Au pays Paamaka et au pays N’djuka du Suriname se pratique la musique dansée awasa, grâce aux deux sociétés Busi Konde Sama, proches culturellement des Aluku, quoique bien distinctes, car cette danse permet une large possibilité d’innovation et de création artistique. Les natifs et les résidents de ces sociétés, habitants de Saint-Laurent du Maroni, s’organisent en association ou en groupe pour une pratique courante de l’awasa, à l’exemple des associations Faya Futu Uman et Djelusu Uman, composées de jeunes N’Djukas.

Les ancêtres des Aluku – également appelés Boni - travaillaient en tant qu’esclaves sur les plantations anglaises, puis hollandaises de l’actuel Suriname. Après une longue guerre avec l’armée hollandaise, les Aluku ont traversé les rives du Maroni il y a deux siècles et demi (août 1776), dirigés par leur chef charismatique Tata Boni, puis ils ont recherché une allégeance avec la France. Le groupe le plus important de cette société aluku serait issu des Ashantis, de la famille des Akan.

Le nombre de praticiens actuels peut être estimé à environ 9000 personnes, enfants compris, à part égale entre femmes et hommes, répartis principalement entre les communes de Papaïchton, Maripa-Soula et Apatou.

L’élément se pratique tout au long du fleuve Maroni et du fleuve Lawa, dans les communes d’Apatou, de Papaïchton et de Maripasoula et dans les villages de Papaïchton (Commotibo, Asisi, Loka, Agoode dit Boniville, Tabiki dit l’Enfant perdu, Cottica).

Depuis les années 1980, à la suite de l’implantation de la société Busi Konde Sama à Cayenne, on assiste au développement de cet élément sur le littoral, sur l’île de Cayenne (Cayenne, Rémire- Montjoly et Matoury).

Ces danses sont également pratiquées dans les communes du littoral, notamment à Saint-Laurent, Mana et Kourou et maintenant sur l’île de Cayenne, au lieu-dit Maïpoondo, où se déroulent les manifestations et les cérémonies. Ce lieu mérite une attention particulière : il a été choisi par les capitaines aluku de l’île de Cayenne, Johannes Ateni et Étienne Tingo, à partir de 1993.

Au pays Paamaka et au pays N’djuka du Suriname se pratique la musique dansée awasa, grâce aux deux sociétés Busi Konde Sama, proches culturellement des Aluku, quoique bien distinctes, car cette danse permet une large possibilité d’innovation et de création artistique. Les natifs et les résidents de ces sociétés, habitants de Saint-Laurent du Maroni, s’organisent en association ou en groupe pour une pratique courante de l’awasa, à l’exemple des associations Faya Futu Uman et Djelusu Uman, composées de jeunes N’Djukas.

LES MUSIQUES DANSÉES

 

Les musiques dansées nécessitent un orchestre de tambours, des chanteur/ses, des danseurs/ses avec leurs sonnailles kaaways [voir le tableau en annexe].

La pratique commence toujours par une introduction, qui permet le réglage des tambours, de l’accord et de l’estimation de l’harmonie de l’orchestre.

En parlant, chantant librement, plus ou moins longuement, le soliste peut ou non se mettre en voix. Puis, vient le chant proprement dit : les tambours commencent ; puis le chanteur soliste entonne le refrain ; le refrain est repris par le chœur ; le chant fait alterner couplets (soliste) et refrain (chœur). Parfois, seule la partie refrain (chœur) subsiste, l’espace couplet demeurant comme un chant sous-entendu, muet.

Parmi les caractéristiques des musiques aluku, les chants peuvent s’enchaîner sans interruption ; mais, le plus souvent, un seul chant permet à l’orchestre autant qu’aux danseurs/ses de s’exprimer, la qualité de l’ambiance générée étant pour partie responsable de la durée. Les finales en vibrato du soliste sont un trait particulier à certains chanteurs/ses. Ce vibrato peut aller jusqu’au trémolo.

Les danseurs/ses commencent par un simple balancement des hanches et n’interviennent que sur l’invitation du tambour principal (gaandong). Quand l’ambiance monte d’un cran, danseurs/ses et public lancent des baya ééé, en agitant les bras en l’air durant des secondes intenses de communion, indiquant la joie et le bonheur de participer à un événement festif, mais aussi pour saluer la prestation des tambourinaires, chanteurs/ses, danseurs/ses. Le tambourinaire principal (gaandong) peut quitter son tambour et danser seul ou avec une danseuse. Il peut aussi déplacer son tambour vers une danseuse et chevaucher son tambour, en incitant la danseuse à manifester sa joie. Celle-ci, pour marquer sa grande satisfaction, peut poser son pied sur le tambour et la musique cesse.

