D’une manière générale, les pratiquants, qui sont pour la plupart des jeunes, pensent que les tournées permettent de recréer du lien social dans la commune, de mieux se connaître, de mieux s’intégrer. Cela permet aussi de rencontrer au moins une fois par an des personnes âgées qui sortent peu de leur maison.

Dans la province basque du Labourd, les traditions et pratiques carnavalesques attestées depuis le Moyen Âge (le plus ancien témoignage écrit date de 1289) ont connu, comme la société basque de cette province, des changements et mutations sans vraiment perdre leurs particularités. Largement en déclin au milieu du XXe siècle, elles ont progressivement redémarré à la fin des années 1970, grâce à un fort mouvement culturel et revivaliste basque, s’appuyant sur les derniers villages et les anciens ayant conservé l’usage ou la mémoire. Les tournées du carnaval labourdin occupent une part prépondérante des manifestations de cette période. Elles vont de maison en maison (Etxez etxe). Sous leurs formes dansées et chantées, elles ont su s’adapter aux enjeux du présent, mêlant traditions et innovations. Elles constituent aujourd’hui, notamment celles des Kaskarot (danseurs) et de leur cortège, mais aussi celles des Maskak-Zirtzil (individus déguisés à l’aspect sauvage et bariolé), avec Hartza (l’ours), un moment incontournable du calendrier festif et culturel de chaque commune rurale ou urbaine du Labourd. Elles se déroulent en période carnavalesque, appelée Ihauteri, de janvier à mars.

- Traditions et expressions orales ;

- Arts du spectacle ;

- Pratiques sociales, rituels ou événements festifs.

L'une des caractéristiques des pratiques des tournées carnavalesques actuelles en Labourd est la multiplicité des organisateurs. Il est remarquable de noter le glissement d'une jeunesse indépendante (jadis les célibataires d’une vingtaine d’années ou les conscrits), regroupée en association de fait, vers une jeunesse organisée en association déclarée (loi 1901). Il existe toujours aujourd'hui, en arrière-plan, une structure responsable : le plus souvent des groupes folkloriques, des sociétés de jeunes (Gaztetxe), des comités des fêtes, etc. Diverses associations y ont aussi vu l'occasion d'animation locale, de publicité sur leurs activités et surtout une réelle opportunité financière à travers les quêtes. Parmi celles-ci, on trouve des associations culturelles, sportives, de quartier, de parents d’élèves (de nombreuses écoles ont repris le flambeau) ainsi que des centres de loisirs.

D’une manière générale, les pratiquants, qui sont pour la plupart des jeunes, pensent que les tournées permettent de recréer du lien social dans la commune, de mieux se connaître, de mieux s’intégrer. Cela permet aussi de rencontrer au moins une fois par an des personnes âgées qui sortent peu de leur maison. Certains l’inscrivent même dans une action militante.

Beaucoup nous ont dit avoir découvert leur village à l’occasion de carnaval. Ils sont allés dans des lieux, quartiers ou maisons qu’ils ne connaissaient absolument pas. Pour de nombreux participants, cela permet de relier les gens à leur maison. En effet, dans beaucoup de villages labourdins, les anciens identifient les personnes par le nom de la maison où ils habitent. Les jeunes étant en passe de perdre cette pratique, ces tournées y remédient.

Par ailleurs, comme il n’y a pas beaucoup d’animation en hiver, la tournée qui dure plusieurs jours donne un air de fête au village en passant de maison en maison, en animant la sortie de la messe ainsi que la place. Elle crée un autre moment de convivialité que celui des fêtes patronales.

C’est aussi l’occasion d’être entre jeunes du village, de s’intégrer en partageant plusieurs journées entre copains. Nombreux sont ceux qui suivent des études à Bordeaux et même plus loin : la tournée est un moyen de les rassembler et de remédier à leur dispersion.

Tout le monde est en costume, il n’y a pas de costume civil. On installe la fête dans chaque maison. Chacun peut se lâcher, boire et manger plus que d’habitude. Comme ils disent, c’est faire « la bringue entre nous et avec les gens qui accueillent en bousculant les frontières entre les générations ». Tous les ingrédients d’une fête spécifique sont là : musiques, chants, danses, rituels, boissons, nourriture… Ils sont entre jeunes sans la surveillance des parents. Ils peuvent faire le Basa (sauvage). Pour beaucoup, c’est l’occasion de leur première fête et une initiation aux pratiques festives (dès l’âge de 15 ans dans certaines communes).

