Les pratiques de jardinage sont centrales dans la culture alimentaire du massif des Bauges
Les pratiques de jardinage sont centrales dans la culture alimentaire du massif des Bauges. La mémoire longue de ce pays de montagne transmet un patrimoine de savoirs et valeurs du potager, apport majeur de nourriture pour les familles qui vivent dans ce territoire préalpin. Les pratiques du potager suivent le rythme des saisons, de la semaison des graines au printemps, aux soins dédiés aux différentes cultures en été et aux récoltes en automne.
Les pratiques de jardinage sont centrales dans la culture alimentaire du massif des Bauges. La mémoire longue de ce pays de montagne transmet un patrimoine de savoirs et valeurs du potager, apport majeur de nourriture pour les familles qui vivent dans ce territoire préalpin. Les pratiques du potager suivent le rythme des saisons, de la semaison des graines au printemps, aux soins dédiés aux différentes cultures en été et aux récoltes en automne. Pendant l’été et l’automne, on se prépare à l’hiver, avec un ensemble d’opérations consacrées à la conservation des légumes. En hiver, le « jardin est rentré à la cave », se rapprochant de la cuisine. Le potager se retrouve dans les différents plats de saison, entre le quotidien et la fête : soupes et salades, farçons et gratins…
Les communautés, groupes et individus concernés par les pratiques du potager traditionnel sont souvent des familles du massif qui ont maintenu les savoir-faire de culture, de conservation et de transformation des légumes, propres au territoire et à ses conditions géographiques et climatiques. Tel est le cas des familles Berthoud, à Bellecombe-en-Bauges, Lombard à Lecheraines, Duperier à Jarsy, Guerin à Arith, Ferrand à École-en-Bauges, ou encore des familles Dumoulin et Fressoz à La Compôte-en-Bauges.
Les néo-ruraux, arrivés dans le massif à partir des années 1980, pratiquent des techniques de jardinage plus récemment expérimentées, souvent inspirées de l'agroécologie.
Les activités de maraîchage sont en fort développement sur le territoire. Les professionnels, à travers leur activité, transmettent aussi les savoirs du jardin : les grainetiers Grelin à Arbin ; le Jardin de Flora, horticulteurs, producteurs de plants, à Bellecombe-en-Bauges ; des maraîchers, tels que les Bau' Jardins à La Compôte, la Ferme de l’Abeille verte au Châtelard, la Ferme de la Bâtie à Curienne, Pascal Gay au Montcel, Simon Duisit, à Chainaz-les-Frasses, Les jardins de la Court à Gruffy, Les Jardins à emporter et Les Jardins du Taillefer à Doussard, David Dufour-Fontaine à Viuz-la-Chiesaz, La Ferme lombricole des Savoie à Montmélian, Maurice Pichon à Cruet…
À signaler, parmi les acteurs associatifs :
- l'association Cyclamen 74 (protection des milieux naturels et de la biodiversité) se questionne depuis plusieurs années sur l’implantation de l’agriculture bio dans le secteur de l’albanais et sur des modes de culture plus respectueux de l’environnement. Afin de promouvoir une autre façon de jardiner, l’association propose, depuis 2006, un troc’Nature, avec comme fondement l’échange de plants, de graines, de boutures, de recettes, des rencontres/ visites de jardins potagers, des débats autour de la permaculture. « Le troc’Nature est le lieu privilégié de la diffusion de techniques, de graines, de liens amicaux mais aussi de valeurs et de projets alternatifs. C’est une scène sociale nouvelle, en expansion, qui contribue au décloisonnement social et culturel » [entretien avec Cyprien Durandard].
- l’association BioBauges regroupe des consom’acteurs du cœur des Bauges, à l’origine du magasin de produits locaux et biologiques Croc’Bauges, qui accueille une grainothèque. Cette grainothèque, portée par Cyclamen et BioBauges, permet de déposer et récupérer des semences et incite à la nécessité d’échanger ses graines entre jardiniers pour faire perdurer les variétés locales mais aussi pour être plus autonomes. Toutes les semences de la grainothèque sont des semences paysannes, reproductibles que les nombreux jardiniers des Bauges ont reproduites d’année en année.
- Catherine Tournier s’est engagée dans le mouvement des « Femmes semencières », instauré à l’initiative de Pierre Rabhi. Ce mouvement souhaite favoriser le transfert de compétences, les rencontres, les échanges de graines et accompagner les personnes vers l’autonomie alimentaire grâce aux semences de variétés anciennes et paysannes, reproductibles.
- L’association « Les Incroyables comestibles », dans le secteur d’Annecy, est un collectif citoyen, qui souhaite (re)créer en ville des jardins comestibles et encourager des pratiques de jardinage naturel ouvertes à tous, afin de sensibiliser à la sauvegarde des semences paysannes et au plaisir de faire ensemble.
Lieu(x) de la pratique en France
Massif des Bauges, département de la Savoie et de la Haute-Savoie, Auvergne-Rhône-Alpes
Les pratiques de jardinage sont centrales dans la culture alimentaire du massif des Bauges. La mémoire longue de ce pays de montagne transmet un patrimoine de savoirs et valeurs du potager, apport majeur de nourriture pour les familles au fil des siècles. Pouvoir vivre avec son jardin constitue ici un idéal, fortement ancré. Malgré un déclin généralisé des pratiques de jardinage, les cortis, jardins proches des maisons, et les champs, par endroits appelés en patois chenevets (anciennement champs de chanvre), devenus champs de haricots, choux et pommes de terre, sont encore présents dans le paysage contemporain.
Si les champs ont largement régressé et par endroit disparu, les cortis restent vivants et variés, héritage résistant des anciennes formes de polyculture. Dans la société traditionnelle de la montagne agropastorale, les rôles et tâches du jardin se répartissaient selon une fondamentale solidarité de genres : les hommes interviennent pour préparer la terre et bécher ; les femmes sèment, désherbent et récoltent.
Les habitants du massif commencent à préparer le jardin à la fin de l'hiver, sèment les graines au début du printemps, effectuent les soins nécessaires et réalisent les récoltes pour chaque espèce de plantes au printemps et en été ; les dernières récoltes, et notamment celle des semences, sont effectuées à l'automne, et enfin les légumes sont retournés et/ou protégés dans le jardin ou « rentrés à la cave », en hiver.
Apparue dans les années 1950, la stérilisation est encore utilisée en Bauges comme moyen de conservation des produits du jardin. Cardons, haricots, blettes, tomates, oseille... sont blanchis quelques minutes dans l'eau bouillante puis plongés dans l'eau salée dans des bocaux préalablement stérilisés. Prunes, cerises, poires, fraises, groseilles, framboises, coings... sont transformés en gelées, confitures ou pâte de fruits, ou mis en bocaux comme fruits au sirop ou dans l’eau de vie.