Le passage d’un danseur/se n’excède pas 4 minutes, car la danse est très physique. Des relais et des phases de repos s’intercalent donc entre le passage d’un danseur/se et son retour dans la danse. La prestation peut être individuelle, en petit groupe ou collectif, mais obéit à ce principe de relais.

Les danseurs ne forment pas à proprement parler des couples. Mais des couples peuvent se former occasionnellement, pour quelques minutes. Au village, les danseurs/ses font face aux tambours ; en spectacle, ils regardent davantage le public.

La diversité d’âge des protagonistes est significative : il n’existe pas de tranche d’âge précise pour chanter, jouer au tambour, danser. Toutes les générations se retrouvent dans ces rassemblements.

 

 

LES TROIS TYPES DE DANSES

 

Le songe

 

Dans sa forme, le songe est rigoureux et son rythme est sobre, régulier, strictement codifié dans sa forme.

Les femmes commencent avec le pas boliwata. Elles avancent, puis reculent et reviennent à leur place de départ, où les corps retrouvent quelques courts instants de verticalité. Elles se relèvent ensuite en même temps, tout en scandant la musique des pieds et des mains. Sur l’invitation du tambourinaire qui joue le gaandong, tambour principal, elles avancent à nouveau, puis effectuent le nakifutu. À cet instant, on dit que le danseur/se effectue le songe, terme utilisé tant comme nom que comme verbe d’action, injonction à pratiquer le nakifutu.

Lorsque le gaandong les appellent, les danseuses avancent en commençant à danser le songe en frappant le sol avec la voûte de l’avant du pied, à droite puis à gauche : nakifutu. Dans le nakifutu, la danse se réalise donc avec l’avant des pieds

– sans les orteils -, frappant le sol, invitant l’énergie de l’élément Terre à vivifier le danseur. La manière de poser le pied donne au corps son rythme et le son caractéristique des kaaways. Le frappé d’un des deux pieds entraîne le glissement latéral de l’autre, le tout toujours en position fléchie.

Un autre pas de danse fait partie du songe : le bokofotu, qui se réalise avec le bord externe du pied, la cheville allant vers l’extérieur.

D’autres formes plus élaborées font appel à des mouvements ondulants du dos (tibeti beti), rappelant l’oiseau du même nom, qui se balance d’avant en arrière sur les rochers. La forme abonpesi, elle, est marquée par un balancement de la jambe d’avant en arrière.

Pour certains sages aluku, la forme et le rythme du songe s’inspireraient des mouvements d’un poisson agankoy (Geophagus Surinamensis), s’ébattant dans les eaux calmes le long des bancs de sable jaune du Maroni. Certains pas rapides des danseurs feraient penser au jeu des pattes de l’oiseau kami, aussi appelé agami (Psophia crepitans).

Les hommes se singularisent par de beaux et toniques mouvements de jambes et de pas, distincts de ceux des femmes, notamment le manenge futu, que l’on retrouve dans la danse susa.

 

L’awasa

 

em>L’awasa révèle une grande variété de figures et de pas, sur un rythme plus coulant, permettant aux danseurs/ses de s’exprimer plus librement. L’ensemble des pas est plus riche et plus varié. Cette danse est très joyeuse. Selon le percussionniste ivoirien Amara Kante, wasa signifie la joie dans la langue des Malinkés. Un sourire de gaieté est affiché par les danseuses qui maîtrisent cette danse.

Les danseurs/ses commencent debout, en tapant légèrement avec les pieds et en bougeant les mains comme un éventail (waway). Ils avancent ensuite en restant debout, puis descendent très bas, dans la posture de base tyotyootyo, sur la voûte avant des pieds, et commencent à danser les pas les plus utilisés de l’awasa, notamment le lolofutu.

Pour le pas lolofutu, le contact du sol se réalise avec l’avant externe du pied, les jambes vibrant de bas en haut. L’expression corporelle est fluide, tout le corps vibrant sur un tempo de joie. « On roule les pieds », la cheville allant vers l’intérieur. Ces pas donnent l’impression que les danseuses vacillent sur les chevilles avec légèreté.

La richesse de l’improvisation varie selon l’humeur et l’état d’âme du danseur exécutant. Elle révèle ses goûts, ses souhaits, ses aspirations… L’improvisation permet de personnaliser sa danse.

