Dans les pratiques de soin, la connaissance des propriétés des plantes constitue la base du savoir naturaliste.
Encore à une époque récente (milieu du XXe s.) il n’était pas aisé de faire déplacer le vétérinaire et le médecin. Les éleveurs atandes ont donc recours à une « pharmacopée populaire » qui réunit des plantes, des parties animales ainsi que des objets et pratiques de soin liés à des rituels.
Isolée plus que toute autre dans la montagne, la maison atandes1 a conservé des savoirs sur les milieux naturels, les plantes et les animaux domestiques ou sauvages. Il en allait de la survie si ce n’est de la maison du moins de ses forces vives. Encore à une époque récente (milieu du XXe s.) il n’était pas aisé de faire déplacer le vétérinaire et le médecin. Les éleveurs atandes ont donc recours à une « pharmacopée populaire » qui réunit des plantes, des parties animales ainsi que des objets et pratiques de soin liés à des rituels. L’usage des plantes et d’autres connaissances de soins, bien qu’en régression dans les familles (la voiture a réduit les distances qui les séparaient des médecins et pharmacies), sont encore utilisés ou restent en mémoire. A l’usage des simples2 nous avons rajouté les connaissances des plantes utiles à la maison et pour les soins aux animaux, soins exceptionnels ou communs, liés à la pratique de l’élevage.
Dans les pratiques de soin, la connaissance des propriétés des plantes constitue la base du savoir naturaliste. Ceux et celles qui détiennent ce savoir le transmettent dans la famille proche et chaque maison (au sens large, toutes les maisons ne détiennent pas ou plus de savoirs particuliers) entretient le plus souvent une connaissance qui lui est propre. Il s’agit de l’usage d’une plante spécifique pour une affection particulière. Cette spécialisation est aussi liée à la nature même du travail, l’éleveur atandes pouvait être aussi maçon, charpentier ou scieur de long, autant d’activités annexes traduisant l’autosuffisance ou la nécessité de compenser la faiblesse des revenus lorsque le travail se fait à l’extérieur de la maison. Les « maisons » ont donc gardé des savoirs liés avant tout au métier d’éleveur et aussi des connaissances de soin en fonction des autres activités ; ainsi le maçon qui soigne sa peau attaquée par la chaux appliquera des onguents, le charpentier ou menuisier soignera les échardes… Lors d’entretiens nous avons relevé quelques uns de ces savoirs détenus par les atandes. Le recensement est loin d’être terminé et nous livrons ici les premiers résultats.
Mais avant de décrire ces pratiques, une précaution s’impose. La connaissance des simples et des pratiques de guérison restent secrètes même si dans la communauté larraintar3 chacun sait où aller pour soigner les affections courantes. La part de mystère qui entoure connaissance et pratique est aussi le gage de la réussite du traitement. Madame EB4 soigne la teigne par les plantes ; elle nous exprimera ses doutes : « j’ai appris par un homme du bas de la vallée, je l’avais appelé parce qu’on avait la teigne. Il m’a dit que c’était très facile, que je pouvais le faire moi-même et il m’a montré. Depuis, je prépare moi-même le jus de plantes mais je ne sais pas si c’est les plantes seules ou si c’est moi avec l’aide des plantes qui guérit ; en tout cas, ça marche mais je ne veux pas me montrer… ». Pour des raisons de confidentialité inhérentes à la pratique, nous respecterons l’anonymat des personnes.
