On appelle à La Réunion « Bal tamoul » ou encore « Bal malbar », le « narlgon - nardégom » qui est un terme dérivé du tamoul « madâgam ».
On appelle à La Réunion « Bal tamoul » ou encore « Bal malbar », le « narlgon - nardégom » qui est un terme dérivé du tamoul « madâgam ». Il s'agit d'un théâtre populaire qui tire son répertoire des grandes épopées indiennes comme le Mahâbhârata et le Ramayana. C'est, au départ, un théâtre amateur qui mêle à la fois la danse, le chant et le mime
On appelle à La Réunion « Bal tamoul » ou encore « Bal malbar », le « narlgon - nardégom » qui est un terme dérivé du tamoul « madâgam ». Il s'agit d'un théâtre populaire qui tire son répertoire des grandes épopées indiennes comme le Mahâbhârata et le Ramayana . C'est, au départ, un théâtre amateur qui mêle à la fois la danse, le chant et le mime. Il est dirigé par un homme que l'on nomme le Vartial. C'est un véritable chef d’orchestre et le récitant principal, qui chante en langue « tamoule réunionnais » l’histoire des personnages mythiques et épiques indiens. Il résume les scènes et interpelle le public, le plus souvent, aujourd'hui, en créole réunionnais. C'est une forme collective et aux côtés du Vartial on retrouve musiciens-es, chœurs, danseurs-es, comédiens-es, assistants... Les comédiens-es arrivent sur scène selon un protocole et un séquencement qui donne à la pratique une véritable structure, un scénario qui se répète pour des histoires qui sont différentes. Les comédiens-es ont leur visage grimé. Ils portent des costumes colorés et des masques de divinités indiennes. Ils dansent et miment les actions sur scène. Il n'y a quasi pas de diction, de déclamation. C'est un narratif où la principale parole est le chant et les prières. La compréhension est dans la gestuelle, le regard, les mimes, la provocation, les combats et les interventions du Vartial. Le Bal tamoul était pratiqué par les engagés indiens, venus, après l'abolition de l'esclavage, travailler à La Réunion sous contrat au XIXe siècle. Aujourd'hui encore, ce sont principalement les Réunionnais ayant une ascendance indienne qui sont les Vartial et constituent le socle de la communauté des praticiens. Pour autant, c'est une pratique ouverte à tout un chacun, notamment parmi les comédiens-es, les chœurs et musiciens-es. C'est une pratique qui trouve ses sources dans l'Inde du sud, dans le monde rural, là où sont majoritairement issus celles et ceux qui sont venus-es à La Réunion. Ils ont apporté avec eux leurs coutumes, des pratiques concernant l’hindouisme et ses rituels. Leur contrat d’engagement stipulait certaines libertés, notamment celle du culte. Regroupés sur les plantations de cannes à sucre, ils mirent en commun leurs savoir-faire, leurs croyances et aussi les manifestations culturelles et festives telles que le Bal tamoul. La pratique s'est de plus en plus ouverte à la fois aux femmes et aux enfants qui jouent les rôles qui correspondent à leur genre et âge. Longtemps, les hommes jouaient la totalité des rôles. La pratique a été un espace d'expression permettant à cette population laborieuse de surmonter les épreuves en prenant exemple sur les héros et héroïnes de tel ou tel récit. Le Bal tamoul se jouait dans les espaces sacrés (koylou), chez le particulier, puis a évolué vers les temples, surtout à l'occasion de cérémonies telles que la marche sur le feu, le Dipavali ou le Jour de l'an tamoul. Les pénitents ne pouvaient ni rentrer chez eux (pas de transport) ni dormir sur place (des maisons trop petites). Le Bal tamoul les tenait éveillés. La manifestation débutait au crépuscule pour se terminer aux aurores. La pratique a évolué. Il n'y a quasi plus de si longues soirées. On tend vers des formes variées, moins longues, dédiées au spectacle dans des lieux culturels tout en continuant également au temple. La pratique est sous tension car les Vartial vieillissent et la mobilisation des jeunes n'est pas facile dans une société de divertissements immédiats. Il reste deux associations très actives. Elles font tout pour favoriser la transmission au sein de leurs écoles. Cette pratique est dans le cœur et l'esprit des Réunionnais-es et est connue comme un des éléments du patrimoine culturel de La Réunion.
La principale communauté du Bal Tamoul est composée de Réunionnais-es dont les aïeux sont originaires pour la plupart du Tamil Nâdu (sud de l’Inde). La communauté élargie concerne l'ensemble des 850000 habitants de La Réunion quelle que soit l'origine de leurs aïeux (Afrique, France, Europe, Madagascar, Chine...). Ces derniers participent par intérêt pour la dimension artistique de la pratique en tant que spectateurs-trices ou musiciens-nes, par les liens de famille, de camaraderie ou aussi par adoption des croyances et rituels hindouistes.
Les membres de la communauté se répartissent comme suit :
- Le Vartial . C'est la personne qui a le rôle le plus important dans le Bal tamoul. Il connaît parfaitement les histoires. Il enseigne la langue tamoule, la danse et le chant. À la fois, chef d’orchestre, chef de chorale, chef habilleur et metteur en scène, le Vartial est responsable de tout ce qui concerne le spectacle, de l’enseignement à l’exécution de la pièce. Il cristallise toutes les énergies et c'est sur lui que repose la réussite du Bal. Ce sont des personnages réputés et souvent adulés. On compte encore sept Vartial, connus, dont deux totalement actifs et les autres qui acceptent des sollicitations ponctuelles pour organiser des Bal tamoul ou continuer à transmettre leur savoir.
- L’orchestre composé d’un joueur de matalon (tambour à double face) et de plusieurs joueurs de tarlon (paire de cymbales).
- Les sous-groupes sont constitués des chœurs qui reprennent les chants du Vartial. Ils sont quatre sur scène et une dizaine de danseurs-acteurs,
- Les comédiens-es . Ce sont des personnes qui jouent le rôle des personnages selon l'histoire présentée. Longtemps, seuls les hommes occupaient le rôle d'acteur et pouvaient ainsi jouer des rôles mettant en scène des femmes. Les comédiens-es n'ont, le plus souvent, pas d'expérience dans le théâtre.
- Les spectateurs diffèrent selon l’endroit où se déroule la représentation du Bal tamoul. Lorsqu’elle a lieu dans une salle commune du temple, ce sont des pénitents fidèles qui y assistent, notamment avant les cérémonies religieuses telles que la marche sur le feu et le barldon. Dans un cadre festif et profane tel que les salles de spectacles, salles des fêtes ou sur une scène, le public du Bal tamoul sera composé de la diversité de la population réunionnaise.
- Les chercheurs et artistes qui se sont déjà intéressés à la pratique tels que Sully Santa GOVINDIN, Docteur en Histoire : Cultures &Langues Régionales, Jean-Régis RAMSAMY, journaliste, historien et auteur, Luçay Soubaya PERMALNAICK, enseignant à la retraite et auteur, Danyèl WARO, musicien, poète engagé, chanteur de Maloya, fait partie des chœurs dans la troupe très active « Bal Tamoul Sapèl la Mizèr ».
- Les associations culturelles tamoules :
Association Bal Tamoul Sapèl la Mizèr, située dans l'ouest au 66, chemin Lartin Saint-Gilles-les-Hauts 97 425 St-Paul,
Association Tirouvallouvar, située dans le sud au 140, avenue principale 97450 St-Louis,
Ces deux associations sont très actives dans la transmission de la pratique du Bal tamoul.
Association Karma Deva, activités culturelles tamoules, située dans l'ouest au 51, chemin Naminzo Moutouvirin 97 424 Piton St-Leu,
- Les associations des temples :
Association de l’ancien temple tamoul du Portail au 36, rue Adrien Lagourgue 97424 Piton St-Leu,
Le temple Siva connu sous le nom de temple de Tamatave situé au 47, chemin Tamatave 97435 St-Gilles-les Hauts,
Temple Sapèl la Mizèr situé au 49, rue Mahatma Ghandi 97460 Saint-Paul
- Les diffuseurs : télévisions régionales (3), radios, internet avec les supports de réseaux sociaux, les organisateurs de spectacles, tous participent à promouvoir la pratique,
- Les institutions publiques (collectivités) : soutien à la diffusion, les musées (musée Stella Matutina, musée de Villèle) qui produisent des spectacles,
Lieu(x) de la pratique en France
Le Bal tamoul se pratique à l’île de La Réunion sur l’ensemble du territoire. Pour autant, il reste deux groupes très actifs, situés dans les hauts de l’ouest (St-Gilles-les-hauts) et dans le sud de l’île (Saint-Louis). Ils répondent aux demandes et se déplacent.
Pratique similaire en France et/ou à l’étranger
Dans le sud de l’Inde (sous le nom de terukkuttu ou nadagam au Tamil Nadu). Le terme terukkuttu est dérivé des mots tamouls teru (rue) et kuttu (théâtre). Le terukkuttu est une forme de théâtre traditionnel et populaire qui se joue en plein air dans les villages au centre du Tamil Nadu. Les représentations de terukkuttu sont centrées sur la mise en scène de l’histoire du Mahabharata et du Ramayana et sur la vie quotidienne des villageois. Il associe des chants, des musiques, des danses et des parties parlées. Les acteurs, semi-professionnels ou composés d’amateurs, portent sur scène des costumes colorés, coiffés de couronnes, de casques étincelants, dansent, chantent, dialoguent et interpellent le « kattiyakkaran » (personnage essentiel jouant le rôle de bouffon et représentant le peuple, il est chargé du prologue, introduit les personnages, dialogue avec le public, parodie les personnages) et les spectateurs. Les instruments qui accompagnent le terukkuttu sont le talam, l’harmonium indien, le mukhavînâ, le dholak et le mridangam. Une scène est improvisée dans la cour du temple ou tout autre site, les spectateurs s’installent de chaque côté de la place. Les chanteurs et les musiciens occupent l’arrière de la scène, et les acteurs-danseurs utilisent l’avant. Deux personnes tenant un rideau font leur entrée sur scène. Derrière ce rideau se dissimule un acteur masqué d’une tête d’éléphant (représentant le dieu hindou à tête d’’éléphant, Ganesh). Puis, apparaît ensuite le Kattiyakkaran qui annonce au public l’histoire qui sera jouée et présente les personnages. Les représentations de Terukkuttu généralement, commencent vers 10 heures du soir et se termine vers 6 heures du matin. Tous les ans, plusieurs villages de l’Inde organisent des fêtes religieuses en l’honneur de la déesse Draupadi, l’un des personnages du Mahabharata et font appel à des troupes de Terukkuttu pour interpréter l'intégralité du Mahabharata pendant 10 ou 18 jours ou seulement un extrait. Ces fêtes se déroulent entre la mi-mars et la mi-septembre.
