La pêche des poissons d’eau douce des étangs de la Dombes est perpétuée dans l’Ain depuis près de 800 ans par la communauté locale
La pêche des poissons d’eau douce des étangs de la Dombes est perpétuée dans l’Ain depuis près de 800 ans par la communauté locale. Elle s’inscrit dans un cycle de gestion de 1200 étangs, qui accueillent alternativement pêche et culture de céréales, créant ainsi un écosystème exceptionnel
La pêche des poissons d’eau douce des étangs de la Dombes est perpétuée dans l’Ain depuis près de 800 ans par la communauté locale. Elle s’inscrit dans un cycle de gestion de 1200 étangs, qui accueillent alternativement pêche et culture de céréales, créant ainsi un écosystème exceptionnel. Cette coutume séculaire représente une magnifique et rare expression du respect de l’environnement et de la passion pour un territoire, à travers l’entraide et la convivialité qui caractérise ce type de pêche. Aujourd’hui, 1200 tonnes de poissons de qualité sont produites annuellement, dont 60 % de carpes, emblème de ce site remarquable.
Propriétaires d’étangs, professionnels de la pisciculture, associations locales, représentants des collectivités, structures de formation et réseau familial et amical des exploitants constituent une véritable communauté, qui incarne la pratique traditionnelle locale de la « pêche des poissons d’eau douce des étangs de la Dombes ». Les plus représentatifs sont notamment :
Le syndicat des Étangs de la Dombes
La chambre régionale d’agriculture Rhône-Alpes
L’association de promotion des Poissons des Étangs de la Dombes
Les deux lycées agricoles de Cibeins et de Poisy (ISETA)
Le technopôle Alimentec / Altec / Centre de documentation « Ressources des terroirs »
Les acteurs du tourisme (offices de tourisme, Route de la Dombes et Parc des Oiseaux), hébergeurs, restaurateurs
Dombes Qualité
Nom et rôle et/ou fonction des personnes rencontrées :
Les représentants de plusieurs organisations locales ont participé aux entretiens sur place, témoignant avec passion de leur implication et de l’histoire de cette pratique perpétuée depuis le XIIIe siècle.
Exploitants
Éric LIATOUT, pisciculteur, pêcheur, transformateur, propriétaire d’étangs
Éric VIALLON, agriculteur, pisciculteur
Michelle JOSSERAND, agricultrice, piscicultrice, propriétaire d’étangs
M. HELION DE VILLENEUVE, pisciculteur, propriétaire d’étangs
Maurice BODIN, pisciculteur, propriétaire d’étangs
Représentants d’Associations
Marie-Claude MAS, présidente de l’association La Route de la Dombes (SRG)
Jean-Paul MAS, historien de l’association La Route de la Dombes (SRG)
Minou SEVE, vice-président de Dombes Qualité
Nathalie CHUZEVILLE, directrice de l’association de promotion du Poisson de la Dombes
Jean-Philippe GODARD, association Altec
Christian ROCCA, Fédération des Sites remarquables du goût
Lycées agricoles
Manon RIGOLLIER, chargée de mission formation continue du CFPPA de CIBEINS
Syndicats
Jean-Baptiste PHILIPPON, directeur du syndicat mixte du technopôle Alimentec
Laurence BERARD, syndicat mixte du technopôle Alimentec, anthropologue, chargée de recherche au CNRS, responsable de l’antenne de recherche et de documentation du CNRS « Ressources des terroirs - cultures, usages, sociétés » à la technopôle Alimentec
Stéphane MERIEUX, président du syndicat des propriétaires et exploitants d’Étangs de la Dombes
Carole MENDELLI, chargée de mission du syndicat mixte Avenir Dombes Saône
Anne-Sophie DJENAT, directrice de l’office de tourisme Chalaronne Centre
Nathalie KITENGUE, directrice de Dombes Tourisme
Stéphanie THOMASSON, animatrice de Dombes Tourisme, chargée d’accueil
Restaurateurs
Restaurant « L’Écu de France », à Villars-les-Dombes
Restaurant « Le Thou », à Bouligneux
Restaurant « La Tour », à Châtillon-sur-Chalaronne
La pratique de la pêche des poissons d’eau douce des étangs de la Dombes s’étend sur un large plateau entre Bourg-en-Bresse (Ain) et Lyon, en région Rhône-Alpes-Auvergne, à la limite de la Bourgogne et de la Suisse.
La superficie des 1200 étangs dénombrés recouvre un quart de la superficie de la Dombes, soit 11 200 ha sur un territoire de 80 000 ha, dont 22 000 ha d’espaces boisés. Les étangs couvrent 80 communes (cfr. ci-dessous la carte des communes couvertes par les étangs).
