Le doris de Saint-Pierre-et-Miquelon destiné à la petite pêche est dérivé des doris des Bancs.
D’un point de vue de la forme, on distingue le doris de Saint-Pierre du doris de Miquelon. Ce dernier a notamment été équipé à partir des années 1950 d’une “cabane” servant d’abri et située plus ou moins au centre de la coque.
Le doris de Saint-Pierre-et-Miquelon destiné à la petite pêche est dérivé des doris des Bancs. D’un point de vue de la forme, on distingue le doris de Saint-Pierre du doris de Miquelon. Ce dernier a notamment été équipé à partir des années 1950 d’une “cabane” servant d’abri et située plus ou moins au centre de la coque.
Le paysage de l’archipel est ainsi façonné par l’espace du plain, organisé autour des salines et des doris avec les cabestans comme éléments centraux. Le plain est une grève de galets assez haute qui constitue la zone primordiale du retour de pêche. Les salines, alignement de cabanons polychromes, situées en front de mer, étaient à la fois des lieux de construction, ainsi que des lieux d’hivernage et d’entretien.
Jusqu’au milieu des années 1980, les constructeurs de doris appartenaient à un groupe d’artisans spécialisés et reconnus qui pratiquaient leur activité constructive en même temps qu’une autre activité liée à la mer, principalement la pêche. Du fait de la disparition de son usage premier, la petite pêche, il n’y a plus de constructeurs professionnels de doris dans l’archipel. La construction et la réparation des embarcations sont désormais pratiquées à des titres divers : patrimoine, pêche amateure, plaisance. Le doris de Saint-Pierre-et-Miquelon, élément identitaire fort de l’archipel, est devenu un objet patrimonial et de loisir.
La construction et la réparation des embarcations sont pratiquées à des titres divers (patrimoine, pêche amateure, loisir) en plus des activités professionnelles (ill. 1-2-3). Les constructeurs amateurs sont soit regroupés en association, soit pratiquent leur passion individuellement. Nombre d’entre eux sont autodidactes. Néanmoins, ils peuvent discuter avec d’anciens constructeurs de doris, comme Cyril Franché, qui nostalgiques d’un temps disparu et conscients d’une disparition progressive des savoir-faire traditionnels de la construction des doris de Saint-Pierre-et-Miquelon ont la volonté de transmettre leurs connaissances.
Dans ce cadre général, Rosiane de Lizarraga, cheffe de la Mission aux Affaires Culturelles (MAC) de Saint-Pierre-et-Miquelon, indique que la principale association qui fédère la communauté est l’association saint-pierraise Les Zigotos. Celle-ci, créée en 1990, utilisait initialement le doris à des fins sportives ou de loisirs. En 2013, l’association s’est inscrite dans une nouvelle dynamique et œuvre depuis lors pour la sauvegarde du patrimoine maritime en entreprenant un important travail de maintien de la pratique (savoir-faire constructifs et usages). La même année, elle ouvre un atelier de réparation et de fabrication de doris dans l’esprit d’un atelier collectif avec pour objectif de collecter les doris en déshérence et les restaurer. En dix ans, les membres des Zigotos ont permis aux bénévoles d’apprendre le travail sur bois et de manier les outils traditionnels contribuant ainsi au maintien des compétences en charpente marine : “c’est notre patrimoine” est inscrit dans l’atelier du Père Pierre à destination des visiteurs. La flotte de l’association compte aujourd’hui 11 doris. L’association les fait vivre lors de sorties en mer organisées pour ses membres (dès que la météo le permet), mais également pour la promotion de l’activité dorissière et de l’archipel. En plus des constructeurs, les usagers des doris, gens de mer, ainsi que celles et ceux qui les entourent et les accompagnent, constituent un autre pan de la communauté, encore actif.
Le doris de Saint-Pierre-et-Miquelon est d’abord perçu par les “anciens” pour sa valeur d’usage, c’est à-dire comme un outil de travail. “Un doris est un doris mais tous les doris sont pas pareils”, raconte Michel de Lizarraga, ancien pêcheur miquelonnais, “On faisait tout avec”. Il s’agit d’un “bateau qui s’adapte à toutes les pêches”. Michel de Lizarraga ajoute que quand l’embarcation “retombait sur la lame, le clin jouait” permettant d’assurer sa solidité. Le travail de Désiré Briand est resté dans les mémoires. Les souvenirs de retour de pêche et de salage de la morue dans les salines, “une manufacture de casse-couilles”, sont omniprésents. A travers l’idée d’“être les meilleurs”, d’intégrer les rangs des “cachalots”, on affirmait l’idée que “c’est le travail qui payait”. Par ailleurs, on voit se dessiner à travers le doris, un lien fort entre territoire et patrimoine. Lauriane Detcheverry, directrice de l’Arche Musée et Archives de la Collectivité Territoriale, rappelle ainsi que le doris est “un symbole fort de l’archipel, un élément identitaire”. Marc Dérible, bénévole au sein de l’association Les Zigotos, affirme, quant à lui, que “raconter le doris c’est raconter Saint-Pierre-et-Miquelon”.
Archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon (Amérique du nord)
En France hexagonale, la construction de navires à clins de type doris est encore présente sur les rivages de la Manche et de la mer du Nord, notamment en Normandie, en Rance, ou dans les Hauts de-France.
A l’échelle européenne, la pratique de construction de navires à clins perdure en Scandinavie insulaire et maritime. Elle a fait l’objet d’une inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco en 2021 (dossier d’inscription n°01686, co-porté par les Îles Féroé, le Danemark, l’Islande, la Suède et la Norvège, intitulé : « Les traditions nordiques des bateaux à clins »).
En Amérique du nord, sur les côtes atlantiques des États-Unis et surtout du Canada, la construction des doris est toujours en vigueur. Ces pratiques bénéficient de nombreuses initiatives de préservation et valorisation, par exemple sur la presqu’île de Nouvelle-Écosse (Halifax), ou sur l’île de Terre Neuve (Wooden boat museum de Winterton).
Le doris de Saint-Pierre-et-Miquelon est un dérivé des doris des Bancs qui étaient embarqués sur des goélettes armées pour la Grande pêche par les Terre-neuvas. Progressivement, il est devenu l’embarcation des petits pêcheurs artisans de l’archipel, qui l’ont utilisée jusque dans les années 1990. Associé aux heures de gloire de la pêche à la morue localement, le doris représente “l’embarcation emblématique” de l’archipel comme le rappelle Alain Orsiny, président de l’association Miquelon Culture Patrimoine. Il est un “symbole identitaire” de la communauté des saint-pierrais et des miquelonnais selon Ketty Orsiny, adjointe au Maire de Miquelon. Sa construction constitue une activité fédérative au sein de la communauté depuis plusieurs siècles, et malgré la fin de l’usage du doris pour la pêche, celle-ci perdure au sein d’ateliers privés ou associatifs, lieux de sociabilisation active, notamment en hiver, pour les habitants. Par ce biais, il est possible de “rendre hommage aux anciens et conserver leur savoir-faire” raconte Stéphane Perrin. La construction et la rénovation des doris permet également la conservation d’une flottille locale, largement employée l’été lors de sorties en mer collectives, elles aussi source de liens sociaux forts.
Le doris (ill. 1) est une embarcation à déplacement, de fort échantillon qui était tirée au sec au retour de pêche. Leur construction se faisait au cours de l’hiver pendant la période d’interruption de la campagne de pêche. Elle appartient au groupe des embarcations à sole et à virures axiales. D’un point de vue de la forme, on distingue le doris de Saint-Pierre (ill. 2) du doris de Miquelon (ill. 3). Ce dernier a plus de tonture, une étrave plus élancée et élevée, un écusson plus large et a été équipé à partir des années 50’ d’une “cabane”. En ce qui concerne l’usage, Michel de Lizarraga nous rappelle que les “doris de Saint-Pierre-et-Miquelon étaient très bons à la mer mais qu’il ne fallait pas les maltraiter”.
A fond plat, la coque est constituée d’une sole et de virures axiales disposées à franc-bord et rendues cohérentes par les courbes de sole. La courbe de sole (élément horizontal) et les allonges (deux montants verticaux) sont assemblées au niveau du talon par des ferrures (ill. 1 à 5). L’assemblage est réalisé au moyen d’un gabarit propre à chaque constructeur (ill. 6). L’angle d’ouverture des allonges est constant. Seule la largeur de la courbe de sole varie. L’arrière de la coque est fermé par un tableau trapézoïdal (ill. 7).
Elle est renforcée sur sa face antérieure par une fausse étrave (ill. 8)
Il comprend une série de cinq ou six virures assemblées à clins (ill. 9).
Elle est solidement fixée aux montants des courbes.
Il est posé à l’extérieur de la coque dans le haut de la dernière virure.
Assemblés par clouage à la serre, ils assurent la rigidité transversale.