Ces danses sont très vivaces dans les kampu et les villages, sur les rives françaises des fleuves du Maroni et du Lawa. Depuis 1980, sur l’île de Cayenne, est apparu un engouement pour ce patrimoine. Le travail de transmission et d’information mené par l’association Lavi Danbwa porte ses fruits auprès des élus et auprès de la population.

 

Le susa [soussa]

 

La danse susa permettait de sélectionner les guerriers, le but principal étant d’anticiper et de frapper l’adversaire pour le terrasser d’un seul coup.

Les deux combattants se font face, puis s’affrontent, accompagnés par les danseuses, les chanteurs et l’orchestre. Des jeux de jambe et des déplacements rapides, imitant ceux des animaux de la forêt (agouti, agami, jaguar), permettent d’apprécier la vitesse d’exécution et la maîtrise du danseur dans son attaque. Cette attaque se concrétise par un mouvement de jambe et un cri de guerre qui marque la victoire sur l’adversaire. Cet aspect de compétition ferait penser à une danse de guerrier. Des danseuses entourent les deux opposants en les encourageant en frappant des mains. Le susa se pratique sans kaaway (sonnaille de cheville).

 

L’ORCHESTRE

 

Les tambours de forme conique sont réalisés en bois fouillé d’une seule pièce, peau, cordes et taquets de serrage.

La musique du songe et du susa comporte les instruments suivants :

le gaandong : tambour principal ; avec lui, le tambourinaire communique avec les danseuses et les danseurs ;

le pikindong : tambour moyen d’accompagnement ;

l’adonpay : petit tambour joué avec une baguette ;

le kwakwa : idophone.

Lorsque l’orchestre joue le songe et le susa, deux ou trois voire six musiciens battent ensemble une planche avec des bâtons, créant un fond soutenu de rythme aux bâtons. Le nombre élevé des percussionnistes jouant ensemble les kawkwa découle d’une participation active et spontanée des jeunes dans le village.

La musique awasa comporte :

le gaandongi : tambour principal, qui anime ;

le pikidong : tambour d’accompagnement ;

le tun : petit tambour, joué aussi avec une baguette ; le rythme du battement et le son diffèrent de ceux de l’adonpaï. L’awasa ne comporte pas de kwakwa.

 

 

LES ÉLÉMENTS COMMUNS AUX TROIS DANSES

 

Dans la posture de base, le danseur a les genoux très fléchis, les cuisses ne sont pas serrées. Le torse, en flexion postéro-antérieure, forme avec le bassin un angle plus ou moins accentué. Il n’y a ni contraction, ni raideur au niveau des fesses et du bassin. Les bras sont portés en avant, marquant la cadence ou ondulant comme les vagues aux abords des rapides (sauts). Chez les hommes, les bras peuvent s’ouvrir comme les ailes d’un grand oiseau. La gestuelle des mains et des bras permet également aux danseurs/ses d’adresser des messages, de provoquer des réactions, de répondre au gaandong, de mimer la musique et de répondre aux chants.

Les mouvements des bras et des mains paraissent parfois nonchalants, moins rapides que les jeux de jambe, pour mieux porter les messages, avec des mouvements arrondis, lovés et coulés des avant-bras et des mains. La beauté et le charme de ces danses émanent de ces mouvements accompagnés parfois de regards expressifs, communicatifs, d’un sourire charmeur invitant à la danse. Les bras et les mains caressent, jouent avec Winta, l’esprit de l’Air. La position des mains permet un contact avec le céleste. Lorsque les mains sont tournées paumes vers le haut, en supination, le danseur reçoit l’énergie du ciel. Lorsque la paume de ses mains est tournée vers le bas, il reçoit l’énergie de Gon Gadu, l’esprit de la Terre. Dans cette posture, le danseur embrasse toutes les énergies qui l’entourent pour se revitaliser. La pression qui émanerait du dessus se transmet aux jambes et se décharge au sol lorsque le danseur frappe du pied. Cette posture esthétique permet un jeu de jambes décontracté, tonique, souple, coulé. Les mots utilisés par les danseurs pour enseigner cette posture de base, dos cambré, jambes fléchies sont : tyotyootyo, paata, beni ou dyokoti, selon le degré de fléchissement. L’ensemble des percussions animant ces trois danses se compose de trois tambours. Souvent, dans la musique awasa, un jeu subtil s’établit entre le gaandoon et le pikidoon, ce dernier essayant de perturber, de taquiner le grand frère. On s’amuse dans la joie. Le tempo musical diffère entre la grande sœur songe et la petite sœur awasa. Le songe (la grande sœur) comprend la posture du corps et les pas de base. Cette posture et ces pas de référence se retrouvent constamment dans l’awasa, la (petite sœur) du songe. La posture de base est la même pour les hommes et les femmes, mais l’awasa se danse plus bas que le songe.

