La fabrication de la flabuta : un savoir-faire à préserver.
La fabrication de la flûte à trois trous s’effectue généralement dans l’atelier du facteur. Nombreux sont les facteurs d’instruments traditionnels qui ont dû se réapproprier ou réinventer des techniques de fabrication. Chaque fois, le renouveau de la facture instrumentale s’effectue avec incertitude, hésitation et tâtonnement, alliant des techniques dites traditionnelles à des tours de main adaptés à la pratique instrumentale actuelle : prestations sur scènes sonorisées, avec des instruments non traditionnels tels que le piano ou la guitare. La facture instrumentale est donc le reflet d’une pratique contemporaine de ces instruments traditionnels.
La flûte à trois trous est un instrument à vent appartenant aux flûtes dites droites, à bec et à fissure, c’est à dire qu’un conduit à fissure canalise le souffle du musicien en le dirigeant vers l’arête d’une ouverture. Les trois trous se trouvent à l'extrémité inférieure de la flûte, deux étant sur sa face antérieure et le troisième sur sa face postérieure. Instrument aux sons harmoniques, sa tonalité, fruit d’une tradition locale, est le plus souvent en sol ou en la et varie en fonction de sa longueur. De part la position des trois doigts d’obturation et de la pression de l’air, une gamme chromatique complète peut être modulée en se référant à un piano, la gamme chromatique se constitue des douze notes du clavier. Il s'agit là des sept touches blanches (Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si) et des cinq touches noires correspondant à leurs altérations (Do#, Mb, Fa#, Sol#, La#, Sib) sachant que le dièse correspond à un demi-ton au dessus la note précédente et le bémol à un demi-ton en dessous. Toutes les notes de la gamme chromatique sont donc séparées d’un demi-ton). Jouée de la main gauche, elle s’accompagne d’un tambour membranophone, un tambour à peau, excepté en Béarn, Navarre et Aragon où l’on trouve le tambourin à cordes.
La flûte à trous, contrairement à la flûte à bec, est composée d’un seul tenant et sa longueur est déterminée par la longueur du carrelet qui influence alors le son : plus l’instrument est long, plus le son sera grave, plus il est court, plus le son sera aigu. Elle est fabriquée en buis, bois que l’on trouve dans les Pyrénées-Atlantiques ou qui peut être commandé débité en carrelet. Ce bois reconnu pour sa densité doit sécher de longues années après sa coupe : entre huit à dix ans selon les facteurs, puis les troncs sont débités en carrelets, eux-mêmes sèchent encore trois années environ. Les carrelets sont ensuite dégrossis en un premier cylindre, chaque morceau de bois étant arrondi au tour à bois. Entre chaque étape, le buis doit de nouveau sécher pour éviter de modifier l’équilibre de la flûte. Une fois percée, la flûte est trempée dans de l’huile de lin, ce qui permet de nourrir le buis et de limiter les risques de fentes de la flûte une fois terminée. Le profilage extérieur final est effectué sur un tour à bois.
Le bec de la flûte à trois trous a une importance primordiale pour la sonorité de l’instrument. Composé du bouchon et du biseau, sa fabrication peut diverger d’un fabricant à l’autre. Certains parlent d’un travail de minutie, tandis que d’autres vous expliquent que « tout s‘effectue à l’aveugle » et que seule l’expérience de fabrication vous permet de maîtriser et de ressentir la réalisation de cette partie de l’instrument. Le biseau est taillé au ciseau à bois, sa taille et son inclinaison détermineront le timbre de la flûte. C’est l’angle formé qui permettra à l’arête du biseau (le labium) de vibrer lorsque le musicien soufflera dans la flûte. Cette oscillation permet au souffle de se diviser équitablement entre la colonne d’air vibrante, encore appelée âme et l’ouverture du biseau. Une anche de cuivre est parfois ajoutée au niveau de « l’esvendai », c’est à dire sur le biseau supérieur.