- pontage avant et arrière (tilles) ;
- caisson établi à peu près au centre de la sole qui est destiné à protéger le moteur ; - caisse à hélice qui sert de cage de protection au levier de l’arbre à hélice ;
- conduit en forme de U inversé qui recouvre l’arbre de couche.
Cyril Franché, ancien constructeur de doris, estime la construction d’un doris à 400-440 heures de travail à deux personnes et la durée de vie d’une embarcation entretenue régulièrement à 30-40 ans Selon lui, on ne travaille plus de la même façon aujourd’hui. De manière plus générale, il faut souligner que le caractère insulaire de Saint-Pierre-et-Miquelon entraîne la nécessité “de faire avec ce que l’on a”, d’où une réutilisation des matériaux du quotidien pour fabriquer une gaffe avec un bâton de hockey ou une écope avec un bidon de javel découpé comme cela est présenté dans la saline d’exposition n°16 des Zigotos par exemple.
Le processus de construction de l’Acajou n’a pas débuté de la même façon que celui d’une construction traditionnelle. En effet, le projet a eu pour point de départ le moteur hors-bord acheté avant le commencement de la construction. La sole et le plan général de l’embarcation ont été tracés par Yannick Autin sur un carton en tenant compte des caractéristiques du moteur (dimension, poids, fonctionnement lié à la possibilité de lever le moteur à l’intérieur du doris). Il n’a jamais fait de calculs de cotes. Il explique qu’il s’est inspiré des “courbes” et des “pentes” d’autres doris de Saint-Pierre, dont il a dû réduire les dimensions de façon à adapter son doris à l’utilisation d’un moteur moderne hors-bord. Il a de fait été obligé de créer ses propres gabarits. Il estime son travail à 800 heures, sachant qu’il s’agissait d’une première construction, réalisée sur son temps libre en même temps qu’il travaillait et sans aide extérieure. Il évalue la durée de vie de son doris à “environ 10 ans, après, il faudra le retaper”. Il poursuit en expliquant qu’il a “pêché avec, comme les anciens, mais en loisir”. “Conscient du devoir de mémoire lié à cette embarcation traditionnelle” comme il le dit lui-même, il a fait don de l’Acajou à l’Association de Sauvegarde du patrimoine de l’archipel .
La construction a débuté par le tracé de la moitié de la sole sur un gabarit de contreplaqué de 6 mm d’épaisseur (ill. 1) sur lequel a été tracé également le contour du caisson/puits du moteur hors-bord. L’autre moitié du contour de la sole a été dessinée par effet de “miroir”. Ensuite, a été réalisé un second gabarit destiné à donner à la sole sa “tonture” (sa courbure) (ill. 2). Après le découpage des virures et leur pose, des tasseaux servant à fixer provisoirement les virures ont été vissés sur la face intérieure de la sole (ill. 3). Après démontage des tasseaux, les trous des vis ont été bouchés. Les cans (tranches) des deux virures latérales de la sole ont été équerrées selon l’angle d’ouverture du bordé inférieur (galbord). Enfin, la sole a été ployée pour lui donner sa tonture à l’aide d’étais verticaux. Les virures de la sole ont été étoupées à l’aide d’un ciseau.
Le découpage des varangues a suivi. A partir, d’un gabarit reprenant le principe traditionnel des gabarits des constructeurs de doris de Saint-Pierre-et-Miquelon, varangues et allonges ont été assemblées. Des plaques en fer galvanisé ont été découpées pour assurer l’assemblage des varangues aux allonges (ill. 5-6). Ensuite, est intervenue la pose sur la sole d’un renfort de la base de l’étrave (ill. 7) et de la courbe d’écusson. Les membrures ont alors été posées et fixées sur la sole (ill. 8) de même que l’étrave et l’écusson (il. 9) également en chêne.
Dans la mesure où il n’a pas été forcément possible d’avoir des planches de pin de longueur suffisante en raison de sa raréfaction et de son coût, les virures ont été réalisées en deux parties assemblées par un joint en biseau collé (ill. 10). Le galbord a été tracé avec un important brochetage réalisé à l’œil en fonction de la forme fuselée de la sole. Les trois autres virures en revanche n’ont pas été brochetées. Les bordages ont été assemblés à s par des pointes galvanisées enfoncées à partir de l’extérieur dont l’extrémité inférieure a été ployée à 90°. Pour cette étape, la présence d’une personne supplémentaire a été nécessaire : une personne à l’extérieur pour “frapper la tête de la pointe” et une autre à l’intérieur pour ployer l’extrémité de la pointe dans le but de faire un effet de serrage. Il n’y a pas eu de calfatage du bordé à l’exception de la zone d’assemblage entre l'extrémité inférieure du galbord et la can chanfreiné de la virure latérale de la sole. « La peinture a fait l’étanchéité des clins » nous raconte Yannick Autin.
