile dans la poêle, comme Josiane Ferrand à Ecole (Savoie). « Nous, on ne fait pas tout à fait comme à La Compôte. C'est encore une manière différente, pourtant on n’habite pas bien loin. Vous voulez que je vous explique comment je fais mes rissoles ? » [témoignage de Régine Bouvet, Le Noyer (Savoie), 21 juillet 2016]. Il est probable, étant donné l’introduction tardive des fourneaux dans les maisons, que la cuisson à la poêle soit la technique la plus ancienne. La technique de cuisson à l’huile des rissoles demande une attention particulière. Le défi est de tenir l'huile à bonne température, ni tiède, ni trop chaude. Les femmes des Bauges ont pour astuce d'utiliser deux poêles et de se servir de l'une, pendant que l'autre perd un peu de chaleur. Lors de la cuisson à la poêle, pour que le feuilletage se fasse bien, il ne faut pas que les rissoles stagnent dans l'huile. Pour cela, la poêle doit tourner dans un sens circulaire afin que l'huile vienne cuire les bords de la rissole. Une fois le premier côté de la rissole bien doré, on la retourne pour faire cuire l'autre côté.

Une mémoire perdure, dans certains villages comme La Compôte-en-Bauges (Savoie), d’une cuisson dans le four à pain du village. Les rissoles sont alors les dernières à entrer dans le four, juste avant que les braises ne s'éteignent, pour bénéficier d'une chaleur douce.

 

Au fil de ces différentes étapes, le grand soin et le niveau de perfection apportés et recherchés dans la fabrication des rissoles sont tels qu'il s'agit là d'un véritable art familial. La complexité et la technicité du procédé de fabrication donnent lieu, lors de sa transmission, à des échanges entre femmes et à des comparaisons des différentes pratiques et leurs résultats, selon les familles et les villages. Les rissoles au four d'Andrée Châtelain, de l'ancien bistrot de La Compôte-en-Bauges (Savoie), sont connues dans tout le massif. Séverine Châtelain, petite-fille d’Andrée, perpétue la recette familiale. Son récit restitue des secrets de fabrication, ancrées dans une sensibilité, une connaissance profonde des ingrédients comme matières vivantes, qui mobilisent les sens, en particulier le toucher. Aussi, le travail de fabrication n’est pas le même suivant les saisons et la température, et demande des savoir-faire très précis : le temps donné, la passion de faire, la volonté de réussir en perfectionnant son geste, sont aussi les ingrédients de la rissole. « La reine des rissoles avant la Dédée Chatelain, elle s'appelait Léontine, et chaque fois qu'il y avait soit des communions, soit des mariages, c'est elle qui faisait les rissoles… » [témoignage de Bernard Collombo, table-ronde à Bellecombe-en-Bauges (Savoie), 6 juin 2017].

Avec la modernisation des cuisines, les outils évoluent et la « rissole des années 2000 » peut se faire avec le robot ou en achetant la pâte feuilletée au supermarché. Mais, malgré l'évolution des styles de vie, il existe une forte volonté de faire vivre la « vraie rissole » artisanale, telle une référence partagée entre les communautés et les détenteurs de ce savoir-faire.

Le français est désormais parlé couramment dans la pratique. Le patois local est fortement relié aux connaissances traditionnelles locales. Préparer les rissoles est sans aucun doute une pratique qui contribue à la transmission et revitalisation du patois et langues locales.

Patrimoine bâti

Les savoir-faire de la rissole sont liés aux nombreux fours des villages et aux savoirs de la panification traditionnelle. Toutes les communes du massif ont dans leur tissu urbain des fours à pain, fours collectifs souvent de propriété communale ou privés, dont l’usage était et reste, dans la plupart des cas, organisé à l’échelle des hameaux.

De nombreux fours (une centaine) ont été recensés sur le territoire par le Service régional de l’Inventaire et intégrés dans l’inventaire régional du patrimoine bâti :

https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/recherche/globale?render=liste&texte=fours+%C3%A0+pain+bauges [consulté le 19 mars 2019].

 

Objets, outils, matériaux supports

Les principaux outils nécessaires pour fabriquer la rissole sont le rouleau, le couteau, la cuillère, la ridelle à la petite roue crantée, la poêle, le four ou fourneau.