En Guadeloupe et en Martinique, une pratique similaire est appelée en tamoul antillais : «nâdron », « nadrom » ou « natakam » venant du mot tamoul « nadegam » qui signifie : drame, théâtre chanté et dansé. Le nâdron a été amené par les engagés tamouls venus travailler dans les exploitations agricoles au milieu du XIXe siècle aux Antilles. Les scènes du « nâdron » sont tirées des légendes et des épopées de l’Inde comme celles de Maldévilin, du Ramayana et sont contées en tamoul antillais.… Les intervenants du « nâdron » étaient auparavant uniquement des hommes. La pratique a évolué en incluant des femmes. L’orchestre comprend des joueurs de tarlom (cymbalettes en cuivre) et un joueur de matalon (tambour)... l’ensemble des acteurs peuvent prendre la responsabilité du chant et de la narration, là où à La Réunion, cette fonction incombe au seul Vartial.
Le Bal tamoul est un théâtre chanté, dansé et mimé mettant en scène les épopées du Mahabharata ou du Ramayana. Il se pratique à l’occasion de cérémonies religieuses tamoules, de mariage ou lors d’évènements comme le jour de l’an tamoul ou le dipavali. Il est pratiqué depuis le XIXe siècle par les Indiens venus travailler sous contrat dans les bitasyon (champs et exploitations agricoles) et tabisman (établissement sucrier) de l’île.
Le Bal tamoul débutait au crépuscule et se prolongeait jusqu’à l’aurore pour permettre à l’assemblée qui venait des quatre coins de l’île, faute de moyen de transport, de rester sur place. Ici, nous présentons la structure classique du déroulement du Bal tamoul. Autrement, le Bal tamoul peut se limiter à un extrait qui durera une à trois heures dans l'après-midi ou en soirée.
Il est le plus souvent suivi du partage de mets sucrés ou de plats végétariens.
Avant l’exécution du Bal tamoul, les membres de la troupe se réunissent plusieurs jours à l’avance pour se concerter. Le Vartial explique les rôles aux interprètes et transmet les informations relatives à la préparation (calendrier...). Ils font des répétitions de musique, de danse et de chant. Ils préparent les différents costumes, masques en fonction de l’histoire qui sera jouée. Le nombre d’acteurs, de costumes varie également selon l’extrait concerné.
Pour chaque représentation, les membres de la troupe font un carême (acte de dévotion, moyens de se purifier avant de venir au temple, en adoptant un régime alimentaire strictement végétarien, en priant et en faisant vœux d’abstinence). Pour les représentations associées à une pratique religieuse et qui se déroule au sein du temple, en plus des membres de la troupe, l'ensemble des participants-es tels que les spectateurs sont également invités-es à faire leur carême.
Les histoires de Bal tamoul contiennent des scènes de prières, de combats, des scènes d’amour, de cérémonie de mariage, de naissance et de mort associant ainsi le monde des dieux, le monde des rois avec le monde réel… Son but est de divertir et de transmettre des codes de vie aux spectateurs.
Le Bal tamoul est interprété par une vingtaine de personnes environ. Acteurs, danseurs, chanteurs et musiciens dont la plupart sont des amateurs sont guidés par le Vartial, maître de comédie, metteur en scène qui les dirige tout au long de la représentation. Les récits déclamés et chantés par le Vartial en langue tamoule sont rythmés par les percussions du matalon et des talons. La langue créole n'intervient que lorsque le Vartial fait des commentaires et interpelle le public, tandis que les comédiens-es exécutent les pas de danse et miment les actions. Les chants du Vartial sont repris par les chœurs.
Le décor de la scène est sommaire mais très coloré rendant un air de fête. L'attention est surtout mise sur les costumes et le jeu à la fois du Vartial et des comédiens-es. En décoration, on va le plus souvent retrouver du végétal tel que les feuilles du manguier, très prisées chez les Tamouls qui leurs attribuent un pouvoir sacré permettant d’absorber les mantras (formules sacrées). On y trouve également des feuilles de lilas, des guirlandes fanions en tissus de divers coloris suspendues dans la salle, des tissus drapés ou tapis à motifs indiens qui décorent le devant de la scène. À l’arrière de la scène, sur le côté droit, sont placés le chœur, les chanteurs et les musiciens. Ils sont généralement assis côte à côte sur un banc ou des sièges et sont vêtus d’une chemise blanche, d’un pantalon noir ou en vestis (toile qui habille les membres inférieurs de l'homme). Le Vartial, lui, s’assoit au premier rang à côté du joueur de matalon et des musiciens de talons. Au cours de la représentation, il se mettra debout avant chaque scène pour contrôler sa troupe derrière le télé avant qu’elle n’apparaisse devant le public ou pour résumer les scènes en créole et pour interpeller avec humour les spectateurs-trices.
Déroulement
Toutes les représentations de Bal tamoul commencent par une prière à Ganesh, le dieu hindou à tête d’éléphant, juché sur une souris. Certains, à La Réunion, le nomme Vinaryégel ou Pouléal. Dieu de la connaissance et protecteur des foyers, il est un guide, celui qui lève les obstacles et que l’on invoque au début de toute entreprise.
Première apparition
Deux hommes s’avancent sur le devant de la scène en tenant de chaque côté, avec une légère tension, un grand tissu imprimé de motifs indiens, appelé le télé. Ce dernier cache de la vue des spectateurs-trices, le premier personnage qui va entrer en scène. On ne distingue que ses pieds qui exécutent des pas de danse. Le télé est abaissé puis remonté en plusieurs fois comme pour attiser la curiosité des spectateur-trices avant de le laisser, enfin, découvrir le personnage.
Le télé est retiré et dévoile entièrement le personnage de Ganesh. Il apparait.
Le personnage de Ganesh est orné d’un masque appelé zano, représentant la tête de la divinité (tête d’éléphant fabriqué en bois ou en papier mâché). Il porte des vêtements de couleurs vives, taillés dans divers tissus de soie. Des bijoux ornent ses bras. Il entame une danse virevoltante, emporté par la musique et les chants. Le Vartial entame une prière pour invoquer le dieu Ganesh afin qu'il lève les obstacles et permette le bon déroulement de la représentation.
Deuxième apparition
Deux personnages, le torse nu et habillés d'un vestis s’avancent sur le devant de la scène. Ce sont des koulkols/kulkol ou kurukkal - des prêtres hindous. Ils entament des pas de danses, et invitent Vinaryègel à s’assoir puis se prosternent devant lui. L’un des prêtes agite une petite cloche en bronze appelée mani, l’autre entame la cérémonie. Ce dernier allume une lampe à huile (vélkou) et la fait tourner dans le sens des aiguilles d’une montre devant la divinité. Puis, avec un bâtonnet d’encens, il fait de petits cercles pour disperser la fumée. Il casse une noix de coco puis, présente à Ganesh des offrandes, dans un padèl (plateau contenant des fruits, des feuilles de bétel, grains pack, pièces de monnaies, du riz safrané, des fleurs…).
Les prêtres miment les actions en faisant des gestes particuliers avec les mains pour interpréter des mantras (prières), lançant des pétales de fleurs et se prosternant devant Ganesh. Ils invitent Ganesh à danser avec eux puis tous les trois se retirent de la scène.
Le spectacle peut ainsi commencer…
Troisième apparition
Arrivée de Kattiékarlin (l’homme au couteau). C’est le garde, le messager du roi. Il a une grosse moustache épaisse (souvent fausse, bien sûr) et a le visage grossièrement maquillé. Il porte une coiffe (sorte de casque brillant) et est habillé en tenue de guerrier avec des hautes épaulettes appelées mordions. Celles-ci sont en bois et/ou en fer blanc. Dans sa main, il tient un long sabre ou Katty. Il annonce la venue prochaine du souverain en mimant les actions récitées par le Vartial. Il danse et fait tournoyer le sabre aux rythmes des percussions.
Quatrième apparition : le roi, la reine, les serviteurs, les chasseurs ou des sages selon la pièce qui est jouée pour ce Bal tamoul et selon l'état d'avancement dans le déroulement du récit.
Les chants et les rythmes diffèrent en fonction des scènes.
Cette phase peut se renouveler au grès de l'histoire racontée.
La fin du spectacle se termine par le mangarlon, rite servant à clôturer le Bal tamoul. Tous les interprètes chantent : « Mangarlon ! Mangarlon ! », adressant ainsi des vœux de bonheur et de prospérité à la salle. Le Vartial, les musiciens et les chœurs se lèvent et renversent leurs sièges sur lesquels ils sont restés assis durant plusieurs heures. Le Vartial adresse une petite prière aux divinités pour neutraliser les éventuels effets négatifs des regards. Cela permet à la troupe de quitter le jeu et de revenir dans la réalité.
Après la représentation, les spectateurs échangent avec les membres de la troupe autour d’une collation
Présentation des principaux personnages du Bal tamoul en plus du Vartial
Vinayéguèl (Ganesh), la représentation est placée sous ses auspices,
Koulkols/kulkols (prêtres hindous) qui confèrent une dimension sacrée à la cérémonie,
Kattiékarlin (l’homme au couteau), le garde, messager du roi. C’est lui qui annonce au public, en mimant les paroles du Vartial quel bal du répertoire sera interprété. Il joue plusieurs rôles et il restera de manière continuelle sur scène.
Ci-après nous présentons des extraits des Bals les plus souvent joués à La Réunion. Ils sont tirés de l'ouvrage du Vartial Auguste Valeama, Mémoire d'un Vartial de La Réunion paru aux éditions Epica en 2016 :
Bal Markandeya : « il était une fois, un sage, Miroukanden. Se faisant vieux et sans enfant, il dit à sa femme qu'il voudrait avoir un fils qui assurerait sa descendance et ferait le Yelouttannil (rites funéraires) à sa mort. Et pour cela, il devait faire un tavam (pénitence) auprès de Shiva. Il quitte sa maison et part trouver Shiva dans Devalorgom, lieu où se trouvent les Dieux. Entre-temps, des Rishikanni (filles vivant en retraite dans un Ashram) arrivent chez eux... »
Bal Harishandra : « ce roi honnête et juste sacrifie d’abord son royaume, puis sa femme et ses enfants, pour honorer sa promesse au sage Vishwamitra. À la fin, les dieux, satisfaits par sa haute valeur morale, lui rendent sa gloire passée ».
