Travail de tournage sur bois pour la fabrication de quilles.
Les dimensions et mesures des pièces d’un jeu de quilles demandent une attention particulière lors de leur fabrication : une quille de 9 doit peser 2,9 kg maximum tandis qu’une boule pèse entre 6 kg-6,2 kg (pour un diamètre de 26,5 cm).
Les dimensions et mesures des pièces d’un jeu de quilles demandent une attention particulière lors de leur fabrication : une quille de 9 doit peser 2,9 kg maximum tandis qu’une boule pèse entre 6 kg-6,2 kg (pour un diamètre de 26,5 cm). Quant au boulon de quilles de 6, il doit peser entre 1,100 kg – 1,200 kg. Les quilles de 9 mesurent environ 96 cm de hauteur pour un diamètre de 6 cm à la base, avec un renflement en son milieu ("la pomme") mesurant 16,2 cm de diamètre1. Cette pomme est cerclée de 250 clous sur lequel vient frapper la boule lors du jeu. Les quilles de 9 sont fabriquées en hêtre, tandis que la boule ou le boulon sont en noyer (les quilles de 6 et les boulons peuvent également être en frêne).
Après avoir été coupé en forêt durant l’hiver, le bois est amené à la scierie puis débité en carré de 19 par 19, sans attendre l’été suivant pour éviter qu’il ne s’échauffe à la chaleur. Avec ces pièces débitées, l’artisan les dégrossit à la scie à ruban puis les tourne sur sa machine deux centimètres plus grosses que la taille finale d’une quille afin de les sécher plus vite : une pomme qui devra faire 16,2 cm (taille finale) sera arrondie à 19 cm et la tête d’une quille qui devra faire 6,5 cm environ sera tournée à 8 - 8,5 cm. Suite à ce travail, les pièces de bois sont entreposées un an dans un local de stockage. Le bois provenant des chutes peut être ensuite réutilisé dans la confection d’autres objets en bois (pour l’assemblage trophée de concours de quilles, sculptures sur bois ou autres).
L’assemblage des parties de la quille - comprenant tête, pied et pomme - se réalise avec une seule pièce de bois (sans collage) ou avec plusieurs (jusqu’à cinq blocs de bois assemblées).
Lorsqu’une quille est fabriquée à partir d’un seul morceau de bois, après une première découpe du bois, les chutes sont ensuite récupérées pour fabriquer les pièces qui seront assemblées par collage pour faire la pomme. La perte de bois reste assez importante, ce qui engendre un souci d’optimisation de la matière première qui est devenue plus coûteuse. Par exemple, on part de 35-40 kg de "bois vert" à la scierie et on obtient 2,6 kg de bois (sans les clous) : d’un morceau de 1,05 m de hauteur, on produit des quilles de 96 cm de hauteur. Les morceaux de bois, une fois coupés, sont ensuite débités en carrés de 19 par 19 pour obtenir une pièce en bois principale. Avec la technique du "bouvetage en dents de scie" (ou "assemblage à entures multiples"), les chutes s’emboîtent de chaque côté de cette pièce principale, multipliant ainsi la surface de collage par le nombre de bloc rajouté2.
Des clous sont plantés à la main sur la pomme et sur le pied de la quille afin de l’alourdir et la renforcer, dans le but d’empêcher l’effritement du bois provoqué par les chocs répétés de la boule. Pour obtenir cinq lignes régulières de clous, l’artisan marque la quille à l’aide d’un outil qu’il s’est confectionné lui-même (une molette crantée) lors du tournage. Cette technique était plus sommaire auparavant : les artisans faisaient cinq traits sur la quille pendant qu’elle tournait, puis ils plantaient un nombre variable de clous de façon plus ou moins serrées afin que la quille fasse un poids correct. Tandis qu’actuellement, la régularité - tant dans les dimensions que dans les mesures - est recherchée dans la fabrication des quilles : le fabriquant met toujours le même nombre de pointes et ajuste le poids avec des clous plus ou moins longs afin d’obtenir un poids précis. L’étape suivante consiste à décorer chaque quille avec une collerette à son sommet, ainsi qu’un ruban de trois couleurs qui ceinture la tête de la quille. En effet chaque fabricant avait son propre jeu de couleurs : bleu/rouge/bleu pour Alain Ducassou, tandis que le précédent fabricant de quilles, Pierre Navarron, marquait les quilles avec de la peinture (couleurs bleu/blanc/rouge) et apposait son nom au fer rouge. L’étape suivante consiste à couper les extrémités de la quille à l’aide d’une scie à métaux appliquée contre les pointes, après avoir limé le pied et la tête de la quille.