Tous les étangs ne sont pas dédiés à la production de poissons ou de céréales. Le Parc des Oiseaux est notamment un parc zoologique situé à Villars-les-Dombes dans la zone des étangs ; il est recensé à l'Inventaire général du patrimoine culturel.
La pêche en Dombes de poissons d’eau douce et en particulier de la carpe est une pratique spécifique et unique en France du fait de l’alternance pêche et agriculture dans les étangs en eau ( évolage : 2 ou 3 ans mais pêché annuellement) ou à sec (assec : mise en culture de céréales). La pêche en étangs est pratiquée non seulement en France (Loire, Brenne et Sologne), où l’assec existe, mais n’est pas cultivé, mais aussi dans les pays d’Europe centrale (République tchèque, Hongrie, Pologne, Slovaquie, Roumanie), où il s’agit d’une pêche industrielle pratiquée dans des étangs de très grandes superficies.
Quelle pratique ?
La pêche des poissons d’eau douce en Dombes est perpétuée depuis près de 1100 ans par la communauté locale. Elle s’inscrit dans un cycle de gestion de 1200 étangs qui accueillent alternativement pêche et culture de céréales, créant ainsi un écosystème exceptionnel. Cette coutume locale représente une magnifique et rare expression du respect de l’environnement et de la passion pour un territoire à travers entraide et convivialité. Aujourd’hui, 1200 tonnes de poissons de qualité sont produites annuellement, dont 60 % de carpes, emblème de ce site remarquable.
Où : le cadre spécifique, géographie, paysages, architectures spécifiques ? Qualité de l'eau ?
Imprimé sur un plateau argileux issu des dépôts glaciaires, ce paysage aux mille étangs a été façonné et aménagé de la main de l’homme par la conception d’un système structuré d’étangs. Unique, le paysage de la Dombes est caractérisé par ses zones humides, par ses espaces naturels et agricoles de grande notoriété, par sa biodiversité et en particulier son peuplement d’oiseaux d’eau avec 277 espèces d’exception, dont 27 protégées. En effet, compte-tenu de sa densité d’étangs, de la richesse de sa faune et de sa flore, 47 500 ha ont été classés en zone Natura 2000.
La diversité des milieux (alternance de prairies, d’étangs, de bosquets, de bois et de culture) et des modes de gestion (valorisation piscicole, cynégétique ou zone naturelle préservée), qui caractérise la Dombes, constitue un véritable écosystème. Perpétué depuis des décennies, les hommes entretiennent les étangs autour d’un système de production respectueux de l’environnement : le réseau d’alimentation des étangs par l’eau de pluie permet le drainage des terres environnantes ; les cultures de l’assec nourrissent la terre qui nourrit les poissons ; les carpes travaillent le sol pour se nourrir de grains de maïs, de crustacé et de plancton : l’évolage enrichit la terre de matières organiques pour les cultures ; évolage et assec permettent l’alimentation des oiseaux et des hommes.
La présence de ces milieux diversifiés liés à l’écosystème dombiste favorise ainsi les pratiques de la pêche, de la chasse et de l’agriculture. Celles-ci se côtoient naturellement grâce à un équilibre tributaire du mode de gestion ancestral des étangs.
De ce sol argileux, est extraite la terre pour la fabrication des briques de construction dans les carronnières, qui constituent l’identité du patrimoine bâti local, églises romanes, châteaux, fermes et demeures de la Dombes construites également en pisé et galets.
Les étangs et le principe d’alimentation en eau
L’alimentation en eau des étangs repose sur la gestion de l’eau pluviale, car ils sont alimentés par l’eau de pluie. Le réseau d’alimentation des étangs en eau se fait grâce à un réseau hydrographique savamment mis en place, façonné et entretenu par l’homme. Il permet aux étangs de bénéficier des eaux d’étangs en amont. Le droit coutumier gère cette spécificité de la Dombes et fait force de loi.
L’exploitation repose spécifiquement sur une pratique alternative de mise en eau et de mise à sec, répondant respectivement à l’élevage de poissons et à la culture de céréales. Il s’agit d’un cycle d’exploitation : l’évolage, période d’élevage du poisson, et l’assec, période de mise en culture de l’étang vidé et laissé sans eau. La mise en culture de l’assec est caractéristique de la Dombes et n’existe nulle part ailleurs. Ce système a permis de développer un milieu naturel riche et diversifié. L’alimentation en eau est fondée sur un système élaboré de fossés qui entourent certains étangs, implantés et reliés entre eux selon une dénivellation. Les étangs, souvent superposés ou disposés en chapelet, communiquent entre eux par des fossés ou rivières de vidange. La pêche est liée à la vidange de l’étang. Elle peut s’effectuer lorsque l’étang est en partie vide, mais contient suffisamment d’eau pour que les poissons restent vivants.