Bal Virakkoumara : « dans la ville de Vidjaya Nagar vivait un Roi qui s'appelait Virassoura avec sa femme Sorninkandi. Il y avait aussi son Premier ministre Tattou-Pragassen pour qui il avait beaucoup d'estime. Un jour, les agriculteurs vinrent voir le Roi afin de solliciter son aide pour arrêter les ravages et les destructions causés par les animaux de la forêt dans leurs plantations... »
Bal Kannegui : « dans le sud de l'Inde, à Madouraï, vivait un roi nommé Pandiyen. Il entretenait bien le temple dédié à Maha Kaali. Ce roi qui n'avait pas d'héritier, implorait chaque jour la Déesse afin qu'elle lui accorde un enfant. Il faisait de grandes prières et de grandes cérémonies. Malgré toute cette dévotion, la Mère divine ne l'exauça point. Alors, très en colère, il ordonna que le temple soit condamné et d'arrêter toute cérémonie... »
Bal Mahabardevilarson : « l'histoire relate le piège organisé par les Kauravas contre les Pandavas par crainte que ces derniers ne viennent réclamer leur héritage... »
Bal Kousseleven : « C'était la fin de la guerre entre Ramel et Ravanin et le retour de Siday à Ayodhiyar. Ramel commençait à se demander s'il allait avoir un héritier. Un jour, perdu dans ses pensées, il tomba dans un profond sommeil et fit un rêve surprenant... »
Bal Valli : « À Vejmimaley, un village dans la montagne du sud de l'Inde, aux environs de Maduraï, vivait le roi Nambiradjen et son épouse Nangey Morgueni et leur sept fils. La femme du roi fit un rêve dans lequel elle se voyait mère d'une petite fille qui se trouverait dans la montagne. La reine troublée voulut aller la retrouver... »
Le tamoul de La Réunion et le créole réunionnais sont les deux langues utilisées lors du Bal tamoul. Pour les prestations en dehors de La Réunion, notamment en milieu francophone, les praticiens utilisent le français, toujours dans l'intention de favoriser la compréhension par le plus grand nombre.
Patrimoine bâti
Aucun édifice n’est spécifique à cette pratique. Traditionnellement, le Bal tamoul se jouait chez le particulier (le koylou), puis à la Sapel (c'était le nom pour désigner l'endroit de méditation, de prière, de cérémonie... on lui préfère maintenant le terme de Temple). La pratique peut se faire directement dans les familles. Cela se passera dans leur cour, et concernant des associations, dans des salles et/ou sur scène pour les représentations dans les lieux de diffusion de spectacles vivants. Il arrive que soit érigée une salle verte pour l'occasion. C'est une structure semi-éphémère, en ossature bois (le choka ou le bambou) recouvert de larges feuilles tressées de palmiers et/ou cocotiers.
Objets, outils, matériaux supports
Télé : drap tendu entre les acteurs et le public. Au cours des différentes scènes, les divers personnages apparaissent à chaque fois derrière le télé pour passer d’un acte à un autre.
Les costumes et autres accessoires :
Le terme utilisé est « mèt zano ». Il signifie à la fois se costumer pour le spectacle avec des vêtements de couleurs vives, mettre des bijoux (boucles d’oreilles, bracelets, chaînes de chevilles) et se maquiller (les acteurs ont le visage grimé). Les « zanos » seuls correspondent aux masques des personnages, aux mordions ou épaulettes en bois ou en fer blanc que l'on retrouve sur les habits du Garde.
À La Réunion, la fabrication des masques est réalisée à partir d’un bois tendre, le pion d’Inde (nom scientifique : erythrina indica). De fait, ces masques sont lourds. Ils sont de plus en plus remplacés par des masques en papier mâché, plus légers à porter pour les acteurs, souvent importés de l'Inde.
Chaque personnage a un instrument représentatif quand on raconte leur histoire. Les éléments en bois, couronnes, masques, épaulettes, bustiers sont fixés sur les acteurs en fonction des rôles à tenir lors de la représentation. Par exemple, le costume du roi est composé du «moudi», il s’agit de la couronne, du «moudi guildis» (les 2 épaulettes) et le «vèl padégon» (une sorte d’armure).
- Radia moudi : couronne pour le roi, qui en fonction de sa dimension et des décorations montre sa puissance.
- Pôn moudi : couronne pour la reine, coiffe ornée de bijoux, de fleurs, de guirlandes, avec une longue tresse de cheveux (perruque). Fabriquée par les membres de l’association Bal Tamoul Sapèl La Mizèr. XXe siècle.
- Moudi guildis : Armure de protection sur les épaules et les bras. En fer blanc, bois, peinture. Fabriqué par M. Alain Hippolythe, ferblantier, lambrequenier à Saint-Leu, La Réunion. XXe siècle.
- Vinaryègel moudis : masque représentant la divinité Ganesh. Vinaryègel/Ganesh est invoqué au commencement des cérémonies religieuses tamoules. Le dieu à tête d’éléphant fait son apparition au début de chaque Bal tamoul.
- Mani : cloche à main que l’on agite pendant les prières au cours des cérémonies religieuses. Utilisée dans le Bal tamoul par les koulkols. XXe siècle. Cuivre sculpté. Collection musée Stella Matutina.
- Velpadekon : Armure de protection posée sur le thorax à l’aide d’attache en ficelle.
- Katty : sabre, épée etc… Tous objets tranchants représentant la main de Shiva. Accessoire du Kattiékarlin ou katiyèlkarlin, (l’homme au couteau) qui est un des personnages classiques du Bal tamoul. Il est l’homme d’arme et le messager du roi. Sa fonction est d’annoncer le Bal tamoul qui va être interprété. Il sert d’intermédiaire entre le public et les acteurs mais aussi entre les hommes et les dieux.
- Vèl : lance, arme de défense de Souplémaniel (fils de Shiva et de Parvati). Matière : Bois sculpté, peinture.
- Vilou : arc et flèches appelés aussi Barnon dans le Barldon, arme favorite d’Aldjounin dans la guerre. Matériaux : Bois, guirlandes.
Les instruments de musique : Lors des représentations de Bal tamoul, seuls deux instruments de musique sont utilisés : le matalon et le talon. Il n’y a pas de Bal tamoul sans ces deux instruments.
- Talon (ou Tarlom) du tamoul Tâlam : instrument de musique formé de deux petits disques de cuivre.
Famille : percussions idiophones
Origine : fabrication artisanale, La R éunion
Matériaux : cuivre, fibres textiles
Technique de jeu : Paire de cymbales que l’on frappe l’une contre l’autre pour marquer le temps ou la mesure. Les cymbales font environ 10 centimètres de diamètre, et ont une forme bombée. Une lanière permet de les maintenir. La frappe se fait soit verticalement soit horizontalement, ou en frappant le centre de l’une avec le bord de l’autre.
Trois rythmes sont utilisés : le lent, le moyen et le rapide correspondant aux pas des danseurs.
- Matalon du tamoul matthalam ou maddalam : instrument de percussion. C’est un tambour sur caisse à double membranes munies d’une lanière.
Famille : Membranophone (tambour en tonneau)
Origine : Inde du Sud
Matériaux : sculpté dans un bois dur (jacquier, tamarin…). Il est légèrement renflé vers le milieu, et mesure environ 50 à 60 cm de longueur.
Membranes : peaux de chèvre
Technique de jeu : L’instrumentiste peut jouer debout ou assis. Le joueur s’assoit à même le sol, jambes tendues parallèles. Il pose l’instrument sur ses genoux, puis frappe avec la main droite en marquant le rythme avec la main gauche. Lorsqu’il joue debout, il passe la lanière sur son épaule gauche, le tambour est maintenu à la hauteur du ventre, le musicien frappe les membranes avec ses mains.
Ouvrages anciens : « Harishandrin Maharaja», 1887. Collection de livres et de documents concernant le Narlgon appartenant à M. Auguste VALEAMA de l’association Tirouvallouvar.
La transmission de la pratique s'est longtemps faite au sein des familles par l'oralité et l'observation lors de l'organisation des cérémonies et des Bals. C'est un élément social du mode de vie. L'enfant côtoie et/ou se voit choisi, proposé pour les apprentissages. Cela peut d'abord se faire par la participation à l'organisation, par l'attribution de rôle dans l'une des histoires du répertoire. C’est une transmission des pères, oncles Vartial.
Il reste dans les familles des souvenirs, on en parle mais pour l'essentiel aujourd'hui, la pratique du Bal tamoul est transmise par deux associations encore dynamiques : association Bal tamoul Sapèl la Mizèr (St-Gilles-les-Hauts, ouest) et association Tirouvallouvar (St-Louis, sud).
Ces deux associations délivrent des enseignements qui concernent aussi bien le chant, la musique, la danse, la langue tamoule, le jeu des comédiens-es et la confection des masques, décors et costumes. Elles reçoivent des apprenants-es de tous âges et sans distinction de genre et/ou de classe sociale. C'est majoritairement du bénévolat.
Pour ce qui concerne l'association Bal tamoul Sapèl la Mizèr, la plupart de ses élèves sont souvent des proches de la famille, frères, cousins, neveux et aussi des habitants-es du quartier (Villèle). Ils s’entraînent deux fois par semaine. Parmi eux, un célèbre chanteur de Maloya, Danyèl WARO qui fait partie des chœurs.
Les séances sont collectives et à titre gratuit. Les contreparties peuvent relever d'une logique de troc et se manifestent par le soutien, l'entraide, notamment au moment des représentations de Bal tamoul (logistique, assistance en régie plateau et coulisses...).
L’association Bal tamoul Sapèl la Mizèr intervient également dans les établissements scolaires dans le cadre des parcours d'éducation artistique et culturel (PEAC) et fait de la sensibilisation à la demande, par exemple auprès des étudiants-es en travail social.
L’association Tirouvallouvar dispose d’un vaste local près de l’Étang du Gol, à Saint-Louis et organise régulièrement des conférences philosophiques et des narlgons. M. Valéama y donne gracieusement des cours de tamoul (lire, écrire et parler) tous les mardis pour une dizaine d’élèves environ et des cours de narlgon. L’enseignement du Bal tamoul a lieu tous les jeudis rassemblant une vingtaine d’élèves qui se forment aux chants, aux techniques de danse et à la manipulation du matalon et du talon. L’âge varie de 8 à 86 ans pour le plus vieil élève (au moment de l'enquête, en 2021).
Deux Vartial toujours actifs et responsables des associations Bal tamoul Sapèl la Mizèr et Tirouvallouvar respectivement situées à St-Gilles-les-Hauts et St-Louis.
Dionis TEVANIN SINGAINY, exploitant agricole et président de l’association « Bal tamoul Sapèl la Mizèr » à Saint-Gilles-les-Hauts. Fils de Daniel TEVANIN SINGAINY, fondateur et prêtre officiant de la Chapelle la Misère.
C’est son oncle paternel, Octave SINGAÏNY MOUTIAPIN qui l’a initié à la pratique du Bal tamoul lorsqu’il avait 12 ans. Cet engagement religieux et culturel perdure dans sa famille depuis trois générations.
Auguste VALEAMA, commerçant à la retraite, originaire de Saint-Louis, est diplômé universitaire en langue tamoule. Il crée en 1981 son association «Tirouvallouvar», qu’il nomme ainsi en hommage à Thiruvalluvar, poète et philosophe tamoul et auteur du Thirukural. L’art du Bal tamoul lui sera enseigné par Anacary Ringounardin MONEYENNE, connu sous le nom de « tonton Ringou». Celui-ci, célèbre poussari (prêtre tamoul) du sud de l’île, mais aussi Vartial, est une référence dans toute l’île pour le Narlgon.