Pour les danses songe et awasa, les danseurs/ses ornent leurs chevilles de kaaway, sonnailles fabriquées avec les graines du Thevetia Peruviana (appelé « laurier jaune » en Guyane), suspendues à un tissage de cordes. Selon les refrains, les danseurs/ses, pourvus de ces kaaway, répondent aux percussionnistes par des pas appropriés et aux chanteurs, par des mouvements de mains et de bras effectués avec grâce et finesse. Les kaaway enrichissent le songe et l’awasa en créant une panoplie de rythmes. Grâce aux kaaway, les danseurs/ses deviennent de véritables instrumentistes.

Lorsque les danses songe et awasa sont exécutées avec grâce, le public félicite les exécutants en les appelant dansi man ou dansi uman et en les complimentant avec de chaleureuses accolades (kon basa mi…du : « viens que je te congratule…, dou »). Les trois danses sont associées à d’autres danses traditionnelles (mato, tuka), qui gardent tous les participants éveillés jusqu’à l’aube, soleil levé.

 

 

PARLER EN MUSIQUE : COMMUNIQUER GRÂCE AUX CODES MUSICAUX

 

L’apinti

 

De nombreuses cérémonies ont recours à un langage tambouriné connu sous le terme apinti tongo, comportant des messages et des formules transmises de génération en génération, qui tirent leur source de langues africaines.

L’apiniti est joué pour un défunt, sur la pirogue qui va lui permettre de traverser la rivière. On peut également l’entendre dans le cadre de manifestations festives. L’apinti tongo est utilisé à l’ouverture pour demander aux ancêtres leur protection et saluer les chefs coutumiers, le public.

L’apinti tongo est joué avec le gaandong.

 

L’agwado

 

Un chanteur peut chanter en solo. Pour ce faire, il va utiliser l’agwado, instrument doté d’un résonateur en gourde et comportant trois arcs musicaux. Le musicien serre l’instrument entre ses cuisses et créé un rythme en tapant avec ses doigts sur la gourde et en pinçant les trois cordes, tout en chantant.

Durant les rites secrets kumanti, ou kwadjo, les chansons sont parfois interprétées en solo accompagné de l’agwado.

Ces chants à l’agwado sont parfois agrémentés de la présence de danseurs aux pas caractéristiques semblables à ceux pratiqués au cours de la danse kumanti.

À l’instar de l’apinti tongo, le langage du chanteur comporte des formules très anciennes puisées dans des langues africaines.

L’agwado peut être utilisé pour animer un jeu d’objets cachés.

L’un des derniers musiciens aluku d’agwado fut Papa Adolphe Anneli.

 

Le tutu

 

La flûte à bec appelée tutu comporte un répertoire particulier, destiné à courtiser ou à communiquer entre les pirogues. C’est un art solitaire, pratiqué par les femmes et par les hommes. La flûte tutu est fabriquée en bois. On l'entend parfois résonner très tôt le matin, même avant l'aube, dans les villages.

 

 

LES CARACTÉRISTIQUES DE LA PRATIQUE

 

Dès lors que la société aluku se crée vers 1757, on peut présupposer que se développe une culture propre à ce groupe, pétri de métissages aux racines africaines multiples. Chez les Alukus, la musique est partout. Elle rythme le quotidien et permet à tout un chacun d’exprimer ses émotions, ses joies, ses tristesses, ses opinons, ses critiques sur un événement. Ainsi, lorsque l’on broie la canne à sucre (fon ken) pour en extirper l’alcool konsa ou que l’on pile le riz (fon alisi), des chants et des danses encouragent ces travaux, rythmés par la frappe des pilons.

La musique dansée et le parler en musique interviennent dans les rituels, en particulier au cours des rites funéraires (booko dei) pour un membre parti à l’Orient éternel. Selon qu’il s’agit d’un chef coutumier (gaan man, fiscal, capitaine, basia), d’un initié (sabi man) ou d’une personne sans statut particulier, ces nuitées peuvent durer en moyenne de trois jours à une semaine, voire un mois. Les danses animent également les cérémonies de levées de deuil (puu baaka).

Chez les Aluku, ces manifestations rappellent les grandes danses organisées par les esclaves des plantations de l'actuel Suriname à partir du XVIIe siècle. Après 1860, les Aluku ont pu créer des villages stables, permettant une vie sociale et la pratique régulière de leurs rites et rituels. Les musiques dansées et le parler en musique se sont enrichies par une créativité constante, telle que l’apparition, sur les tambours, de l’art tembe (décors taillés dans le bois).