Les structures d’alimentation
Les étangs de la Dombes ne sont pas creusés. Marqués par des mini-vallées marécageuses, les moines ont su tirer parti du relief et ont construit des digues dans les points bas des terres pour retenir les eaux de ruissellement. Les hommes ont aménagé, au fil du temps, des réservoirs pour optimiser le fonctionnement de l’étang, pour rationaliser l’utilisation de l’eau en fonction des besoins et nécessités.
Fossé, bief, prise d’eau, ébie (trop plein), thou permettent de le remplir, de le vider, de gérer l’eau, d’éviter d’en perdre, de prévenir les débordements, de pêcher au besoin et de le mettre en culture, le tout en fonction des autres étangs du réseau.
Le fossé central formant une ligne jusqu’à la pêcherie : le « bief »
Le bief, sorte de dépression, collecte les eaux provenant soit de l’étang lui-même au moment de la vidange, soit directement des pluies, soit du ruissellement des terres qui l’entourent, soit d’un autre étang en amont. L’eau entre dans l’étang par une arrivée d’eau, sorte de porte qui permet, si elle est ouverte, de faire entrer l’eau dans l’étang et, fermée, de bloquer son arrivée. Cet ouvrage peut être nommé « empellement » ou « batardeau ». Au milieu de l’étang, on trouve le bief d’écoulement, prolongement de l’arrivée (ou des différentes arrivées) d’eau et qui aboutit à la pêcherie et au thou, trouvant son prolongement à l’arrière de celui-ci dans le fossé de vidange : cette sorte de fossé permet de faire s’écouler l’eau plus facilement lorsqu’il est vidangé et de la diriger vers un étang inférieur. Lorsque l’étang se vide, le poisson se réfugie alors dans le bief et dans la pêcherie (creux en forme de poire). On tend le filet sur le bief.
Fossés et digues
Les raies pallières facilitent l’écoulement de l’eau en direction du bief. Un fossé de ceinture permet de détourner l’eau durant la période de l’assec ou en surplus, le plus souvent vers un autre étang inférieur. La chaussée est une digue située au point bas de l’étang. Ce barrage construit par l’homme est muni d’un thou.
Une architecture spécifique : le « thou »
Cet ouvrage, autrefois en bois, aujourd'hui en ciment, est un système de vidange qui permet de retenir ou de lâcher l'eau à volonté grâce à la bonde dont il est équipé. Chaque partie du thou est identifiée : l’empellement (ouvrage permettant de barrer ou laisser s’écouler l’eau), la dagne (barre de fer à l’extrémité de laquelle se trouve la bonde), la bonde, la grille (grille en avant du thou permettant de filtrer l’eau).
Fossé devant le thou : la « pêcherie »
Il s’agit de la partie la plus profonde de l’étang, en avant du thou, où est regroupé le poisson le jour de la pêche.
Quand : les étapes dans l'année, dans la journée ?
La pêche en Dombes est pratiquée depuis le XIIIe siècle d’octobre à fin mars, en commençant par les étangs en bas de chaîne. Lorsqu’un étang se vide, un autre se remplit. La famille d’Éric Liatout, exploitant et transformateur, pratique la pêche en Dombes depuis trois générations et possède actuellement 9 étangs.
La pêche s’appuie sur le mode de gestion caractéristique des étangs de la Dombes, selon trois à cinq ans d’évolage, suivi d’un an d’assec, à savoir :
une première année d’évolage et d’empoissonnage, où les alevins sont introduits dans l’étang : l’exploitant choisit différentes espèces de poissons dont des gardons, carpes, tanches, jeunes (10/40 kg à l’ha) et plus âgés (10/40 kg à l’ha) ainsi qu’un rapport de mâles et de femelles, soit 3 mâles pour 2 femelles à l’ha. Au bout d’un an, les poissons sont redistribués dans les étangs selon un planning établi, accompagné d’un questionnaire complété et transmis à l’association de promotion du Poissondes étangs de la Dombes (APPED), afin d’assurer le suivi du cheptel ;
une deuxième année d’évolage pour le grossissement des poissons, permet de plus d’enrichir le sol en matière organique ;
un an d’assec, de culture le plus souvent d’avoine et de maïs dans un sol particulièrement riche ou mené « à blanc », c’est-à-dire sans culture, mais travaillé.
Comment : techniques, savoir-faire, gestes, outils et matériaux ?