Auteur d’un ouvrage intitulé : « Mémoire d’un Vartial de La Réunion », Saint-André, éditions Epica, 2016. Membre de la Fédération Tamoule de La Réunion, membre du Groupement de Personnes d’Origine Indienne (GOPIO), Auguste Valeama s’attache à promouvoir le Bal tamoul, à faire connaître les récits et épopées de la culture indienne.
D'autres Vartial réputés de La Réunion :
Alexis MARIMOUTOU, originaire de Saint-Benoît, retraité agricole, et baldon poussari. Il est aujourd’hui l’un des plus anciens Vartial de l’île. Très jeune, son père l’enseigne à parler, à lire et à écrire le tamoul. La propriété familiale comptait une trentaine de troupes de Bal tamoul. Il en fut imprégné.
Il devient Vartial à 30 ans et a formé pendant des années des danseurs, chanteurs et musiciens au Bal tamoul. Aujourd’hui, il assiste en tant que spectateur.
Il a reçu le titre honorifique de «Zarboutan Nout Kiltir» décerné par le conseil régional dans le cadre du projet culturel relatif à la création d'un musée de société, la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise (MCUR), pour avoir fait vivre le Bal tamoul.
Emmanuel AMOUNY, originaire de Saint-Pierre, retraité des PTT, et poussari depuis l’âge de 20 ans. Il est membre de la Fédération Tamoule de La Réunion. Son père était poussari et l’initie très jeune à l’étude de la religion tamoule. Du côté maternel, il est issu d'une lignée d’acteurs de Bal tamoul favorisant son apprentissage du narlgon. Il a longtemps préparé et organisé des Bals tamouls, notamment sur la commune de Saint-Pierre. Il s'est arrêté car cela était devenu couteux pour lui.
Daniel TEVANIN SINGAINY, né en 1934, à Saint-Gilles-les-Hauts, à La Réunion, est le fondateur et le prêtre officiant de la Chapelle la Misère, dans le quartier de Villèle, à Saint-Gilles-les-Hauts, créée le 14 avril 1968. Partisan d’une culture tamoule populaire à La Réunion, il jouit d'une forte réputation dans l’île, notamment pour son ouverture. Il a reçu le titre de “Zarboutan Nout Kiltir” en 2008 pour son travail de passeur entre les cultures et la transmission des savoirs et savoir-faire des pratiques tamoules.
Maxime SANGARA GOUMANE, originaire de Saint-André, initié à la prière et aux cérémonies par la transmission orale, il a animé pendant de très nombreuses années, dans toute l’île, les bals tamouls pour des mariages, des fiançailles, après des cérémonies ou encore lors des fêtes religieuses dans les enceintes des temples indiens. Auteur de l’Ouvrage « Le Bal Tamoul Valli Réunionnais » co-écrit avec sa fille Marie-Paule Deltour et réalisation d’un CD de chants et de percussions à vocation pédagogique.
BABALATCHIMY Maximin Mayavan, originaire de Saint-Gilles-les-Hauts, à Tamatave, est prêtre et astrologue tamoul. Il a réalisé un film sur Le Ramâyana. Il crée en 2008, le groupe Nârdegame et donne des bals tamouls lors des fêtes et pour le jour de l’an tamoul…Il continue de pratiquer mais moins intensément.
Le parcours historique du Bal tamoul à La Réunion s'inscrit pleinement dans l'histoire coloniale de l'île. Celle-ci est située dans l’océan Indien, dans l’archipel des Mascareignes, à l’Est de Madagascar et au Sud-Ouest de l’île Maurice. L’île apparaît sur les cartes arabes depuis le XIIe siècle (carte du géographe arabe Charif Al Idrissi). Les Portugais, conduits par Pedro Mascarenhas, sont les premiers Européens à y faire escale au XVe siècle. Sur leurs cartes, l’île est désignée sous le nom de Santa Apolonia. En 1613, les Anglais baptisent l’île England’s Forest. Elle est alors toujours inhabitée et sert de lieu d’approvisionnement pour les navires de passage.
En 1642, sous l’impulsion de Richelieu, les Français furent les premiers à réellement s’intéresser à l’île qu’ils nommèrent Mascarin. Ils prirent possession de l'île au nom du roi de France en septembre de la même année. Cet acte ne fut qu’une simple formalité puisqu’aucun colon ne fut laissé à Mascarin. Cependant, l’île servit deux fois de lieu de bannissement, d'abord en 1646 puis en 1654 à des révoltés français qui s’étaient soulevés contre l’autorité du gouverneur Pronis, de Fort Dauphin (Madagascar). Ces premiers occupants y demeurèrent trois ans durant avant d’être rapatriés à Madagascar où ils en firent l'éloge en désignant l'île « d’Éden tropical ».
En 1649, le nouveau gouverneur de Flacourt, fît apposer les armes royales au lieu-dit « la Possession » et donna à l’île le nom de Bourbon - du nom de la dynastie régnante.
Mais la colonisation réelle de Bourbon débute avec la Compagnie des Indes Orientales dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En 1663, deux Français accompagnés de dix Malgaches dont trois femmes, s’établissent dans l’île ; faisant d’eux les premiers habitants-es. La jeune Compagnie des Indes orientales, voulue par Colbert, est chargée de développer et d’organiser les activités coloniales de la France dans l’océan Indien. L’archipel des Mascareignes devient alors une escale précieuse sur la route des Indes.
En 1665, l’île Bourbon devient officiellement colonie de peuplement. Cette population est constituée d’Européens et de peuples issus de la zone de l’océan Indien. L’immigration libre provient principalement d’Europe et partiellement d’Asie et elle se complète d’une immigration forcée, servile, en provenance essentiellement de Madagascar et de l’Afrique de l’Est.
La présence indienne à La Réunion remonte dès le début de la colonisation. Parcellaire au XVIIe siècle, minoritaire mais bien implantée au XVIIIe siècle, elle s’accroit de manière conséquente au XIXe siècle à la suite du recrutement massif d'une nouvelle main-d’œuvre après l’abolition de l’esclavage (décret du 27 avril 1848 proclamé le 20 décembre 1848).
Michèle Marimoutou-Oberlé explique cette présence indienne ancienne à La Réunion : « S’il y a des Indiennes libres, il y a aussi des Indiens esclaves et, d’ailleurs, le premier acte de vente d’esclave identifié dans l’île est daté de 1687 et concerne la vente d’un jeune Indien de 12 ans à un habitant par un jésuite de passage. En 1703, la traite est mise en place officiellement avec l’Inde et en 1709, 24% des esclaves de l’île sont des Indiens. Pour développer la culture du café, le gouverneur de l’île Benoît Dumas encourage cette traite avec l’Inde et, en 1728 et 1729, il va personnellement recruter 300 esclaves à Pondichéry. Interdite de 1731 à 1734 par les administrateurs de la Compagnie des Indes, la traite indienne est réactivée par le gouverneur Bertrand François Mahé, Comte de La Bourdonnais, à partir de la côte de Malabar, de la côte du Coromandel et du Bengale. Cependant le recrutement servile se faisant de plus en plus à partir de Madagascar et de l’Afrique de l’est, (…) les esclaves indiens ne représentent plus que 3% de la population esclave et ce jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848 ». Dossier : L’interculturalité à l’île de La Réunion, Hommes et migrations, 2008, p. 131.
En effet, en 1848, lorsque de nombreux esclaves affranchis-es désertent les plantations, les propriétaires fonciers et usiniers font appel aux Indes pour se fournir en travailleurs qui leur font défaut pour le développement de la culture de la canne à sucre.
Les Indiens venant du pays tamoul pour la majorité mais aussi du Bengale via Calcutta ou de la région de Bombay, mais aussi de l’Inde du Nord, ne forment pas plus un groupe uni que les engagés venus d’Afrique et de Madagascar. Leurs différentes régions et origines (castes), leurs arrivées à des dates variables dans la colonie et la diversité des langues (l’hindi, le tamoul, le télinga etc…) posent alors un problème de rapprochement entre ces immigrés. Cependant, en étant regroupés sous le même statut social, confrontés aux mêmes problèmes de risque de perte de leurs cultures, ils puisent dans l’hindouisme les éléments nécessaires à la création d’une communauté.
Selon Florence Callandre : « Environ 118 000 Indiens recrutés par des Mestry et embarqués dans les comptoirs français de Pondichéry, Karikal et dans le port de Calcutta, originaires du Tamil Nâdu (Tamoul), de l’Andhra Pradesh (appelés Telougou du nom de leur langue) et du Bengale (Kalkuta) sont venus principalement pour travailler dans les plantations et les usines de cannes à sucre. Ils construiront les premiers koylou, espaces sacrés hindous en végétaux puis en moellons jointoyés ». Koylou, représentation divine et architecturale sacrée de l'hindouisme réunionnais, Océans Editions, 1998, p. 2 - 3
Ils ont tous été rangés sous le vocable de Malbar en référence aux Indiennes du début du peuplement qui arrivèrent de la côte de Malabar. Ils ont apporté avec eux leurs coutumes, des pratiques concernant l’hindouisme et ses rituels. Leur contrat d’engagement stipulait la possibilité de pratiquer leur culte. En effet, la Convention passée en 1861 entre les empires coloniaux britannique et français, accorde aux engagés deux jours chômés pour leurs célébrations. Ces jours sont fixés en début d’année après la campagne sucrière (juin à décembre). Sur les grands domaines sucriers, le propriétaire met à disposition des Indiens une parcelle pour qu’ils y construisent un koylou (temple). Il y a bien eu de nombreux engagés évangélisés et qui ont adopté le christianisme mais sans que cela n’empêche les pratiques indiennes de se maintenir. Les Indiens-nes ne délaissent pas leurs cultes ancestraux. Regroupés sur les plantations de cannes à sucre, ils mirent en commun leurs savoir-faire, leurs croyances et leurs pratiques religieuses. Grâce à leurs connaissances écrites et orales du Mahâbhârata, du Ramayana et des Purana (texte appartenant à un vaste genre de la littérature indienne), ces engagés indiens célébrèrent leurs fêtes telles que le pongol (fête qui marque la fin des moissons), la marche sur le feu pour la déesse Pandialé/Draupadi ou encore la fête dix jours appelée cavadee. Il s’implanta ainsi dans l’île « la religion malbar populaire » pour citer le Vartial, militant, auteur, politique, D. Singaïny. C'est dans ce contexte que les engagés indiens pratiquaient le Bal tamoul. Ces pratiques étaient de véritables occasions de partage pour ces migrants. Ce rare moment de divertissement offrait ainsi aux travailleurs un exutoire, une occasion de se retrouver, et peut-être d'avoir une présence dans l'espace public sans avoir les droits d'un citoyen. Dans le Bal tamoul se dégage des enseignements pour la vie voire une morale permettant à cette population laborieuse de surmonter les épreuves en prenant exemple sur les héros et héroïnes de tels ou tels récits. En l’espace d’une représentation, le Bal tamoul avait une fonction libératrice, les rôles et les statuts pouvaient s’inverser : le travailleur engagé devenait seigneur, roi ou divinité. Le Bal tamoul leur servait ainsi de moyen d’expression où ils pouvaient dénoncer, sous forme de tragédie comique, les inégalités auxquelles ils étaient soumis dans cette société coloniale.