Dans la tradition, pour les danses comme pour les pratiques instrumentales et vocales, la transmission est assurée, de génération en génération, par les membres des familles ayant reçu de leurs aînés la connaissance de cet élément. Le style et certains pas permettent d’identifier la lignée familiale du danseur ou de la danseuse.

Aujourd’hui, la transmission des anciens se fait au sein des associations ou des familles ayant gardé une ambiance de détente, de partage, notamment dans les kampu (habitation près des villages). Seules les personnes ayant suivi un enseignement adapté peuvent toutefois prétendre à une pratique effective, en raison des difficultés de cet art traditionnel. La pratique se fait :

dans les kampu, habitations près des villages ;

dans les abattis, où l’on cultive les fruits et les légumes ;

dans le village, dans la cour d’une maison ou sur un terrain propre en terre battue, sans cailloux, car on danse les pieds nus en frappant au sol ;

sur les podiums, au cours des spectacles en ville.

Le songe, l’awasa, le susa, l’apinti, l’agwado, le tutu constituent un patrimoine culturel précieusement conservé par les descendants des ancêtres Aluku.

Chez les Busi konde sama, la danse traditionnelle est partout présente, car elle fait partie de la quotidienneté : elle facilite les échanges, les rencontres entre les villages et avec les autres sociétés Busi konde sama (N’djuka, Paamaka, Saamaka, Mataway, Kwinti) du Suriname et de la Guyane. Selon les termes de Kenneth Bilby, anthropologue et ethnomusicologue, en 1989, « une des premières expériences d’un enfant en pays aluku, c’est d’être dansé par sa mère, qui met l’enfant debout sur ses genoux, le tenant sous les aisselles, tout en chantant en souriant, et en battant le rythme avec ses doigts dans son dos... ».

Au pays Aluku, le patrimoine oral et immatériel constitué par ces trois danses est transmis aux jeunes générations. Le songe, l’awasa et le susa font partie d’un ensemble de danses qui rythment toutes les manifestations dans les villages, notamment pour célébrer les funérailles (bookode) et les levées de deuil (puubaaka). La pratique ancestrale de ces danses est entretenue et transmise au sein de nombreuses familles Aluku par des porteurs/ses de traditions, qui enseignent à leurs enfants cet élément et la fabrication des instruments qui l’accompagnent : tambours, kwakwa et kaaway (sonnailles), ainsi que des costumes : pangi (jupes), kamisa, tapanuaneki et banja coshi.

Sur l’île de Cayenne, au lieu-dit Maïpoondo, les capitaines fondateurs des manifestations et des cérémonies, Johannes Ateni et Étienne Tingo (1993), sont aujourd'hui remplacés par le capitaine Joseph Ateni à Cayenne et par le capitaine Bruno Apouyou à Kourou. Un frakatiki, autel de prières et de libations, a été installé selon les rites Busi konde sama. Les associations Lavi Danbwa, Black Aluku et Busi Konde Sama Piishi animent ces cérémonies, rythmées par des danses traditionnelles et populaires.

Les ancêtres des Alukus sont des Marrons, c’est-à-dire des esclaves échappés des plantations hollandaises de l'actuel Suriname. De 1757 à 1770, sous la conduite de leur premier chef Boni, ils ont mené de nombreuses batailles contre une armée hollandaise composée de 1200 hommes et aidée par des milices N’djuka et Saamaka. Les Hollandais ont annexé un territoire égal à la Belgique, « quelques arpents de marécages » entre le Tapanahony et le Lawa, que la France allait perdre : le territoire actuel des N’djuka. Vers 1770, les Aluku traversèrent le fleuve Maroni. Des négociations s’instaurèrent sous les gouverneurs Louis Thomas de Fiedmont et Pierre Clément de Laussat. Avec la Conférence internationale d’Albina d’Albina (19 septembre 1860), puis l’accord de paix de Pobiansi (18 novembre 1860), réunissant les gouvernements hollandais et français, en présence du gaan man Adam des Aluku et du gaan man Byman des N’djuka, est reconnue et entérinée « l’indépendance aux tribus bonis », reconnues officiellement par la France et par les Pays-Bas. Le contrôle de la frontière est assuré par la France, canalisant les velléités hollandaises d’envahir la Guyane jusqu’au fleuve Sinnamary. Dans ce contexte, la société Aluku instaure des formes originales de sociabilité, construisant dans la paix son identité culturelle à travers des valeurs traditionnelles marquées par une cosmogonie africaine.