Certaines pratiques sont communes à beaucoup de maisons, voire à toutes, comme nous l’avons constaté pour l’usage du houx (ilex aquifolium, vern : gorostia) dans le traitement de la gale du veau ou teigne5 lorsqu’elle est transmise à l’homme. « Quand les veaux et génisses passent l’hiver dedans6, il n’est pas rare qu’ils attrapent la gale, c’est une maladie qui fait des taches sur la peau du veau…"7 et de continuer ainsi "pour soigner les veaux, il faut aller cueillir un bouquet de houx de l’autre côté de la rivière et le pendre ensuite dans la borde (grange étable) où il y a les veaux, au bout de quelques jours la maladie s’en va… ». Cette pratique est encore courante à Larrau mais personne ne sait dire pourquoi il faut traverser la rivière (ce qui signifie quelques fois aller dans un autre quartier éloigné) ni d’ailleurs ce qui agit exactement, de la substance de la plante ou du rituel. Chacun s’emploiera à dire que les deux entrent en compte sans chercher à expliquer et le plus important aux dires de tous « c’est que ça marche ». La résultante est que le houx est maintenu en abondance partout dans les sous bois, bosquets et haies.
Thiña8 se propage à l’homme, dans ce cas il faut visiter le spécialiste : « quand j’étais jeune, j’ai eu la gale sur le visage, toute la joue était prise. C’était profond et ça grattait beaucoup, le médecin ne pouvait rien, c’était trop tard. Je suis allé voir un voisin qui avait le don, qui guérissait. Il a fait chauffer une pièce en argent, vous savez celle de 5 francs, sur Ezko la bougie des morts9. Après avec la tranche il a coupé le mal en faisant tout le tour et en appuyant fort. C’était à vif et il a fait la même chose sur toute la peau malade en traçant des carrés. Ça peut prendre une heure. J’avais mal mais au bout de quelques jours c’est parti. C’est très efficace » (propos de M BJL)10. Cette pratique sera vérifiée auprès d’autres personnes. Mme AM11 présente lors de l’entretien dira « Je l’ai eu aussi quant j’étais jeune sur le sein. C’était douloureux quand je suis arrivée chez le guérisseur, il a fait sortir tous les hommes et garçons de la pièce et il m’a demandé d’enlever ma chemise. J’en menais pas large. Il a fait de la même façon pour passer la pièce
d’argent, j’avais très mal mais c’est passé… » La pratique de la pièce d’argent existerait encore chez un descendant du premier praticien.
Les scarifications sur la peau sont douloureuses et profondes aussi pour adoucir la douleur et que la peau retrouve sa souplesse on utilise le suif de mouton, le gras de mouton. Mr JB12 précisera « le dessus des cotes surtout …» s’applique en onguent sans rien ajouter sur les griffures des ronces et autres « plantes piquantes », les hématomes après une chute et même lorsque la peau est râpée et sanguinolente.
M. BJL utilise la graisse de pied de mouton à d’autres fins. Elle est d’abord fondue puis moulée dans un récipient (casserole ou poêle). La galette ainsi obtenue est traversée sur le bord par une corde qui servira à la pendre dans un endroit frais pour la conservation et « en avoir tout le temps. ». Il s’en sert pour graisser les sabots des bêtes lorsqu’ils fendent (trop secs) alors qu’un autre témoin s’en sert pour traiter les crevasses au talon des humains. L’huile de Cade13 est aussi utilisée pour les sabots et M BJL la préfère au suif qui est appliqué faute d’huile à la maison. Le suif de pied de mouton sert aussi à assouplir les cuirs « Je fais fondre le suif et il remplace le cirage. Deux fois par an je passais les harnais des vaches ».
Mme EB utilise une technique plus douce pour soigner la teigne. Elle a eu l’occasion de soigner son petit-fils il y a peu. Elle prépare un mélange de deux plantes « je cueille erle-belhar, l’herbe de l’abeille (lierre terrestre, gléchoma hederacea) et ardimihi, la langue de brebis (grand plantain, plantago major)… je mélange les jus et je frotte fort sur la teigne… » Mme EB fabriquera devant nous le jus de plantes. Elle est connue pour ce soin par les autres éleveurs qui font appel à elle. Son petit-fils nous dira qu’il faut quelques jours pour que ça passe et qu’il n’a rien essayé d’autre.