La pratique n'a jamais cessé depuis le départ des travailleurs de l'Inde.
Dans Héritage des migrations indiennes et intraculturalité en milieu créolophone. Une étude de la dynamique du théâtre populaire tamoule dans la tradition orale réunionnaise : narlgon, Barldon et maloya, l’historien GOVINDIN Sully Santa écrit : « La performance des engagés sur les entreponts et dans les dépôts au XIXe siècle ou 'danser le bal tamoul' dans les rapports des chirurgiens navigants. () Doressamy Gnanadicéam élève médecin embarqué à bord du Suger où il n’eut à déplorer aucun décès parmi les engagés, précise aussi dans son rapport sur le voyage de Pondichéry à La Réunion en 1865, l’emploi de la journée des émigrants en insistant sur la pratique artistique : « Pendant la majeure partie du jour nous les autorisions à chanter et à danser. Nous excitions leur émulation par des distributions raisonnables d’eau de vie pour les engager à jouer les soirs des comédies, excellent moyen de distraction ».
Le témoignage du médecin Auguste Vinson éclaire tout autant sur l'existence historique de la pratique. Après leur long voyage, les engagés arrivés dans la colonie, sont regroupés au Lazaret de la Grande Chaloupe à Saint-Denis, pour un isolement sanitaire avant leur affectation définitive.
Auguste VINSON (né le 4 août 1819-décédé le 27 août 1903), poète, médecin, membre de l’Académie des Sciences de La Réunion. Le docteur Vinson assiste à un théâtre indien, le Narlégon qu’il décrit comme une comédie-ballet en cinq actes en grande partie mimée, avec chœurs, danses, chants et dialogues ». Ce théâtre est joué par les engagés indiens au Lazaret de la Grande Chaloupe. Il en fait une description dans un article publié en 1882 dans le bulletin de la Société des sciences et arts de La Réunion, p. 60 (voir Annexe 2).
En 1882, lors de l’arrêt définitif de l’immigration anglo-indienne, les Indiens représentaient les 2/3 des immigrants et le quart de la population totale.
Les descendants de ces engagés Indiens ont commencé à se déclarer, après la départementalisation en 1946, en association loi 1901.
Dans les années 1960, certaines de ces associations réunionnaises se tournent alors vers l’île Maurice et font venir des prêtres pour officier dans leur koylou car pour eux, les Indiens de Maurice sont plus proches de la norme indienne que les « Malbar » de La Réunion. Ces associations recherchent un « retour aux sources » et rejettent le terme malbar pour le remplacer par le renouveau tamoul.
Jusqu’aux années 1970, les descendants des migrants indiens donnaient de nombreuses représentations de Bal tamoul sur toute l’île. Les Bals tamouls ont parfois permis l'expression du Maloya qui était, à ce moment de son histoire mal vu par les autorités.
Aujourd’hui, les deux associations culturelles tamoules auprès de qui nous avons principalement mené notre inventaire, continuent de promouvoir la pratique du Bal tamoul en s’organisant en troupe « quasi-professionnelle » et en se produisant aussi bien aux abords des temples ou chez des particuliers ou encore dans des salles des fêtes lors de mariages voire dans les salles de spectacle.
La pratique originelle a connu quelques évolutions :
Vitalité
La pratique du Bal tamoul connaît un léger regain. Nous ne sommes plus dans les années fastes du début, au XIXe siècle jusqu'au deux tiers du XXe siècle. La pratique a perdu en vitalité par la diminution du nombre d'associations, par défaut de transmission et par une baisse d'attractivité. Depuis une dizaine d'années, bien que moins nombreuses, les deux associations assurent une vitalité nouvelle. Création des écoles de transmission et de diffusion par le spectacle et les immersions dans les milieux éducatifs (éducation initiale et populaire).
La création d'ouvrages sur le Bal tamoul s'est également développée. Il y a un intérêt qui s'inscrit dans un processus de patrimonialisation. Les lignes de force se nichent dans la crainte de la perte, dans la nostalgie, dans la fierté et dans la conscience d'un héritage exceptionnel, entre autre. La pratique figure parmi les thèmes d'études.
Menaces et risques
La principale menace réside dans la disparition naturelle des Vartial. Ils vieillissent et non pas toujours des successeurs. L'apprentissage est long et difficile, notamment celui de la langue tamoule. Les jeunes gens se découragent ou sont tout simplement en mouvement pour leurs études (hors de La Réunion pour certains-es) et globalement, ont un mode de vie peu compatible avec la pratique qui demande beaucoup d'investissement, et de patience pour peu de reconnaissance.
Des deux Vartial encore actifs, un seul est âgé d'une quarantaine d'années. Tous les autres ont plus de 70 ans et se fatiguent.
Modes de sauvegarde et de valorisation
Le Bal tamoul a fait l'objet de plusieurs publications dont plusieurs références sont données dans la bibliographie sommaire.
Actions de valorisation à signaler
L'association Obli Pa Nout' Tradisyon Tamoul a récemment changé de nom pour s'appeler Bal Tamoul Sapèl la Mizèr. C'est une façon explicite d'affirmer l'attachement et l'engagement à la sauvegarde de la pratique.
2021 (28 octobre), pour la Journée internationale langues et cultures créoles, l'association Bal tamoul Sapèl la Mizèr a présenté les zanos avec un échange avec le public et a donné une représentation d'une heure de Bal tamoul au sein de l'association Ankraké., à Saint-Pierre.
2021 (18 juillet), lors de ses 40 ans, l’association Tirouvallouvar a organisé une journée d'accueil avec une exposition des instruments et différents accessoires du Bal tamoul. Elle a également donné une représentation (extrait) du Bal Kovilen Kanegui dans ses locaux à Bel air, à Saint-Louis.
2017, à l’occasion du Jour de l’an tamoul, l'association a donné une représentation de quelques actes du « Bal Valli » dans l’auditorium du musée Stella Matutina, à Piton Saint-Leu.
2011, une troupe de l'association Obli Pa Nout Tradisyon Tamoul s'est rendue à Paris pour des représentations dans le cadre du Festival de l’Imaginaire de La Maison des Cultures du Monde (MCM).
L’association Tirouvallouvar s'est produite aux quatre coins de La Réunion, et également à l’île Maurice, au Sri Lanka, en Afrique du Sud et en Guadeloupe afin de faire connaître au plus grand nombre cet art millénaire venue de l’Inde du Sud.
Modes de reconnaissance publique
En 2004, le Conseil régional de La Réunion a initié la création d'un titre honorifique, Zarboutan Nout Kiltir (ZNK), inspiré de la distinction « Trésor national vivant » mise en place au Japon en 1950. Il visait les personnes qui avaient contribué à maintenir des pratiques vivantes par l'exercice de celles-ci et en assurant leur transmission. L'édition 2009 a consacré ZNK deux Vartial, à savoir messieurs Anacary Ringounardin Moneyenne et Alexis Marimoutou pour leur engagement en faveur de la transmission des savoirs et savoir-faire relatifs au Bal tamoul.
Lors des entretiens avec les responsables des deux associations, conscients des enjeux de viabilité, ils ont évoqué des pistes qui favoriseraient la sauvegarde du Bal tamoul dans un contexte en forte mutation :
Kamla Devi APPASAMY épouse VALEAMA
Lucay PERMALNAICK
Dionis SINGAINY
Auguste VALEAMA
Récits liés à la pratique et à la tradition
Dionis Tévanin Singaïny , Vartial de l'association « Bal tamoul sapèl la mizèr, (interview 2020) : «Avan na vé pwin lo mwayin transpor. Kan in sérémoni lé fini, té fé nwar, alor po okip domoun, nou té fé in Bal tamoul. Nou té rakont zistwar bondié, nou té sant, nou té dans. Té in fantézi, in divertisman, konmsa domoun té partisip, té giny rèss la ziska lo landomin matin po kontinié sérémoni».
Auparavant, il n’y avait pas de moyen de transport. Quand la cérémonie était terminée, la nuit, on faisait le Bal tamoul. On racontait les histoires de «bondié», on chantait, dansait. C’était un divertissement pour que les gens qui participaient puissent rester jusqu’au lendemain matin pour poursuivre la cérémonie ».
Auguste VALEAMA, Vartial, association Tirouvallouvar Saint-Louis, (interview 2020) : « Le nardégom veut dire théâtre dansant ce n’est pas un Bal. Ces livres sont apportés à l’époque des engagés. J’ai joué deux fois Harichandra nardégom à la salle ici (à l’étang du Gol), mais à 3h du matin, on est obligé d’arrêter, on ne finit pas, car il n’y a plus personne. Alors il faudrait faire plus des extraits qui durerait un peu plus d’une heure de temps. »
Auguste Valéamea, dans Mémoire d’un Vartial, éditions Epica, 2016, p. 19 : « Le nardegom, aussi appelé bal tamoul, est une pièce de théâtre dansant qui retrace la vie des personnages du Mahabharata : rois, reines, sages et divinités. Celui qui organise l’enseignement et met en scène la pièce avec ses élèves est le Vartial. Une pièce qui s’est jouée souvent toute une nuit peut regrouper cinquante acteurs ou assistants. Il y a ceux qui chantent, qui dansent ou qui jouent des instruments de musique. Puis il y a ceux qui s’occupent des costumes ou du maquillage. »
Jean Régis Ramasamy-Nadarassin, dans Nalgon, le bal tamoul à La Réunion, Editions Azalées, 2009 : « Le Bal tamoul est une expression théâtrale populaire issue du Tamilnadu. Il s’est perpétué à l’île de La Réunion depuis l’arrivée des engagés indiens à la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours… »
Article de presse Clicanoo, 30 mai 2011 : « des costumes colorés, des sonorités venues de l’Inde, des paroles en tamoul et en créole réunionnais : voilà les ingrédients du Bal tamoul (le narlgon) proposé par l’association « Obli pas nout tradiyson tamoul. »
Florenca Callandre, dans Koylou, représentation divine et architecture sacré de l’hindouisme réunionnais, Saint-André, Océan Edition, 1990-1998, p. 155 : « Le Bal tamoul (narlgon = narlégon = nâdegam) est un genre de théâtre religieux dont le répertoire est issu le plus souvent des épopées indiennes (Mahabharata, Vaninsasron, Zitoir Aldunon, Ramayana) mais également des livres tels que le Desingoulardya.