La conservation par congélation est une technique plus moderne, datant des années 1960. Les avis divergent quant au choix entre ces deux techniques, comme c'est le cas pour les haricots (« Les haricots, les rames, ils sont meilleurs au congèl que les nains ».), mais aussi pour la façon dont on prépare les légumes en amont ou en aval de la congélation : crus ou à peine cuits (blanchis) avant congélation, plongés directement dans l'eau bouillante ou décongelés dans l'eau froide à la sortie du congélateur.
Dès les premiers gels, à partir du mois de novembre, il est de coutume en Bauges de « rentrer le jardin à la cave ». Chez Raymond et Raymonde Berthoud à Bellecombe-en-Bauges, la cave, située près du corti, est aérée, humide et sombre mais bien exposée : les conditions de conservation des légumes y sont optimales. « Avoir une bonne cave » est, en effet, une garantie de continuité pour la production hivernale. Dès novembre, on replante dans des bassines de terre les blettes, céleris, choux, poireaux, salades et cardons. Ils y passeront l'hiver, arrosés de temps à autre, et blanchiront à l'abri de la lumière. « Au début de l'hiver, dans l'étable, on a des bassines, on met un peu d'eau dedans, on arrache les salades et on les replante dedans. On en a mangé jusqu'au mois de février l'année dernière. Et puis elles deviennent toutes blanches, elles sont bonnes... ». Les pommes de terre sont entreposées dans des cagettes. Carottes et betteraves sont enveloppées dans du papier journal ou conservées dans la sciure. Certains légumes restent parfois dans le jardin tout l'hiver, comme les choux et les poireaux que l'on sort chercher sous la neige pour la soupe. En hiver, la cave est un lieu de vie complémentaire à la cuisine, vivant au rythme de l’alimentation quotidienne.
Avec l’arrivée du printemps, fin avril, le jardin est bêché et nourri au fumier. Les premiers semis et plantations se font en mai : pommes de terre, salades, blettes, poireaux, choux, betteraves, carottes, céleris, tomates, courgettes, courges, haricots nains et cardons, sans oublier les aromates et les fleurs. La terre doit être bien préparée : fine, aéré et riche en humus. Les semis se font à la volée ou en raies. Aux beaux jours, c'est aussi le retour des vivaces : menthe, ciboulette, thym, rhubarbe, framboises, fraises, groseilles, pivoines, jonquilles, narcisses, et lavandes. Les fleurs sont très importantes dans les pratiques locales.
À la saison d'été, il faut prendre soin du jardin : piocher, désherber, aérer la terre et éclaircir les parcelles. On sème des navets et des salades d'hiver que l'on replantera à la mi-août. On plante des haricots rames afin d'assurer une récolte plus tardive de haricots. L'été est le temps de la récolte. Les légumes du jardin sont ramassés au fur et à mesure des besoins. Avec l’arrivée du mois de septembre et l’approche de l'automne, les familles des Bauges préparent les conserves en bocaux et des légumes congelés pour la saison froide. Chacun choisit sa technique. Les discussions vont bon train entre haricots en bocaux ou haricots congelés, choux et poireaux replantés à l'abri du froid ou laissés au jardin.
Dans le cycle des saisons, le jardin assure une grande partie de l'alimentation familiale. Malgré l'évolution des modes de vie, ici les familles cultivent leur jardin et se nourrissent en suivant la saisonnalité. Légumes d’hiver et légumes d’été sont les grands repères alimentaires. À la belle saison, c’est un va-et-vient permanent du corti à la cuisine. Entre plats du quotidien et plats de fête, expérimentations et conseils glanés auprès des voisins, les légumes sont transformés selon des traditions et rituels culinaires spécifiques au territoire. Avec l’évolution des techniques de conservation, les débats sur les manières de conserver les aliments ne cessent de nous montrer les confins entre passé et présent, dévoilant les stratégies d’élaboration sociale des changements.
Les haricots sont omniprésents dans les discours et la mémoire de l'alimentation d’ici : ils dominent les imaginaires. Avant la révolution alimentaire liée à la diffusion de la pomme de terre, au XIXe siècle, ils constituaient la réserve de protéines permettant de se nourrir en hiver, « le haricot rame, il faut le mettre à la bonne lune. Si vous le mettez en lune descendante, ça ne grimpe pas, ça file… » ; « le haricot Saint-Sacrement, il est blanc et ça fait comme une espèce de cœur rouge au milieu ». Les plantations à la bonne lune, les couleurs changeantes, la légende du petit cœur rouge, empreinte qui remonterait à la Révolution, en font un protagoniste des récits. Séchées, leurs semences peuvent se transmettre de génération en génération.
La soupe est, au passé et au présent, le plat du quotidien. Elle est une constante dans les cuisines contemporaines. « Dès qu'il ne fait pas beau, on allume notre cuisinière et on fait cuire la soupe dessus. On la mange presque toute l'année, tous les soirs, comme beaucoup, on a gardé́ l'habitude… ». La soupe est liée au potager et porte les saveurs des saisons. L'été, on fait la soupe aux herbes fraîches, orties et pissenlits sauvages. L'hiver, la soupe aux choux, aux haricots, pommes de terre, poireaux, carottes, navets, oignons, et parfois au lard, le cochon étant la viande traditionnellement la plus consommée ici.
Les gratins au four et les préparations en plat sur le fourneau, ou à la poêle, sont d'autres façons de valoriser la production du jardin. La pomme de terre domine l'alimentation baujue. Préparée en gratin, selon la recette du gratin savoyard ; cuites à l'eau en robe des champs ou à la borbe, accompagnées d'une salade verte ; en farçon, plat du dimanche typique des Bauges ; ou en ravioules, croquettes de pommes de terre.
Les blettes, choux, céleris, épinards, cardons mais aussi les plantes « sauvages » cultivées dans un coin du jardin comme l'oseille, sont préparés en gratin ou en plat, au fourneau. Dans la tradition, ils sont bien souvent agrémentés de farine, fromage, lait, crème ou châtaignes comme pour ces deux « plats de fête » : le gratin de choux aux châtaignes ; et le facemin, variante du farcement haut-savoyard à base de choux, pommes de terre, lard et châtaignes. Les plats d'oseille sont courants, pour en supprimer l'acidité, on trempe l’oseille dans l'eau froide après cuisson et on ajoute du sucre.
