Les savoir-faire et les valeurs de l’apiculture dans le massif des Bauges
Les savoir-faire et les valeurs de l’apiculture dans le massif des Bauges sont un héritage vivant des communautés locales. Une mémoire longue s'exprime dans la connaissance des différents milieux naturels et de la flore de montagne. L’observation des ruches, les soins apportés aux essaims, aux gestes, témoignent d’une relation affectueuse avec l’abeille, dépassant le simple objectif de la production de miel. Cette tradition porte et transmet des valeurs d’un mode de production respectueux de son environnement, ancré dans les mémoires et le vécu local.
Les savoir-faire et les valeurs de l’apiculture dans le massif des Bauges sont un héritage vivant des communautés locales. Une mémoire longue s'exprime dans la connaissance des différents milieux naturels et de la flore de montagne. L’observation des ruches, les soins apportés aux essaims, aux gestes, témoignent d’une relation affectueuse avec l’abeille, dépassant le simple objectif de la production de miel. Cette tradition porte et transmet des valeurs d’un mode de production respectueux de son environnement, ancré dans les mémoires et le vécu local. Dans le cadre des nouvelles formes de polyculture et de pluriactivité, l’apiculture est aujourd’hui réappropriée par les anciens et nouveaux habitants, s’inscrivant dans une préservation de la biodiversité locale.
L’apiculture et ses activités varient selon les saisons. Pendant les temps froids d’automne et d’hiver, l’apiculteur prend soin de veiller à ses essaims et de parvenir aux besoins de ses abeilles. Au printemps, quand les essaims se voient fortifiés et prêts aux travaux de butinage et de production de miel, l’apiculteur visite régulièrement ses ruches en prenant soin de prévenir et maîtriser l’essaimage. Durant l’été, les travaux de production de miel battent leur plein, avec la récolte et la mise en pots.
Plus de 350 apiculteurs et quelque 3000 ruches sont présents sur le territoire du massif des Bauges. Quelques apiculteurs professionnels, une trentaine de pluri-actifs et plus de 300 petits producteurs permettent la production annuelle d’environ 18 tonnes de miel. Du fait des difficultés du métier, très peu d’apiculteurs s’installent pour la production exclusive de miel. Ainsi les activités de l’apiculture concernent de nombreux pluri-actifs, tels Patrice Ferroud-Plattet, Antoine Volpi ou Sylvian Lacchia.
La majeure partie des apiculteurs dans le massif possède moins de dix ruches, dédiées à une production familiale de miel. Le miel est consommé quotidiennement et souvent offert, vendu ou échangé à des proches, voisins et amis, à l’instar des pratiques de Véronique Élouard, Piaire Rambaud et Robert Jacquemoud-Collet, rencontrés pour l’élaboration de la présente fiche.
Quelques apiculteurs exercent l’apiculture en transhumance et vont au-delà des frontières du massif pour suivre les floraisons saisonnées, comme Stéphane Fuselier, Francis Aymonier ou encore Damien Blampey, à la recherche de fleurs, en particulier de fleurs des alpages, et de saveurs (acacia, lavande…).
Plusieurs apiculteurs installés sur le massif permettent le dynamisme et la transmission de l’apiculture, en particulier à :
- Aillon-le-Vieux (Savoie) : le Rucher des Aillons (Michèle Michuet) ;
- Bellecombe-en-Bauges (Savoie) : la Miellerie comboise
- Cléry (Savoie) : la Miellerie Mercier (Anthony Mercier) ;
- Curienne (Savoie) : Alain et Chantal Rabaud ;
- Cusy (Haute-Savoie) : la Miellerie des Mieges (Michel Mathiez) ; Thomas Charbonnier ;
- Doussard (Haute-Savoie) : Damien Blampey, Philippe Houlon et Nicolas Peccoud ;
- Faverges-Seythenex (Haute-Savoie) : Jean-Claude Lecarpentier et Confidences d'abeilles ;
- Fréterive (Savoie) : Frédéric Vullien ;
- Le Châtelard (Savoie) : la Ferme de l’Abeille verte (Francis Aymonier), conjuguant maraîchage et apiculture ;
- Mercury (Savoie) : Miege apiculteur ;
- Mûres (Haute-Savoie) : Patrice Ferroud-Plattet ;
- Saint-Jean d’Arvey (Savoie) : Bernard Dumas ;
- Saint-Offenge (Savoie) : les Miels des Bauges (Brigitte Pujalte) ;
- Saint-Pierre-d’Albigny (Savoie) : le Rucher de la Combe de Savoie ;
- Verrens-Arvey (Savoie) : Herreman Dany.
La Miellerie collective des Bauges, installée à Saint-Eustache (Haute-Savoie), facilite la transmission des savoirs, l’installation des activités d’apiculture et la vente du miel. Elle est le fruit d’une coopération innovante des apiculteurs locaux dans l’achat de matériel commun. La Miellerie collective des Bauges, créée en 2016, inspire aujourd’hui au-delà du massif pour profiter à de nombreux apiculteurs en France.
Les syndicats d’apiculture départementaux réunissent de nombreux apiculteurs du massif et permettent la transmission des savoirs, l’information et échange entre apiculteurs. Deux syndicats couvrent tout le massif des Bauges : le Syndicat du Rucher des Allobroges et le Syndicat d’apiculture de Haute-Savoie.
Enfin, le Centre d’étude technique apicole (CETA) s’engage à préserver et à transmettre aux jeunes apiculteurs la race locale de l’abeille noire. Dans le vallon de Bellevaux, des reines d’abeille noire sont reproduites en tentant de limiter tout croisement avec d’autres espèces. Cette station de fécondation fonctionne grâce aux ruchers-école d’Albertville, Chambéry, Moutier Bourg-Saint-Maurice, La Maurienne et Poisy, qui fournissent les ruches à bourdons et les nucléis (ruchettes de petite taille pour l’élevage des reines).
Lieu(x) de la pratique en France
Massif des Bauges (départements de Savoie et Haute-Savoie, région Auvergne-Rhône-Alpes)
Pratique similaire en France et/ou à l’étranger
Les activités d’apiculture se retrouvent partout sur le continent européen. L’apiculture de l’arc alpin est majoritairement familiale et marquée par l’environnement montagneux, d’où un miel « toutes fleurs » et un miel dit « de montagne », particulièrement doux.