La pêche
La pêche est engagée par l’ouverture du thou, qui permet la vidange de l’étang durant 7 à 8 jours ou plus, soit environ 24h à l’hectare. La grille est grattée, nettoyée. Pendant l’écoulement de l’eau, le poisson se réfugie peu à peu dans le chenal central, le bief puis dans la pêcherie en avant du thou.
L’étang est pratiquement vide à la date programmée pour le jour de pêche. L’exploitant sollicite les négociants ou la coopérative, qui apportent le matériel sur place et une équipe de pêcheurs d’environ 15 personnes. Il observe l’étang, ignorant ce que celui-ci contient : des signes indiquent la santé de l’étang ; des trous de carpes dans le sol sont un bon signe ; une eau trouble présage une bonne pêche.
Le matériel est installé. Le camion du négociant transportant des cuves de stockage à oxygène est arrêté sur la digue à l’entrée de l’étang. La table de tri dite
« gruyère », les bassines et la balance sont installées à proximité de l’étang sur la chaussée.
L’équipe se met en place dans l’étang et tend le filet sur le bief. Plusieurs filets sont tirés tour à tour, les filets à grosses mailles pour les carpes, puis celui à moyennes mailles dit le « bâtard », de 12 à 14 mm, et à plus petites mailles, dit la « seillette », de 7 mm, utilisés pour les poissons de différentes tailles.
Le pêcheur « fait guerre », en tirant le filet vers le bas par des boules de plomb, afin que les poissons ne s’échappent pas ; il est ensuite ramené, tiré lentement, soigneusement, avec force, vers la pêcherie par les pêcheurs répartis autour du filet. Celui-ci est enfin refermé et tendu vers le haut par des pieux, dits
« fourchettes », pour empêcher les poissons de sauter par-dessus. Le pêcheur passe l’« arvot », épuisette utilisée pour pêcher dans le filet, et en particulier par la personne la plus expérimentée, qui trie ainsi directement le poisson dans l’eau. Il prend le poisson et le déverse sur la table de tri. Le poisson est trié et transporté dans des bassines à trous pour la pesée. La traditionnelle balance dite « romaine », pendue entre deux piquets, est aujourd’hui remplacée par une balance mécanique homologuée. Le chef d’équipe note le poids, le prix et la nature des poissons emportés par le négociant sur un carnet de pêche-type, utilisé depuis des générations. Selon la tradition, l’acheteur ou le vendeur annonce le prix à haute voix et les deux le notent, signifiant ainsi le changement de propriétaire du poisson.
Une attention particulière est aujourd’hui donnée au bien-être et à la qualité du poisson, en veillant à ce qu’il reste vivant. Le poisson est ensuite déversé dans les cuves du camion vivier oxygéné du négociant, pour y être transporté dans les meilleures conditions.
Au terme de la pêche, chaque participant reçoit quelques poissons pour le travail fourni : carpes, tanches et éventuellement un brochet.
Certains poissons sont remis à l’étang pour alevinage, lorsqu’il s’agit de la première année de pêche. L’étang est ensuite remis en eau et le filet à mailles fines, la « seillette », sera mis en travers du bief pour faire barrage aux poissons enlevés ou triés, selon que l’étang sera mis en évolage ou en assec.
La collecte du poisson
Les poissons pêchés et mis en cuves dans les camions sont ensuite transportés et stockés dans des bassins d’affinage avant d’être transformés, d’autres dans des bassins piscicoles, où ils reçoivent des compléments alimentaires. La carpe peut y rester jusqu’en mai-juin, mais peut être pêchée selon les besoins. 50 % des poissons partent à la consommation et 50 % à la transformation.
L’assec
L’année d’assec, l’étang est entièrement vidé. Le bief et la pêcherie sont refaits. Il est mis à sécher pour transformer la boue en terre. Les plantations commencent au printemps ; l’avoine est semée en mars, puis moissonnée en juillet. Le maïs est semé en avril-mai, puis ramassé en septembre. Ces deux activités, vérification des ouvrages et agriculture, permettent d’entretenir, de remodeler, d’assainir et d’enrichir l’étang.
Qui : les différents acteurs et métiers du savoir-faire, compétences ? Des étangs à la pêche à la transformation à la distribution
Les propriétaires et exploitants des étangs
Le système d’exploitation des étangs est aujourd’hui complexe, car les régisseurs de propriété ayant disparu, différents statuts se superposent. Le propriétaire-pisciculteur a en charge le suivi de la production de l’étang et l’entretien, afin de le favoriser et de préserver les ouvrages d’art.