La fabrication des rissoles est avant tout une activité familiale, ancrée dans la sphère du don et du rituel. Cependant, cet artisanat familial peut s’organiser de manière semi-professionnelle, car la demande de rissoles pour les fêtes est forte dans le massif des Bauges. Malgré l'évolution des styles de vie, il existe dans le massif une réelle volonté de faire vivre l’art de la rissole, et de transmettre cette pratique à travers les générations.

Dans le système de transmission et d’apprentissage, on peut relever deux dimensions sociales majeures.

 

Les valeurs socioculturelles de la pratique : préparation familiale des rissoles et transmission des savoir-faire

La transmission des savoir-faire et le partage des rissoles dans les contextes festifs, renforcent les liens entre générations et familles, au sein d’une même famille, d’un réseau de parenté, d’un même village ou entre des villages voisins. Ces liens peuvent être descendants et verticaux, de grand-mère à petite-fille, ou horizontaux, comme nous l’avons relevé chez les Berger, à Montcel (Savoie), où la fabrication des rissoles se fait en famille (mère, père et fille). En dehors du contexte familial ou des réseaux de parenté, lors des fêtes de village, des bals, des fêtes d’alpages, des fêtes patronales, la fabrication et la consommation collective des rissoles vient renforcer les liens des communautés locales, favorisant aussi les échanges entre nouveaux et anciens habitants du pays. La transmission de ce savoir-faire semble intimement liée aux capacités pratiques et affectives de ces femmes détentrices du savoir et responsables de la continuité des liens familiaux, de parenté, de voisinage : « c'est Mme Borrel qui m'avait appris à les faire, qui elle la détenait de Mme Arminjon, la Lucienne. Mme Arminjon avait appris à Mme Borrel à le faire, et après Mme Borrel m'a appris, parce que la belle-mère me disait qu'elle ne savait plus faire. Donc moi j'ai continué, et puis maintenant, j'y transmets aux autres… » [témoignage de Josiane Ferrand, École-en-Bauges (Savoie), 2016].

 

La valeur rituelle de la pratique : les jours de fête dans le massif des Bauges

La préparation et la consommation des rissoles dans les contextes de fête sont une trace vivante et renouvelée des anciens systèmes de ritualité. En ce sens, la pratique conforte et renforce le « sens d’identité et de continuité ». En période de fort changement des styles de vie, avec l’effondrement du système de pratique religieuse et des traditions populaires, se renforçant mutuellement, ces savoir-faire assument une valeur de sacralisation collective du cycle de la vie et de l’année.

Le système de transmission de cette pratique construit une solide chaîne de solidarité et d’interconnaissance au sein de la société locale, construisant des liens qui passent, notamment, par les femmes. Actuellement, une évolution vers l’égalité de genres vient ouvrir les pratiques de fabrication aux hommes.

Les praticiens, des familles et des communautés locales du massif transmettent les savoirs de fabrication de la rissole au sein des réseaux d’interconnaissance dans une volonté de continuité. Séverine Châtelain, de La Compôte-en-Bauges (Savoie) ou Josiane Ferrand, d’École (Savoie), sont souvent citées dans ces circuits locaux d’interconnaissance. Séverine Châtelain, à La Compôte-en-Bauges, avec la mise en place d’une petite entreprise familiale de fabrication de rissoles, fait perdurer la célèbre recette de sa grand-mère et s’inscrit dans un projet de transmission de la mémoire locale. La fabrication de la rissole se transmet principalement au sein des familles, de grand-mère aux petits-enfants et de parents aux enfants.

Dans son Manuel du folklore français, Arnold Van Gennep (1873-1957) évoque les rissoles en racontant les fêtes d’hiver en Savoie [L’Alpe, janvier-mars 2001, n° 10, p. 35-43] :

« Le mot "rissole" (r'zoules, r'zules, rzules ou encore rézule en patois savoyard) vient du français "rissoler", issu du latin russeolus qui signifie rougeâtre. On trouve des traces des rissoles en Savoie, Haute-Savoie et Dauphiné dans des livres de recettes à partir du XIVe siècle. À l'époque, elles étaient fourrées à la viande de cochon, de façon à utiliser les chutes après la tuade de l'animal. À partir du XVIIIe siècle apparaît la version sucrée de la rissole fourrée aux pommes à la fin de l'automne, et aux poires trop dures pour être consommées telles quelles. Ces poires ont la particularité de rougir à la cuisson ».