Il a peint (ill. 13) et décoré son embarcation de petites sculptures (ill. 14).
Yannick Autin a fabriqué un système de relevage du moteur hors-bord. Ce dernier lui permettait d’atteindre la vitesse de huit nœuds tout en consommant peu d’essence et en étant particulièrement silencieux (ill. 15).
Le Saint-Étienne construit en 1981 à Saint-Pierre est classé au titre des monuments historiques par l’arrêté ministériel n°56 du 16 août 2016. Une première “rénovation” a eu lieu à cette date. Suite à des dégâts importants constatés sur l’embarcation, un chantier de restauration d’ampleur a été entamé en 2018 par les membres de l’association Les Zigotos. L’état des lieux réalisé en 2018 a révélé une sole en pin, un galbord en contreplaqué et des “courbes” en chêne très abîmés. Une campagne photographique détaillant le démontage des pièces “pourries” (ill1-2-3-4-5) est alors envoyée à Jean Louis Dauga, expert pour le patrimoine maritime auprès du Ministère de la Culture, pour recommandation. Une grande partie des courbes était à changer et il a été nécessaire de refaire entièrement la sole et l’écusson (ill. 6-7-8). Après trois mois de travail, le Saint-Etienne a été remis à l’eau. Cette démarche patrimoniale s’inscrit dans le propos de Gérard Hélène, président de l’association Les Zigotos, qui affirme qu’il est de “notre devoir de ne pas oublier” de façon à ce que “nos enfants et nos petits-enfants sachant combien notre histoire est importante”.
Le projet de restauration du Pierre-Alexandre a été pensé de façon à remettre en pratique les techniques de construction traditionnelles du doris de Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est ainsi qu’à partir d’un doris en contre-plaqué, l’équipe familiale pilotée par Alain Cormier et Stéphane Perrin a fait le choix de restaurer-reconstruire le Pierre-Alexandre à clin (ill. 1-2).
Pour ne pas perdre la forme de l’embarcation et au vu de l’état de la dégradation de la structure, il a été décidé de commencer par changer les courbes et ensuite la sole. La coque ancienne a été utilisée comme un gabarit-moule. A partir de cette enveloppe, ils ont changé toutes les courbes (ill. 3). Puis, l’embarcation retournée, la virure de sole a pu être changée à son tour (ill. 4). Le travail s’est poursuivi avec le remplacement du bordé en contre-plaqué en bordé à clins (ill. 5 à 7). L’embarcation a de nouveau été retournée sur la sole, de façon à procéder au remplacement de l’étrave et du tableau arrière (ill. 8-9). La pose des 4e et 5e virures a pu se poursuivre (ill. 10). Les serres ont également été changées (ill. 11). De manière classique, ils ont ensuite procédé au pontage arrière et au pontage avant, puis au découpage de la sole pour permettre le passage de l’arbre à hélice (ill. 12), à la pose des bancs et du plancher de sole (ill. 13) et enfin à la mise en place du moteur sur son bâti (ill. 14).
Stéphane Perrin précise qu’ils ont essayé au maximum de retrouver les gestes des anciens en rassemblant les courbes grâce à la technique du “pointé maté” sur les rivets (ill. 15) ou bien encore le calfatage de la virure de sole avec de l’étoupe sur la coque retournée (ill. 16). De façon à assurer une meilleure étanchéité des parties immergées dans l’eau, le mastic-colle mono composant Sikaflex a été utilisé.
Encadrés par Vincent Rinaldo, enseignant-responsable de la section bois, les élèves du Lycée professionnel Emile Letournel ont construits la réplique du 2 Pierres. Les procédés techniques utilisés diffèrent de ce qui a pu être observé précédemment. En effet, il s’agissait à la fois de travailler à partir d’un modèle existant tout en formant des élèves à une nouvelle façon de travailler le bois. Quatre promotions d’élèves se sont succédées pour réaliser ce « chef d’œuvre », soit une quinzaine de jeunes parmi lesquels quatre jeunes filles. Vincent Rinaldo souligne que de manière générale on observe une augmentation du nombre de jeunes filles suivant le CAP Charpentier bois depuis cinq six ans maintenant. Il estime que cette ouverture au genre féminin est liée au fait que le bois est un matériau noble qui demande de la patience, un attrait pour la transformation de la matière ainsi que pour une esthétique du résultat.