L’exploitation des étangs revêt ainsi plusieurs formes selon l’activité principale des 650 propriétaires des Dombes, dont la plupart sont des citadins, et notamment :
le propriétaire-exploitant est souvent un pisciculteur (85 %)
le propriétaire, qui emploie un salarié pisciculteur
le propriétaire, qui confie ses étangs en fermage à un agriculteur (15 %)
Les pêcheurs : des femmes et des hommes
L’équipe de pêche est dirigée par l’exploitant. Les pêcheurs ont l’habitude de travailler ensemble chacun à leur place. Le plus expérimenté pêche directement dans le filet les carpes et écrème le poisson avec l’arvot. La plupart des pêcheurs se rendent successivement disponibles de pêche en pêche au titre de l’entraide agricole.
Le jour de pêche est un jour de fête (casse-croûte de midi, repas chauds d’après pêche, à la ferme).
Les femmes sont très présentes les jours de pêche en Dombes, selon Michelle Josserand, exploitante perpétuant la tradition familiale avec ses trois filles, qui participent toutes à la pêche, moment de convivialité familiale et amicale. Elles trient le poisson, notent les informations de la pesée et les poissons gardés pour leur propre consommation ou remis à l’étang. Elles récupèrent les carpes tôt le matin, pour cuisiner celles du repas de midi. De la carpe farcie au bavarois, les femmes ont amplement participé à l’évolution de la qualité gustative de ce poisson.
L’écloseur
Deux écloseurs en Dombes pratiquent l’éclosion des poissons afin de fournir les exploitants d’étangs en alevins.
Le collecteur
Il collecte le poisson à la sortie de l’étang et le stocke avant de le vendre à un transformateur, à une société de pêche de loisir ou à l’exportation. Il fournit également le propriétaire en alevins de 2 ans pour ré-empoissonner les étangs.
Le transformateur
Quatre transformateurs locaux proposent du poisson de Dombes en détail ou en gros volume. Les poissons avant d’être vendus sont transformés à l’atelier :
mis en caisse, entiers pour la vente,
découpés en filets, darnes ou lanières (30 % de chair de la carpe) et parés (peaux enlevées et arêtes découpées), puis plongés dans la glace,
grattés (écailles enlevées pour une partie des poissons),
mis en caisse pour la vente,
vendus sous forme de filets frais en restauration ou dans des entreprises locales, en Alsace ou dans le Sundgau (route de la Carpe frite), en Allemagne et en Angleterre.
Le transformateur assure la transformation du poisson pour la consommation : poisson entier préparé, découpe de darnes, filets et goujonnettes, réalisation de rillettes, mousses, soupes, fumés ou autres préparations adaptées à consommation plus actuelle et en particulier les cantines scolaires. Un nouveau mode de transformation reprenant des techniques ancestrales est le tannage de cuir de carpe pour la création d’objets en cuir de carpe de Dombes
Le distributeur
Grande surface, épicerie fine ou magasin fermier, le distributeur assure la vente des produits finis aux consommateurs.
Le restaurateur
Par sa cuisine, le restaurateur révèle le poisson de Dombes avec des recettes des plus traditionnelles aux plus inattendues.
Les produits : poissons d'eau douce, lesquels ? Spécificité : goût, qualité de la chair, types de conservation, de préparation
Les étangs de la Dombes abritent de nombreuses espèces de poissons, mais le plus répandu est la carpe. Tous les poissons ont été introduits par l’homme, certains sont omnivores, comme la carpe, ou carnivores, comme le brochet, et d’autres sont indésirables ou nuisibles, comme le poisson-chat ou le perche soleil.
Les autres poissons vivants dans les étangs sont le brochet, la tanche, le sandre, la perche commune ou les poissons blancs... Les sandres à chair épaisse sont très demandés.
La carpe représente environ 65 % de la production des étangs pour une production totale de 1200 tonnes de poissons par an. Une carpe n’est pêchée qu’à 2 ou 3 ans, lorsqu’elle atteint 1,5 kg, lorsque sa qualité gustative est la meilleure. Ce poisson emblème des étangs de la Dombes possède des qualités nutritionnelles avérées. La carpe est l’un des poissons les plus faibles en matières grasses (2,5 % de lipides) après le cabillaud ; elle est riche en vitamines D et B12. Caractéristique de l’alimentation locale, la carpe était consommée traditionnellement les jours de jeûne. Chaque ferme avait une mare où les carpes étaient stockées. Son goût peu marqué la différencie des autres poissons, comme le brochet, au goût plus prononcé, consommé les jours de fête. Le plat traditionnel local des jours de pêche reste la carpe farcie. Le marché de la carpe est plus important en Alsace ou en Allemagne que sur le territoire de la Dombes, car elle représente une tradition séculaire des communautés juives de ces territoires autour d’une grande recette traditionnelle, la « carpe à la juive ».