Un extrait d’Arnold Van Gennep confirme la présence des traditions orales et pratiques sociales associées à l’artisanat de la rissole :

« Le fer et le levain à rissoles. Les rissoles se font donc à la main, et à l’aide d’une roulette, mais pas toujours. Dans les campagnes, la plupart du temps, on coupe la pâte avec un couteau. Comme il s’agit d’un mets traditionnellement fixé à la Noël, la préparation des rissoles se fait avec une certaine gravité et les enfants regardent la maman avec sérieux et envie. Mais toute fête est, en règle générale, accompagnée de sa contrepartie, à savoir des farces et l’une des plus connues, des plus répandues aussi en diverses provinces de France, consiste à dire à un enfant naïf d’aller chercher chez la voisine le moule ou le fer à rissoles. Blavignac dit que cette farce était en usage à Genève dès le XIIIe siècle et ajoute que les voisins chargeaient le naïf de fers aussi lourds que possible ou d’une grosse pierre bien enveloppée. Il raconte aussi une anecdote personnelle : “Lors d’une veille de Noël passée à la campagne, les spirituels du lieu envoyèrent assez loin une jeune fille simple et douce chercher non pas le moule ou le fer cette fois, mais le levain pour faire les rissoles ; elle revint non pas chargée de pierres, mais bien d’un magnifique pendeaux de poires charlons qui déconcerta singulièrement les sots s’apprêtant à rire”. De nos jours, en Savoie, la farce du fer à rissoles est encore en usage à Thonon ; celle du levain à rissoles m’est signalée à Messery, Cruseilles, Gruffy. » [A. Van Gennep, La Savoie, Voreppe, Éditions Curandera, 1991, p. 327].

Dans son Almanach des quatre saisons, Cycle de douze jours, cycle de l’hiver, Arnold Van Gennep ajoute :

em>« Les rissoles de Noël. Toutes les communes, sauf rares exceptions, donnent comme plat spécial de Noël une sorte de pâtisserie qui s’appelle, selon les régions, rissoles, recule, rezoule, etc. Le mot lui-même est franco-latin général et se rattache au verbe commun rissoler (dans une poêle) (...). Ce sont en fait des gâteaux à la marmelade. (...) Ils peuvent être aux pommes, aux poires, aux prunes. Cependant, les recettes qu’on m’a donné́ diffèrent légèrement selon les régions. À Messery, ce sont "ces pâtisseries renfermant les poires Charlon, d’un gout délicat, et cuites au four du fourneau ; ces petites pâtisseries sont de la grosseur d’une madeleine et découpées avec une roulette ondulée en cuivre appelée ridelle, qui fait des dentelures tout autour" ; à Gruffy, c’est "un petit gâteau formé d’une pâte mince, repliée sur elle-même et remplie de marmelade de pommes", etc., que l’on fait cuire à la poêle : on employait aussi la ridelle pour la denteler. À Grésy-sur-Isère, les rissoles sont aux pommes et se mangent avec de la crème. L’aspect plus ou moins feuilleté de la pâte qu’on me signale de diverses cotés en insistant, dépend sans doute de l’habilité de la ménagère. Ce gâteau est très ancien et pour ainsi dire universel en pays de langue française sous des noms divers ; mais la localité célèbre entre toutes pour ses rissoles était Nantua où l’on venait de toute la Bresse en manger à Noël, et plus tard tout le long de l’an. » [A. Van Gennep, La Savoie, op. cit., p. 326].

L’art de la rissole est étroitement lié aux pratiques rituelles et festives, au fil des saisons et du calendrier. Réappropriées par les habitants des Bauges, les rissoles favorisent les échanges entre générations, leurs fabrication et consommation constitue une pratique sociale vivante et un moyen de transmission culturelle, renforçant le sens d’identité et continuité des communautés villageoises.

Des versions contemporaines, comme les rissoles au Nutella de Josiane Ferrand, demandées par les enfants, sont le signe d’une adaptation permanente de la tradition qui peut incorporer des produits industriels.

Les savoir-faire liés à la fabrication des rissoles et leur viabilité sont touchés par différents risques :

- les étapes de fabrication demandent un temps long de préparation, nécessité peu compatible avec les rythmes de vie contemporains. Dans certains secteurs du massif des Bauges, et notamment dans le secteur montagnard du Cœur des Bauges, la pâte se prépare toujours à la main, alors que dans d’autres secteurs, les témoignages montrent une évolution vers l’achat de pates feuilletées industrielles.