En 1890, dans l’ouvrage La Guyane française: souvenirs et impressions de voyage, le R.P. Brunetti relate une soirée de danses traditionnelles dans un village aluku, à laquelle il a été invité par le gaan man. Quelques informations et photographies de ces danses sont aussi livrées par l’ouvrage Africains de Guyane de Jean Hurault [Paris/La Haye, Mouton, 1970, p. 50-51], en particulier sur les tambourinaires jouant l’awasa. Une partie de son film montre des dames dansant dans un village de Papaïchton. Dans ses recherches, l'anthropologue Kenneth Bilby fait mention de danses, chants et musiques observés chez les Aluku, les synthétisant dans le chapitre « La musique aluku : un héritage africain » de l’ouvrage Musiques en Guyane [Cayenne, Conseil régional de Guyane, bureau du Patrimoine ethnologique, 1989, p. 49-72].

Les chants, par leurs messages, donnent à comprendre la vie traditionnelle des Aluku. Des chanteuses et chanteurs accompagnent l’orchestre de chants se rapportant à la vie du village, aux rapports entre hommes et femmes et aux adages. Très imagés, les chants rappellent les histoires entre garçons et filles ou au sein du couple, agrémentées d’allusions piquantes. Ainsi, un refrain du songe dit tibeti beti naki en gogo (« Balance tes fesses comme l’oiseau sur le rocher »). Le roman de Colin Noël, Les Hamacs de carton [Arles, Actes Sud, coll. « Babel Noir », 2012, p. 166] livre la description détaillée de la chaude ambiance nocturne régnant sous un carbet, dans un village, sur les rives du Lawa, alors que les musiciens jouaient l’awasa : « Pliées en deux, fesses saillantes, elles offraient à tous une vue imprenable de leur décolleté ... ».

Selon Papa Antoine Lamouraille, actuel sabi man du village d’Apatou, des échanges et des transmissions du patrimoine des Alukus se sont observés avec les autres sociétés Busi konde sama, mais un clan a toujours eu la maîtrise de l’élément.

Ces danses, chants et musique font partie d’un dense et riche patrimoine oral et immatériel. De nos jours, les chants, la musique et les danses Aluku sont très vivaces. Elles n’ont pas été affectées par des apports extérieurs.

Cependant, l’exemple du village d’Apatou met en garde sur la fragilité d’une tradition qui peut perdre tout ou une partie de ses valeurs ancestrales face à une modernité envahissante : les aînés n’ayant pas eu le temps de transmettre leur savoir-faire et leur savoir-être et les jeunes étant partis suivre leurs études secondaires et universitaires, les personnes ressources y sont peu nombreuses ; l’élément continue toutefois à y être pratiqué lors des rituels et levées de deuil grâce aux participants venus des autres communes, qui apportent leurs savoirs aux habitants d’Apatou.

Ceci conforte dans la nécessité de tout mettre en œuvre pour que les musiques dansées et le parler en musique soient préservés et transmis selon les fondements traditionnels qui régissent la société Aluku. La pratique de l’agwado et du tutu, en particulier, est menacée, ne semblant plus répondre aux aspirations de la jeunesse.

Modes et actions de valorisation

 

En 1989, dans le cadre des manifestations commémoratives « Sur les traces de Boni » organisées par le Conseil régional de Guyane, le grand public du littoral guyanais découvre les danses et musiques des Aluku, présentées par des sabi man, ou détenteurs de savoir-faire traditionnels, venus des communes de Papaïchton et de Maripasoula. Une centaine de spectateurs prend conscience du patrimoine oral et immatériel aluku.

En 1990, grâce aux recherches et à l’initiative de l’anthropologue Kenneth Bilby, ces danses ont été révélées en Europe, lors d’une longue tournée, d’un mois environ, en France, en Allemagne, en Suisse et en Hollande, du groupe Fanti, dirigé par Papa Louis Topo, grand initié de la tradition, accompagné par d’autres sabi man. Deux ans plus tard, Kenneth Bilby organisa une tournée du groupe Mi Sa Libi à Montréal (Canada) et à Washington (États-Unis).

En 2014, le groupe Mi Sa Libi a donné une représentation lors d’une rencontre de musiques et danses traditionnelles à Toulouse, la délégation étant conduite par Thomas Doudou et Charles Anneli, chargés de l’enseignement au sein de l’association Mi Sa Libi.