En hiver, on prépare le gratin de cardons : plat d'occasion et de fête. « L'hiver, c'était le temps des cardons, c'était formidable ! Les cardons, c'était sacré... ». Aujourd'hui moins cultivé, il est une fierté d’arriver à produire ses propres cardons pour Noël. Rentré dans la cave à la Toussaint pour le faire blanchir loin des rayons du soleil afin d'attendrir sa chair, il est aussi très souvent conservé par stérilisation en bocaux.
Associés au cochon, les légumes du jardin permettent de réaliser des recettes typiques tels que les pormoniers, saucisses aux herbes, blettes et épinards que l'on trouve dans le piémont est du massif, comme à Saint-Pierre-d'Albigny où ils sont consommés lors du passage de l'alambic, et les diots de choux, saucisses aux choux que l'on trouve principalement dans le « cœur des Bauges ». « Les choux, on les arrachait en octobre. On creusait dans le jardin, on tournait le chou sens dessus-dessous et on l'enterrait. Et ça se conservait jusqu'au mois de février, à l'époque où ils tuaient le cochon. »
Les plats crus sont dominés par les salades. Toujours présente à l'entrée du repas, la salade verte fait partie de l'alimentation quotidienne, même en hiver où elle est conservée et blanchie dans la cave. Au printemps, les herbes et fleurs accompagnent les salades : pissenlits, mâches sauvages, cressons, fleurs de bourrache. L'été, haricots, pommes de terre, carottes, tomates ; l’hiver, betteraves, pommes de terre et poireaux sont préparés en salades.
Le jardin est lieu de transmission de variétés anciennes et paysannes. « Les crochets de Savoie, ils sont crochus. C'est une race qui se perd ça. Moi je fais encore les gros haricots, les Soissons… » Au cours du XXe siècle, la modernisation de l'agriculture et la sélection des variétés ont entraîné une chute de la biodiversité cultivée. Pour autant, certaines familles maintiennent des variétés locales, et des réseaux de jardiniers s'organisent pour échanger des semences. « Ah ben les Crochets de Savoie ! C'est une race qui se perd ça... Alors il y a Grelin, qui est marchand de graines, qui les conserve. Un vieux pépé qui lui fait tout un grand champ de haricots, qui lui donne sa semence… ». La continuité de ces pratiques est une forme de résistance des anciennes pratiques de jardinage.
Dans le massif des Bauges, les savoirs et connaissances du jardin se transmettent de génération en génération. Amis, parents, voisins se dévoilent les secrets et bonnes pratiques culturales du potager. Lieu de passion, de beauté et de bien-être, le jardin est un lieu d'échange, favorisant les connaissances de la nature, l’équilibre alimentaire et les liens sociaux, au fil de saisons. « Comme tout le monde, on met notre nez dehors, on laisse la vaisselle, on va dans le jardin ou dans les fleurs. Moi je laisserais à balayer mais le jardin... on y passerait notre vie. On adore le jardin ! C'est notre vie. Je pense que pour se calmer, pour être bien dans sa peau, il faut aller dans le jardin… ».
Le français est la langue couramment parlée dans la pratique. Les pratiques de jardinage sont aussi un lieu majeur de transmission du dialecte franco-provençale, le patois.
Patrimoine bâti
Les éléments matériels liés au patrimoine du potager traditionnel dans le massif des Bauges sont les cortis, petits jardins jouxtant les maisons traditionnelles, situés à proximité de la cuisine et souvent protégés d’un mur ou d’une clôture et les caves traditionnelles, pour conserver les légumes.
Objets, outils, matériaux supports
Parmi les outils de jardinage, on retrouve pioches, bêches, pelles, râteaux, plantoirs, paniers, brouettes, motoculteurs, machines de jardinage, etc.
Dans les caves, les saloirs en pierre, et toupines, grands récipients en terre cuite qui servaient de saloirs, sont parfois encore utilisés. Des grandes bassines en plastiques, en métal ou en bois sont utilisé pour replanter les légumes à la cave.
L’usage d’anciens outils aux manches en bois, fabriqués à la main, est toujours d’actualité.
Certains outils bien particuliers, comme la « grelinette », ont été inventés dans le massif par des jardiniers plein d’imagination et compétences. Cet outil particulier, dont l’original a été breveté et est fabriqué de manière artisanale par M. Grelin, « grenetier » (producteur de semences) à Arbin, est aujourd’hui diffusé bien au-delà de la Savoie. L’histoire de la « grelinette », inspirée par un outil traditionnel d’Amérique centrale, fait partie du patrimoine de la famille Grelin.
Dans le massif des Bauges, les savoirs et connaissances du jardin se transmettent de génération en génération. Amis, parents, voisins se dévoilent les secrets et bonnes pratiques culturales du potager. Les connaissances et savoir-faire du potager traditionnel se sont transmis jusqu'à aujourd'hui et se transmettent de nos jours dans le cadre familial ou de voisinage. « Moi, j'ai le souvenir de ma grand-mère qui épluchait ses échalotes, qui allait au jardin chercher son persil, qui revenait... ». Suzanne Petit-Barat raconte son enfance et l’initiation au travail de désherbage depuis toute petite, à l’origine de son amour pour la terre. Elle compare son expérience à celle de ses petits-enfants. La mémoire du jardin est aussi mémoire d’un lien fort entre les générations, avec ces mamies et papis qui tenaient la cuisine et le jardin.
Bien souvent, les savoir-faire de culture et de conservation à la cave se transmettent de père en fils ou de grand-père en petit-fils ; et celle de la conservation et transformation en cuisine des produits du potager, de mère en fille ou de grand-mère en petite-fille. Dans le massif, la transmission des savoirs du potager traditionnel se fait aussi entre jardiniers d'un même village. Souvent, les jardiniers amateurs et novices demandent conseils aux anciens jardiniers, héritiers d’une longue mémoire
Dans le massif des Bauges, les savoirs et connaissances du jardin se transmettent de génération en génération. Amis, parents, voisins se dévoilent les secrets et bonnes pratiques culturales du potager. Les connaissances et savoir-faire du potager traditionnel se sont transmis jusqu'à aujourd'hui et se transmettent de nos jours dans le cadre familial ou de voisinage. « Moi, j'ai le souvenir de ma grand-mère qui épluchait ses échalotes, qui allait au jardin chercher son persil, qui revenait... ». Suzanne Petit-Barat raconte son enfance et l’initiation au travail de désherbage depuis toute petite, à l’origine de son amour pour la terre. Elle compare son expérience à celle de ses petits-enfants. La mémoire du jardin est aussi mémoire d’un lien fort entre les générations, avec ces mamies et papis qui tenaient la cuisine et le jardin.