- Le développement touristique a apporté la menace d’une industrialisation et d'une banalisation de la pratique, liées à l’uniformisation des recettes et à la perte des variantes locales, notamment en ce qui concerne la préparation à la main de la pâte feuilletée et de la farce à base de fruits locaux. Le cas de l’entreprise de Séverine Châtelain est précieux dans la considération des risques qui pèsent sur la transformation de la pratique, liée à son entrée sur le marché. Créé entre autres par le tourisme et permettant à des jeunes de rester au pays pour vivre des artisanats locaux tout en revitalisant l’économie locale, le marché peut cohabiter et dialoguer avec des usages traditionnels qui se transmettent hors les circuits du marché.

- Il existe, enfin, un risque de perte de transmission de la mémoire sociale véhiculée par la pratique, du fait de la séparation des générations, avec le confinement des personnes âgées et praticiens dans les maisons de retraite.

Aucune mesure de sauvegarde ne protège, à l’heure actuelle, la rissole traditionnelle et fabriquée à la main de contrefaçons ou autres risques liés au marché et à la possible exploitation industrielle. Des mesures de sauvegarde s’avèrent nécessaires pour éviter la contrefaçon des rissoles, dans les boulangeries, pâtisseries ou restaurants. De simples chaussons aux pommes en pâte feuilletée industrielle sont en effet parfois proposés comme « rissoles des Bauges », sans qu’aucun des caractères originaux de la rissole ne soient respectés.

Récits liés à la pratique et à la tradition

 

Lors des enquêtes de 2016 et 2017, plusieurs repères historiques sont venus ponctuer les entretiens, confirmant l’ancienneté de la cuisson à la poêle :

« Et les rissoles, je voulais faire les rissoles parce qu'elles datent de 1880, la recette que ma grand-mère avait. C'est la recette que la Dédée avait, qu'elle était allée apprendre avec la maman. Parce que la mémé Lucie faisait que des rissoles à la poêle. Alors, la Dédée, elle fait : "Oh écoute, j'en ai marre de tes rissoles à la poêle, je vais voir la Joséphine pour faire des rissoles au four", parce que ma grand-mère, elle faisait les rissoles au four… » [témoignage de Sévérine Chatelain, table ronde d’École (Savoie), 22 octobre 2016].

Les rissoles sont très présentes au niveau des traditions orales du massif. Elles constituent un fort repère pour la mémoire du monde agropastoral. La longue préparation des rissoles, « comme un livre de messe », est à voir comme un repère socioculturel majeur :

« Ah, les rissoles ! C'était au moment de Noël, c'était quand on tuait le cochon, c'était Pâques, au 15 août aussi, c'était la fête du village. Mais le 15 août c'était un peu difficile, les rissoles réussissaient moins bien du fait de la chaleur qui ramollissait le beurre. Il y avait plein de petits détails comme ça qu'il fallait respecter si on voulait faire des bonnes rissoles. Et alors, les dames du village étaient toutes jalouses les unes des autres. Elles regardaient les rissoles que l'autre faisait pour voir si elles étaient meilleures ou plus rissolées que les siennes, plus gonflées. Il fallait que ce soit comme un livre de messe… » [témoignage de Régine Bouvet, Le Noyer (Savoie), 21 juillet 2016].

« F. : Ben, l'été, dans chaque hameau, il y avait une fête, ce qu'on appelait « la vogue ». C'était à ce moment-là qu'il y avait les rassemblements de famille. Alors là, on mangeait, puis la maison était pleine. Tu invitais les oncles, les tantes, les grands-parents, il y avait toujours du monde.

M. : Et là, les femmes, elles préparaient pendant toute la journée ?

F. : Pendant deux jours, deux jours avant, les rissoles, tout ça... »

[témoignage de François Mermaz, rencontré par Maïté Loyrion, Doussard (Haute-Savoie), 28 juin 2016].

Inventaires réalisés liés à la pratique

Inventory of traditional Alpine Food (projet européen AlpFoodway): fiche d’inventaire « L’art de la rissole ou r’zoule dans le Massif des Bauges »

 

Bibliographie sommaire

Lapiccirella Zingari (Valentina), Des espaces en récit, Parcours du temps à La Compôte-en-Bauges. Réflexions sur l’interprétation du patrimoine rural, Rapport d’étude ethnographique au PNR du Massif des Bauges, 2002, 110 p.