Alors que pour les soins par scarification la saison n’a pas d’importance, il n’en est pas de même pour la cueillette des plantes ; Mme EB soigne à l’automne et au printemps. Elle a bien essayé l’hiver mais « les plantes ont disparu ». Elle nous dira que c’est dommage parce que la Gale apparaît souvent l’hiver lorsque les veaux sont confinés dans les bordes !
D'autres usages de plantes perdurent dans les affections de la peau ainsi Mr JB tient de son père le traitement de « la mycose de l’oreille … Je l’ai vu faire et je le fais moi-même, c’est avec la feuille de cette plante comme un artichaut qui pousse sur les murs » Sur le muret du jardin attenant à la maison pousse la joubarbe des toits appelée teilatu [Saule M.2002], elle a été repiquée là par JB à partir d’une grange plus haute en montagne d’où, à ses dires, elle a disparu depuis cette transplantation. « Je presse la feuille comme ça (il la plie entre ses doigts) et je verse le suc directement dans l’oreille ».
Les aïeuls de sa femme, Mme JP14, sont Aragonais et de mère en fille depuis des générations la famille se transmet la fabrication d’un antiseptique et cicatrisant ; « je cueille les feuilles de liro (lys des jardins orange ou blanc, lilium sp) et je les laisse macérer dans du rhum ». Auparavant, son mari nous avait montré l’application sur une coupure superficielle, la feuille macérée est retirée du flacon, elle est devenu translucide. M JB la pose telle quelle sur la coupure à laquelle elle adhère complètement. Les filles de la maison connaissent la recette mais l’appliqueront-elles à leurs enfants ? C’est l’interrogation de Mme JP.
Pour l’éleveur, courir la montagne après les bêtes pour la surveillance n’est pas sans risque. L’entorse est une blessure qui peut arriver à tout moment. M EP15 a appris de sa mère les cataplasmes de choux : « les feuilles froissées sont posées sur l’entorse et puis une bande fait tenir le tout. Les feuilles sont changées tous les jours tant que ça fait mal ». C’est comme ça qu’il s’est soigné un « genou tordu » dans les rochers.
Les entorses ne sont pas les seules blessures ; en travaillant le bois, les échardes font partie des maux inévitables. Mme CM n’est pas atandes à Larrau mais son mari et elle mènent les vaches sur les estives où ils côtoient les atandes. Pour cette raison et aussi parce que nous sommes convaincus que les savoirs « circulent », nous les mentionnons ici. Dans la maison, il y a une longue tradition de menuisiers charpentiers en plus de la ferme qui se limite à l’élevage de vaches « pour enlever les échardes profondes… je vais dans la saligue16 chercher une plante17. Je fais un pansement avec les feuilles écrasées, la chair devient noire et l’écharde finit par sortir ». Elle utilise les mues de serpent de la même façon et pour la même affection mais elle précisera « encore qu’il faut en trouver ! »18.
D’ailleurs elle n’est pas la seule à utiliser une partie animale pour retirer les échardes. M BJL mentionne l’usage du fiel de cochon « on faisait sécher la vésicule biliaire – gibelmina – des cochons mâles en les pendant au-dessus de la cheminée. Quand c’était bien sec, on grattait un peu avec la pointe du couteau. On en mettait un peu dans de l’eau et on l’appliquait… ».
Les plantes sont aussi utilisées pour les soins aux animaux. Pour empêcher les diarrhées de printemps chez les brebis M BJL fait une tisane de feuilles de ronce (rubus, vern : mazura ou lahaŕ) : « au moment des diarrhées, aux premières sortie de l’hiver je cueille les feuilles de ronce pour faire une tisane. Elle cuit sur le feu 2h environ. Je la donne deux fois par jour pendant 3 jours. Quant une brebis a de la fièvre, je lui donne aussi la tisane mélangée à du bicarbonate. Très souvent ça suffit si c’est des maux de ventre… ». Lorsqu’il parle des brebis M BJL rappelle que quand « les buxuria (tête blanche)19 étaient malades on pouvait les soigner alors que les têtes noires c’est différent ». Cette affirmation montre, s’il en est besoin, que les remplacements de races et par extension d’espèces végétales à des fins productivistes, donc occasionnant des changements rapides de pratiques, s’accompagnent de pertes d’autonomie et de savoirs par les éleveurs. Le savoir du vétérinaire se substitue alors aux soins traditionnels et le technicien qui calcule la ration de la bête à la connaissance empirique de l’éleveur.