Bien souvent, les savoir-faire de culture et de conservation à la cave se transmettent de père en fils ou de grand-père en petit-fils ; et celle de la conservation et transformation en cuisine des produits du potager, de mère en fille ou de grand-mère en petite-fille. Dans le massif, la transmission des savoirs du potager traditionnel se fait aussi entre jardiniers d'un même village. Souvent, les jardiniers amateurs et novices demandent conseils aux anciens jardiniers, héritiers d’une longue mémoire.
Des familles du massif des Bauges ont maintenu les savoir-faire de culture, de conservation et de transformation des légumes, propres au territoire et à ses conditions géographiques et climatiques. Tel est le cas de la famille Berthoud, à Bellecombe-en-Bauges, Lombard à Lecheraines, Duperrier à Jarsy, Guérin à Arith, Ferrand à École, Bertin à Sainte-Reine ou encore des familles Dumoulin et Fressoz à La Compôte.
Les professionnels, à travers leur activité, transmettent aussi les savoirs du jardin : les grainetiers Grelin à Arbin ; le Jardin de Flora, horticulteurs, producteurs de plants, à Bellecombe-en-Bauges ; des maraîchers tels que Maurice et Clément Pichon à Crue, les Bau' Jardins à La Compôte ; la Ferme de l’Abeille Verte au Châtelard, Pascal Gay au Montcel, les Jardins de la Cour, à Gruffy ; la Ferme de la Batie, à Curienne, Simon Duisit, à Chainaz-les-Frasses ; les Jardins à emporter et les Jardins du Taillefer à Doussard ; David Dufour-Fontaine à Viuz-la-Chiesaz ; la Ferme lombricole des Savoie à Montmélian…
L'association Cyclamen 74 (protection des milieux naturels et de la biodiversité) se questionne depuis plusieurs années sur l’implantation de l’agriculture bio et sur des modes de culture plus respectueux de l’environnement. Afin de promouvoir une autre façon de jardiner, l’idée a germé de proposer un troc’Nature, né en 2006, avec comme fondement l’échange de plants, de graines, de boutures, de recettes, d’expériences.
Catherine Tournier s’engage dans le mouvement « Femmes semencières ».
L’association « Les Incroyables comestibles », dans le secteur d’Annecy, un collectif citoyen souhaitant recréer en ville des jardins comestibles, encourage des pratiques de jardinage naturel ouvertes à tous, afin de sensibiliser à la sauvegarde des semences paysannes et au plaisir de faire ensemble.
Au cours de l'histoire, le massif des Bauges a connu des périodes de bouleversement démographique et de modernisation qui ont impacté l'évolution des pratiques de jardinage. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le territoire est très peuplé. Le seul cœur des Bauges compte de 7000 à 8000 habitants. La population y vit dans une situation de relatif isolement, les échanges se font de l'intérieur vers l'extérieur. Les baujus exploitent au maximum les espaces pour l'autoconsommation : cultures de céréales, champs de légumes (chenevets, en patois, nom dérivé des champs de chanvre) et légumes au jardin (corti). Selon la mappe sarde de 1727-1728, premier cadastre européen, tous les prés sont en culture. Les travaux aux champs – bécher, semer, désherber, récolter – se font en famille. Le corti est le domaine de la femme, le champ celui de l'homme.
L'essentielle de l'alimentation paysanne est à base de soupe de légumes, surtout des raves, cuite dans l'âtre ou le bronzin. On y ajoute des céréales, du pain, des pissenlits, etc. Il y a encore peu d'espèces de légumes : carottes, poireaux, navets, salade, choux... La semence est reproduite d'année en année ou achetée des marchands de graines de passage. À la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, la population du cœur du massif a augmenté, de 15 000 à 20 000 habitants. L'introduction de la pomme de terre, ou tufer en patois, et l'arrivée du fourneau à partir des années 1850 déterminent un profond changement dans l'alimentation paysanne. Au début, la pomme de terre n'est qu'un additif pour la soupe car est longue à cuire. Avec l'apparition du fourneau, elle devient la matière première la plus consommée de la cuisine paysanne. Dès lors, elle joue un rôle majeur dans l'alimentation, supplantant le haricot qui jusque-là dominait l’alimentation. « On faisait des champs entiers de pommes de terre ». Elle est cultivée un peu dans les cortis, et en grandes quantités dans les champs, au côté des haricots, betteraves fourragères et quelques courges. Elle est préparée de différentes manières. Facile à conserver, la pomme de terre permet d’atteindre une sécurité alimentaire en montagne.
À partir de 1848 et jusqu'à la fin du XXe siècle, le massif est marqué par un fort exode rural. Ceux qui n'ont rien s'en vont vers les grandes villes pour trouver du travail. Dans ce contexte de forte dépression, les baujus se nourrissent exclusivement de leurs productions. Ils ne gaspillent rien et réutilisent systématiquement les restes, en cuisine ou pour nourrir les animaux. En temps de guerre, les paysans sont les mieux lotis puisqu'ils produisent leur propre nourriture. Les gens des villes viennent jusque dans la montagne pour troquer leurs objets et vêtements contre des aliments. En 1975, le cœur du massif ne compte plus que 3300 habitants.
Au milieu du XXe siècle, la modernisation agricole engendre de forts changements. Les travaux sont facilités par de nouvelles machines agricoles, comme la batteuse, les tracteurs, et le motoculteur au jardin. Désormais, les épiciers et quincailliers proposent à la vente des semences potagères sélectionnées. Certains se spécialisent dans le domaine comme la famille Grelin à Arbin. La reproduction des semences devient vite une pratique marginale et réglementée. En un siècle, la biodiversité cultivée diminue drastiquement. Les anciens évoquent des variétés disparues, comme certains haricots rames. De nouvelles espèces cultivées en basse altitude sont introduites en montagne, comme la tomate, la courgette et les poivrons, quasiment absents des mémoires. Alors que la conservation en cave et dans la saumure étaient les seules techniques de conservation utilisées, l'apparition de la stérilisation et de la congélation, dans les années 1950-1960, va bouleverser les habitudes alimentaires. « Autrefois, il y avait la salaison. Je revois ma mère mettre les haricots au saloir ». Certains légumes étaient conservés dans la saumure dans des toupines en terre cuite. Les courges étaient stockées dans l'écurie ; les haricots enfilés et mis à sécher sur un fil ; les pommes, poires et oignons, pendus en pinglions dans la cuisine, tresse reliée avec du raphia. La cave reste encore aujourd'hui très utilisée dans le massif.
Les écoles ménagères, dans les années 1950-1960, entament, en France et dans les régions, un processus de nationalisation de la cuisine et d'uniformisation des pratiques alimentaires. (Notes adaptés à partir d’un texte rédigé par Jean-Paul Guérin).