Le massif des Bauges est reconnu pour la richesse floristique que ses sols calcaires offrent à la production de miel. L’apiculteur travaille en fonction du cycle des saisons et aux côtés de l’abeille dans la production de miel. La relation des apiculteurs avec l’abeille dans le massif des Bauges est une relation de respect et de soin. Le territoire y abrite une production typée et recherchée par sa faible production, mais reconnue de qualité. On y retrouve sur les contreforts du massif des miels de plaine et plus au cœur du massif des miels de montagne toutes fleurs.
L’apiculture du massif est en premier lieu une apiculture familiale. Le miel est consommé quotidiennement et souvent offert ou échangé à des proches, voisins et amis : « mon truc, ce n’est pas faire de l’argent avec les abeilles (…) ; c’est surtout déjà du miel pour nous, pour la famille » [témoignage de Robert Jacquemoud-Collet, Jarsy, 9 février 2019]. Hors des cadres productivistes, cette apiculture ancrée dans les vallées des Bauges se transmet telle une tradition locale partagée.
La diversité des plantes, fleurs et arbres marque la singularité gustative du miel. Patrice Ferroud-Plattet part ainsi à la recherche de différentes saveurs dans la production de miel parcourant différentes altitudes et temporalités de fleurissement. Ainsi, dans les contreforts et plaines du massif, les miels sont notamment marqués par le châtaignier au goût plus fort et typé. On retrouve aussi le miel d’acacia, miel très doux et connu pour sa cristallisation très lente, ainsi que le miel de tilleul apprécié pour son goût mentholé. Le miel de montagne toutes fleurs est typique du cœur du massif où les abeilles profitent des prairies fleuries et alpages où la diversité des fleurs donne naissance à un miel au ton clair et au goût doux, parfumé et fleuri.
L’apiculture favorise une relation proche avec la nature. Elle appelle à en observer ses cycles et ses fleurs : « on regarde la fleur, on regarde ce qu’il se passe, on regarde quand ça démarre. C’est ce qui est amusant avec l’apiculture, c’est que tu t’intéresses à toute la botanique, (…) par exemple, les noisetiers, c’est tout en fleurs en ces temps. (…) Les saules, ça va bientôt être en fleur, là » [témoignage de Patrice Ferroud-Plattet, Mûres, 6 mars 2019]. Les savoirs du miel font partie d’une économie pastorale traditionnelle, au sein de laquelle l’abeille permet une pollinisation indispensable aux vergers, aux prairies fleuries, plantes aromatiques et médicinales. Comme les troupeaux, les abeilles peuvent transhumer : certains apiculteurs suivent avec leurs ruches les floraisons aux divers étages de végétation. Elles préservent et développent la diversité de la flore, si reconnue au sein du massif, et permettent la transmission de ce patrimoine qui est naturel et culturel. Certains apiculteurs s’engagent de même à maintenir la race locale, « la noire », face à l’introduction de nouvelles races (« l’italienne » et « buckfast »), réputées plus productrices, mais invasives et moins adaptées à l’environnement montagneux du massif des Bauges.
Si les travaux d’apiculture sont aujourd’hui largement maîtrisés et codifiés, chaque apiculteur garde, malgré tout, ses « trucs » et ses astuces, propres à la relation qu’il entretient avec ses abeilles et à sa propre expérience. En effet, l’apiculture naît avant tout d’une attention pour son environnement et d’une passion pour l’animal toujours aussi mystérieux et fascinant qu’est l’abeille : « je pense qu’il y a des secrets qui restent encore chez les abeilles, à mon avis ! » [témoignage de Patrice Ferroud-Plattet, Mûres, 6 mars 2019]. « Des fois, tu peux rester un quart d’heure, vingt minutes, des fois plus à les regarder aller, venir. (…) Et puis, tu les entends aussi » [témoignage de Véronique Élouard, Sainte-Reine, 4 avril 2019]. Réel « cabinet de curiosité », la ruche est le symbole d’une relation de coopération entre l’homme et l’abeille. Pour Robert Jacquemoud-Collet, ne pas avoir peur des abeilles est ainsi le premier atout de l’apiculteur ; il insiste sur la maîtrise de ses gestes : « Les abeilles, y’a une façon de s’y prendre. Il ne faut pas transpirer ; l’odeur de la transpiration, ça les excite. Il faut être propre quand on va aux abeilles. (…) Et puis la manière de travailler, faudrait faire vite sans être brusque, pas les secouer. (…) Il faut des gestes assez précis, pas cogner les cadres » [témoignage, Jarsy, 9 février 2019].
Depuis ses origines, l’apiculture du massif des Bauges est marquée par le passage des saisons. En temps froids d’automne et d’hiver, les abeilles restent confinées au sein de leur ruche en attente des beaux jours. Il ne s’agit pas pour autant de périodes paisibles pour l’abeille, éternelle travailleuse. Pour l’apiculteur, les travaux sont dédiés à prendre soin des différents essaims afin de maintenir leur dynamisme et leur capacité de survie aux hivers particulièrement intenses au sein des montagnes des Bauges. L’apiculteur résiste alors à la curiosité de visiter régulièrement ses abeilles. Il se contente de veiller en début d’hiver à la santé de ses essaims et notamment en luttant contre la prolifération du varroa, acarien particulièrement nuisible. De courtes visites permettent à l’apiculteur d’observer la robustesse de ses essaims. Il prête notamment attention à la santé de la reine, à l’activité prégnante au sein de la ruche et aux réserves de miellée disponibles à la nutrition des abeilles. Si elles sont maigres, l’apiculteur intervient en apportant des compléments nutritionnels à base de sirop. D’autres gestes protègent les abeilles, Robert Jacquemoud-Collet prévient ainsi le contact de ses abeilles avec la neige en disposant du foin, fruit des travaux d’été, aux alentours des ruches.