Parlant d’un temps révolu M. BJL (pour lui tout au moins) nous dira aussi « au début du printemps quand les brebis ont du lait, je les conduisais là où l’herbe est grasse dans les creux et puis plus tard quant le lait diminue pour les tarir je les menais plus haut près des rochers et elles s’installaient pour l’été. »
Lors de notre visite chez ce même éleveur, alors que nous marchions sur le chemin pour nous rendre à la grange, il cueille une feuille de petite oseille (rumex acetosella, vern : mineta) et la mâche « ça par exemple on peut la manger… en salade ça m’est arrivé mais c’est surtout en passant comme pour la mûre (mazura) ou la myrtille (ahabia). Dans la haie, M BJL désigne une liane « en basque on l’appelle ezkeŕ aihena20… on fait des liens de 1,5m à 2m. On s’en sert pour pendre le maïs semence dans le grenier ». Nous suivons bientôt Eŕegebidia (littéralement le chemin du Roi ou Royal) « il y passait des centaines de brebis qui allaient à Iraty ». Les talus foisonnent de bouton d’or (renonculus acres, vern : ürhebotoi) « les brebis la prennent dans la bouchée mais une minute après elles la relâche, elles trient… »
Proche de la nature dont il est un parfait observateur, ce qui le rapproche du naturaliste et de façon plus générale du scientifique étudiant les sciences de la terre et de la vie, l’éleveur atandes conserve de nombreuses connaissances sur les plantes. Cet aperçu ne doit pas nous faire oublier qu’un grand nombre de ces connaissances et pratiques s’est perdu et que le restant est fragile.
1. La maison au sens large comme unité culturelle qui comprend maison et dépendances, parcours des bêtes, bêtes et gens de la maison.
2. Terme générique pour désigner les plantes qui soignent.
3. Gentilé de Larrau.
4. Entretien. Femme veuve retraitée active, 70 ans, en présence de son petit fils éleveur, 28 ans ; Larrau Juin 2012.
5. Gale du veau ou teigne. (Thiña en langage courant [Lhande 1926] qui veut dire teigne et aussi gale et Ezkabe mentionné par Lhande et utilisé en langage lettré pour désigner la teigne uniquement [Dictionnaire Français/Basque. Cazenave 2010] )
6. L’hiver est long, il dure bon an mal an de Novembre à fin Mars, les bêtes sont confinées dans les bordes par catégorie. Les veaux et biga (génisse de 2 ans pour le renouvellement) sont ensembles et les bêtes adultes dans une autre borde quelquefois avec les axuria (agneaux). Les brebis sont à la maison dans l’eskaratzia (grange bergerie accolée à la maison). Ce système éclaté tend à disparaître depuis l’avènement des grandes bergeries et étables « modernes » qui prennent la forme de hangars.
7. Entretien Homme 64 ans Eleveur atandes. Larrau retraité Mai 2012.
8. La teigne (en basque).
9. Ezko qui est aussi « la lumière d’église qui s’allume lors de veillée funéraire » et pour Lhande il s’agit de la cire d’abeille qui fournit la « lumière de cire ». La bougie est longue, fine et enroulée sur un dévidoir, elle reste allumée tout le temps de la veillée funéraire.
10. Entretien, Homme, 64 ans, éleveur atandes, retraité actif. Larrau. Mai 2012
11. Entretien, Femme, 50 ans, employée. Larrau. Juin 2012
12. Entretien, Homme, 62 ans, éleveur retraité. Juin 2012
13. Genévrier Oxycédre, junipérus oxycédrus. Plante méditerranéenne appelée en basque egoa iphuru pour dire genévrier du sud. Ne pousse pas en Soule mais bien présent en Aragon.