Les savoirs du jardin potager se voient réappropriés dans le désir d’une alimentation ancrée au sein de son territoire, de son histoire, ainsi que d’une alimentation locale et respectueuse de l’environnement. Les activités de maraîchage sont en fort développement sur le territoire. Des néo-ruraux, arrivés dans le massif à partir des années 1980, pratiquent des techniques de jardinage modernes ou plus récemment expérimentées, souvent inspirées de l'agroécologie et de la permaculture. C'est le cas de trois nouveaux maraîchers récemment installés à La Compôte-en-Bauges : « Les Bau'Jardins ».
De la même manière, le jardin redevient un lieu d’échanges. Signes d’une solidarité entre habitants du massif, on s’échange les savoirs ainsi que les recettes et plants. Des trocs de plants et de graines entre particuliers sont organisées par des associations : les « Troc’Nature », par l'Association Cyclamen à Héry-sur-Alby depuis 2006, le Troc des Rencontres Nature à Saint-Jorioz, organisées par Rive Ouest Environnement, et le troc de graines et de plants organisé par le Château des Allues à Saint-Pierre-d'Albigny.
Deux « grainothèques » sont désormais présentes sur le massif des Bauges : une accueillie à la médiathèque de Faverges-Seythenex, l’autres dans l'épicerie bio et locale, Croc' Bauges.
Certaines initiatives sont le signe d’un renouveau de la population et d’une volonté de renouer les liens avec une nature nourricière. C’est le cas d’associations comme Cyclamen 74, « Les Incroyables comestibles », BioBauges et des collectifs citoyens (Bauges en transition, Pays du Chéran en transition…), souhaitant encourager des pratiques de jardinage naturel ouvertes à tous, afin de sensibiliser à la sauvegarde des semences paysannes et au plaisir de faire ensemble.
De plus en plus de jardiniers amateurs et passionnés ouvrent leur jardin potager et partagent sur internet leurs expériences de production de nourriture saine, tout en favorisant la biodiversité, dans une recherche d’autonomie alimentaire. C’est le cas de Thomas Postaire, qui expérimente des pratiques culturales dans son jardin familial, un laboratoire situé à 900 m à Bellecombe-en-Bauges, « Au refuge des graines ».
À Montailleur (Savoie), Jacques Bouchet partage sa philosophie du jardinage simple et de la cuisine biologiques sur le blog « Cultures Bio /Jardin & Cuisine Bio ». Parallèlement, plusieurs jardins partagés entre habitants voient le jour, comme à Sainte-Offenge (Association Les co-créateurs), Lescheraines ou Le Châtelard (Savoie).
Différents risques et menaces pèsent aujourd'hui sur la sauvegarde des savoirs du potager traditionnel dans le Massif des Bauges :
- la standardisation des pratiques alimentaires, dues à l’industrialisation et à la globalisation,
- la transformation des modes de vie et le manque de temps à consacrer à la préparation des aliments,
- la perte des connaissances et savoir-faire du jardin traditionnel et la disparition des praticiens et détenteurs de savoirs,
- la perte des variétés potagères anciennes et de la mémoire liée aux semences,
- la perte de l'intérêt économique d'avoir un jardin,
- le développement de l'urbanisme et des modèles de vie urbains aux abords et dans les campagnes,
- la dégradation et la non-restauration de lieux comme les cortis et les caves, dans les maisons traditionnelles locales,
- le manque de considération de la fonction sociale et culturelle de cette pratique.
Modes de sauvegarde et de valorisation
La continuité de pratiques de jardinage est une véritable passion locale. Diverses actions sont mises en place par les communautés, groupes et individus concernés par les savoirs du jardin. Certaines initiatives sont le signe d’un renouveau de la population et d’une volonté de renouer les liens avec une nature nourricière :
- la création d'une grainothèque à l'épicerie bio et locale « Croc' Bauges », projet porté par l’association Biobauges et par les jardiniers de l’association Cyclamen 74 ;
- la création d’une grainothèque à la Médiathèque de Faverges, inaugurée en juin 2015. La Médiathèque organise également des trocs de graines et des conférences (par exemple, « Semence et biodiversité, le retour de la nature dans nos jardins », par Pascal Gay en 2015) ;
- les trocs de plants et de graines entre particuliers, dans le cadre de journées organisées par des associations : les « Troc’Nature » organisés par l'Association Cyclamen à Héry-sur-Alby depuis 2006, le Troc des Rencontres Nature à Saint-Jorioz, organisées par Rive Ouest Environnement et le troc de graines et de plants organisé par le Château des Allues à Saint-Pierre-d'Albigny ;
- les journées portes ouvertes aux jardins du Château des Allues à Saint-Pierre-d'Albigny, grand potager bio en carrés ;
- la création de jardins partagés entre habitants, comme à Saint-Offenge (Association Les co-créateurs de Saint-Offenge), Héry-sur-Alby, Lescheraines ou Le Châtelard ;
- des rencontres régulières autour de la permaculture sont organisées dans le secteur d’Albertville (les « Perm’apéro ») ;
- le réseau de gardiennes de semences créé autour d'Albertville, par le mouvement « Femmes Semencières », avec Catherine Tournier ;
- la création, par l’association « Les Incroyables comestibles » du bassin annecien, de jardins potagers dans le village d’Héry-sur-Alby, lors du Troc Nature ;
- le développement, par de nombreuses écoles du territoire (Bellecombe-en-Bauges, Duingt, Gruffy, Saint-Pierre-d’Albigny …), de projets pédagogiques autour du jardin potager.
En 2014, dans le cadre d’un partenariat avec le laboratoire Études rurales de l'université Lumière Lyon 2, Cyprien Durandard (Master 1, Développement rural et Valorisation culturelle) a réalisé son stage au PNR du Massif des Bauges, sur le thème du jardin potager comme médiateur du développement territorial. Lors de son travail d’enquête, il a réalisé 34 entretiens auprès d’une cinquantaine de jardiniers, et de courtes observations participantes. Plusieurs thématiques se sont dégagées de ces enquêtes : le jardin comme lieu d’expérimentation et de création de lien sociaux (jeunes/anciens ; anciens et nouveaux habitants), la transmission des savoirs, l’échange des graines/plants avec les voisins, la biodiversité domestique (anciens légumes oubliés, graines...), le rôle central des femmes dans la transmission des savoirs et des recettes traditionnelles.
Un café-débat « Savoir-faire ordinaires au jardin » a été organisé par le PNR à École (Savoie), en novembre 2014, avec Claire Delfosse, géographe, François Portet, ethnologue, et Cyprien Durandard pour partager ce travail avec les habitants. La soirée fut très riche en échanges et témoignages (enregistrée et rediffusée par Radio Alto 94.8).