La pratique de la pêche en étangs est une tradition familiale, transmise lors des pêches en famille et entre amis. Un des éléments-clé de transmission du savoir de la pêche est le carnet de pêche, qui accompagne les générations d’exploitants. Tout y est inscrit : quantité, poids et nature des poissons par étang. La pêche en étangs n’était pas un métier, même si certains propriétaires louaient leurs terres à des fermiers : elle s’effectuait selon la coutume de l’entraide agricole. Les pêcheurs étaient rémunérés en poissons.
La superficie d’étangs diminue d’année en année, ainsi que la pratique de la pêche, en voie de patrimonialisation. Celle-ci est en effet peu connue des nouveaux résidants de la Dombes.
Dans un souci de sauvegarde du milieu de l’étang et de la pratique, des actions de sensibilisation et de formation ont été mises en place à l’école primaire et dans les lycées agricoles, en lien avec l’ADAPRA (association pour le développement de l’aquaculture et de la pêche professionnelle en Rhône-Alpes), qui mène des actions pour le développement et le suivi d’un réseau de compétences techniques sur l’aquaculture.
Les enfants et les enseignants des écoles sont sensibilisés au patrimoine, au milieu des étangs et à la pêche des poissons d’eau douce, grâce au site internet interactif mis en place par ALTEC.
Le lycée agricole de Cibeins propose deux formations, une formation initiale, donnant lieu à un BTS agricole Aquaculture, et une formation professionnelle, un certificat de spécialisation Tourisme vert, Accueil et Animation en milieu rural, afin de donner les moyens de transmettre la culture locale autour de l’étang, à savoir la pisciculture, l’architecture et le patrimoine.
Le lycée agricole de Poisy propose une formation piscicole donnant lieu à un BTS aquacole.
Le premier témoignage indiscutable de la présence des étangs en Dombes date du XIIIe siècle : en 1230, selon Guigue (1908), la charte de fondation de la Chartreuse de Poleteins fait état d’un étang donné par Marguerite de Beaujeu qui l’avait fait construire. De nombreux actes de la seconde moitié du XIIIe siècle mentionnent leur construction. Le poisson était alors un aliment précieux, autorisé les jours maigres, c’est-à-dire les jours où la viande était interdite par l’Église : quarante jours du Carême, mercredi, vendredi et samedi jusqu’au XVIe siècle, en nombre important durant les siècles suivants encore. Malgré le peu de main-d’œuvre, mais avec la nécessité d’exploiter les terres, les moines chartreux, bénédictins, cisterciens et les nobles créent les premiers étangs et leur système en chaînes, chaqu Te étang étant relié à un étang en amont et en aval par une « rivière ».
Les étangs vont très vite se développer et, au XVe siècle, sont considérés « d’intérêt public ». Les seigneurs, très présents dans la région, ont fait fructifier leurs biens en incluant les étangs et en les faisant travailler par des métayers et des fermiers en période d’assec (étang vidé et asséché). L’étang est une source importante de revenus. La carpe est d’un élevage aisé et très résistante. Les voituriers l’acheminent dans des « tonnettes » remplies d’eau, les poissonniers la transvasent dans des « bateaux-viviers, dits bachuts, sur la Saône » pour le stockage. L’élevage de la carpe est prépondérant.
La possession d’un point bas suffit à construire un étang, en inondant au besoin les terres voisines. De ce droit d’inondation découle la dissociation de la propriété de la terre et de l’eau. Accompagnant ce système d’exploitation complexe, droits et usages s’instaurent, identifiant les droits et les devoirs respectifs des nombreux propriétaires et usagers de l’eau et du sol. Texte de référence, la coutume de Villars, écrite en 1524, définit le fonctionnement de l’étang : deux années d’évolage et une année d’assec. Elle fixe les droits et les devoirs de chaque propriétaire d’étang. Les Coutumes et usages des étangs de la Dombes et de la Bresse, de Truchelut, parus en 1881 et en 1904, sont encore l'ouvrage de référence en cas de désaccord entre propriétaires.
On dénombre au XVIIIe siècle environ 20 000 ha d’étangs, mais la Révolution amorce le déclin de la pisciculture en Dombes. Les étangs sont considérés comme bien noble, donc traités comme les grandes propriétés. Ils sont transformés en marais, qui entraînent l’apparition de malnutrition et de maladies comme le paludisme. Leur présence est mise en cause pour insalubrité. L’arrivée du chemin de fer influence la nécessité d’assécher les étangs, qui sont remis en eau au début du XXe siècle, recherchés par les industriels parisiens ou les soyeux lyonnais, qui relancent l’exploitation et la pêche en étangs.
Au début du XXIe siècle, on dénombre 1100 étangs sur 11 200 ha. Tous n’ont pas retrouvé une vocation de production de poissons : certains ne sont valorisés que pour la chasse, comme étangs de loisirs ou sont à l’abandon.