Le séquençage des opérations relatives à la construction de la réplique du 2 Pierres a de fait été influencé par les rythmes scolaires et diffère de celui d’une construction traditionnelle. La première étape a consisté à faire un relevé de cotes sur le bateau originel. Bertrand Rivière, professeur de dessin industriel, a fait un premier plan numérique à partir du logiciel de conception CAO 3D Solidworks. Vincent Rinaldo a fait un relevé de cotes personnel de manière traditionnelle avec une machine à plomb de façon à s’approprier les formes du tracé. De façon à faciliter l’apprentissage des élèves, le « squelette » du doris (membrures et varangues) a été déposé au sol avant assemblage (ill. 1). Le traçage de l’étrave s’est fait traditionnellement à partir d’un gabarit (ill. 2). L’usinage a été réalisé à la scie à ruban et les finitions à la ponçeuse. Le traçage de la sole s’est fait à l’aide des membrures (ill. 3-4). Une fois découpée, la sole a été percée et les varangues ont été fixées (ill. 5). Puis, est venu le tour de fixer l’étrave et l’écusson. L’étape suivante a consisté à fabriquer les caillebotis (ill. 6) avant le montage des bordés à clins (ill. 7). Afin d’optimiser la stabilité et la navigation, les membrures et la sole ont été mises d’aplomb et de niveau. Suite au contreventement général de l’ensemble des éléments : la sole, l’étrave et l’écusson sont alignés à l’aide d’un laser pour éviter que le Doris ne prenne du gauche. Le temps de pose et de séchage de la peinture (une couche primeur, deux couches de finition) (ill. 8) qui dicte les possibilités d’avancer avait été sous-estimé. Les différents aménagements intérieurs dont les tilles (compartiments à l’avant et à l’arrière) ont ensuite été mis en place (ill. 9). Enfin, le caisson à moteur en spruce a été réalisé (ill. 10). Durant cette première phase, les derniers éléments posés ont été : la contre étrave avec des tirefonds, l'anneau de remorquage, le gouvernail assemblé par collage, des listons et des plat-bords.
Après une longue pause de mai 2022 à janvier 2023, une seconde phase de construction a été lancée. Des pièces de finition ont été ajoutées à la poupe et à la proue du doris. Le caisson destiné à accueillir le mât a été réalisé, ainsi que deux grosses pièces de chêne pour la réception du moteur. Un travail a été mené ensuite pour fabriquer le caisson étanche de l'arbre moteur et de l'hélice, ainsi que pour découper la sole. Après avoir posé un joint de silicone marine entre le fond du doris et les pièces du caisson, le caisson de l’arbre à moteur a pu être fixé (ill. 11). Enfin, la sole a été calfatée.
D’un point de vue technique, si les méthodes de taillage du bois notamment par rabotage ont été respectées par rapport à celles utilisées pour la construction du doris original, l’inox a été introduit pour certains éléments, l’étanchéité n’a pas été assurée par calfatage mais par collage, la rainure de la languette a été faite en silicone, le cintrage a été réalisé à la main sans étuve par le biais d’une alternance de temps de séchage et d’arrosage.
Français.
Régionalisme de Saint-Pierre-et-Miquelon (français).
Anglais d’Amérique du nord pour certains termes particuliers, liés par exemple à la motorisation.
Il faut distinguer les lieux de construction des lieux d’hivernage et d’entretien des doris qui aujourd’hui sont distincts, et les lieux d’exploitation, à savoir les ports et le plain jusqu’à la mer côtière.
Les membres de l’association Les Zigotos exercent leur activité de construction et de restauration dans un ancien bâtiment datant de la prohibition de 400m2 dénommé l’atelier du Père Pierre appartenant à l’entreprise Hélène & Fils. Le bâtiment comprend espaces distincts dévolus à la construction et à la restauration d’embarcations : un atelier de construction (ill. 1), un atelier pour la peinture et les finitions (ill. 2), une salle de repos, un espace de stockage, et à l’étage le bureau de l’association. L’atelier du Père Pierre a pour vocation première la restauration des doris durant la période hivernale et l’entreposage du matériel nécessaire (machines, outils, matériaux, etc.).