Avec l’avènement des premiers beaux jours de fin d’hiver, lorsque les premières fleurs discrètes des noisetiers, suivies des saules et des abondants pissenlits marquent l’arrivée imminente du printemps, les ruches reprennent de leur dynamisme et les abeilles partent prudemment à la recherche du nectar et du pollen des fleurs. L’activité au sein de la ruche bat alors son plein et les essaims se préparent à la nouvelle saison de butinage. L’apiculteur ouvre les ruches et peut remarquer la robustesse de ses ruches depuis l’extérieur, à la planche d’envol, où les allers-retours des abeilles se font de moins en moins timides. Les hausses et cadres sont disposés au-dessus du corps de la ruche afin de recollecter le miel. Selon la force de l’essaim, l’apiculteur place plus ou moins de cadres au sein de la hausse.
Pour les apiculteurs des Bauges, le printemps est le temps des essaimages. Lorsqu’un essaim devient très fort et important, les abeilles créent une seconde reine afin de se reproduire et de créer un nouvel essaim. Les visites des apiculteurs au printemps sont décisives pour le déroulement de la saison : ils observent la proéminence des cellules royales au sein des cadres et veillent de près les ruches qui hébergent deux reines. Une seconde ruche installée à proximité par l’apiculteur offre un nouveau refuge au nouvel essaim. Différents savoirs s’appliquent à cette difficile tâche, de l’observation régulière des ruches, des cadres et cellules, au captage de l’essaim dans son état sauvage. Nombreux furent les témoignages sur la beauté de ce moment, comme Patrice Ferroud-Plattet qui aime admirer l’essaim vaguer avec un tel dynamisme et où toute la hiérarchie des abeilles est mise de côté, tel « un jour de fête ». Robert Jacquemoud-Collet, lui, se souvient d’un essaimage saisi à main nue dans un arbre proche pour le replacer dans une ruche nouvelle. Les apiculteurs usent d’astuces pour inciter le nouvel essaim à s’héberger au sein de la ruche : de l’essence de « serpolet » ou du sirop sont parfois utilisés pour les attirer.
En été, les abeilles profitent de la diversité florale qu’offrent les prairies et alpages du massif. C’est en été aussi, fin juillet, aout, que les apiculteurs retirent les hausses et réhausses des ruches pour en extraire le miel. La récolte du miel revêt une signification particulière, comme sceau du travail des abeilles et de l'apiculteur lui-même : « Quand ça coule, c’est beau, c’est beau. C’est de l’or, quoi. Quand tu penses que c’est plein de petites abeilles qui ont fait ça, c’est vraiment magique » [témoignage de Véronique Élouard, Sainte-Reine, 4 avril 2019]. À l’aide d’une fine lame, le miel est récolté des cadres selon les besoins en miellée de l’essaim. Les cadres sont ensuite insérés dans un extracteur de miel, qui favorise la fuite du miel par la force centrifuge. Puis le miel extrait est placé dans les maturateurs, gros bidons où on laissera reposer quelques jours le miel ; il y est filtré des impuretés et résidus de cire.
La consommation du miel s’intègre dans l’alimentation quotidienne. Les tartines de beurre et de miel marquent le début de journée de beaucoup d’habitants des Bauges : « Moi, ça fait depuis toujours ; la première chose que je fais quand je me lève le matin c’est une tartine de miel » [témoignage de Robert Jacquemoud-Collet, Jarsy, 9 février 2019]. Le miel est consommé et apprécié dans l’alimentation de tous les jours et adoucit infusions, faisselles, pommes au four et autres desserts. Différentes recettes renouvellent sa consommation : ainsi, Véronique Élouard évoque la recette d’un gigot d’agneau badigeonné de miel. Les usages alimentaires se mêlent aussi aux pratiques de soins, du fait des nombreuses vertus des produits de la ruche. Il est fréquent de faire fondre le miel au fond de sa tisane pour soigner les maux de gorge. Les apiculteurs conservent la « propolis » en prévention des états grippaux durant les temps froids d’hiver. Véronique Élouard l’utilise dans le traitement des aphtes. Piaire et Véronique récoltent du pollen, reconnu pour ses vertus immunitaires et la prévention des maux de gorge et de la grippe. Le miel est aussi utilisé pour ses vertus cicatrisantes et peut être appliqué en cas de brûlure.
Les activités de l’apiculture sont aussi reliées à différents savoir-faire du massif. Au sein d’une économie pastorale traditionnelle, une apiculture épanouie va de pair avec une agriculture respectueuse de son environnement. La fauche après floraison et le maintien des prairies naturelles permettent la diversité florale du massif grâce à ses agriculteurs engagés. De même, le miel et autres produits de la ruche sont utilisés à des fins thérapeutiques. La fabrication traditionnelle de bougies et de cierges à partir de la cire est aussi liée aux activités de l’apiculture.
Le français est parlé couramment dans la pratique. Le patois local est parlé par certains apiculteurs, fortement relié aux connaissances traditionnelles locales. Produire son miel est sans aucun doute une pratique qui contribue à la transmission et revitalisation du patois et langues locales.
Patrimoine bâti
Les ruchers, abris bâtis, sont le peu de patrimoine bâti que nécessite la production apicole. Il faut également citer les laboratoires servant à l’extraction du miel.
Objets, outils, matériaux supports
La ruche, abris des essaims, est composée du corps, où le couvain demeure. La planche d’envol au-devant du corps permet le passage des abeilles vers le butinage des fleurs. Dans la partie supérieure de la ruche sont placées les hausses et rehausses, dont les cadres récupèrent les miellées des abeilles pour l’apiculteur. Les ruches sont parfois regroupées sur des supports un peu en hauteur et/ou abrités au sein de petites cabanes de bois, dites « ruchers ». L’implantation des ruchers selon les vents est importante, comme la proximité de la ressource mellifère et l’existence d’un point d’eau.
Lorsque l’apiculteur se rend aux ruches, il s’habille de la « vareuse », vêtement protecteur, et utilise l’enfumoir au sein duquel il brûle lavande ou autres fleurs odorantes afin d’apaiser les essaims grâce à la fumée parfumée.
Lors de la récolte, les cadres sont retirés des ruches et les miellées y sont retirées à l’aide d’une lame de récolte. Le miel est ensuite extrait au sein de l’extracteur, avant d’être mis au repos et filtré au sein du maturateur. Le miel est enfin mis en pot.