Loyrion (Maïté), « Le patrimoine culturel immatériel, une nouvelle ressource pour le développement territorial. Le cas de l'inventaire des “savoirs et pratiques alimentaires et culinaires” dans le Parc naturel régional du Massif des Bauges” », mémoire de M2 Patrimoine rural et Valorisation culturelle, dir. Claire Delfosse, Université Lyon II, 2016, 206 p.

Van Gennep (Arnold), « Les fêtes d’hiver en Savoie », L’Alpe, janvier-mars 2001, n° 10, Grenoble, p. 35-43.

Van Gennep (Arnold), La Savoie. Vie quotidienne, fêtes profanes et religieuses, contes et légendes populaires, architecture et mobilier traditionnel, art populaire, Voreppe, Éditions Curandera, 1991, p. 326 (réédition de la monographie de 1916).

 

Filmographie sommaire

Sans objet

 

Sitographie sommaire

Intangible Search (fiche d’inventaire « L’art de la rissole ou r’zoule dans le Massif des Bauges ») :

http://intangiblesearch.eu/search/show_ich_detail.php?db_name=intangible_search&lingua=francese&idk=ICH-AFMAT-0000001538

Page facebook de la R’zoule :

https://www.facebook.com/pg/La-rzoule-1214418281933639/reviews/

Régine BOUVET, retraitée, Le Noyer (Savoie), 04 79 63 37 37

Sévérine CHATELAIN, productrice de rissoles, La Compôte-en-Bauges (Savoie), severine.chatelain@hotmail.com

Josiane FERRAND, agricultrice, École-en-Bauges (Savoie), 04 79 54 98 05

Nicole GUERY, radiologue, présidente de l’association « Chapelle de la Lésine », Carlet, École-en-Bauges (Savoie), 06 70 36 98 50

Des consentements et soutiens à la démarche d’inscription de l’art de la rissole ou r’zoule à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel en France ont été reçus de toutes les personnes rencontrées, citées supra.

Rédacteurs de la fiche

 

Silvia ALA, chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, Parc naturel régional du Massif des Bauges, s.ala@parcdesbauges.com

Juliette DUPÉRIER, anthropologue, chargée d'étude pour l'enquête, analyse et rédaction de fiches d'inventaire sur le patrimoine alimentaire, j-dup@hotmail.fr

Valentina LAPICCIRELLA ZINGARI, anthropologue, experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le Parc naturel régional du Massif des Bauges, vzingari@gmail.com

Maïté LOYRION, consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural, maite.loyrion@outlook.fr

 

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé

 

Silvia ALA, chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, Parc naturel régional du Massif des Bauges, s.ala@parcdesbauges.com

Valentina LAPICCIRELLA ZINGARI, anthropologue, experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le Parc naturel régional du Massif des Bauges, vzingari@gmail.com

Maïté LOYRION, consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural, maite.loyrion@outlook.fr

 

Lieux(x) et date/période de l’enquête

 

École-en-Bauges (Savoie), table-ronde sur les savoirs et pratiques alimentaires et culinaires (2 juin 2016)

Bellecombe-en-Bauges (Savoie), rable-ronde sur les savoirs et pratiques alimentaires et culinaires (6 juin 2016)

Le Noyer (Savoie), entretien avec Régine Bouvet et Pierre Bouvet sur les savoirs et pratiques alimentaires et culinaires (21 juillet 2016)

La Compôte-en-Bauges (Savoie), entretien avec Séverine Chatelain (août 2017) et mission photographique (27 avril 2017)

Carlet, École-en-Bauges (Savoie), entretien avec Josiane Ferrand et Nicole Guéry et mission photographique (6 février 2018)

Aillon-le-Jeune (Savoie), table ronde « Des pâtisseries rituelles et festives dans les Alpes », dans le cadre de la rencontre internationale « Patrimoine alimentaire alpin. Expériences et enjeux dans le massif des Bauges et dans les Alpes » (La Chartreuse d’Aillon, 2 octobre 2019)

 

 

Données d’enregistrement

Date de remise de la fiche : 12 février 2020

Année d’inclusion à l’inventaire : 2020

N° de la fiche : 2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00453

Identifiant ARKH ark:/67717/nvhdhrrvswvk25p

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer

Accéder à la fiche sur Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Massif_des_Bauges

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