Le Lycée professionnel Emile Letournel a mis à la disposition de Vincent Rinaldo et de ses élèves l’atelier bois pour la construction de la réplique du 2 Pierres (ill. 3). Le lieu a dû être réaménagé afin de créer un espace dédié à la construction navale tout en gardant la possibilité de continuer à travailler sur des exercices de charpente classique : déplacement de la machinerie, création d’un portique en hauteur pour stabiliser le doris lors de sa construction, création d’un lieu de stockage du bois à l’extérieur dans le but de minimiser les variations dimensionnelles.
L’espace du plain est organisé autour des salines et des doris avec les cabestans comme éléments centraux. Le plain est une grève de galets assez haute qui constitue la zone primordiale du retour de pêche. Les salines (ill. 4-5), quant à elles, sont situées en front de mer et façonnent le paysage de l’archipel. Il s’agit d’une sorte de hangar (6 à 8m de long, 4 à 6m de large) qui servait d’abris pour les doris l’hiver et pour le salage de la morue pendant la saison de pêche. Aujourd’hui, les 40 salines de Saint-Pierre appartiennent à l’État qui par le biais de la collectivité territoriale en assure la répartition entre les différents acteurs. A l’heure actuelle, l’Association des Zigotos loue les salines n°16, 20, 21 et 22 dans l’Anse à Rodrigue. Il y a sur Miquelon 4 salines identiques à celles de Saint Pierre. Ces salines ont été construites dans les années 1970. Elles sont à la disposition des pêcheurs de Miquelon pour le stockage de leur matériel de pêche. Les pêcheurs amènent leur doris au-devant de leur saline. Autrefois, les salines étaient situées dans le prolongement des maisons. A Miquelon, Roger Etcheberry, un ancien pêcheur, explique que « l’espace entre la grève, là où l’on échoue le doris et on le « saille » n’est pas très proche de la saline, entre les deux il y avait les cabestans qui, eux étaient un peu plus bas que la saline. En cas de prévisions de tempêtes le doris était monté plus haut, jusqu’à quasiment arriver au niveau du cabestan ». Il faut donc y associer les bois de saillage surmontés de leur cabestan en bois qui est peint en rouge à Saint-Pierre et dont il existe encore des fabricants locaux, comme Pascal Lucas à Miquelon. Le cabestan est destiné à hisser le doris à terre, qui est lui-même posé sur un ensemble en bois, permettant de ne pas abîmer la coque sur les galets. Des lisses (6 troncs, de 3 à 4 m, grossièrement équarris) et des rouleaux (2 troncs bien droits, assez gros) sont utilisés pour faciliter la remontée de l’embarcation (ill. 6-7-8). L’ancien pêcheur poursuit son propos ainsi : « les lisses et les rouleaux ne servaient pas seulement à protéger la « sole » du doris des galets mais aussi à faciliter la remontée de l’embarcation, qui aurait été quasiment impossible sans les lisses et les rouleaux. Hors d’atteinte de la mer, oui, mais en calculant le niveau de la marée haute ! En d’autres termes, savoir, avec les variations de marée, où le doris était en sécurité ». Une fois le doris saillé, hors d’atteinte de la mer, celui-ci est débarqué. Les pêcheurs ouvrent alors leur saline, au sein de laquelle ils conservent un ensemble d’outils, d’instruments, d’objets, dont ils vont se servir pour travailler le poisson et préparer le doris pour le lendemain.
Les outils utilisés sont très souvent ceux à disposition dans les lieux de construction, à savoir ceux des charpentiers ou des ébénistes dans le cas de Yannick Autin (rabot, varlope, ciseau, marteau, table de scie, scie à ruban, dégauchisseuse-raboteuse, scie sauteuse, ponceuse, etc.).
Les élèves du Lycée professionnel Emile Letournel ont fabriqué des tréteaux avec des assemblages traditionnels à mi-bois pour la croix de Saint-André, tenon-mortaise et entailles droites pour le piétement. Ils étaient destinés à supporter le poids de l’embarcation au moment de donner sa courbure à la sole et à faciliter l’opération de levage.
Pour cintrer la contre-étrave de l’Acajou, Yannick Autin a été obligé de fabriquer une étuve avec une bouilloire et un grand tuyau en PVC.