14. Entretien, Femme, 62 ans, Fonctionnaire retraitée et femme d’éleveur. Juin 2012
15. Discussion, Homme, 51 ans, éleveur Larrau Juin 2012.
16. Boisement des berges et des zones périphériques humides des cours d’eau.
17. Mme CM ne nous donnera aucun nom mais nous montrera la plante en question que nous avons identifiée comme étant la scrofulaire noueuse (scrofularia nodosa).
18. Entretien. Femme, 65 ans, éleveuse à Licq-Athérey. Actuellement retraitée. Mars 1998.
19. Race de brebis locale aujourd’hui remplacée par la race manex tête noire venue de Basse Navarre à la suite d’un programme de sélection sur le lait. La buxuria est répertoriée par la CORAM (COllectif des RAces de Massif. BP 42 42 118. 31 321 Castanet Tolosan ) comme occupant une niche écologique entre le Béarn et la Basse Navarre. A notre connaissance, la race est aujourd’hui disparue.
20. Il s’agit du houblon - humulus lupulus – dont l’étymologie, ezkeŕ aihena, signifie qui s’enroule de gauche à droite mais désigne aussi toute plante rampante ou montante dont on fait les liens : liseron, clématite… [Lhande 1926] Mme JS, nausi atandes (maîtresse de maison atandes), précisera « avec aihena lorsque la plante est forte (grosse section), on faisait la traîne de Maïs à suspendre au grenier » en montrant le houblon grimpant sur la clôture du jardin.
Les éleveurs de Larrau, 23 au moment de la rédaction de la fiche.
Aquitaine ; Pyrénées-atlantiques ; Pays basque ; province de Soule ; Commune de Larrau.
Domaines colinéens à montagnard, de 400 à 1600m en haute vallée de Soule.
Basque, français.
Différents végétaux.
Entre dans la qualité des produits d'élevage et atteste d'une culture commune importante.
Très forte régression, les savoirs se perdent.
L’origine des « savoirs naturalistes » des éleveurs de Larrau est à rechercher dans l’organisation même du paysage : occupation des pentes, bocage en mosaïque1, bois paysans (bois taillis2, châtaigneraie, arbres travaillés réunis en bosquet, arbres têtards…). Cet ensemble très diversifié constitue un écosystème cultivé3.
L’écosystème cultivé de Larrau est divisé en plusieurs composantes dont les origines s’inscrivent, dans la durée. L’etxaltia4 recoupe l’ager des historiens comme étant le territoire des « maisons » avec leur hortus5 et les labours alors que plus haut et dans son prolongement, le bordaltia ou étage des granges (bordes) se superpose à l’antique saltus.
Il est caractérisé par les pâtures intermédiaires plus ou moins ouvertes y compris les « bois taillis » utilisées par les habitants de la communauté pour les parcours journaliers d’intersaison avant et après la montée aux estives des vaches et brebis. La sylva, c'est-à-dire les boisements des anciens systèmes agraires indispensables à la survie des hommes (énergie et bois d’œuvre) et source alimentaire non négligeable pour le bétail, recouvre les ombrées. Les boisements profitent des talwegs6 pour descendre au plus près voire jusqu’aux boisements alluviaux qui bordent les gaves de Larrau en fond de vallées principales. Au-dessus, l’olhaltia7, le lieu des cabanes de berger est le composant écologique le plus haut de l’écosystème cultivé, nous le nommerons l’altus. La proximité de cette dernière partie est la deuxième caractéristique de l’écosystème cultivé de montagne. Etxaltia, bordaltia et olhaltia donnent tous trois la dimension spatiale de l’écosystème et leur superposition à l’ager, saltus et sylva matérialise la profondeur historique induite par ce modèle issu des toutes premières organisations agro-pastorales.