D’un diamètre de 26,5 cm, la boule est exécutée suivant le même principe que les quilles. A partir d’un rondin de bois, il faut scier et tourner la pièce de bois. La réalisation de la poignée nécessite deux heures de travail : l’artisan fait des trous à la perceuse, aux ciseaux à bois et à la gouge pour dégager la partie qui servira de poignée. Certaines boules peuvent être plombées pour obtenir le poids idéal de 6,2 kg, si le bois est trop léger.
Au final, deux jours et demie de travail sont nécessaires pour la fabrication d’un jeu de quilles en bois se composant de neuf quilles et d’une boule (la réalisation d’une boule demande à elle seule une demi-journée de travail).
1 Sauf pour une quille spéciale, plus petite et appelée "le neuf", qui mesure 14 cm de diamètre.
2 Un autre tourneur sur bois qui prend la suite des commandes de jeu de quilles utilise - pour le moment - une technique différente : il colle les pièces entre elles, ce qui nécessite l’achat de bois pour faire les collages. Puisqu’il colle à plat (sans bourretage à dent), le collage est plus aléatoire car la surface collée est réduite (il y a moins de contact entre les pièces).
- Une balance pour peser les quilles et la boule.
- Des clous : 50 clous au pied de la quille ; 250 clous organisées en 5 rangées sur la pomme (ou 3 rangées sur "le neuf" qui est la quille du milieu). Total : 300 clous.
- Des feutres pour marquer les quilles (marque de fabrique de l’artisan).
Le bois de hêtre provient soit du stock de l’artisan (provenance locale ou de la vallée d’Aspe), soit des particuliers (joueurs ou clubs) qui le fournissent alors en bois pour leur commande ; tandis que le bois de noyer provient des alentours de Morlanne.
- Une mollette crantée (fabriquée artisanalement avec un pignon de semoir d’autrefois) pour marquer les repères des rangées de clous ;
- Une fraise à dents pour coller les pommes des quilles ;
- Une scie à métaux pour scier les extrémités des quilles.
- Le tour automatique pour le tournage des quilles ;
- La scie à ruban pour dégrossir les quilles afin d’enlever les morceaux de bois et à tailler la boule ;
- La toupie pour faire les collages.
Les pièces en bois d’un jeu de quilles de 6 ou de quilles de 9 : des boules et des quilles de 9, des boulons et des quilles de 6 en hêtre, trophées ou sculptures en bois, objets de décoration.
Son atelier se trouve à Morlanne.
Apprentissage
Apprentissage autonome, "à force, en faisant" des quilles. Alain Ducassou possède une formation de charron-menuisier, puis a suivi un stage de cinq semaines à Liffol-le-Grand (Vosges) dans un CFA pour apprendre les techniques de travail du bois (tournage et sculpture sur bois). Après cette formation, il a continué le tournage sur bois dans son atelier et travaille seul dans son entreprise.
Transmission
Un premier tourneur sur bois a été formé pendant trois mois à la fabrication de quilles de 9 et de 6 mais semble avoir délaissé la fabrication de quilles. La question de la transmission du savoir-faire a alors été problématique pour le jeu de quilles de 9 qui a besoin d’avoir un artisan sachant tourner les quilles pour approvisionner les clubs. Un autre artisan est en cours de formation et débute le tournage des quilles, sur les conseils du fabricant et des joueurs.
Même si certains écrits attestent de la pratique de jeu de quilles dès le XVe siècle, l’origine des quilles de 9 n’a jamais pu être clairement établie. Ces sources nous permettent cependant d’observer que ce jeu s’est pratiqué durant des siècles sous des formes et avec des règles très variables. Les quilles de neuf de la fin du XIXe siècle étaient différentes de celles que l’on connaît actuellement : elles ne mesuraient que 85 à 90 cm de hauteur (96 cm aujourd’hui), de forme plus hétéroclite et dont le poids pouvait varier, obligeant les joueurs à s’adapter au matériel. En Effet, les tourneurs-chaisiers de campagne procédaient au tournage des quilles mais chacun possédait un modèle différent, ce qui donnait des quilles et des boules avec des proportions inégales. Les techniques de fabrication, plus rudimentaires (tours à perche puis tours "en l’air" avec un volant actionné à bras d’homme ou par une pédale), évoluèrent au début du XXe siècle grâce aux innovations technologiques et la mécanisation des appareils : aux tours à pédales succèdent des moteurs à essence puis des moteurs électriques pour le tournage des quilles. En effet, on observe un renouveau du jeu de quilles durant l’entre deux-guerres, avec des variantes à la fois dans les règles, la forme, la taille, la matière, l’aire de lancement.