Traditionnellement, toutes les pièces découpées de la charpente transversale (courbe de sol, courbe, courbe de moteur, bâti du moteur) et des extrémités (étrave, fausse-étrave, écusson) sont faites en chêne blanc d’Amérique ou en merisier. Il s’agit de bois durs, résistants, lourds qui manquent de souplesse et fendent facilement. Ils nécessitent de fait l’emploi de clous galvanisés. Les pièces ployées de grandes dimensions (virures de la sole, serres, banc, liston, canal de l’arbre, caisse de l’hélice) sont quant à elles en spruce, un résineux léger qui possède une forte élasticité longitudinale. On trouve également pour les pièces ployées de grandes dimensions telles que la semelle du pied de mât, le bas bordé, les bordés et les tilles du pin Douglas qui est plus lourd que le spruce mais également élastique et résistant longitudinalement. Chaque pièce de bois importée nécessitait un retravail. Toutes les personnes auprès desquelles cette enquête a été réalisée soulignent que l’insularité entraîne la « nécessité de faire avec ce qu’on a en termes de matériaux ».
Aujourd’hui, on commande en France des plaques de contre-plaqué spéciales marine (9 mètres de long et 1,22 mètres de large) qui viennent d’Allemagne notamment. Les bois de bordage viennent du Canada. Stéphane Perrin précise qu’il a pu trouver localement du bois de chêne courbe et du pin d’Oregon de 30 pieds de long pour les bordés à Toronto pour la restauration-reconstruction du Pierre-Alexandre. Gérard Hélène explique qu’il s’équipe régulièrement localement avec du bois personnel pour les membrures des constructions neuves réalisées par l’association Les Zigotos. Le coût d’achat et d’importation obligatoire de ces bois rend la construction neuve difficile (environ 7000 euros pour une embarcation).
Parallèlement à cela, on observe une évolution des matériaux utilisés avec l’introduction de l’aluminium, du cuivre galvanisé, de la colle et de la fibre de verre par exemple.
Le bois utilisé pour les lisses et les rouleaux destinés au saillage des doris est du spruce. Les troncs étaient collectés par les pêcheurs durant l’hiver. A Miquelon surtout, ils montaient, par groupe ou en famille, dans des zones « réservées » dans la « montagne » et coupaient les lisses et rouleaux. Le tout était redescendu en traîneau à cheval depuis les collines boisées, au-dessus de Mirande, jusqu’à Miquelon.
Le parcours d’apprentissage des personnes rencontrées, qui repose essentiellement sur un régime opératoire de l’oralité avec un apprentissage au sein du cercle familial, est le suivant :
Cyril FRANCHE commence sa carrière en 1968 en tant que pêcheur sur le vieux doris de son père. Joseph Heudes fait appel à lui en 1977 pour construire un doris. Il apprend les savoir-faire de la construction navale à ses côtés à la saline au plain. Ils construisent ensemble cinq doris en un an. Puis, vingt-quatre nouveaux doris en plus des réparations. Le dernier doris qu’il a construit date de 1986 et était destiné à Miquelon. Il pratique son activité de charpentier naval l’hiver, tandis que d’avril à octobre il continue à partir à la petite pêche. Il considère que d’un point de vue technique (pensée et geste), c’est la construction de la caisse à hélice, du canal, du bâti et de la caisse à moteur qui nécessite un temps d’apprentissage plus long de par la précision (au millimètre près) nécessaire à la réalisation de ces éléments.
Gérard DISNARD est sollicité par son beau-père, Désiré Briand, et Noël Poirier à la fin des années 70’ pour aider à la construction de doris, c'est ainsi qu’il a construit les trois derniers doris de Miquelon en contre-plaqué.
Yannick AUTIN se considère comme un autodidacte, ce qui lui a offert un « champ de liberté » dans la mise en œuvre de ses savoirs et de ses savoir-faire qu’il n’aurait très certainement pas eu suite à une formation institutionnelle, celle-ci ayant tendance à formater et uniformiser les modalités de la pratique. Passionné du bois, il a travaillé enfant dans l’atelier de son père qui était charpentier terrestre et ancien pêcheur sur Miquelon. Quand il a voulu construire son doris, n’ayant « personne pour lui montrer » comment faire, il a d’abord commencé par observer les formes des embarcations existantes sur l’archipel, puis il a fait des essais en dessinant différents plans adaptés à son moteur moderne. Son apprentissage se fonde sur l’observation et l'expérimentation. Il explique que, de fait, ce qui lui a pris du temps c’est de faire un premier doris, mais que « s’il devait en faire un autre il irait deux fois plus vite ».