Le bouchon, qui est fortement soumis à la salive du musicien, est régulièrement mouillé ou humide. Il a alors tendance à se dilater et à fendre le bec de l’instrument. C’est pour cette raison qu’il n’est pas réalisé en buis, bois trop dense et trop dure, mais généralement en genévrier, résineux qui ne gonfle pas et résistant aux moisissures. Il permet de diriger correctement ou non le souffle du musicien en dessinant le canal et les chanfreins à la sortie du canal. Dessiné dans un morceau rectangulaire de genévrier, le bouchon est entièrement travaillé au ciseau. Pour finir, il est lissé avec une petite lime ou un rifloir-râpe. Aux vues de certaines flûtes répertoriées, ce bouchon a parfois été travaillé au canif.
Dans le prolongement du biseau, en partie inférieure de la flûte, sont percés deux trous, tandis qu’un troisième est percé sur la face postérieure de l’instrument. Le placement des deux trous en face antérieure diverge d’un fabricant à l’autre. Pour accorder la flûte, les trous son élargis et soucoupés, c’est à dire évasés vers l’intérieur, à la main jusqu’à ce que toutes les notes soient justes. La difficulté réside dans la justesse des accords.
Une finition extérieure est effectuée grâce à un vernissage ou un cirage, qui permet de protéger l’instrument de l’humidité et de la salive, tout en faisant ressortir les veines du buis. Une finition avec des bagues en étain est également possible.
Ce sont tous les outils traditionnels du tournage et perçage du bois:
Flûte à trois trous Ossaloise, Aragonaise, Basque et Gascogne
La fabrication de la flûte à trois trous s’effectue généralement dans l’atelier du facteur. Peu de fabricants vivent de la facture de la flûte à trois. Soit ils la fabriquent « pour le plaisir », soit ils ont une activité parallèle, très souvent en rapport direct avec le travail du bois : luthier, tourneur sur bois ou ébéniste.
Nombreux sont les facteurs d’instruments traditionnels qui ont dû se réapproprier ou réinventer des techniques de fabrication. Chaque fois, le renouveau de la facture instrumentale s’effectue avec incertitude, hésitation et tâtonnement, alliant des techniques dites traditionnelles à des tours de main adaptés à la pratique instrumentale actuelle : prestations sur scènes sonorisées, avec des instruments non traditionnels tels que le piano ou la guitare. La facture instrumentale est donc le reflet d’une pratique contemporaine de ces instruments traditionnels. Il n’existe donc pas de réel apprentissage, chacun ayant commencé la fabrication soit parce qu’il est musicien, soit parce qu’il est un professionnel du bois et qu’il a été sollicité par un musicien pour reproduire un instrument traditionnel.
Actuellement, il n’existe pas ou prou de transmission des techniques de réalisation de la flûte à trois trous et du tambourin à cordes, chaque fabricant aime garder précieusement ses tours de mains et astuces. Certains fabricants espèrent transmettre leur savoir-faire à un de leurs enfants. Dans ce cas, nous serions dans une transmission verticale, c’est à dire de parent à enfant.
La première définition du couple tambourin à cordes et flûte à trois trous que nous connaissons date de l’époque des encyclopédistes. En effet, nous pouvons dans l’Encyclopédie Diderot & d’Alembert de 1777-1779 relever la définition de la flûte de tambourin ou flûte à trois trous : « cette flûte n’a effectivement que trois trous, deux du côté de la lumière, et un du côté opposé. Malgré ce petit nombre d’ouvertures, elle a l’étendue d’un dix-septième... ». Geneviève Marsan relève que cette description correspond à une flûte en sol qui est différente des flûtes régionales en si (flûte Ossaloise) ou en ré (flûte Souletine).
Les musiques traditionnelles, c’est à dire populaires, et les musiques médiévales, soit savantes, ont en commun l’époque baroque et l’instrumentarium. L’environnement musical socioculturel de l’époque fait face à une forte perméabilité. Une classification dualiste des instruments de musique se développe dès l’ère médiévale : instruments « hauts » et « bas » sont répertoriés. Les premiers sont qualifiés de sonores, le plus souvent harmoniques ; tandis que les seconds sont décrits comme peu sonores. Cette hiérarchisation s’amplifie à la Renaissance et perdure jusqu’à la fin du XVIIe siècle. C’est à l’époque baroque que musique savante et musique populaire ont le plus fusionné, l’une et l’autre s’empruntant des instruments ou des techniques musicales.