Christian BARAT, dans Nargoulan, culture et rites malbar à La Réunion. Editions du Tramail, recherches universitaires Réunionnaises, p. 432 : « Le théâtre religieux le Bal tamoul (narlgon, narlégon) est une représentation théâtrale religieuse émaillée de scènes chantées et mimées de la vie quotidienne. En général, la représentation se fait au Koylou toute une nuit du coucher au lever du soleil, à l’occasion de la célébration de la fête d’une divinité. » … « Le temple était le seul endroit où les engagés se retrouvaient vraiment. Pour une cérémonie dans une ville donnée, ils arrivaient de partout. Ainsi, s’est établie la tradition du repas communautaire. Les invités ne repartaient que le lendemain », nous raconte un prêtre. Aussi, comme il n’y avait pas assez de place pour les coucher tous, les représentations théâtrales permettaient de les faire veiller la nuit. Ces représentations ont pris le nom de « Bal tamoul ».
Inventaires réalisés liés à la pratique
Cet inventaire est le premier. Il fait suite à la formation à la méthodologie de l'inventaire du patrimoine immatériel réalisée par le service régional de l'inventaire avant la période covid-19 (en 2019).
Bibliographie sommaire
BARAT Christian, Nargoulan, Culture et rites malbar à La Réunion, Saint-Denis de La Réunion, Editions Tramail, 1989
BARAT Christian et CALLANDRE Florence, Koloss, le koyil pandialée de Champ-Borne, Sainr-André, Océans Editions, 2009
BENOIST J., DESROCHES M., L'ÉTANG G. et PONAMAN G.F., Pratiques indiennes, pratiques hindoues : espace religieux, identité culturelle et esthétique à la Martinique et à la Guadeloupe, Rapport au ministère de la Culture (Direction du Patrimoine, Mission du Patrimoine ethnologique), Aix-en-Provence, 2001
BENOIST Jean, « Religion hindoue et dynamique de la société réunionnaise » - Annuaire des Pays de l’océan Indien, Vol 6, 1980, p.127-165.
CALLANDRE Florence, Koylou, représentation divine et architecturale sacrée de l’hindouisme réunionnais, Saint-Denis de La Réunion, Université de La Réunion, 1998
CAMALON Serge, La Réunion, Narlgon-narlégon-nardégon, Bal malbar, bal tamoul à l’île de La Réunion ou Le théâtre en exil, mémoire : Anthropologie : Université de La Réunion, 2017
GERBEAU Hubert, Des minorités mal connues : esclaves indiens et malais des Mascareignes au XIXe siècle, Aix-en-Provence, IHPOM, 1978
GOVINDIN Sully Santa, Les Engagés Indiens. Ile de La Réunion XIXème siècle, Saint-Denis de La Réunion, Azalée Editions, 1994
GOVINDIN Sully Santa, « Ruptures dans l’hindouisme réunionnais de 1828 à nos jours Ou la créolisation d’un sacré », Revue historique de l’océan Indien, n°13, 2016, p.118-131
LACPATIA Firmin, Les Indiens de La Réunion, volume III : la vie religieuse : histoire, Saint-Denis de La Réunion, ADER, 1990
LALLEMENT Marie-Georgette, Les rites et leur signification dans la communauté tamoule à La Réunion, CNDP, 1983
Le COURT A., « Fêtes indiennes », dans Antoine Roussin, Album de La Réunion, Saint-Denis de la Réunion, volume 2, 1880, p. 69-77
MARIMOUTOU Jean-Claude Carpanin, Le bal tamoul : du Kuttu dravidien au Narlgon réunionnais, 2010, https://mondesfrancophones.com/mondes-indianoceaniques/le-bal-tamoul-du-kuttu-dravidien-au-narlgon-reunionnais/
MARIMOUTOU Jean-Claude Carpanin, Narlgon la lang, Marseille, Editions K'A, 2002
MARIMOUTOU Michèle, Immigrants indiens, engagement et habitations sucrières : la Réunion, 1860-1882, Saint-Denis de La Réunion, Université populaire, 1986
PRUDHOMME Claude, « Le catholicisme à l’île de La Réunion. Reproduction d’un modèle ou inculturation ? », Revue d'histoire de l'Église de France, n°180, 1982. p. 69-97
PRUDHOMME Claude, « L’immigration indienne à La Réunion un modèle d’assimilation réussie », Omaly sy Anio, Revues d'études historiques, n°21-22, 1985, p. 361-378.
RAMSAMY Jean-Régis, Les travailleurs indiens sous contrat à La Réunion (1848 – 1948) : entre le retour programmé et le début des intégrations, thèse : histoire contemporaine : Université de La Réunion, 2012
RAMSAMY Jean-Régis, Nalgon-Le bal tamoul à La Réunion, Sainte-Marie, 2005
VALEAMA Auguste, Mémoire d’un Vartial de La Réunion, Saint-André, éditions Epica, 2016
VINSON Auguste, « Un spectacle au Lazaret, théâtre indien, Narlégon », Bulletin de la Société des Sciences et Arts de l’Ile de la Réunion, 1882, p. 60-70
Filmographie sommaire
Sur la route des engagés Indiens, réalisé par William Cally, Kapali studios, 2019, 51 mn
Support filmographique : deux Dvd réalisés par l’association Tirouvallouvar : extrait de nardégom (Bal tamoul), 10 juillet 2011 et Bal tamoul Harichandra
Ramayana, dvd produit par BABA LATCHIMY
Sitographie sommaire
Des vidéos
« Musée Stella Matutina, extraits du Bal tamoul Valli », Atelier pédagogique du 27 avril 2017, postée par Association Canne d'eau Réunion, 19 déc. 2018, 6 min. : https://www.youtube.com/watch?v=nrVSnQ8GCkY
« Histoire d’Harishandra Nadrom (Alisèndé), Guadeloupe H. Piddar », postée par Jonathan Soubarapa, 10 janv. 2018, 11 min. : https://www.youtube.com/watch?v=DoUGBNvMcng
« Nadrom (cérémonie indienne) hommage à deux pionniers (Martinique), Rose et Pierre Ramassamy », reportage de Daniel Bétis, publié le 28 octobre 2018, 5 min. : https://youtu.be/N25kOOrlcew
Marie Julienne FELICITE. Chargée de collections, RMR, Musée Stella Matutina, Saint-Leu- Ile de La Réunion
julienne.felicite@museesreunion.re
Eric ALENDROIT. Chargé de mission Inventaires et patrimoine immatériel au service régional de l’inventaire (SRI) de la Région Réunion, formation à la méthodologie de l'inventaire du PCI, coordination du projet d'inventaire et relecture de la fiche.
Ile de La Réunion, novembre 2020 à décembre 2021. L'inventaire découle de la session de formation de juillet 2019. La mise en route a été contrariée par les contraintes relatives à la crise sanitaire au coronavirus.
Date de remise de la fiche
Septembre 2021
Année d’inclusion à l’inventaire
2022
N° Ministère de la Culture
2022_67717_INV_PCI_FRANCE_00518
Identifiant ARKH
<uri>ark:/67717/nvhdhrrvswvksw7</uri>
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Narlgon
Bal tamoul : représentation de théâtre religieux faite en générale la nuit dans un temple tamoul et dont le répertoire est issu des grandes épopées indiennes, telles le Mahabharata et le Ramayana.
Barldon : terme créole d’origine indienne désignant le Mahabharata. Un poème de 200000 vers, écrit par Ganesh sous la dictée d’un sage, Vyasa. Le Mahabharata est une encyclopédie de la culture indienne organisée autour d’une guerre entre les Pandavas et les Kauravas, guerre qui aurait opposé des clans indo-ramiens, entre 1400 et 800 ans avant J-C.
Barldon poussari : officiant.
Bitasion : champs, exploitations agricoles.
Choka : plante de la famille des agavacées, introduite sur l’île de La Réunion au début du XIXe s. pour la production de fibres et faire des cordages. Sa grande hampe florale servait à la confection de charpente de paillotes.
Coïlou (koïlou, koylou, coëlou, cœlou, koïl, kovil, koyil) [koelu] n. m. Émerg. Il Lieu de culte de la religion hindouiste.
Dipavali : fête de la lumière célébrant la victoire de Rama sur le démon Ravana selon l’épopée du Ramayana. À La Réunion, le dipavali est l’occasion de célébrer Latchimi déesse de la lumière et de la prospérité au mois de novembre. Les tamouls réunionnais, habillés en costume traditionnel se déplacent avec des bougies en procession nocturne et allument chez eux des petites lampes en terre cuite.
Engagé : travailleur sous contrat au XIXe siècle à l’île de La Réunion originaire du sud de l’Inde, de Madagascar, d'Afrique, de l'Archipel des Comores, de Rodrigues, de Chine pour l'essentiel
Engagisme : L’Engagisme consiste à recruter pour des périodes de 5 ans des travailleurs étrangers à la colonie. L’Engagé est alors au service d’un Engagiste. Pour La Réunion, le principal et le plus important foyer de recrutement sera l’Inde, alors sous colonisation anglaise. Plusieurs lois cadrent ainsi les droits et devoirs des Engagés et dans une moindre mesure de leurs Engagistes. Chaque engagé est doté par le service de l’immigration, mis en place dans la seconde moitié du XIXe siècle, d’un livret d’engagé qui permet de justifier de sa situation, de la légalité de sa présence dans la colonie. Un élément important de ce cadre légal est la liberté religieuse. L’Engagé a le droit de pratiquer sa religion d’origine.
Ganesh ou Vinaryegel (Ganès, Ganabadi, Ganapati, Gadémouga, Ganénardènn, Poulèrl, Pouléya, Vikinespèl, Asivetarnel, Vinayaka), reconnaissable à sa tête d’éléphant, est le fils de Siva et Parvati. Réputé pour vaincre les obstacles, il est vénéré au début de toute entreprise.
Hanuman : Fils de Pavana, le dieu du vent, et de la déesse Anjanâ, il a l'apparence d'un singe et plus précisément d'un langur à face noire (Semnopithecus entellus). Il est décrit comme assez fort pour soulever des montagnes, tuer des démons et rivaliser de vitesse avec Garuda, l'oiseau véhicule de Vishnu.
Jour de l’an tamoul : appelé également Puthandu, est le jour où le dieu Brahma commença la création de l’univers et où Vishnou s’est réincarné en Matsaya, le poisson. Célébré le 14 avril, c’est l’occasion pour les Réunionnais-es de confession tamoule de remercier les divinités en se rendant au temple après un bain purificateur.
Kali : divinité féminine à laquelle sont offerts des sacrifices d’animaux.
Karmon : mise en scène de l’histoire de Malmadin brûlé par le regard du père de Laadi.
Kolvil, koïl : terme tamoul dont dérive le terme créole koylou : temple hindou.
Malbar : terme créole dérivé de Malabar (côte montagneuse) donné aux immigrés indiens de La Réunion depuis le début de son peuplement.