L’hiver, le sirop peut venir compléter la nutrition des abeilles. L’essence de serpolet est utilisée en cas d’essaimage afin d’attirer et reloger un essaim au sein d’une nouvelle ruche. De la cire est parfois achetée sur le marché ou de nouvelles plaques de cire refondues à partir d’anciennes afin de préparer les cadres aux constructions des abeilles.
Traditionnellement, les connaissances et savoir-faire de l’apiculture se transmettent au sein du cadre familial et du voisinage, par voie orale et par l'expérience. Très souvent, lorsque la curiosité et l’envie se manifestent, une relation de transmission s’ancre entre les détenteurs des savoirs et la jeune génération locale. Ainsi, Robert Jacquemoud-Collet dans sa jeunesse et selon les souvenirs de sa grand-mère apicultrice, commença à suivre les enseignements de Théophile Folny, passionné et habitant d’un hameau voisin. Il transmet aujourd’hui ses savoirs à Antonin, son petit-fils, intéressé par les abeilles et qui l’accompagne aux ruches. De telles histoires de partage des connaissances se répètent et fondent le socle de la communauté d’apiculteur sur les valeurs de l’échange et de la passion. Les réseaux locaux d’interconnaissance, régulièrement mobilisés, sont le socle de la transmission traditionnelle.
D’autres modes de transmission et de sensibilisation se sont développés. Les ruchers-écoles proposent et organisent des formations pour débutants et amateurs ouverts à tous les intéressés. La miellerie « Les Miels des Bauges » organise des stages d’initiation et de perfectionnement. Le rucher-école installé au Noyer, au sein de « L’Herbier de la Clappe », production de plantes aromatiques et médicinales, est le résultat d’une coopération entre apiculture et culture de plantes mellifères. Les débutants y découvrent la ruche, la manipulation des cadres, la reconnaissance des abeilles, l’évaluation de la force d’une colonie et les modes d’agrandissement d’une colonie. Les amateurs y apprennent à créer un essaim artificiel et comprennent les différentes méthodes de l’élevage de reines, le nourrissement et la gestion d’une ruche orpheline.
Se heurtant à des difficultés environnementales, aux maladies et acariens et à la diminution du nombre d’abeilles, le maintien de cette activité tient à la mobilisation des apiculteurs, à l’échelle locale. Face aux difficultés du métier, dépendant à part entière des aléas climatiques et face aux pertes hivernales de plus en plus importantes, la communauté d’apiculteurs s’organise et se renforce. L’échange et le partage est une valeur importante de la communauté, constituée « souvent de passionnés ». « Bien souvent, ceux qu’ont des abeilles, ils aiment bien raconter aux autres ce qu’ils savent (…) pour que ça continue » [témoignage de Robert Jacquemoud-Collet, Jarsy, 9 février 2019].
La création de la première miellerie collective au sein du pays en témoigne. La Miellerie collective des Bauges, à Saint-Eustache, fait le pari du collectif, réunissant des petits apiculteurs, des pluriactifs et des professionnels. Le partage du matériel permet l’installation à moindre coût des nombreux pluriactifs et de productions familiales et l’échange d’expériences et techniques. Elle est ainsi le lieu de transmission et de partage entre apiculteurs. La Miellerie collective est installée à côté d’une fromagerie, marquant ainsi les liens entre le travail des abeilles et des vaches, des apiculteurs et des éleveurs autour des prairies fleuries des Bauges. La Miellerie collective des Bauges, à Saint-Eustache, place l’enjeu de la transmission au cœur de son engagement : « Depuis sa création, une des vocations essentielles de notre association a été d’accueillir et de transmettre notre passion à destination de tous les publics ». Ainsi, l’établissement s’est impliqué dans la création d’un rucher et d’un jardin pédagogique de plantes mellifères pour éveiller la curiosité des scolaires, des classes élémentaires aux lycées. Les apiculteurs de la Miellerie collective ont à cœur la sensibilisation et la transmission de leur passion au plus grand nombre et en particulier aux plus jeunes générations. Des visites de ruchers et de la miellerie sont proposées aux classes. Une ruche vitrée est utilisée lors d’événements locaux pour découvrir les abeilles et le métier d’apiculteur. Des stages sont organisés pour les habitants et touristes, comme celui sur la fabrication du nougat.
En partenariat avec des apiculteurs, le PNR du Massif des Bauges s’implique dans la transmission des savoirs apicoles : des animations ont été organisées au sein des écoles ou lors d’événements.
Le syndicat du Rucher des Allobroges et le Syndicat apicole de Haute-Savoie sont aussi des lieux d’engagement des apiculteurs. Ils informent chacun des nouveaux défis de l’apiculture et permettent la transmission des savoirs apicoles en organisant des formations, des voyages à la découverte de l’apiculture et des rencontres-débats. Ils contribuent fortement à l’essor de l’apiculture dans le massif.
Le Centre d’études techniques apicoles de Savoie poursuit son engagement pour la protection de l’abeille noire en proposant des stages d’élevage de reines noires au sein de son rucher, à Bellevaux.
- La Miellerie collective des Bauges, à Saint-Eustache ;
- Les Miels des Bauges et leur rucher-école, au Noyer, en coopération avec L’Herbier de la Clappe, production de plantes aromatiques et médicinales ;
- L’association du Centre d’études techniques apicoles de Savoie, à École-en-Bauges ;
- Le syndicat du Rucher des Allobroges ;
- Le Parc naturel régional du Massif des Bauges.
L’intégration de l’apiculture au sein de l’économie pastorale traditionnelle est aujourd’hui valorisée par les habitants, conscients du rôle de la pollinisation sur les cultures et du maintien de la biodiversité florale. De plus en plus d’apiculteurs revalorisent les modes de polyculture, la coopération réciproque entre leur production apicole et les productions fromagères, fruitières, maraichères et de plantes aromatiques et médicinales. L’Abeille verte, qui conjugue maraîchage et apiculture, s’est récemment installée sur le territoire, au Châtelard. Les Miels des Bauges et L’Herbier de la Clappe coopèrent dans leur production de plantes et apicole.