Pour certains groupes folkloriques, c’est aussi une occasion de montrer le travail de recherche en danses et costumes qu’ils effectuent. Plusieurs pensent que pour honorer les gens qui accueillent, il faut être impeccable et offrir une prestation de qualité.

Pour certains dirigeants d’associations, les tournées sont une occasion de mettre en valeur leur travail, de lui donner une visibilité, mais aussi de rencontrer les adhérents voire d’en recruter de nouveaux. L’apport financier non négligeable de ces tournées (dons) revient aux membres de l’association et permet de nombreux projets. Parfois, la somme alimente simplement un repas entre participants. Quelques groupes font le choix de ne recevoir que des victuailles.

Des jeunes pensent qu’il ne faut pas perdre ce que les anciens ont transmis. Certains collectent même leur mémoire ou celle des ethnographes afin de participer à la continuité. Ils cherchent à sauvegarder l’aspect rural d’interconnaissance en se démarquant de l’anonymat des carnavals des grandes villes (d’ailleurs pas très éloignées comme Saint-Sébastien). Ils disent vouloir recréer une dynamique culturelle basque autour de cet événement et le valoriser auprès des nouveaux habitants. D’autres pensent que les tournées développent aussi l’usage de la langue basque. Enfin, il y a aussi ceux (ils sont de plus en plus nombreux) pour qui elles sont principalement un moyen d’affirmer l’identité basque, constituant par là un acte militant.

 

Cette tournée de maison en maison, Etxez etxe, est confrontée à plusieurs cas de figure :

- Le premier est celui d’une ancienne maison, au fait des codes traditionnels (souvent mal compris) du monde rural labourdin : accueil par la maîtresse de maison dans la grande pièce centrale de la maison, don et contre-don paraissant encore aujourd’hui conserver une part du « sacré » d’autrefois, entre autres par l’abondance des offrandes alimentaires.

- Le deuxième cas de figure est des maisons neuves, souvent sans rapport avec le monde rural. Là, selon l’origine des habitants (basques ou pas) et leur âge, les réponses à l’accueil varient. Il n’y a pas de constance comme dans le premier cas. Accueillir pose souvent problème car il n’y a pas de lieu adéquat prévu à cet effet. On s’installe alors dans le garage ou le jardin. En changeant d’espace d’accueil, l’homme semble pouvoir désormais prendre sa place alors qu’il était dans le premier cas plutôt en retrait.

- Un troisième cas de figure plus récent se met en place avec un regroupement par voisinage, ce qui facilite l’accueil de groupes importants de carnavaliers, tout en développant le lien social dans les quartiers, les nouveaux lotissements voire les zones de résidences collectives, dans le contexte du développement des zones dortoirs.

Ces trois cas de figure prouvent que les aspects anciens de la tradition côtoient les innovations, favorisant ainsi l’implication des villageois et le lien social.

a) Situation géographique

Le carnaval labourdin s’étend sur la totalité de la province basque du Labourd, où chaque commune a conservé, repris ou développé autour de racines communes diverses caractéristiques.

La province du Labourd est l’une des sept provinces basques formant Euskal Herria : le Pays basque. Quatre de ces provinces, constituant le Pays basque sud ou Hegoalde, sont rattachées à l’Espagne (Biscaye, Guipuzcoa, Alaba et Navarre). Les trois autres, constituant le Pays basque nord ou Iparralde, dépendent de la France et font partie du département des Pyrénées Atlantiques : ce sont la Soule, la Basse-Navarre et le Labourd. Le Labourd a 875 km2, il est limité, au nord, par l’Adour ; à l’est, par l’ancienne seigneurie de Bidache et l’Arberoue en Basse-Navarre ; au sud, par les montagnes Baïgura, Keketa et Artzamendi, qui le séparent de la vallée d’Ossès (Basse-Navarre) et par la frontière franco-espagnole et la Bidassoa ; à l’ouest, par l’océan Atlantique. Sa capitale est Ustaritz. La ville de Bayonne, mi-basque mi-gasconne, a « toujours » eu une histoire propre et surtout, comme tout port, très cosmopolite. Métropole très importante, elle est le pôle principal de tout le Pays basque nord.