 

 

Mesures de sauvegarde

 

Depuis 1980, à Cayenne, Rémire-Montjoly et Matoury, l’association Lavi Danbwa enseigne ces danses dans les écoles, les lycées et à l’université. À partir de 2001, grâce à une convention avec l’IUFM, elle a pu dispenser des cours de familiarisation à ces danses aux futurs professeurs des écoles, nombreux étant affectés dans les villages de la vallée du Maroni et du Lawa. En 2009, les IUFM glissant vers une intégration universitaire, la pratique de cet élément n'a pu être maintenue dans tout le programme. Des cours de 2 à 4 heures demeurent dispensés à l’ensemble de la promotion des étudiants de l’École des professorats. Ils ont été maintenus jusqu’en 2014, date de départ de Sylvie Houvenaeghel, professeur responsable du projet.

À la suite de la décision du Conseil académique des Langues et Cultures régionales du 6 avril 2006, en présence du recteur d’académie et de Sonia Francius, inspectrice d’académie, l'association Lavi Danbwa a pu instaurer, avec l’accord de Mme Boisfer, proviseur du lycée Félix-Éboué, et sous le contrôle de M. Guyotte, professeur d’E.P.S., un enseignement des danses aluku à 57 élèves de Seconde et Première aux rentrées 2006 et 2007. Les cours ont été dispensés par Mme Tingo, qui avait reçu la tradition aluku de sa mère, Manbui Adanka, grande initiée de sa société. Avec l’introduction, aux épreuves du baccalauréat, des danses traditionnelles aluku, les animateurs de l’association Lavi Danbwa, Annie Tingo, Keila Cazal et Fernand Neman, ont enseigné ces danses aux élèves de Seconde, de Première et de Terminale du lycée Félix-Éboué. Les élèves de Terminale ont pu présenter des danses aluku aux épreuves du baccalauréat 2008. Au départ de Sonia Francius, la nouvelle équipe pédagogique du rectorat d’académie n’a pas maintenu cette promotion des danses traditionnelles, au grand mécontentement des parents, élèves et chefs coutumiers.

L'association Lavi Danbwa a proposé un enseignement de danses traditionnelles aluku durant deux années à l'école nationale de musique et de danse (ENMD) Edgard-Nibul, grâce à la convention signée le 3 juillet 2008. L’indisponibilité récurrente des salles d’entraînement a rendu toutefois difficile le respect des engagements.

En 2006, l’association Lavi Danbwa a fait enregistrer des musiques songe, awasa, agwado et apinti en studio et a publié, avec le soutien de la Région Guyane et d'Ariane Espace, un disque intitulé Chants, musique, danses aluku / Aluku sinigi, poku, dansi, prix régional Lindor 2007 dans la catégorie Danses traditionnelles. En 2009, elle a réalisé un livret pédagogique intitulé Songe et awasa : danses traditionnelles aluku, agrémenté d’un DVD révélant un beau spectacle présenté à la salle Loyson, au Moule, en Guadeloupe. Financé par le Conseil général de Guyane et la Région Guyane, cet outil pédagogique a été réalisé par le CRDP de Guyane.

Les danses Aluku sont fort appréciées durant les événements festifs des rives du fleuve Lawa :

marché artisanal du Maroni (Maroni festi), organisé au mois de juin par la Ville de Maripasoula et le Parc amazonien de Guyane, avec le soutien de la direction des Affaires culturelles ;

Festi uman pangi, à Maripasoula, organisé au mois d’octobre par l’association Afica Lutu, avec le soutien de la Ville de Maripasoula, du Parc amazonien de Guyane et de la direction des Affaires culturelles ;

Rencontres musicales du Maroni, organisées au mois de novembre par l’association Wan Ton

Melody à Papaïchton, avec le soutien de la Ville de Papaïchton, de la direction des Affaires culturelles et du Parc amazonien de Guyane.

De 2007 à 2013, avec le soutien du Parc amazonien de Guyane, l’association Lavi Danbwa a organisé quatre biennales du festival Busi Konde Sama au Jardin botanique de Cayenne, puis, en 2015, à Saint-Laurent-du-Maroni et, en 2017, sur la place des Palmistes à Cayenne. Les danses traditionnelles Aluku y sont mises en valeur par un concours de songe, élément fort apprécié du public. Cette biennale donne à voir un village artisanal traditionnel, en accord avec les enjeux de développement durable : stages de fabrication du kaaway, danses traditionnelles Aluku, confection de vêtements…

La transmission est aussi assurée au sein d’une dizaine d’associations et de nombreux groupes de jeunes entourés de leurs aînés, notamment dans les familles ayant conservé ce patrimoine sur plusieurs générations. Outre Lavi Danbwa, de nombreuses associations se sont en effet créées pour transmettre cet élément : Mi Wani Sabi, à Boniville (1980) : Mi Sa Libi, à Maripasoula (1991) ; Mi Sa Luku, à Loka, et Makandi Wi Kan Du, à Papaïchton (2015) ; Afikan Pikin, à Boniville (2015).