Les procédés de fabrication de la quille et de la boule ont évolué pour s’adapter aux souhaits des joueurs : ces derniers recherchaient plus d’équilibre et de régularité dans les boules et les quilles qu’ils retrouvaient dans les quilliers lors des compétitions, contrairement aux quilles de 6 où les clubs apportent leurs propres boulons. Par exemple la poignée de la boule a été un peu incliné afin de modifier le centre de gravité, la pomme a été déplacée dans le sens de la hauteur et le diamètre du pied de la quille s’est élargi. Les boules, autrefois fabriquées dans la racine (la rose de noyer, qui est plus solide) sont désormais réalisées avec toute la jambe (la pièce de bois). Il faut noter que la mécanisation – et notamment l’arrivée des tours automatiques - a aidé à accélérer la production de quilles.
Les outils évoluent mais également le traitement de la matière première. Autrefois, le bois de hêtre était coupé localement ; une fois cette matière épuisée, on alla en rechercher dans la vallée d’Aspe à une altitude moyenne de 1200 m. L’exposition du bois par rapport au soleil a également une influence sur sa densité : les bois exposés au Nord sont plus légers que ceux exposés au Sud. En effet Gaston Ducasse (qui commença la fabrication de quilles en 1895 et chercha à perfectionner le matériel) explique que "c’était l’absence totale du soleil dans les hêtraies exposées au Nord, cachées par un flanc de montagne assez rapproché, qui était la cause de la nature de ces bois gras sans résistance ni élasticité, donc impropres à la fabrication des quilles de neuf". Coupé en hiver, après les premiers gels pour que la sève redescende des arbres, le bois est alors plus léger et se conserve mieux. Le bois de montagne étant plus léger que celui en plaine, on obtenait des quilles plus épaisses (2 mm de plus) pour le même poids, mais de moins bonne qualité. Le "bois de vergne", c’est-à-dire l’aulne, pouvait également être utilisé, mais il fallait
attendre des phases de la lune particulièrement favorables pour le couper ("la vieille lune de mai ou à défaut la vieille lune de septembre, ce qui rendait ce bois plus dense et plus résistant aux attaques du ver" selon Gaston Ducasse), en plus d’attendre que la sève soit descendue, afin que le bois ne se fende pas. Cependant ce calendrier des coupes - l’attente de la période hivernale - n’est plus respecté aujourd’hui ; de plus, l’achat de bois se fait désormais localement et non plus en montagne pour des raisons de coût.
La durée de vie d’une quille dépend de son utilisation : par des joueurs débutants ou non, de leur force, de la régularité des entraînements. Si l’on joue tous les jours avec la même quille, celle-ci peut durer trois mois, voire moins s’il s’agit de la "quille de main", c’est-à-dire la première quille qui reçoit le choc de la boule. D’ailleurs dans l’éthique des "quillous", un bon joueur doit savoir utiliser son matériel : "ceux qui les cassent, ce sont ceux qui ne savent pas jouer".
Actuellement les quilles de 9 (27 clubs en 2011) et les quilles de 6 (13 clubs en 2011) se pratiquent sur un espace allant respectivement de la Chalosse (sud des Landes), Béarn et Bigorre pour le premier jeu, et de la Gironde à la Bigorre pour le second. Il s’agit de fournir tous ces clubs avec le matériel nécessaire à leur pratique : des jeux de quilles de 6 et de 9 en bois. La fabrication des quilles fluctue en fonction de l’intensité de la pratique car la demande provient des joueurs ou des clubs de quilles : il s’agit d’une activité complémentaire pour le menuisier. Alain Ducassou fournissait les clubs des Landes, du Béarn et de Bigorre en quilles de 9 même s’il existe un deuxième fabricant à Saint-Colome (Landes) qui peut fournit occasionnellement le matériel. Alain Ducassou fréquente les terrains des quilles depuis l’âge de quatorze ans : à l’époque, chaque café possédait une aire de jeux que l’on appelle quillier (il existait cinq cafés-quilliers à Morlanne). En 1978, il commence à fabriquer des quilles dans son atelier qu’il venait d’ouvrir un an plus tôt. Il succède alors à l’ancien fabricant de quilles Navarron qui venait de décéder et avait également son atelier à Morlanne. Toutefois la production à l’époque était moindre du fait qu’il n’y avait pas autant de jeunes à pratiquer : on se tourne désormais vers ce public autrefois délaissé, mais qui s’entraîne souvent et use davantage le matériel.