Selon Maurice Bodin, propriétaire-exploitant, sa famille a participé à l’assèchement en 1860 puis a obtenu en 1910 les droits d’eau, d’assec, de brouillage, de champeillage et de rouissage (transformation du lin). L’étang n’est pas une source de revenus suffisante, car le prix du poisson est très faible (chiffre d’affaire de 150 à 250 €/ha). La richesse des étangs tient à la biodiversité de sa faune et de sa flore. Leur prix de vente est de surcroît élevé, soit 12 500 à 20 000 € /ha.
Il se soucie des risques d’altération des étangs à cause de la pollution due à l’urbanisation, l’agriculture céréalière intensive et la prolifération des herbes invasives dans les étangs et la présence d’espèces nuisibles telles que les cormorans. Les problèmes juridiques sont complexes : le Code civil ne s’applique pas et les tribunaux se réfèrent au droit coutumier.
La pisciculture est une activité dombiste traditionnelle, les premiers plans d’eau d’empoissonnement et de pêche remontant au Moyen Âge. Cependant, depuis plusieurs années, on observe un découragement des propriétaires à pratiquer une activité piscicole sur leurs étangs, du fait de la pression accrue des oiseaux piscivores (cormoran, héron, aigrette), de l’augmentation des coûts de productions, du faible prix de vente de la carpe et de la disparition des gardes et régisseurs particuliers.
Parallèlement, les étangs de plus en plus menacés, en particulier par l’urbanisation et la pollution des cours d’eau. Aux portes de l’agglomération lyonnaise, la Dombes est soumise à de fortes pressions foncières. Le risque de réduction des surfaces agricoles et des zones naturelles au profit de l’habitat individuel est important et préoccupant.
Zone de plaine au climat tempéré, la Dombes est aussi un lieu de choix pour de nombreuses espèces animales et végétales envahissantes. Ces espèces se développent et portent atteinte à la biodiversité et aux activités économiques du territoire (jussie et renouée, pour les plantes ; ragondin, rat musqué et écrevisse américaine, pour les animaux).
Dans ce cadre, les acteurs économiques locaux se mobilisent pour relancer la filière, protéger et préserver l’environnement unique des étangs. Le projet de création d’une marque collective a pour objectif de dynamiser une filière qui montre des difficultés à se structurer. Des programmes sont financés par le Conseil départemental et les collectivités ; le « contrat de développement durable Rhône-Alpes » finance entre autres des postes de technicien piscicole, porté par 5 intercommunalités ; « La Grande Dombes », le contrat de destination touristique autour du site Dombes Saône, pour faire connaître ce territoire d’exception.
Les acteurs de la valorisation du territoire et du tourisme (associations de valorisation du territoire et du patrimoine, acteurs du tourisme et syndicats professionnels), de plus en plus présents, ont un rôle déterminant pour le maintien et l’évolution des pratiques liées aux étangs.
L’association La Route de la Dombes
Elle est chargée d’assurer l’accueil touristique et la promotion de la pêche des poissons d’eau douce des étangs de la Dombes au titre du réseau « Sites remarquables du goût ».
L’association ALTEC
Elle a conçu un outil de sensibilisation destinée aux scolaires et enseignants du territoire de la Dombes.
Le syndicat mixte du technopôle Alimentec
Il fait des recherches sur de nouveaux modes de consommation des poissons des Dombes. Alimentec accueille l’antenne CNRS « Ressources des terroirs/Cultures, usages, sociétés », centre de documentation spécialisé dans le domaine des produits de terroir ou d’origine, les productions agricoles et alimentaires locales et traditionnelles, leur histoire, les usages, les savoirs et pratiques associés, leur valorisation, en particulier à travers la protection de l’origine géographique. Alimentec accueille également ALTEC, centre de culture scientifique technique et industriel (CCSTI), qui intervient à l’échelle du territoire de l’Ain, afin de promouvoir les connaissances scientifiques et techniques. Altec a réalisé une exposition virtuelle à destination des écoles primaires (www.ecoles- etangs-dombes.fr).
L’association Dombes Qualité
Elle a pour objectif de fédérer des agriculteurs souhaitant commercialiser des produits de qualité.
L’office de tourisme Dombes Tourisme
Situé à Villars-les-Dombes, il regroupe 13 communes et organise de nombreuses sorties touristiques individuelles ou collectives sur le territoire de la Dombes et des pêches d’étang pour amateurs
L’association de mise en valeur du patrimoine de la Dombes
Elle a créé un musée virtuel de la Dombes (http://www.museedeladombes.fr/ ).