 

 

Orientations bibliographiques

 

Bilby (Kenneth), « The Caribbean as a Musical region », dans S. Mintz et S. Price (dir.), Caribbean Contours, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1985, p. 181-218.

Bilby (Kenneth), « La musique aluku : un héritage africain », dans Marie-Paule Jean-Louis et Gérard Collomb (dir.), Musiques en Guyane, Cayenne, Conseil régional de Guyane, bureau du Patrimoine ethnologique, 1989, p. 49-72.

Bilby (Kenneth), The Remaking of the Aluku: Culture, Politics and Maroon Ethnicity in French South America, Ph.D. Dissertation, Johns Hopkins University, 1990.

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Hurault (Jean), Les Noirs réfugiés Boni de la Guyane française, Dakar, Institut français d’Afrique noire, 1961.

Hurault (Jean), La Vie matérielle des Noirs réfugiés Boni et des Indiens Wayana du Haut-Maroni, Paris, Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, 1965.

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Moomou (Jean), Le Monde des Marrons du Maroni en Guyane (1772-1860). La naissance d’un peuple : les Boni, Matoury, Ibis Rouge, 2004.

Moomou (Jean), Les Marrons Boni de Guyane, Matoury, Ibis Rouge, 2013.

 

 

Éléments de glossaire

 

Banja coshi : vêtement porté sur le côté par les hommes et les femmes des sociétés BKS.

Busi Konde Sama [BKS] [bouchi kondé çama] (de Busi, forêt, Konde, village, et Sama, être, personne ou société) : hommes et femmes vivant en société sur la base d’une hiérarchie coutumière, en forêt, dans la sylve amazonienne, en Guyane française. Aluku (Boni), Paamaka, Dyuka, Saamaka, Mataway et Kwiinti font partie des derniers peuples gardiens du poumon de notre planète, qui ont toujours su vivre dans la forêt, en respectant et sauvegardant le milieu naturel, à travers une gestion sylvicole guidée adroitement par une cosmogonie reçue des ancêtres. Busi Konde Sama est un ensemble de termes de grande communion, chargés de respect, de courtoisie et d’ouverture vers l’autre, sans a priori, qui relèvent d’un langage choisi, distingué et développé.

Fon alisi [alichi] : piler le riz.

Fon ken : piler la canne à sucre pour en extraire le jus.

Futu [foutou] : jambe.

Kamisa : vêtement porté par les hommes.

Kampu : habitation où réside une famille, cultivant un champ de légumes et de fruits.

Enquêtrice : Annie

Tingo Rédacteur : Yvan

Ho You Fat Association

Lavi Danwa 2955 route de Baduel

97300 Cayenne

Avec l’accord de l’association des Autorités coutumières de la communauté aluku de Guyane (ACCA), l’association Lavi Danbwa a réalisé ce dossier avec la coopération des associations Mi Sa Libi, Mi Sa Luku, Black Aluku et Wan ton Melody, en particulier avec les personnes ressources et marqueurs suivants :

Papa Adolphe Anelli, parti à l’Orient éternel ;

Charles Anelli, Thomas Doudou, Lewis Tingo, Papa Dakan, Annie Tingo, Samayon Tingo, Nawini Donkili, Lydie Donkili et Mauricia Ho You Fat ;

Papa Awece, Charles Awece, Doudou Wani, Neman Fernand, Agouti Firmin, Doudou Sylvain, Balance Claude, Joseph Lamonaie et Apalon Waldo ;

Avec le soutien de la direction des Affaires culturelles de Guyane, du Parc amazonien de Guyane et des Villes des vallées du Maroni et du Lawa : Apatou, Maripasoula, Papaïchton et Saint-Laurent- du-Maroni.

Cette démarche de reconnaissance nationale des musiques dansées et du parler en musique aluku a été présentée dans le cadre de la commémoration des 40 ans de la commune d'Apatou, organisée par l'association « Regards et tradition des peuples marrons » du 17 au 21 août 2016, en présence de papa Lamoraille, président de l'association Mama Bobi, du capitaine Pierre Sida et de l'historien Jean Moomou.

Données d’enregistrement :

 

Date de remise de la fiche : 12 octobre 2017

Année d’inclusion à l’inventaire : 2017 (CPEI du 26 octobre 2017)

N° de la fiche: 2017_67717_INV_PCI_FRANCE_00388

Identifiant ARKH : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2ll

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf

Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Aluku

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