Les ménétriers, qui sont alors les instrumentistes de la musique populaire, empruntent à la musique savante certains thèmes et répertoires musicaux et s’inspirent également de la structuration polyphonique de celle-ci pour l’adapter aux bandes ménétrières. De plus, les instruments de musique populaire, tels que le hautbois, le violon, le « tambourin » lui-même composé d’une flûte à une main et d’un tambourin membranophone ou à cordes, accompagnent le branle et les sauts, qui sont à l’époque baroque des danses aristocratiques qualifiées de « danse-basse ». Ce terrain d’expression permet aux ménétriers d’accompagner le ballet de cour pour divertir et satisfaire la haute société de la cour. Mais la musique savante use également des procédés musicaux de la musique populaire, puisque le procédé compositionnel d’ornementation et d'imitation, qui consiste à reproduire des sons tels que le cri des oiseaux ou des animaux, fait partie intégrante de la musique populaire et sera emprunté par la musique savante. Pour ce faire, le procédé d’imitation étant populaire, la musique savante se voit dans l'obligation d’intégrer des instruments « bas » dans son instrumentarium tels que la vielle à roue, le cornemuse, le violon, le hautbois ou la flûte à une main, puisqu’ils sont parfaits pour reproduire, seuls ou ensemble, des sons différents. Tout en recherchant constamment une dimension harmonique, la musique savante va chercher à adoucir leur sonorité, permettant ainsi leur intégration dans l’instrumentarium de la musique sacré baroque.
Tandis qu’à l’ère médiévale se sont les instruments « hauts » qui sont les emblèmes du pouvoir et de la « haute société », sous l’influence italienne, au XVIe siècle, c’est la musique « basse » qui prend de l’importance. A ce sujet, la théorie harmonique qui préfère les instruments polyphoniques aux monodiques triomphe, marquant le début du déclin des ménétriers. L’esthétique harmonique est tant valorisée que les instruments monodiques connaissent une ascension vertigineuse, jusqu’à disparaître au XVIIIe siècle
Lié à la mutation du mode de vie rural, le revivalisme ressuscite quelques traditions grâce aux collectes et collectages des années 1970. En effet, pour faire de la musique folk, il faut partir à la recherche d’instruments qui étaient parfois quasiment oubliés pour revenir « au plus près » des musiques traditionnelles et de leur son. Dès lors, des recherches sur ces instruments débutent avec prise de cotes, dessins, et cætera. En découle un renouveau de la facture instrumentale, à partir d’anciens instruments traditionnels.
Jacques ROTH, enseignant à la retraite a pratiqué la flûte à trois trous et le tambourin à cordes au sein du groupe béarnais « Los De Nadau » dans les années 1980. Pendant vingt années, il effectue de nombreuses recherches sur ces deux instruments traditionnels. Il répertorie soixante trois plans de tambourins. Un travail similaire est effectué sur la flûte à trois trous, travail plus long et plus fastidieux, ces dernières étant plus nombreuses. A partir de sa collecte, Jacques Roth décide de fabriquer par reproduction, suivant les mesures et les formes. Là encore, l’apprentissage est informel mais son approche du bois n’est pas nouvelle, son père travaillait dans ce domaine. De part sa formation, un baccalauréat mathématiques et techniques, le travail en atelier, la métrologie et le tournage lui sont familiers. Il perfectionne ses techniques auprès de Didier Queheille, sculpteur sur bois à Tardets dans les Pyrénées-Atlantiques (64) et effectue un stage de tournage sur bois ainsi que de perçage. C’est donc par observation, prise de mesures et entraînement qu’il devient fabricant de flûte à trois trous et de tambourins à cordes.