Les activités de l’apiculture prennent une nouvelle signification dans le contexte environnemental actuel. La production apicole est parfois évoquée comme un engagement citoyen pour préserver les abeilles et la biodiversité locale. Certains l’intègrent dans un projet d’autonomie alimentaire, dans un travail de revalorisation de la mémoire du mode de vie des populations alpines.
« Toutes les maisons avaient une ou deux ruches. Ils n’avaient pas les moyens de s’acheter du sucre. C’était le sucre des pauvres, avant, le miel » [témoignage de Véronique Élouard, Sainte-Reine, 4 avril 2019]. Jusqu’à la récente transformation des modes de vie, dès la fin du XIXe siècle, mais surtout au XXe siècle, l’apiculture est intégrée aux différentes productions permettant aux familles de vivre. Les balcons et jardins sont munis de ruches pour la consommation familiale et de proximité. Les petits-déjeuners et desserts sont adoucis au goût du miel, tout comme les souvenirs des « baujus ». La production mellifère prend part à l’économie pastorale traditionnelle et s’associe aux pratiques des vergers, jardins, prairies et alpages en renforçant les récoltes. On retrouve ainsi un nombre important de ruches recensés et intégrées dans un système de polyculture au Châtelard en 1889 : « Aujourd’hui, selon le dénombrement qui en a été fait en 1889, Le Châtelard renferme seize chevaux, trois mulets, cinq taureaux (…) et trois cents ruches d’abeilles » [Morand, 1890, p. 36].
L’apiculture répond aussi aux besoins de la famille et permet une source de revenus. Miels et cires se retrouvent sur les marchés de Chambéry et d’Aix-les-Bains : « Industrie apicole : produits en miel et en cire en quantité excédents aux besoins de la localité. Les terres des Bauges fournissent une notable partie de la cire et du miel du commerce de Chambéry » [Académie florimontane d’Annecy, 1861]. Les touristes et vacanciers raffolent aussi de ce produit : « Le miel des Bauges trouve un écoulement facile à Aix-les-Bains et dans le pays même, à l’époque où il est envahi par les touristes » [J. Poncier, 1907]. Les cires sont vendues et servent à la fabrication de bougies et de cierges pour l’éclairage des églises : « De la cire, la plus pure, la plus belle, la plus noble substance éclairante, consacrée presque exclusivement à l’éclairage des églises » [Académie florimontane d’Annecy, 1861].
Auparavant auto-construites, les ruches sont fabriquées en paille provenant des nombreuses exploitations agricoles. Dès la fin du XIXe siècle, les ruches à cadres voient le jour et se répandent en France. En 1900, une société d’apiculture, L’Abeille alpine, à École-en-Bauges, implantent peu à peu des savoir-faire formalisés et une certaine modernisation du matériel. Les ruches en paille sont remplacées par des ruches à cadres : « De tout temps, des ruchers de quinze, vingt ruches en paille ont existé dans les Bauges, fournissant un miel parfumé. Mais la récolte était très routinière autrefois et la production n’était point en rapport avec les ressources du pays. Cet état de choses s’est modifié depuis, par l’introduction des ruches à cadres et par la création d’une société d’apiculture, L’Abeille alpine, dont le siège est à École. Fondée en 1900, par un instituteur, M. Georges, cette société publie un bulletin paraissant tous les deux mois et envoyé à 286 membres. Elle a poussé à la substitution des ruches à cadres aux ruches à paille, a vulgarisé les méthodes les plus récentes, a permis, en un mot, avec les mêmes ressources mellifères, d’obtenir des résultats bien plus avantageux qu’autrefois. » [J. Poncier, 1907].
L’apiculture dans le massif est tout d’abord une apiculture familiale et une activité de passionnés, qui s’inscrit dans le quotidien des familles et la mémoire des villages :
« Ma grand-mère, elle s’occupait des ruches. (…) « La Mariette », à Belleville, elle en avait aussi. Les ruches étaient sur le balcon de la chambre ; deux, trois ruches (…). Moi, ça fait depuis toujours, la première chose que je fais le matin, je bois le café avec une tartine de miel. Et Isabelle, Jean-Louis, Antonin, les gamins, c’est pareil : le matin, c’est la tartine de miel. (…). J’en vends très peu. J’en vends un peu aux copains par-là, des gens du village. Autrement, j’en ai pas assez pour vendre. Déjà, nous, on en mange beaucoup, la famille (rire). Oui, y’a la famille quand même, y’a mon frère, et puis y’a mon voisin derrière, avec qui on est bien copain, alors je lui en donne. J’en vends un petit peu, mais mon truc, c’était pas de faire de l’argent avec les abeilles, hein. C’était déjà du miel pour nous, pour la famille, quoi » [témoignage de Robert Jacquemoud-Collet, Jarsy, 9 février 2019].
La passion pour le monde des abeilles et la nature est au centre de l’apiculture, activité de partage et de transmission des savoirs :
« Francis : La transmission est assez aisée parce que c’est vrai que c’est différent du reste de l’agriculture, c’est-à-dire que c’est la seule agriculture qui est essentiellement représentée par des amateurs (…). Ces gens sont souvent des amoureux de la nature qui sont passionnés par cet élevage et qui aiment en parler. Jusqu’à maintenant, c’était souvent beaucoup d’anciens qui faisaient ça. C’est une activité qui demande du temps, donc c’était des retraités - un peu comme le jardin - et qui aimaient transmettre. Comme c’est une passion amateure, c’est plus souvent des gens qui ont l’envie de transmettre, c’est différent de quand c’est ton métier, etc. (…).
Juliette : C’est prendre le temps de prendre quelqu’un sous ton aile le temps d’apprendre.
Francis : Oui, c’est régulier. Ça se fait souvent comme ça. Après, c’est vrai que je connais beaucoup d’apiculteurs professionnels qui ont eu un père ou un grand-père apiculteur. C’est un truc que tu vois quand t’es enfant et ça reste en fait. (…) Mais c’est marrant quand tu vas vendre du miel dans une foire ou un marché, t’as toujours des vieux qui arrivent et qui te parlent pendant une heure. Oui, les histoires d’abeilles… Il y a tout le temps des gens qui arrivent et qui ont des histoires incroyables (…). C’est vrai que l’abeille domestique, ça fait très, très longtemps qu’elle vit avec l’homme et l’un a besoin de l’autre »
[témoignage de Francis Aymonier, Le Châtelard, 9 octobre 2019, entretien mené par Juliette Dupérier]. « Robert : J’ai commencé tout seul et puis c’est Théophile Folny. Lui, il avait beaucoup, beaucoup de ruches ; il avait trente, quarante ruches. Et lui, il m’expliquait bien. Et puis, bien souvent, ceux qu’ont des abeilles, ils aiment bien raconter aux autres ce qu’ils savent pour le redire aux autres.