Une géologie complexe donne une forte hétérogénéité des substrats dans la bande des 400-800m, alors que les massifs en bordure sont plus uniformes et en tout cas de structure simplifiée. Ces différents faciès géologiques offrent des sols, des reliefs, des microclimats et par conséquent des milieux très divers qui contribueront à l’émergence de la biodiversité recherchée par les éleveurs qui utiliseront ces ressources pour eux-mêmes et leurs troupeaux.
Le relief typiquement montagnard, bien que de faible altitude, est fortement érodé ; sur les parties sommitales, des crêtes se succèdent les zones d’accumulation (bassins de réception) suivies de leurs chenaux d’écoulement et en bas des versants par les cônes de déjection recoupés par endroit par les gaves. Les matériaux issus de ce système d’érosion, une fois accumulés, sont eux aussi exploités. Ils accueillent granges et prés en haut et en bas du système.
Les sols squelettiques sur les affleurements rocheux, les clairières issues des chablis8 toujours importants en montagne à cause des conditions météorologiques et de l’instabilité des versants ont probablement accueilli des formations climaciques9 herbeuses plus ou moins embroussaillées dont l’homme a su tirer profit. La corrélation géologie / climat local seraient alors le facteur prépondérant qui a conduit à l’exploitation de pâtures naturelles puis à leurs agrandissements par le feu. Les pâtures évoluent qualitativement en fonction de l’altitude et passent du type lande atlantique au type pelouse d’altitude.
La construction paysagère par l’écosystème cultivé organise cette partie de la montagne en soulane10 dégagée couverte de lande parsemée d’îlots résiduels d’arbres de protection. Le feu pastoral maintien les soulanes ouvertes. A l’opposé, les ombrés11 accueillent les boisements. En haut, les estives sont elles aussi issues des déboisements et les marqueurs (pollens, charbons) datées font état d’occupation et signes d’élevage depuis le néolithique à ces altitudes élevées.
Les bois taillis de Larrau au dessus du bourg et dans les quartiers se substituent à la forêt de haute futaie. Leur étendu et leur âge12 constituent les traces de savoirs naturalistes anciens : malgré les ébranchages successifs pour la cueillette de bois domestique (chauffage, cuisine), l’arbre (Hêtre, Fagus sylvatica, Bago) reste vivant, la taille opère un effet « bonzaï » et la faiblesse des houppiers13 laisse pénétrer le soleil en sous-bois favorisant ainsi la pousse de l’herbe et le pâturage.
L’organisation et la nature des éléments constitutifs du paysage sont les témoignages des rapports étroits que l’éleveur Larraintar14 a entretenus avec son milieu de vie. La « fabrication » d’un écosystème cultivé ne peut se faire que lorsque les savoirs sur les sols (jusqu'à la correction par la fumure organique et minérale par chaulage) et leur tenue qui nécessite la compréhension du rôle des végétaux sont suffisamment développés. Ce sont là des savoirs naturalistes auxquels s’ajoutent les savoirs particuliers détenus par les maisons pour le meilleur usage qualitatif des ressources fourragères ainsi que des connaissances spécifiques pour les soins aux animaux et aux personnes.
A Larrau les sources écrites attestant des usages de la montagne par les pasteurs et bouviers datent du XIIè s alors que l’archéologie atteste d’une présence humaine bien antérieure, au néolithique. Le type d’organisation spatiale construite sur de solides bases naturalistes date de l’installation des premières maisons au Moyen âge pour le moins, alors que le peuplement s’accentue pour saturer l’espace du XVIès. au XVIIès. Le XIXè s connaîtra aussi une poussée démographique vers le haut. Dans le paysage actuel se fond un paysage culturel et patrimonial incluant une somme de résultats d’application des savoir naturalistes atandes, empiriques de par leur essence même, issus de l’observation et de l’expérimentation.