Stéphane PERRIN est détenteur d’un CAP menuiserie. Il a été formé au travail de charpente terrestre par son père qui était lui-même charpentier. Après avoir travaillé dans le bâtiment, il a complètement changé d’orientation en 2007. C’est auprès de Cyril Franché qu’il a appris les techniques et les gestes associés à la construction navale du doris de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Gérard HELENE a appris les premiers gestes de la charpenterie de marine auprès de son grand-père qui était constructeur de doris et de son père. Il a conservé le doris de son grand-père aux Îles-de-la Madeleine. S’il s’est orienté professionnellement dans le bâtiment, depuis une dizaine d'années maintenant il est un pilier de l’association Les Zigotos. Les savoir-faire spécifiques qu’il associe à la construction navale sont le calcul des mesures et la prise des angles, le tracé de l’étrave, le travail des courbes et l’étanchéification des embarcations. Il précise que dans le cadre des constructions neuves, il travaille sans gabarit à partir du tracé de la sole et de la mesure prise “bord à bord”.
Vincent RINALDO est responsable de la section charpenterie bois au sein du Lycée professionnel Emile Letournel. Compagnon charpentier, il fait son tour en France hexagonale et à l’étranger dans les territoires ultramarins, d’abord en Guyane, puis à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il rentre dans l’Éducation nationale en 2005. La découverte de la charpente navale s’est faite par le biais du projet de construction de la réplique du 2 Pierres. Il s’est retourné vers les « anciens » présents dans l’association Les Zigotos pour recueillir leur savoir-faire. Mais c’est en expérimentant par lui-même qu’il a acquis la maîtrise du geste juste. Le calendrier scolaire (projet mené sur quatre ans donc avec un étalement dans le temps des différentes étapes de construction) auquel il a fallu qu’il adapte son propre apprentissage a entraîné un temps d’acquisition du savoir-faire plus long. Selon lui, la principale différence entre l’architecture terrestre et l’architecture navale concerne les pièces courbes et les croches.
Le monde associatif joue un rôle essentiel dans la préservation et la transmission des savoir-faire à la fois en récolant les mémoires et en perpétuant la pratique :
- L’association Les Zigotos œuvre pour la transmission des savoir-faire.
- Depuis 2023, l’association Miquelon Culture Patrimoine (MCP) en partenariat avec la mairie de Miquelon-Langlade porte le projet de construction d’un doris avec les anciens. Les travaux sont programmés débuter à l’automne 2024.
- L’association La Sauvegarde du Patrimoine de l’Archipel (SPA) expose deux doris à la maison Jézéquel, classée au titre des monuments historiques à l’île aux Marins. Le troisième doris offert par Yannick Autin devrait rejoindre l’ensemble Morel, classé au titre des monuments historiques à l’île aux-marins au cours de l’année 2024.
Par ailleurs, plusieurs particuliers possèdent encore d’anciens doris ou se sont lancés dans la construction de nouveaux. Le caractère insulaire de Saint-Pierre-et-Miquelon permet des échanges précieux au sein de la communauté entre les anciens artisans et ces jeunes passionnés du bois. La participation de Cyril Franché à la restauration du Pierre-Alexandre en est un exemple.
Le 24 mai 2018, une convention pluriannuelle de valorisation et préservation du patrimoine maritime de Saint-Pierre-et-Miquelon par un public jeune fut signée entre le Préfet de Saint-Pierre et-Miquelon, le Président de la Collectivité Territoriale, le Chef de l’établissement du Lycée Émile Letournel et le Président de l’association Les Zigotos. Le lycée Émile Letournel et l’association Les Zigotos se sont engagés à mettre en place un projet pluridisciplinaire à caractère professionnel (PPCP) autour de la construction d’un doris de Saint-Pierre avec le soutien du Pôle Développement Attractif de la Collectivité Territoriale et notamment son service : l’Arche – Musée et Archives. La Collectivité Territoriale s’est engagée à apporter un soutien logistique, documentaire et technique pour la valorisation du projet. L’association Les Zigotos s’est engagée à apporter son expertise technique auprès du lycée, à assurer la charge de l’achat des matériaux de construction et mobiliser ses adhérents afin qu’ils apportent leur appui et savoir-faire dans le projet. Le soutien financier du projet programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la Culture » du ministère de la Culture a été mobilisé par la Direction de la Cohésion Sociale, du Travail, de l’Emploi et de la Population (DCSTEP). En ce qui concerne les élèves, les éléments essentiels de l’apprentissage par rapport à leur cursus principal ont été le tracé pièce par pièce associé aux calculs, la manipulation des machines-outils pour ne pas gaspiller le bois, et le cintrage.
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