Juliette : Pour que ça continue.
Robert : Voilà. Il y en a beaucoup que j’ai connu qui avaient des abeilles. Ils étaient bien contents de dire ce qu’ils savaient sur les abeilles.
Juliette : Il était passionné, Théophile ?
Robert : Ah, Théophile, oui, oui ! Il s’y connaissait très bien. (…) Ce qu’il y a c’est que… Les abeilles, ce n’est pas quand tu veux, toi, qu’il faut y aller t’en occuper, c’est quand il y en a besoin. Des fois, elles n’ont pas besoin de toi ; il faut bien les laisser tranquilles. Quand tu as un essaim, il faut juste regarder si ça marche bien ou, si ça ne marche pas, comment elles travaillent. C’est intéressant de se mettre devant et de regarder les abeilles. C’est intéressant. Tu vois comment elles travaillent. Tu vois si ça marche bien. Si ça ne marche pas, faut aller voir ce qu’il se passe. Si elles ont le varroa, si la reine est partie… ce qu’il se passe, quoi »
[témoignage de Robert Jacquemoud-Collet, Jarsy, 9 février 2019, entretien mené par Juliette Dupérier].
« J’ai vu qu’il y avait une formation. Je me suis dit : “Tiens, ça pourrait être intéressant“ et puis on y est allé. Et puis, une fois que t’as mis le petit doigt dedans, y’a tout le bras qui part avec (rire).
Pierre : C’est comme avec les vergers. (…)
Véronique : Ça fait partie d’un tout. De produire au maximum nous-mêmes et puis de se rapprocher de la nature. C’est fantastique de regarder les abeilles entrer, sortir avec le pollen. C’est beau. Et puis de récolter ce miel ! Quand le miel coule, c’est magnifique. C’est incroyable de voir que des petites bêtes comme ça nous font ce cadeau. (…) Et puis l’apiculture, c’est une excuse aussi, c’est l’échange, c’est le partage, c’est tout ça qui nous intéresse aussi. Quand on rencontre un apiculteur, il ne faut pas être pressé (rire). C’est : “Toi, t’as combien de ruches ? Et comment ça va ?“, et tout ça ! (…)
Pierre : Et puis, surtout, les apiculteurs, c’est souvent des gens passionnés aussi. 99 % des gens, c’est des gens passionnés (…).
Véronique : Pour nous, c’est vraiment bien de pouvoir partager une passion.
Pierre : Et puis ce n’est pas que chacun a ses méthodes ; c’est chacun a ses trucs. Les gens essaient des choses… Et puis, avec l’abeille, des fois on a vu des apiculteurs qui font de l’apiculture depuis des lustres, et puis des fois ça ne marchait pas comme ils voulaient, quoi. Ils ne savaient pas pourquoi.
Juliette : Il y aura toujours des mystères.
Pierre : Oui, y’a des choses qu’on ne peut pas expliquer »
[témoignages de Véronique Élouard et Pierre Rambaud, Sainte-Reine, 4 avril 2019, entretien mené par Juliette Dupérier].
Les apiculteurs relatent leurs difficultés et inquiétudes actuelles, qu’ils associent à une dégradation progressive de l’environnement et aux déséquilibres climatiques qui fragilisent l’abeille :
« L’année passée, j’en ai perdu sept de ruches ! Sept ! Elles sont mortes au mois de septembre.
Juliette : Pourquoi ?
Robert : Je ne sais pas. Si des fois elles vont boire l’eau de l’égout et s’ils avaient mis des produits toxiques dans l’égout ? Je ne sais pas. »
[témoignage de Robert Jacquemoud-Collet, Jarsy, 9 février 2019].
« Patrice : Ce n’est pas simple, ça devient super technique. Avant, c’était plus facile.
Juliette : Par rapport à la quantité de miel ?
Patrice : La quantité de miel et d’abeilles, surtout. Les abeilles, elles ne mourraient pas beaucoup en hiver ; y’avait quelques hivers difficiles, mais c’était exceptionnel. Nous, toutes les années maintenant, c’est 10, 20, 30 % de perte. Maintenant, on dit qu’une mortalité à 30 %, c’est une mortalité normale ! (…) Toute la pollinisation qui se fait avec les abeilles, c’est énorme. On a du mal à le quantifier, mais tout ce qui est pommiers, sans les abeilles, il n’y aurait pas de pommes. Même avec les fleurs, quand j’ai mis mon rucher dans le pré vers École, en dix, quinze ans, y’avait beaucoup plus de fleurs. Le pré est beaucoup plus beau qu’il ne l’était y’a dix, quinze ans en arrière. (…) Et Christophe (agriculteur), lui, me disait que, quand il y avait les ruches, il avait plus de foin. Il l’a constaté. (…) Alors, si on perd l’abeille, on va le regretter »
[témoignage de Patrice Ferroud-Plattet, Mûres, 6 mars 2019, entretien mené par Juliette Dupérier].
« Francis : Le problème, c’est que plus ça va…
Juliette : Moins ça va ? Francis : Oui, moins ça va ! Avec le réchauffement climatique et tout ça. (…) Les gros extrêmes (climatiques) sont de plus en plus fréquents et les abeilles, ça les déboussole (…). Ça va vite ! Nous, quand on était gamins, on commençait un peu à parler d’écologie. En se disant qu’il fallait le faire, mais qu’il y avait le temps, on va dire. Et en cinq ans… Les Bauges, c’est un bon exemple, parce que tout le monde disait que le jour où il y aurait un manque d’eau en Bauges… Y’avait de l’eau, quoi ! Y’avait de l’eau partout, il pleut tout le temps, voilà. Et là, en quelques années, on s’est pris trois canicules de suite, des sécheresses. Y’a des sources qui n’avaient jamais tari qui ont séché. Là, on se rend compte que ça concerne tout le monde et qu’il va falloir faire quelque chose »
[témoignage de Francis Aymonier, Le Châtelard, 9 octobre 2019, entretien mené par Juliette Dupérier].