L’Académie de la Dombes
Elle œuvre grâce à sa bibliothèque, ses archives et ses membres érudits, à la connaissance et à la promotion de la Dombes et édite la revue Dombes.
Le syndicat des étangs de la Dombes
Il a été créé à Villars-les-Dombes en 1918. Son but est de défendre les intérêts de ses adhérents (propriétaires et exploitants d’étangs de la Dombes) et d’étudier toutes questions relatives aux étangs, notamment techniques, liées aux nuisances et aux prédateurs (limiter la prolifération de certaines plantes et espèces indésirables, comme la jussie, les ragondins et les cormorans), à l’empoissonnage ou à la qualité de l’eau, et juridiques, liées aux baux ruraux, les fossés étant sur des parties communes.
La création de marque, label, mesure de sauvegarde
L’association de promotion du poisson de la Dombes (APPED)
Elle assure la coordination des acteurs de la filière piscicole et la relance de la filière soutenue par le Conseil départemental de l’Ain, avec le souci que son développement préserve la biodiversité et l’environnement par la création de la marque « Poissons de Dombes », sur la base d’un cahier des charges contraignant vis-à-vis des exploitants (respect de la qualité des poissons et de l’écosystème).
La zone des étangs est inscrite dans le site du réseau Natura 2000, mais non appliquée.
Le Parc des oiseaux est inscrit à l’Inventaire général du patrimoine culturel.
La création d’un Parc naturel régional est en cours de négociation.
Sources, bibliographie
Publications
Ethnologie et écologie d’un système agro-piscicole : les étangs de la Dombes, par L. Bérard et P. Marchenay, 1981.
Coutumes, usages et bibliographie des étangs de la Dombes et de la Bresse, de A. Rivoire, comité des géomètres des arrondissements de Bourg-en-Bresse et de Trévoux, 1881 [commentaires et bibliographie par A. Truchelut], Éditions de Trévoux, 1982.
Les étangs de la Dombes : histoire ancienne et nouvelle du temps des seigneurs et du temps présent, d’Antoine Manigand, 1902.
Outil pédagogique « Les étangs de la Dombes », dossier d’accompagnement à destination des enseignants, maîtrise d’œuvre : Altec - Syndicat mixte Avenir Dombes Saône.
Revue Dombes, « Dombes 2015 », n° 37, 2015, revue de l’Académie de la Dombes.
« La Dombes et ses étangs », dans Visage de l’Ain, oct.-déc. 1951, par Jean Mas et Pierre Mattei.
Jour de pêche en Dombes, textes d'Édith Planche, photographies de Christine Mignard, Lyon : Aléas, 1996.
Une terre en partage. Liens et rivalités dans une société rurale, de Vanessa Manceron, Paris, Éd. de la MSH/Ministère de la Culture et de la Communication.
Reportages photographiques et films documentaires
Reportage photographique « Sortez des Clichés ! », Fédération des écomusées et musées de société, photographes : Olivier Pasquiers et Jean-Christophe Bardot :
http://www.fems-pci.fr/reportages/la-peche-en-dombes
Film documentaire INA
http://www.ina.fr/video/LYC8801052558
« Jour de pêche en Dombes : une histoire d’homme », présenté par « La Route des Dombes », INA, réal. : Rémi Panissières et Jean-François Santoni, La Terre entière (5 mn 47).
Sites internet
http://www.poissonsdedombes.fr / (APPED)
http://www.ecoles-etangs-dombes.fr / (dossier d’accompagnement de l’outil pédagogique « Les étangs de la Dombes », ALTEC)
http://www.alimentec.com / (technopôle Alimentec)
http://www.ethno-terroirs.cnrs.fr /
http://www.syndicat-etangs-dombes.fr / (syndicat des exploitants et propriétaires des étangs de la Dombes)
http://www.academiedeladombes.fr /
http://www.museedeladombes.fr / (association de mise en valeur du patrimoine de la Dombes)
Dates et lieu(x) de l’enquête :
Région Rhône-Alpes-Auvergne – Département de l’Ain – Communes : Villars-les-Dombes, Châtillon- sur-Chalaronne, Saint-Marcel-en-Dombes, Monthieux, Bourg-en-Bresse
Date de la fiche d’inventaire :
décembre 2015 à février 2016
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs :
Catherine Virassamy – Association greenandcraft, le Comptoir des savoir-faire, pour la Fédération des Sites remarquables du goût.
Nom du rédacteur de la fiche :
Catherine Virassamy – Association greenandcraft, le Comptoir des savoir-faire, pour la Fédération des Sites remarquables du goût.
Crédits photographiques :
© Catherine Virassamy.
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf
Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Étangs_de_la_Dombes
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