1. Alternances de formations végétales (cultures, prés, landes, bois …) séparées au niveau des maisons par des haies.
2. Caractérisés par des arbres régulièrement taillés (émondés).
3. Tirée de l’écologie, la définition courante de l’écosystème décrit celui-ci comme étant un « ensemble d’éléments inertes – sols, roches… – soumis à des conditions de milieu relativement homogènes -isotherme, pluviométrie… – ou biotope accueillant une biocénose qui est l’ensemble des êtres vivants entretenant des relations entre eux ». Lorsqu’il s’agit d’un « écosystème cultivé » nous rajouterons qu’une partie du biotope, en particulier les sols et surtout la biocénose, sont conditionnés tout ou en majeure partie par l’activité humaine.
4. De etxe, la maison pour signifier l’ensemble ou étage des maisons.
5. Jardin et verger attenant à la maison.
6. Lignes de descente des eaux qui drainent les différents massifs vers les fonds de vallée en les incisant profondément.
7. De olha, la cabane qui se substitut localement au terme cayolar pour signifier actuellement le même objet.
8. Arbres abattus par le vent ou par le poids de la neige
9. Quant la formation végétale atteint son maximum de développement.
10. Littéralement « sous le soleil », d’exposition Sud.
11. A l’ombre, d’exposition Nord.
12. Datation en cours. L’âge estimé de certains arbres du bois taillis est du XVIIe S.
13. Partie feuillue de l’arbre en haut du tronc.
14. Habitant de la commune de Larrau
Aucune.
BESCHE-COMMENGE. B. Le savoir des bergers de Casabède. Textes gascons pastoraux du haut Salat. Travaux de l’Institut d’Études Méridionales. ERA CNRS 352. Université de Toulouse Le Mirail, Ed. Fossat., 1977. 150 p.
CUNCHINABE D. et al. Histoire de l’écosystème cultivé et de la biodiversité à Larrau : Analyse de l’impact agropastoral dans la gestion du milieu. Résultats d’Étude, ITEM-UPPA, 2011. 200 p. et annexes.
DENDALETCHE C. Grande faune, écosystème pastoral et ethnies pyrénéennes. Essai anthropologique et écologique. Actes Coll. Int. Grande Faune, Pau : 1-15, 1977.
DUVERT M, DECHA B, LABAT C. Jean Baratçabal raconte. Éd. Lauburu, 1998. 432 p.
GALOP D. Les apports de la palynologie à l’histoire rurale, Études rurales, n° 7 : 1-9, 2000.
GARETTA R. Des simples à l’essentiel, de l’herboristerie à l’aromathérapie, pratiques et représentations des plantes médicinales. Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, Coll. « Les anthropologies », 2006, 368p.
LE NAIL JF & RAVIER X. Vocabulaire médiéval des ressources naturelles en Haute-Bigorre. Volume 1. Presses Universitaires de Perpignan. Universidad Pública de Navarra, 2010. 279 p.
LIEUTAGHI P. Les simples entre nature et société : histoire des plantes médicinales françaises. Mane : Éditions Epi, 1983. 160 p.
LIEUTAGHI P. Le livre des bonnes herbes, 3ème édition, Éditions Acte Sud, 1996. 517 p.
LIEUTAGHI P. ET MUSSET D. et Al. Plantes, sociétés, savoirs, symboles. Actes du séminaire d’ethnobotanique de Salagon. Premier volume. Éd Les Alpes de lumière, 2003. 184 p.
SAULE M. La grande flore illustrée des Pyrénées, Ed Milan, 2002. 730 p.
Les éleveurs de Larrau et leurs proches.
Rédacteur(s) de la fiche : Dominique Cunchinabe, Laboratoire ITEM, EA 3002, programme de recherches « Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel en Aquitaine », Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Lieu(x) et date/période de l’enquête : commune de Larrau, mai-juin 2012.
Date de remise de la fiche : 31 juillet 2012
Année d’inclusion à l’inventaire : 2012
N° de la fiche : 2012_67717_INV_PCI_FRANCE_00153
Identifiant ARKH : <uri>ark:/67717/nvhdhrrvswvk2b3</uri>
Généré depuis Wikidata