En 2017, une carte postale audiovisuelle sur le jardin a été réalisée par le PNR avec la contribution de la cinémathèque des Pays de Savoie et de l’Ain et le concours de la réalisatrice Mathilde Syre : ce court-métrage visait à sensibiliser et valoriser le patrimoine culturel immatériel à travers des témoignages et documents d’archive.
L’inscription à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel et à l’inventaire alpin www.intangiblesearch.eu est une mesure de sauvegarde, à l’échelle nationale et à l’échelle internationale.
Actions de valorisation à signaler
En 2018, dans le cadre du projet européen AlpFoodway, une exposition temporaire et itinérante sur la culture alimentaire du massif des Bauges (« Des histoires plein l’assiette ») a été réalisée, afin de valoriser les témoignages des habitants impliqués dans le travail d’identification, documentation et sauvegarde du patrimoine alimentaire et culinaire. Le jardin figure parmi les thèmes traités par l’exposition.
Le « Festival des jardins alpestres », organisé par la Ville d'Albertville, en 2018 (1re édition), regroupait des ateliers, animations, projections, expositions, balades et visites de jardins. En 2019, les témoignages des habitants et jardiniers des Bauges ont fait l’objet d’une intervention publique, avec l’anthropologue Valentina Zingari, lors d’un café-débat dans le cadre du festival, au Garage de la Librairie des Bauges.
Modes de reconnaissance publique
Sans objet
Récits liés à la pratique et à la tradition
Les jardins, entre cortis, chenevets et caves, sont omniprésents dans les mémoires et le vécu des baujus. Ils ont assuré, au fil de l’histoire, la base de l’alimentation quotidienne, dans le cycle des saisons. « Le jardin, il était en bas de la maison, puis en bas dessous, au chevenet, ils mettaient des choux, des betteraves, des fayots… À l’origine, c’était pour mettre le chanvre…, pour faire les cordes. Les légumes, on les rentrait à la cave, c’était frais. On les enterrait aussi à la cave, on les recouvrait de terre… on conservait les choux dans le jardin ».
Le choix d’extraits qui suivent, transcriptions de conversations entre habitants de diverses communes de Bauges, évoque les semences gardées et échangées, en particulier des « haricots rame », mémoire longue de l’alimentation d’ici :
« Je sais que, l'hiver, ils en faisaient beaucoup des haricots, parce qu'à cette époque, ils semaient du maïs pour les poules, pour faire de la farine de maïs. Alors, c'était tout fait à la main, c'était plus maintenant comme avec les machines. Ils faisaient trois ou quatre lignes de maïs, ils avaient une ligne d'haricots. Ça leur en faisait beaucoup des haricots ; alors, l'hiver, ils égrenaient ça et ils mangeaient souvent des haricots, soit cuits, soit en salade (…). Alors admettons, tu ramassais tes haricots au mois de septembre. Ils les mettaient dans un endroit où c'était bien ventilé, bien aéré, pour pas qu'ils moisissent, tu vois. Et puis après, dans l'hiver, ils les égrainaient, mais ils en faisaient des seaux ! C'était pour manger et pour les graines. Tu sais, les flageolets cuits avec un rôti. On en trouve encore aujourd'hui en boîte. Eh bien, eux, ils les faisaient. Ils avaient tout ça. C'était nourrissant » [entretien de Fernand Martin à Mercury (Savoie), 13 juillet 2016].
« Dans les haricots rames, il y avait au moins dix variétés. Puis il y en avait, ils étaient à deux couleurs. On était gamins, on aimait bien, on s'amusait »
« Moi j'ai des haricots. Ah ben, les crochets de Savoie ! Ça se passe encore des uns aux autres ! Les crochets de Savoie, ils sont crochus. C'est une race qui se perd ça. Et moi, je fais encore les gros haricots. Alors, il y a Grelin, qui est marchand de graines, qui les conserve. Un vieux pépé qui lui fait tout un grand champ de haricots, qui lui donne sa semence. Parce qu'il ne faut pas ramasser la rame. Il laisse sécher pour avoir la graine et il les vend à Grelin. Et une année, ils en avaient plus Grelin, plus de haricots, plus de crochets de Savoie. Le monsieur était mort. Alors, ils ont trouvé quelqu'un d’autre. (…) Et moi j'ai des gros haricots comme ça. Oui, plus gros que le Soissons. En rames, je fais que des rames moi. Toutes les couleurs. Oh là là ! C'était du temps de mon oncle Marius. Dans le temps, ils se passaient toujours les graines des haricots. J'ai fait 24 rames de haricots à rames, alors j'ai fait ceux de mon père, j'ai fait des haricots violets, j'ai fait des crochets de Savoie, et j'ai fait... J'ai fait quatre rames moi, quatre. Ben, les graines, ça ne se met pas dans une cave, ça se met au sec… Alors ils mettaient dans des bocaux avec une gousse d'ail ou du laurier sauce, pour pas qu'ils attrapent le charançon. Alors moi, j'y laisse dans les cosses... ».
Les mémoires transmettent les images des grands-mères assises devant les maisons, gardiennes de la cuisine et du jardin. Ces images et ces évocations paysagères transmettent un système de valeurs. Les allers-retours de la grand-mère, de la cuisine au jardin, incarnent le lien profond entre ces deux milieux de vie : le corti et la cuisine, lieux de l’alimentation familiale et de la transmission des savoirs entre les générations.