Les pertes hivernales et celles dues au varroa sont actuellement croissantes et forment les nouveaux enjeux de l’apiculture. Depuis une trentaine d’années, les apiculteurs font face à des dommages de plus en plus forts au sein de leurs ruches, qu’ils ne parviennent pas à assainir totalement. Les différents traitements sont l’objet d’un perpétuel débat au sein de la communauté apicole, à la recherche d’une méthode appropriée, que l’on poursuit encore actuellement.
Celles-ci s’ajoutent aux difficultés d’installation que les apiculteurs professionnels rencontrent (coût du matériel, aléas climatiques intervenant directement sur les récoltes), confrontés, de même, à un modèle productiviste qui ne permet pas le caractère aléatoire des récoltes. Les apiculteurs rencontrent aussi des difficultés d’emplacement de leurs ruches et ruchers. Certaines appréhensions sont toujours vives et les bénéfices de la pollinisation ne sont pas toujours reconnus. La question des accès est aussi à évoquer. Avec les sécheresses de plus en plus courantes sur le massif, les apiculteurs réfléchissent à placer leurs ruches davantage en altitude, volonté souvent contrainte par la qualité des accès. Les essaims étant particulièrement fragilisés avec les secousses lors du transport.
Le changement climatique actuel, et notamment le raccourcissement du printemps, les tempêtes répétées et les étés de plus en plus secs et chauds, intervient directement sur la santé des ruches, de plus en plus fragiles et sujettes aux prédateurs et aux maladies. Les activités apicoles sont plus difficiles et techniques, tout comme le fruit des récoltes ne cesse de diminuer.
Selon plusieurs apiculteurs et agriculteurs, la densité de fleurs, très forte il y a une vingtaine d’années, a considérablement diminué. Camille Boisset l’affirmait déjà en 2008 : « Suite à tout ce qui précède, aussi bien sur le plan national que local, il y a un réel besoin de préserver, aider et dynamiser le secteur apicole afin de mettre en avant l’importance de l’apiculture et de l’abeille et particulièrement sur des sites protégés tels le Parc naturel régional du Massif des Bauges ». Au sein d’une agriculture pastorale traditionnelle, l’engagement des agriculteurs au côté des apiculteurs est exemplaire et ne doit pas reculer. Même si les apiculteurs insistent dans leur majorité sur la qualité de l’agriculture au sein du massif, il est important de mentionner les changements actuels créant un environnement plus pauvre pour les abeilles : les haies sont coupées, l’urbanisation progresse… Il importe de maintenir les temps de fauche, permettant le fleurissement des prairies, et de renoncer aux traitements phytosanitaires des terres cultivées, dans le cadre du cahier des charges de l’AOP Tome des Bauges. « Plus il y a de milieux différents, plus il y a de flore diversifiée » [témoignage de Francis Aymonier, Le Châtelard, 9 octobre 2019]. Les prairies naturelles intégrées dans un environnement varié (forêt, sous-bois, lisière, haies, espaces « intermédiaires » talus) maintiennent aussi une diversité florale riche profitant aux producteurs apicoles et agricoles.
Le nombre d’apiculteurs à l’échelle nationale et locale connaît une importante baisse. Le vieillissement des apiculteurs sans renouvellement et la non-attractivité de l’apiculture, liée à sa production trop aléatoire et à sa progressive technicité, freinent de nos jours les activités apicoles. Cependant, depuis peu, les apiculteurs remarquent l’intérêt croissant des jeunes générations pour la production apicole et pour ses bienfaits sur le maintien de la biodiversité locale.
L’apiculture traditionnelle du massif est confrontée à la perte progressive de la race d’abeille locale : « la noire ». L’introduction de races non locales, telles la « buckfast » et « l’italienne », fragilisent la transmission de la race locale, mieux adaptée au milieu montagnard. L’engagement des apiculteurs dans le maintien de « la noire » est fondamental, comme celui du Centre d’études techniques apicoles dans la reproduction et la diffusion de reines noires.
Tous ces facteurs influent sur la production de miel et ainsi sur son prix. Il semble aujourd’hui nécessaire de soutenir les apiculteurs, qui permettent la préservation d’un patrimoine naturel colossal, face à leurs difficultés économiques, et de maintenir l’accessibilité des produits de la ruche.
Modes de sauvegarde et de valorisation
La vente directe sur les marchés est le lieu d’échanges entre les producteurs et consommateurs et permet une sensibilisation importante sur les savoirs et bienfaits de l’apiculture.
Le jardin et rucher pédagogique de La Miellerie collective des Bauges proposent aux scolaires et aux visiteurs la découverte des abeilles. Cette action de sauvegarde, de transmission et de valorisation auprès des jeunes générations traduit l’engagement des apiculteurs sur le territoire.
Face aux nouveaux défis de l’apiculture, les syndicats (Rucher des Allobroges et Syndicat d’apiculture de Haute-Savoie) œuvrent pour la reconnaissance et la valorisation du métier d’apiculture. Ils fédèrent aussi la communauté et permettent l’échange et l’information entre apiculteurs.
L’association des Centres d’études techniques apicoles de Savoie œuvre pour la transmission de l’abeille noire aux plus jeunes générations d’apiculteurs, face à l’introduction de races externes au massif. Elle s’engage à la reproduction de reines noires, transmet ses savoirs par le biais de stages et de diffusion d’essaims de race « noire ».
Des concours de miel organisés sur le territoire valorisent les savoirs et la qualité de l’apiculture locale. Un concours a été organisé plusieurs fois à la foire d’automne de La Compôte-en-Bauges.
Les Miels des Bauges et L’Herbier de la Clappe, partenaires de l’installation d’un rucher-école au sein de cultures de plantes aromatiques et médicinales, sensibilisent le public aux bienfaits de la coopération de l’agriculture et de l’apiculture et valorisent une économie de polyculture.