Ce fabriquant de quilles a créé lui-même son entreprise de menuiserie, en se constituant son propre outillage. Il commença par faire de la menuiserie puis progressivement des artisans, avec lesquels il travaillait en sous-traitance, lui ont confié du travail de tournage sur bois. Ainsi il travaillait les tournages d’escalier pour les menuisiers, des pieds de chaise pour les chaisiers, des pieds de table et des colonnes d’armoire pour les ébénistes, des accessoires de salles de bain, des usines de meubles qui étaient particulièrement nombreuses localement autrefois. Alain Ducassou fabriquait 4-5 jeux de quilles par an environ ; tandis que dans l’entre-deux guerres, des ateliers de Navarron sortaient un jeu de quilles par jour (liés au nombre plus importants de quilliers dans les cafés à l’époque).
Il n’existe pas d’action de valorisation pour la fabrication des quilles elles-mêmes, mais les quilles de 6 et de 9 possèdent leur propre site internet et viennent de recruter un conseiller technique depuis janvier 2012 pour développer la pratique. Néanmoins un projet de création d’un musée de la quille de 9 à Morlanne est envisagé.
La reconnaissance au niveau local s’effectue par les joueurs et la Fédération de quilles de 6 et de 9 qui passent des commandes à l’artisan. Un ouvrage (La quille vivante) mentionne également Alain Ducassou parmi les fabricants de quilles en France.
- CAMY Jean. "Les quilles en Gascogne. Entre jeu et sport", in Terrain, n° 25, 1995 : 61-72.
- DUCASSE Gaston, 1953. Un sport gascon et son histoire : les quilles de neuf, Jean Lacoste, Mont-de-Marsan.
- DABADIE Michel, 2011. Les quilles de 9 : du passé à l’avenir, Comité départemental de quilles de 9, Pau, 301 p.
- KESSLER Lin, 1983. La quille vivante, Éditions Joël Cuénot, Paris, 95 p.
- TRÉMAUD Hélène, 1964. Les Français jouent aux quilles, Maisonneuve et Larose, Paris.
Il n’existe actuellement aucune mesure de sauvegarde concernant la fabrication de quilles de 6 et de 9, la survie de la pratique dépend directement de la transmission du savoir-faire à un autre artisan menuisier. La fabrication de quilles ne fait l’objet d’aucun label ou de reconnaissance de la part de la Chambre des Métiers, même si on observe une raréfaction du métier de tourneur sur bois. Ce savoir-faire pourrait être mis en danger par plusieurs facteurs : par exemple la difficulté d’approvisionnement en bois spécifiques, ou la non-reprise des techniques de fabrication de quilles par d’autres tourneurs sur bois pour cette activité complémentaire et non principale.
Personne(s) rencontrée(s)
- Alain Ducassou, charron-menuisier et tourneur sur bois, fabriquant de quilles de 6 et de 9 à la retraite.
Localisation (région, département, municipalité)
Nouvelle-Aquitaine, Pyrénées-Atlantiques, Morlanne.
Adresse : Siège du comité national quilles de neuf, Plantier municipal de Pau, 5 allée du Grand tour
Ville : Pau
Code postal : 64000
Téléphone : 05 59 62 37 96
Site Web
Dates et lieu(x) de l’enquête : le 09 décembre 2011 et le 25 janvier 2012 à Morlanne
Date de la fiche d’inventaire : 29 février 2012
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Mathilde Lamothe, laboratoire ITEM EA 3002, programme de recherches "Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel en Aquitaine", Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Nom du rédacteur de la fiche : Mathilde Lamothe, laboratoire ITEM EA 3002, programme de recherches "Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel en Aquitaine", Université de Pau et des Pays de l’Adour.
N° d'inventaire Ministère Culture : 2012_67717_INV_PCI_FRANCE_00283
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2kz
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fabrication_de_quilles
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