« Et devant chaque maison – c'est un souvenir que j'ai –, il y avait un pépé ou une mémé assise qui était là, immobile, et qui regardait. Et dans chaque maison, il y avait toujours une grand-mère qui faisait la cuisine (…). Moi, j'ai le souvenir de ma grand-mère qui épluchait ses échalotes, qui allait au jardin chercher son persil, qui revenait, qui faisait son truc comme ça doit être fait… Je sais que, par exemple, ma grand-mère utilisait beaucoup, beaucoup les oignons, l'ail, les échalotes, la ciboulette, tous les aromates, et j'ai tendance à le faire aussi… »
Alimentation, travaux agricoles saisonniers et plats de fête s’entremêlent dans les souvenirs :
« Sé. : Ma grand-mère, elle me racontait qu'ils partaient avec leur truc de soupe, avec leur morceau de lard, pour aller faucher. Quand ils partaient très tôt le matin, qu'ils allaient faucher assez loin et qu’ils n’avaient pas le temps de revenir, à 10h, ils s'arrêtaient et ils mangeaient leur bol de soupe. M. F. : Nous, on allait porter. Quand on était gamins, les hommes allaient faucher le matin à la faux et puis, vers 9h le matin, ils nous envoyaient, nous les gamins, porter la soupe avec le barraquin, dans un seau. Et puis des fois tu tombais et tu renversais tout. V. : On amenait le fromage pour le manger. M. F. : Pour le manger à côté, avec le pain. M-C. : Mais souvent, on en mettait dans la soupe aussi. M. F. : Oui, mais pas pour cuire, on mettait les morceaux. Moi j'en mets toujours, quand je mange la soupe, je coupe des morceaux de fromage dedans. M. : Mais le lard, ils l'enlevaient après ? M. F. : On l'enlevait pour le manger à côté. Il était cuit dans la soupe mais mangé à côté. Et donc on mangeait le matin la soupe, on l'apportait aux faucheurs, dans les prés. On leur portait. Parce que s'ils partaient avec, elle était froide après. Alors ils nous envoyaient, nous les gamins, l'apporter plus tard, quand ils avaient déjà travaillé » [table-ronde avec Josiane Ferrand, Marius Ferroud-Plattet, Danielle Ferroud Plattet, Julienne Ferroud-Plattet, Geneviève Ferroud-Plattet, Marie-Claude Nagel, Germaine Orset, Solange Regnaud, Pierre Borasci, Séverine Chatelain, Andrée Chatelain et de Marie-Françoise Fressoz à École-en-Bauges (Savoie), 2 juin 16]. « Il y avait, ah oui, la soupe à l'oignon ! Bien sûr, la soupe à l'oignon. Je l'ai oublié celle-là, mais c'était pour les grandes occasions. La soupe à l'oignon, on la faisait surtout quand on avait bien mangé à midi, qu'on avait fait la fête, que c'était par exemple un jour de vogue, et bien le soir on mangeait la soupe à l'oignon. Et le jour de la batteuse, oui » [entretien avec Régine Bouvet, Le Noyer (Savoie), 21 juillet 2016].
Inventaires réalisés liés à la pratique
Inventory of traditional Alpine Food, dans le cadre du projet européen AlpFoodway (accès en ligne, sur le site internet « Intangiblesearch.eu » et « alpfoodway.eu ») : fiche d’inventaire « Savoirs du jardin potager dans le Massif des Bauges ».
Bibliographie sommaire
Ala, Silvia et Lapiccirella Zingari, Valentina, Savoirs et pratiques alimentaires et culinaires dans le Massif des Bauges (Savoie et Haute-Savoie), rapport de recherche dans le cadre de l’appel à projets du ministère de la Culture, Le Châtelard, PNR du Massif des Bauges, 2017, 375 p.
Dubois, Yvonne, La Vallée des cyclamens : cahiers d'une paysanne savoyarde 1, Condé-sur-Noireau, impr. Corlet, 1983, 216 p.
Dubois, Yvonne, L'Ocarina rouge : cahiers d'une paysanne savoyarde 2, Alençon, Normandie Impression, 1986, 200 p.
Dubois, Yvonne, Les Perles bleues : carnets d'une paysanne savoyarde 3, Gémenos, impr. Robert, 1996, 234 p.
Durandard, Cyprien, « Le jardin comme médiateur du développement du territoire : le cas du PNR des Bauges », mémoire de Master 1 Études rurales, dir. Claire Delfosse, 2014, 112 p.
Gex, abbé François, Les Bauges, chemins et vie d'autrefois, Cabédita, 1996, 210 p.
Guérin, Marie-Anne, Rapport de stage sur la cuisine et l'alimentation dans les Bauges à travers l'association Les Amis des Bauges, dir. J.-P. Bozonnet, Grenoble, Institut d'études politiques de l'Université Pierre Mendès-France, 1995, 26 p.
Guérin, Marie-Anne, 2002, « À la mode de chez nous » [sur les diots de choux dans les Bauges], L'Alpe, dossier À table ! Saveurs et savoirs, n° 15, Grenoble, Musée Dauphinois / Glénat, 2002, p. 19-21.
Jardins du Monde Montagne, PNR du Massif des Bauges et PNR de Chartreuse, Cueillettes de mémoires. Histoires d'hommes et de plantes en Bauges et Chartreuse, Le Cicero, Chambéry, 2012, 272 p.
Lansard, Monique, Recueil de la gastronomie savoyarde, Delta 2000, 1982, 63 p. Lapiccirella Zingari, Valentina, Des espaces en récit. Parcours du temps à La Compôte-en-Bauges. Réflexions sur l’interprétation du patrimoine rural, rapport d’étude ethnographique, Le Châtelard, PNR du Massif des Bauges, 2002, 110 p. Loyrion, Maïté, « Le Patrimoine culturel immatériel, une nouvelle ressource pour le développement territorial. Le cas de l’inventaire des « savoirs et pratiques alimentaires et culinaires » dans le Parc naturel régional du Massif des Bauges », mémoire de Master 2 Patrimoine rural et Valorisation culturelle, dir. Claire Delfosse, Lyon, Université Lumières Lyon 2, 2016, 206 p.
Société savoisienne d'Histoire et d'Archéologie, PNR du Massif des Bauges, Les Bauges, entre lacs et Isère, Chambéry, Éditions Comp'Act, 2005, 350 p.
Filmographie sommaire
Vivre au jardin, le potager un lieu d’échange, réal. Mathilde Syre, prod. PNR du Massif en Bauges, 2017, 4 min 37.