Didier QUEHEILLE, sculpteur sur bois à Tardets, dans les Pyrénées-Atlantiques (64) fabrique des tambourins à cordes ainsi que des flûtes à trois trous. Son apprentissage est semi-formel aussi bien pour le tambourin à cordes que pour la flûte à trois trous. Didier QUEHEILLE s’est interrogé sur les différents types de flûtes à trois trous, Ossaloise, Aragonaise, Basque et Gascogne. Il les fabrique toutes.
Etienne HOLMBLAT, luthier de flûtes ayant un magasin sur Pau et son atelier de fabrication à Bosdarros dans les Pyrénées-Atlantiques (64) fabrique également des flûtes à trois trous de type Ossaloise, Aragonaise, Basque, Gascogne ainsi que des flûtes baroques. Pour les unes comme pour les autres, son apprentissage est informel, il a tout appris seul mais vit de la facture de diverses flûtes.
Aucune action de valorisation formelle n’existe.
En revanche, la flûte à trois trous est largement représentée dans les fêtes traditionnelles de village telles que la fête du 15 août à Laruns (64). Largement jouée dans les fêtes pastorales et les diverses expressions de la culture occitane en Béarn, la flûte à trois trous, pratiquée de concert avec le tambourin à cordes, est jouée au sein de groupes musicaux traditionnels mais peut également être entendue dans des groupes de musiques actuelles, ce qui peut expliquer les diverses innovations pour rendre ces instruments plus sonores. Le couple instrumental est également visible en Pays Basque et dans le département des Landes.
Actuellement enseignée dans les conservatoires de Pau, Tarbes et Mont-de-Marsan, la flûte à trois trous est d’abord jouée seule puis l’élève y adjoint la pratique du tambourin à cordes. Toutefois, l’apprentissage semble varier ces dernières années, puisqu’une nouvelle génération de professeurs ne dissocie plus la pratique des deux instruments en école. Les classes de musiques traditionnelles des conservatoires et des écoles de musique sont de plus en plus nombreuses pour répondre à un public demandeur.
Enfin, les facteurs et luthiers peuvent se rencontrer et échanger lors de salons tels que Les Rencontres Internationales de Luthiers et Maîtres Sonneurs de Saint-Chartier (Indre) où le tambourin à cordes y est représenté.
Ouvrages:
Sites internet :
Les seules sauvegardes qui peuvent actuellement être relevées sont la pratique et l’enseignement de la flûte à trois trous. En revanche, il n’existe pas de mesures de sauvegarde quant à la facture instrumentale. Ce qui a déjà posé problème lors du renouveau des musiques traditionnelles. Pour le moment, aucun facteur ne transmet son savoir-faire.
Personne(s) rencontrée(s)
Localisation (région, département, municipalité)
Nouvelle-Aquitaine, Pyrénées-Atlantiques, Bosdarros ; Labastide-Cezeracq ; Tardets
J.Roth
4 rue de Cap Bat
64170 Labastide-Cezeracq
Tél: 06 37 12 42 80
D. Queheille
Route Tardets
64470 Trois-Villes
Tél: 05 59 28 57 36
E. Holmblat
31 route de Pietat
64290 Bosdarros
Tél: 05 59 21 58 57
Indexation : Savoir-faire
Dates et lieu(x) de l’enquête : 21 février 2013 avec Jacques Roth à Labastide- Cezeracq, 22 mars 2013 avec Didier Queheille à Tardets, divers échanges écrits avec Etienne Holmblat en mars 2013.
Date de la fiche d’inventaire : 19 février 2014
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Mélanie Larché, master professionnel Valorisation des patrimoines et des politiques culturelles territoriales, Université de Pau et des Pays de l’Adour.
Nom du rédacteur de la fiche : Mélanie Larché, master professionnel Valorisation des patrimoines et des politiques culturelles territoriales, Université de Pau et des Pays de l’Adour.
N° d'inventaire Ministère Culture : 2009_67717_INV_PCI_FRANCE_00052
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2rv
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Flabuta
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