Pour une explication documentée, nous nous référons à la thèse de Stéphanie Folio-Paravéman Créolisation et usages du tambour malbar dans l'espace social réunionnais : Ethnomusicologie d'une pratique symbolique en perpétuel réajustement, 2020, p. 215 : « Malabar » est un nom générique utilisé à Bourbon à l’époque de l’esclavage pour désigner les esclaves indiens qui provenaient, en fait, de la côte du Coromandel (Sud-Est de l’Inde). Quand bien même les engagés indiens du XIXe siècle ne venaient-ils pas tous de la côte de Malabar (Sud-Ouest de l’Inde), ils ont été appelés « Malabars » non seulement en comparaison aux Indiens du Nord recrutés à la même période dont ils se différenciaient, mais également parce que leur phénotype se rapprochait de celui des Malabars venus avant eux sur l’île et auxquels la population locale les associait (cf. chap. 1). Dans sa thèse, Christian Barat (1980) explique que « dès le XVIIIe siècle, les Français utilisaient déjà le terme “Malabar” pour qualifier les Tamouls, car en 1782, SONNERAT écrit : “Les habitants de la côte de Coromandel sont appelés Tamouls ; les Européens les nomment improprement Malabars”. […] 1817 : “Aux Îles de France et de Bourbon, on appelle généralement Malabares tous les Indiens de quelque partie de l’Inde qu’ils soient”. Sur les rares documents d’archives qui ont pu être conservés, les engagés indiens sont simplement dits “Malabar” ou “Talinga” ou “Bengali” ou “Calcutta”. Pour les officiers de l’immigration, le terme “Malabar” s’applique par excellence aux Tamouls originaires de la province de Madras. Il est même vraisemblable qu’un certain nombre de Télougous et de “Calcutta” ont été, par inadvertance, rangés dans cette catégorie (celle de Malabar) ».
Mangarlon : -expression qui marque la fin du Bal tamoul.
Marche sur le Feu : cérémonie religieuse hindoue, originaire de la région du Tamil Nadu, retraçant l'histoire de la déesse Draupadî (Dolvédé à la Réunion), aussi appelée Pandjalî (Pandialé), qui n'a pas hésité à braver les flammes pour prouver sa fidélité. Cette fête est un héritage de la version tamoule du Mahabharata, grand poème épique et livre sacré en Inde. Elle consiste à marcher pieds nus sur des braises incandescentes. La marche est toujours précédée d'une période préparatoire de carême, de prières et de sacrifices, qui dure 18 jours à La Réunion.
Matalon ou matalom : mot créole, vient du tamoul mattalam : petit tambour à deux peaux muni d’une lanière que l’on utilise dans les narlégon, les bals tamouls.
Narlgon : théâtre dansé et chanté originaire du sud de l’Inde et créolisé par les engagés indiens. Longtemps pratiqué à l’occasion des cérémonies religieuses, il se joue aussi lors des mariages ou événements festifs. Le répertoire est emprunté aux grands mythes de l’hindouisme.
Padel : padeyal, offrandes déposées sur des morceaux de feuilles de bananier et offerte aux divinités ou aux âmes des ancêtres.
Pongol : fête des moissons, du terme tamoul Ponkal, grande fête religieuse qui véhiculent un message destiné au grand public, et son enseignement privilégie le sanscrit classique des commentateurs et des chants dévotionnels. Affiliées aux ordres monastiques orthodoxes, ces institutions spirituelles se situent dans la mouvance du sanathana Dharma …
Pouléal, poulèrl : effigie de Ganesh ou Vinaryègel réalisée avec du curcuma et de la banane pétris ensemble sous la forme d’un petit cône renversé, surmonté de trois brins de telpé symbolisant le Trimurti et posée sur une feuille de bétel.
Pousari : dérive du tamoul poujari (prie avec des fleurs), prêtre officiant.
Ramayana : est l’un des tous premiers poèmes épiques datant du VIe siècle, de 24000 vers racontant en détail la légende de Rama et de son épouse Sita.
Sapèl : terme créole désignant la chapelle, « un lieu de culte ».
Tabisman : établissement sucrier, usine à sucre.
Talon ou tarlom : mot créole, talam, une cymbale qui marque le temps ou la mesure en musique
Tamoul : terme utilisé par extension du fait du plus grand nombre venu du sous-continent indien au XVIIe siècle. En effet parmi les migrants, il y avait des originaires de Calcutta, du Bengale...
Télé : drap qui sert à cacher et présenter les personnages à leur entrée sur scène dans le Bal tamoul.
Terrukuttu : théâtre traditionnel du pays tamoul.
Vartial : celui qui enseigne la langue tamoule ou la danse
Un soir, alors qu’il était en charge de la surveillance de cinq-cents Indiens, au lazaret, le Dr Vinson assiste à une représentation théâtrale qu’il décrit comme « une bonne et vraie comédie en cinq actes ».
V. Auguste, Théâtre indien, Narlégon comédie-ballet en cinq actes, jouée par les engagés indiens à la Grande Chaloupe,
Article publié dans le Bulletin de la Société des Sciences et Arts de l'Ile de la Réunion, année 1882, p. 60.
UN SPECTACLE AU LAZARET
« Un jour que j'étais au Lazaret à surveiller un convoi de 500 indiens, on me demanda la permission de jouer une comédie. On pense que je me rendis bien vite à ce désir et l'heure venue, le soir, à la fête projetée.
Le théâtre, dressé en plein air, était éclairé par des lampes suspendues à de longs pieux. Les spectateurs nombreux étaient rangés en demi-cercle : le fond, en face de nous, était réservé aux acteurs.
D'abord ils se firent un peu attendre pour les préparatifs nécessaires. Mais tous les indiens étaient présents, joyeux et pleins de confiance, ce qui me faisait présager un succès.
Enfin, on annonça que la pièce allait commencer. Je vis là quelque chose d'insolite et de bien inventé pour un spectacle en plein air. Afin que la surprise put être ménagée, et que l'étonnement fut complet, chaque personnage venait en scène, caché derrière une draperie tendue en avent et en travers, et tenue par deux comparses.
C'était bien une comédie-ballet, une bonne et vraie comédie en cinq actes, en grande partie mimée, avec chœurs, danses et dialogues. Tous les genres s'y trouvaient.
Un voile tendu s'avança d'abord, tenu par deux indiens. Ils l'enlevèrent subitement et mirent à découvert le plus comique et le plus grotesque personnage qu'on pouvait imaginer. C'était un vieux célibataire, riche, poudré, empanaché, obèse et goutteux. On voyait que, grâce à sa fortune, à son tempérament et à ses goûts, il avait mené une très-joyeuse existence, grand air et grand train. Ce qui est très-facile à faire au Bengale, lorsqu'on possède des lakcs de roupies. Mais comme toute médaille a son revers, ce riche personnage avait nécessairement recueilli, chemin faisant, tous les fruits de ses excès. Au son du tambourin, de la musique et des chants, encore un peu dans l'ivresse des vins et sortant probablement d'un joyeux festin, - le dernier adieu à sa vie de plaisirs, - il voulait entrer en danse. Mais un goutteux qui veut danser est la chose du monde la plus extravagante. Ses pieds étaient empêtrés ; le mouvement lui arrachait des cris ; et, cependant les vieilles habitudes enracinées ont un tel empire jusqu'au déclin de la vie, qu'elles sont partout une lutte de constance avec l'impuissance.
Convaincu à la fin par ses infirmités, qu'il fallait se ranger ; résolu à le faire, - (quoiqu’un peu tard,) – notre goutteux se décide à se marier. C'est une manière de finir comme un autre. Il s'agit du choix d'une épouse : la chose est assez importante pour qu'on s'y arrête. Un agent matrimonial, (il paraît qu'il y en a partout), mais celui-ci fort intelligent et spirituel, quoiqu'un peu charlatan, se présente et fait comprendre à notre homme qu'il a de jolis placements à faire, et qu'il tient plus d'un trésor physique et moral à sa disposition. Le goutteux accepte l'offre et lui dit d'amener la demoiselle en question.
On conduit alors, - toujours par le même procédé, - invisible et cachée d'abord, une toute jeune fille, d'une facture et d'une modestie irréprochables. Le voile est enlevé. C'est une seconde scène de Phryné devant l'Aréopage. À cette vue, tous les instincts du vieux débauché se réveillent. Il prend les poses les plus comiques pour examiner sa nouvelle acquisition : il rit, il pleure de joie, la contemple sous toutes ses faces. L'impassibilité et l'innocence de la jeune recrue, résignée d'avance à son sort, forment un contraste très-heureux dans ce tableau. L'examen auquel se livre le vieux drôle est des plus minutieux. Il la flaire et va jusqu'à la sentir. Ovide avait dit : Femina quoe nikil olet, bene olet.
On voit donc que, pour un expert, la précaution n'était pas inutile. Il se déclare à la fin satisfait. Mais l'adroit agent qui a déjà appris à connaître sa proie, lui dit :
« Si celle-là ne plaît pas, j'en possède une autre plus jolie.»
- Je le veux, voyons ?» lui répond le goutteux.
Et l'autre jeune fille est amenée de la même façon, avec le même cérémonial. Le vieux diable, à cette seconde exhibition, ne se possède plus : il a retrouvé ses jambes ; la goutte en fuite. Il va de l'une à l'autre, en dansant, sautant, riant ; et quand il s'agit de se décider, il déclare qu'il va les prendre toutes les deux.
La loi musulmane est large, et Mahomet n'a fait qu'emprunter à Brahma. Le rideau tombe après ce dernier incident. Ce premier acte renferme déjà à lui seul une pièce complète.
Le deuxième acte s'ouvre par une scène bien différente. Le théâtre est occupé par une brillante apparition. C'est une grande et belle danseuse avec un corsage vert, une jupe courte, écarlate, semée d'étoiles d'or. Elle a des jambes fines. Deux grandes tresses d'un beau noir lui pendent sur les épaules. Elle danse avec une grâce piquante. On dirait une libellule qui voltige au soleil sur la pointe des joncs, au-dessus d'une prairie marécageuse par un beau jour d'été. Elle s'occupe seule de la scène : sa beauté, sa danse la remplissent toute entière. C'est le Esméralda sur la place de Notre-Dame. Mais celle-là plus expérimentée, plus rusée, lance des œillades, des sourires aux spectateurs du premier rang ; elle s'avance vers eux, les provoque et tout à coup fait une fugue inattendue en arrière et va jusqu'à l'autre extrémité de la scène. Tous les artifices de la coquetterie la plus raffinée sont mis en action.
Le pauvre vieux goutteux arrive sans rien voir, triste, rêveur, un peu alourdi par sa double lune de miel. Il promène sous ces vieux sycomores, les ennuis ou peut-être les dégoûts du lendemain.
En se mariant le nouveau converti avait bien promis d'être sage. Que vient-il donc faire en cette galère ? Le spectacle de cette péri qui bondit autour de lui avec son corsage de cantharide et ses ailes frémissantes, le réveille en sursaut.