https://www.youtube.com/watch?v=7IReDZD3poM&list=PLHwcaON2QF5s4NSlOaMRL0SY7XP6-RR_g&index=7&t=0s
Rencontre avec Catherine Tournier, mouvement des Femmes semencières :
https://www.youtube.com/watch?v=IC0KJ5xUQkE
Sitographie sommaire
Association Cyclamen 74
http://www.cyclamen74.org/Petale-JARDINIERS
Site du projet européen AlpFoodway
Inventaire du patrimoine alimentaire alpin
Page Facebook « Mouvement des Femmes semencières »
https://fr-fr.facebook.com/FEMMESSEMENCIERES/
Blog « Au refuge des graines », vers un potager familial et autonome
https://www.aurefugedesgraines.com/
Blog « Jardin et cuisine bio », pour découvrir le jardinage sans contraintes et une cuisine saine et simple http://culturesbio.org/
Pierre Bouvet, artisan-boulanger à la "Boulangerie Savoyarde", à Ecole, fils de Régine Bouvet, 04 79 54 82 74
Régine Bouvet, retraitée, 04 79 63 37 37 / 09 62 62 37 69, regine.bouvet@orange.fr
Anne-Marie Chaffardon, retraitée, anciennement assistante maternelle, 04 79 28 40 43
Marie-Louise Challamel, agricultrice retraitée, 36 route des Droblesses, 74410 Entrevernes
Jean et Marie-Jeanne Chanvillard, agriculteurs retraités, Sainte-Offenge (Savoie), 04 79 54 91 30
Christiane Chappuis, anciennement présidente de l'Office du Tourisme des Aillons et cuisinière dans le centre de vacances « La Ferme de la Mense », Aillon-le-Jeune (Savoie), 04 79 54 63 01 / 06 36 58 79 72
Denise Clerc, agricultrice retraitée, gère aujourd'hui des chambres d'hôtes « La Claire Fontaine », à Saint-Ours (Savoie), 04 79 54 91 88
André Corboz, anciennement maire d'Entrevernes, 74410 Entrevernes
Madeleine Dagand, agricultrice retraitée, 04 79 54 90 32
Gisèle Falquy, agricultrice retraitée, 04 79 84 72 98
Solange Fantin, agricultrice retraitée, Sainte-Offenge (Savoie), 04 79 54 91 09
Ginette Ginollin, agricultrice retraitée, Aillon-le-Jeune (Savoie), 04 79 54 60 61
Thérèse Lièvre, anciennement élue et déléguée suppléante au PNR du Massif des Bauges, fille de Marie-Louise Challamel, 04 50 68 55 82
Muguette Lys, retraitée, anciennement employée aux « Galeries Lafayette », 04 79 65 68 86
Alice et Fernand Martin, agriculteurs retraités, Mercury (Savoie), 04 79 32 68 22 / 04 79 32 41 21
Geneviève Martinet, retraitée, anciennement gérante et cuisinière de « l'Hôtel du Soleil », 04 79 54 60 24, delphine.martinet0561@orange.fr
Robert Millet, tenait anciennement l'hôtel-restaurant « La Chataigneraie », à Chaparon, 04 50 44 30 67 / 06 86 99 11 21
Armande Mugnier, retraitée, Saint-Ours (Savoie), anciennement employée à France Telecom, 04 79 63 38 30
Simone Pachoud, agricultrice retraitée, 04 79 84 73 45
Yvonne Pélissier, agricultrice retraitée, Saint-Jorioz (Haute-Savoie) (aujourd’hui décédée)
Maurice Pélissier, neveu d’Yvonne Pélissier, Saint-Jorioz (Haute-Savoie), 04 50 68 63 81, mpelissier74@gmail.com
Juliette Petellat, agricultrice retraitée, 06 85 46 08 41 / 04 79 54 91 78
Louis Petit-Barat, retraité, agriculteur, employé municipal à Aillon-le-Vieux, époux de Suzanne Petit-Barat, 04 79 54 60 84
Suzanne Petit-Barat, retraitée, anciennement gérante de chambres d'hôtes, épouse de Louis Petit-Barat, Aillon-le-Vieux (Savoie), 04 79 54 60 84
Huguette et Joseph Pienne, agriculteurs retraités, La Thuile (Savoie), 04 79 84 73 43
Catherine Tournier, active dans le mouvement des « Femmes semencières », catherinetournier73@gmail.com
Soutiens et consentements reçus
Des consentements et des soutiens ont été reçus de l’ensemble des personnes rencontrées et citées dans la présente fiche.
Rédacteurs de la fiche
Ala, Silvia, consultante, conseil et animation pour la valorisation de la culture et du patrimoine en milieu rural, Parc naturel régional du Massif des Bauges, s.ala@parcdesbauges.com
Duperrier, Juliette, anthropologue, chargée d'étude pour l'enquête, analyse et rédaction de fiches d'inventaire sur le patrimoine alimentaire, j-dup@hotmail.fr
Lapiccirella Zingari, Valentina, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel, responsable scientifique de l’inventaire du PCI pour le Parc naturel régional du Massif des Bauges, vzingari@gmail.com
Loyrion, Maïté, chargée de mission Patrimoine culturel et immatériel, PN Parc naturel régional du Massif des Bauges, maite.loyrion@outlook.fr
Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé
Ala, Silvia, chargée de mission Patrimoine culturel au Parc naturel régional du Massif des Bauges
Lapiccirella Zingari, Valentina, responsable scientifique du projet d’inventaire, anthropologue experte en patrimoine culturel immatériel
Loyrion, Maïté, chercheuse pour le développement des espaces ruraux
Lieux(x) et date/période de l’enquête
Saint-Offenge (Savoie), entretien avec Jean et Marie-Jeanne Chanvillard et Solange Fantin, 17 mai 2016
Saint-Jorioz (Haute-Savoie), entretien avec Yvonne Pélissier et Maurice Pélissier, 26 mai 2016
École-en-Bauges (Savoie), table-ronde autours des savoirs et pratiques alimentaires du massif des Bauges, dont le jardin potager, 2 juin 2016
La Thuile (Savoie), entretien avec Gisèle Falquy, Simone Pachoud, Huguette Pienne et Joseph Pienne, 23 juin 2017
Saint-Ours (Savoie), entretien avec Madeleine Dagand, Denise Clerc, Armande Mugnier et Juliette Petellat, 30 juin 2017
La Thuile (Savoie), entretien avec Robert Millet, 5 juillet 2017
Aillon-le-Jeune (Savoie), entretien avec Christiane Chappuis, Ginette Ginollin et Geneviève Martinet, 7 juillet 2017
Mercury (Savoie), entretien avec Alice Martin et Fernand Martin, 13 juillet 2017
Saint-Jean-d'Arvey (Savoie), entretien avec Geneviève Roux-Crémillieux, Muguette Lys et Anne-Marie Chaffardon, 13 juillet 2017
Aillon-le-Vieux (Savoie), entretien avec Suzanne Petit-Barat et Louis Petit-Barat, 15 juillet 2017
Le Noyer (Savoie), entretien avec Régine Bouvet et Pierre Bouvet, 21 juillet 2017
Entrevernes (Haute-Savoie), entretien avec Marie-Louise Challamel, Thérèse Lièvre et André Corboz, 22 juillet 2017
Aillon-le-Jeune (Savoie), Chartreuse d’Aillon : table ronde autour des savoirs du jardin potager, dans le cadre de la rencontre internationale « Patrimoine alimentaire alpin. Expériences et enjeux dans le massif des Bauges et dans les Alpes », 1er octobre 2019.
Données d’enregistrement
Date de remise de la fiche : 11 février 2020
Année d’inclusion à l’inventaire : 2020
N° de la fiche : 2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00457
Identifiant ARKH : ark:/67717/nvhdhrrvswvk253
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Massif_des_Bauges
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