Actions de valorisation à signaler
Le concours des Prairies fleuries, projet du PNR du Massif des Bauges, en coopération avec les agriculteurs et les apiculteurs du territoire, permet le dialogue entre ces métiers et valorise leur complémentarité. Il mesure et valorise la richesse florale des prairies, issue du travail respectueux de l’agriculture et de la valeur agroécologique. Le partenariat agriculteur-apiculteur propose aussi de nombreux emplacements de ruchers dans ces prairies naturelles. De nombreux reportages et articles de presse et une exposition itinérante réalisée par le PNR du Massif des Bauges, ont mis en valeur ce projet innovant de coopération et de protection de la biodiversité [cf. annexes].
Le projet de la Miellerie collective des Bauges, à Saint Eustache, né en 2016 de ce partenariat apiculteurs-agriculteurs, est issu d’un travail commun entre le PNR du Massif des Bauges, la mairie de Saint-Eustache, le Syndicat du rucher des Allobroges, le Syndicat d’apiculture de Haute-Savoie et l’Institut des sciences de l’environnement et des territoires (ISETA) d’Annecy. Ce projet innovant est primordial dans la sauvegarde du métier d’apiculteur et son accessibilité à tous. Le collectif permet le partage du matériel, la diminution des coûts et un réseau de vente locale, notamment pour les nombreux pluriactifs. L’association dispose d’une ruche pédagogique et accueille des visites de classes pour expliquer les savoirs de l’apiculture et la vie de la ruche.
Des animations et ateliers de découverte ont été organisés par le PNR, en partenariat avec les apiculteurs lors d’événements et au sein des écoles du territoire, favorisant la diffusion de ces savoirs.
Modes de reconnaissance publique
Sans objet
Inventaires réalisés liés à la pratique
Sans objet
Bibliographie sommaire
Académie florimontane d’Annecy, « Mémoire sur les miels de Savoie », Revue savoisienne, histoire, sciences, arts, industrie, littérature, Annecy, impr. Louis Thésio, 1861, p. 92-93.
BOISSET (Camille), « Développer l’apiculture autour de l’élevage laitier et des prairies fleuries dans le Parc naturel régional du Massif des Bauges », mémoire Ingénieur en agriculture, dir. Clémence Chazoule, ESA Angers, 2008.
MORAND (Louis), Les Bauges, histoire et documents. Vol. II : Seigneurs ecclésiastiques, Chambéry, Impr. savoisienne, 1890.
PONCIER, « Le pays des Bauges. Le type savoyard », La Science sociale suivant la méthode d’observation, n° 34, Paris, 1907, p. 47.
Filmographie sommaire
● « Apiculteurs – Agriculteurs : un partenariat réussi dans le Massif des Bauges », réal. Héliofilms, prod. PNR du Massif des Bauges, janvier 2016, 10 min 17
En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=lYO83WVVx90
● « AlpFoodWay Inquiry », dialogue entre Dominique Dupérier, éleveur et alpagiste, et Antoine Volpi, apiculteur, réal. Lab 80 film, prod. Regione Lombardia – Archivio di Etnografia et Storia sociale, mai 2018, 6 min 13
Sitographie sommaire
Sans objet
Francis AYMONIER, maraîcher et apiculteur de L’Abeille verte, 06 25 01 20 99
Véronique ÉLOUARD, danseuse professionnelle, apicultrice, veronique7@wanadoo.fr
Patrice FERROUD-PLATTET, pluri-actif apiculteur, patrice.ferroud@laposte.net
Robert JACQUEMOND-COLLET, artisan retraité et apiculteur, 04 79 54 84 33
Piaire RAMBAUD, professeur d’EPS retraité, apiculteur, veronique7@wanadoo.fr
Audrey STUCKER, chargée de mission agriculture au PNR du Massif des Bauges, a.stucker@parcdesbauges.com
Antoine VOLPI, apiculteur et président de la Miellerie collective de Saint-Eustache, antoine.volpi@orange.fr
Des consentements et soutiens à la démarche d’inscription des « Savoirs de l’apiculture dans le massif des Bauges » à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel en France ont été reçus de toutes les personnes rencontrées, citées supra.
Rédacteurs de la fiche
Silvia ALA, chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, PNR du Massif des Bauges, s.ala@parcdesbauges.com
Juliette DUPÉRIER, anthropologue, chargée d'étude pour l'enquête, analyse et rédaction de fiches d'inventaire sur le patrimoine alimentaire, j-dup@hotmail.fr
Valentina LAPICCIRELLA ZINGARI, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le PNR du Massif des Bauges, vzingari@gmail.com
Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé
Silvia ALA, chargée de mission patrimoine culturel et immatériel, PNR du Massif des Bauges, s.ala@parcdesbauges.com
Juliette DUPÉRIER, anthropologue, chargée d'étude pour l'enquête, analyse et rédaction de fiches d'inventaire sur le patrimoine alimentaire, j-dup@hotmail.fr
Valentina LAPICCIRELLA ZINGARI, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le PNR du Massif des Bauges, vzingari@gmail.com
Lieux(x) et date/période de l’enquête
* École-en-Bauges (Savoie) : tournage du film sur les valeurs du patrimoine alimentaire alpin, dans le cadre du projet AlpFoodway, avec Antoine Volpi et Dominique Dupérier (4 mai 2018)
*Jarsy (Savoie) : entretien avec Robert Jacquemoud-Collet (9 février 2019)
* Mûres (Haute-Savoie) : entretien avec Patrice Ferroud-Plattet (6 mars 2019)
* Sainte-Reine (Savoie) : entretien avec Véronique Élouard et Piaire Rambaud (4 avril 2019)
* Aillon-le-Jeune (Savoie) : table ronde « Les savoirs du miel », dans le cadre de l’atelier international « Patrimoine alimentaire alpin. Expériences et enjeux dans le massif des Bauges et dans les Alpes » (Chartreuse d’Aillon, 2 octobre 2019)
* Le Châtelard (Savoie) : entretien avec Francis Aymonier (9 octobre 2019)
Données d'enregistrement
Date de remise de la fiche : 20 février 2020
Année d’inclusion à l’inventaire : 2020
N° de la fiche : 2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00456
Identifiant ARKH : ark:/67717/nvhdhrrvswvk25c
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Massif_des_Bauges
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