Il recule de saisissement. Le malheureux ! Il ne s'attendait pas à trouver si près de l'hymen une pareille épreuve, à rencontrer une tentation aussi puissante sur le chemin de la fidélité conjugale. Hélas !
À celui qui n'a fait qu'abandonner Satan de la veille seulement, le retour au diable le lendemain n'est pas difficile. Il se déclare tout d'abord émerveillé à la vue de tant de grâce, de souplesse, de beauté, et les pauvres épouses sont bien vite oubliées.
O corruption ! ô incorrigibilité humaine ! Oui la vieille habitude est devenue une seconde nature. Tu dois donc durer jusqu'à ce que les forces te trahissent complètement et la raison ne suffit pas pour t'arrêter même sur la pente qui précipite à la mort ?
La nouvelle conquête, cette sylphide légère, n'est pas difficile. Elle avait fait des avances à tous les spectateurs. Le vieux débauché tombe tête baissée dans tous les pièges qu'elle lui tend, et le voilà en danse avec elle, comprimant les réminiscences de sa goutte en l'embrassant.
Un évènement inattendu survint. C'est un gueux, un bandit, simulé sans doute, qui, avec sa natte et tous les ustensiles de sa vie nomade, vient rouler à leurs pieds, pendant qu'ils dansent et qu'ils s'ébattent. On s'élance vers lui, on le relève, on le secourt. Il tend son escarcelle en suppliant. L'hypocrite !
Son premier regard, regard très expressif et passionné, est pour la belle dame. C'est un œil en coulisse en suppliant, une bouche en cœur, un sourire d'admiration, d'extase et d'amour. Le vieux n'y voit pas malice ; il ne voit même rien, tant il est aveugle ; et le brigand profite de cette sécurité pour envoyer un baiser et bientôt cent baisers à la belle danseuse. On a bien vite pénétré la ruse de l'amant-voleur et le rôle qu'il va jouer. Peu à peu, il se débarrasse de toutes ses entraves et il se met, lui aussi en danse, à côté de la belle dame, et celle-ci, qui est loin d'être insensible à l'artifice du dernier venu, danse entre les deux amants auxquels elle prodigue indifféremment ses caresses et ses baisers.
Le bandit, l'amoureux-voleur, par toutes ses poses et ses regards, est vraiment d'un comique achevé. Il est difficile de mieux remplir un rôle de dupeur. Le deuxième acte se termine par ce joyeux épisode. Le troisième acte est des plus risibles. C'est le vieux débauché qui arrive perclus, malade, couvert de compresses de bandes. Il en a aux bras, aux jambes, partout.
Cette dernière aventure l'a mis hors de combat, au pied du mur. Il ne s'en relèvera plus. Mais aussi que n'a-t-il été sage et tranquille ? Il vient un temps où, dans l'existence, il faut savoir mettre la mesure des années dans la balance des actions. Ce n'est pas sans raison qu'un sage a dit que, parvenu à un certain âge, chaque excès est une pelletée de terre dont on creuse sa fosse.
Dans sa vie aventureuse, en ne voulant cueillir que des fleurs, le pauvre homme a rencontré beaucoup plus d'épines qu'il n'attendait. Son rival, le brigand, qu'est-il devenu, lui qui a couru les mêmes hasards ?
On est naturellement très inquiet de son sort : son retour sur le théâtre est ardemment désiré par tous les spectateurs, d'autant plus que c'est le personnage dont on s'est épris, dont les yeux suppliants, dont les poses cambrées, la mimique spirituelle et bouffonne ont singulièrement égayé la galerie. Il arrive enfin en poussant des soupirs et en se grattant de toutes ses forces, de la tête aux pieds. Il a été pris auprès son aventure d'une démangeaison infernale, qui prouve que la danseuse n'était ni des plus propres, ni des plus saines.
Dans le quatrième acte survint la fameuse courtisane qui a causé tant de maux à ses amoureux. Mais cette fois, comme la Vénus antique, elle a pris un déguisement. C'est une marchande qui espère sous cette forme nouvelle tenter ses anciennes pratiques. Elle vend toutes choses, et, comme le dirait notre Hugo : Des ceintures de moire aux ondoyants reflets, Des tissus plus légers que des ailes d'abeilles, Des rubans, des colliers, à remplir des corbeilles, Des fleurs à paver un palais. Elle a tout cela. Elle a des plumes et des verroteries, des boîtes et des cassolettes ; des miroirs qui disent aux dames combien elles sont jolies ; des philtres qui apprennent aux amoureux comment il faut se faire aimer. Elle a des parfums qui embaument ; des pastilles et des baguettes qui brûlent en répandant une odeur de santal ; des statuettes coloriées qui représentent des types indiens, hommes et femmes de toutes races et de tous métiers : les porteurs de palanquins suant sous le soleil du Bengale ; le vieil Hindou au nez crochu, à la barbe blanche, maigre, au long cou, dont le galbe ressemble à une tête de pintade. Elle a dans des cages de jolis oiseaux, vivants et alertes, des bengalis mouchetés pour le chant, des cailles féroces pour le combat et les paris. Elle a beau énumérer et étaler toutes ses richesses, les vanter, déployer les grâces de sa personne, et lancer force œillades à ses anciens amants, ses victimes...hélas ! Ils l'ont reconnue : ils se sont échangés, le goutteux et le brigand, des regards d'intelligence non équivoque ; les deux attrapés ne veulent plus rien entendre ; et, après bien des séductions inutiles, la gitana indienne est forcée de battre tristement en retraite. On peut plaire une fois, mais non deux, quand on s'adresse aux mêmes sujets dégoûtés. D'ailleurs, de la part du vieux perclus, ce sont des lamentations de plus en plus aigües ; et du côté de son rival, le brigand, c'est cette grattelle qui n'a fait qu'empirer. Ces deux situations produisent les effets les plus comiques et révèlent un côté moral dans la pièce indienne. Au cinquième acte, qui est le dernier, nous sommes transportés dans une pagode de l'Inde, où la divinité sur un trône est assise et voilée. Des chants religieux se font entendre. On lui adresse des hymnes, des motets, des concerts et des cantiques. La scène est vraiment majestueuse. Les prêtres indiens exercent deux métiers dans leur sacerdoce : ils récitent des prières et vendent des amulettes, des talismans, des remèdes, souvent même des plantes pour guérir des maux rebelles. On ne sera donc pas étonné de voir survenir dans le temple la pauvre perclus pour chercher une cure dans la science divine pour toutes les tribulations de sa vie passée. Mais ici encore une scène burlesque se produit. Le malheureux veut qu'au moment où le vieux richard arrive, deux prêtres sont en présence. Tous deux offrent à la fois leurs services, et la concurrence est poussée à ses dernières limites. Une querelle s'en suit : les deux prêtres s'injurient et vont venir aux mains, dans le temple même ; si bien que le pauvre perclus est obligé d'intervenir pour empêcher qu'ils n'arrivent à ces voies déplorables. Enfin, pour les mettre d'accord, il est forcé de leur dire que le cas est si grave et le succès si désiré, qu'il ne regardera pas au salaire, que tout le monde sera content, et que même le plus des prêtres possibles ne seraient point superflus dans une telle occurrence.
Ceci rappelle involontairement l'incident des médecins de Molière : « Vite, qu'on m'aille quérir des médecins et en quantité. On n'en peut trop avoir dans une pareille aventure ». Si, par ces procédés, la rivalité s'est éteinte en apparence entre les deux prêtres, elle n'en persiste pas moins. Car, en s'adressant à la divinité, ils font assaut de promesses. Le malade est un homme opulent, il fait apporter des mets, des fruits, des offrandes qu'on dépose aux pieds de l'idole.
On espère se la rendre ainsi favorable. Les prêtres, qui se croient tenus à un essai d'exécution, remettent au malade une poudre. A peine est-elle sentie que des éternuements formidables commencent et n'en 135 finissent pas et le pauvre goutteux est mis à une augmentation de supplice. Le brigand, qui ne quitte plus sa proie, arrive, prise la même poudre qui lui offre malicieusement le goutteux, et il est également pris d'éternuements incoercibles.
Enfin la guérison ne survient pas. Le débauché porte indéfiniment la peine de son intempérance. Les dieux n'y peuvent rien. Las deux prêtres, un peu confus de leur insuccès, songent à s'esquiver et s'éclipsent le plus adroitement qu'ils peuvent. Le malade qui ne veut pas en être quitte ainsi se met, comme il pourra, à leur poursuite. Le brigand est resté seul en possession du temple, du théâtre, des mets et des offrandes. Il mange alors résolument autant qu'il peut, et emporte tout le reste.
Cette fine comédie, dans sa facture philosophique, représente les scènes de la vie humaine : un vieux sot qui est dupé ; une jeune intrigante qui l'exploite, et un plus habile qu'eux qui profite de tout, en courant très peu de périls. Ce dernier est vraiment le héros de la pièce : il a bénéficié de l'imbécillité du débauché, de la folie de l'intrigante, de l'impuissance des prêtres.
Il a tout mis à profit, va se retirer : mais avant de prendre congé des spectateurs, il leur demande très poliment la permission, puisqu'il ne reste plus rien à faire et que, comme il le dit lui-même, il a vidé les plats. Il est remarquable que, chez tous les peuples où la littérature est encore à l'état inférieur, dans les pièces comiques, le succès est toujours au plus habile, au plus fin, c’est-à-dire, le prix de l'intelligence et de la ruse, comme dans les sociétés perfectionnées, ce même succès est la récompense de la vertu.
Molière, dans ses deux meilleures comédies, l'a surabondamment prouvé. Malgré les désagréments que subit le Misanthrope ; sa rigide vertu l'emporte. C'est un homme d'honneur dans toute l'acception du mot et l'on est porté à l'imiter. Tartuffe est repoussant par le vice. Elmire brille encore par sa pure vertu. Elle est naïve chez Oronte ; elle est vive et sémillante, spirituelle chez Dorine. Celle-ci en remontre à tout le monde par sa finesse et son bon sens, mais mêlés à une vertu supérieure au milieu d'une franchise qui ne tarit pas. Tartuffe, si fin en apparence pour dissimuler et en imposer, se laisse prendre à un piège grossier avec une facilité de niais. L'audace seule a chez lui un cachet remarquable. Mais l'audace ne sauve que sur les champs de bataille, où elle est la compagne ordinaire de la bravoure. Ailleurs, elle n'est qu'une couverture trouée par un filtre souvent une défaillance extrême. J'étais loin de m'attendre à voir une comédie aussi bien jouée chez un peuple où je ne soupçonnais pas de si remarquables éléments. Elle eut un succès de fou rire. J'appris que leur répertoire était fécond. Prise chez ces peuples, la littérature du théâtre indien pourrait servir de point de comparaison et d'études à nos érudits modernes ».
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