Les quarante communes du Labourd relèvent de la communauté d’agglomération Pays basque, constituée de 158 communes et de 300 323 habitants (en 2017), et 6e communauté d’agglomération la plus peuplée de France.

 

b) Évolution démographique

Selon divers recensements, le Labourd a connu une augmentation démographique continue. Il s’urbanise de plus en plus, ce qui fait écrire à Pierre Laborde « une ville appelée Labourd ». Toute la partie nord et ouest de la province est profondément urbanisée, avec une concentration autour de l’ancienne communauté d’agglomération de Bayonne-Anglet-Biarritz (BAB).

Autour de ce pôle, les communes anciennement rurales d’Arcangues, Basssussary, Saint-Pierre d’Irube, Mouguerre, etc., deviennent de plus en plus résidentielles. Au fur et à mesure que les lotissements se sont construits, la population en trente ans a doublé voire triplé dans certaines communes. Depuis vingt-cinq ans, ces villages, situés à une quinzaine de kilomètres du BAB, ont vu leur population augmenter considérablement (jusqu’à 88 %), alors que les villes perdaient des habitants. Pour Xabier Itçaina, « l’influence de cette augmentation de population sur le système villageois est importante : la population des villages se trouve scindée en deux groupes : les autochtones et les nouveaux1 ». Ces derniers sont souvent regroupés dans des lotissements formant de nouveaux quartiers. L’arrière-pays labourdin, limitrophe de la Basse-Navarre et de la frontière montagneuse avec l’Espagne, semble pour le moment relativement résister à ce fort mouvement et reste plus « agricole ».

Enfin, il est important de signaler que cet accroissement de population est aussi la conséquence de l’attrait de la région et du littoral basque. Beaucoup de résidences secondaires et de retraités s’y sont installés.

 

c) Évolution économique

Le Labourd n’est plus une province agricole au sens économique du terme. Son économie voit prédominer de très loin le secteur tertiaire (80 %), suivi de très loin par le secondaire (17,9 %) et l’agriculture (2,1 %).

 

d) La langue basque

Une enquête de 2016 donne en Pays basque nord 30 % de bascophones actifs et passifs. Le Labourd compte, quant à lui, 14 % de bascophones actifs et passifs dans la zone Bayonne-Anglet-Biarritz et 30,4 % à l’intérieur de la province, où la pratique des tournées carnavalesques est en plein développement.

 

e) Pratiques similaires en France et/ou à l’étranger

Les tournées carnavalesques du Labourd sont liées au calendrier de l’hiver et de l’avènement du printemps, comme les décrivent les travaux de Arnold Van Gennep, Claude Gaignebet, Daniel Fabre, Jean-Dominique Lajoux, etc. Elles peuvent être classées dans les pratiques des mascarades rurales et carnavalesques connues dans toute l’Europe. Les aspects qui les rassemblent sont les tournées de dons et contre-dons de maison en maison, les cortèges de masques beaux ou laids, de danseurs pratiquant la quête, la présence d’un déguisement en ours, les pratiques pamphlétaires de type charivarique, etc.

On retrouve les éléments cités ci-dessus très souvent en France (voir Fêtes de l’Ours du Vallespir en Catalogne, tournées des Belles à cheval blanc en Provence, tournées des Baladins dans les Hautes-Pyrénées) et en Europe (en Italie, les tournées de Labaio dans la zone de Sampeyre et les mascarades rurales d’Aoste ; en Espagne, la Vijanera de Cantabre à Silio ; en Navarre, les tournées de quêtes des villages du Baztan, d’Ituren et de Zubieta ; en Pologne, la tradition des Dziadydans dans la région de Ziwiec ; en Tchécoslovaquie, les tournées des maisons à Vernar ou Doudleby en Bohême ; en Autriche, les blancs et les noirs de Nassereith, etc.).

Ces traditions s’inscrivent, comme en Labourd, dans la valorisation des liens identitaires de chaque communauté (commune ou quartier) et de la « reliance » de ses membres.

1. GUILCHER Jean-Michel, La Tradition de danse en Béarn et Pays basque français, Paris, Éd. de la Maison des Sciences de l’homme, 1984, p. 514.

Les tournées du carnaval labourdin, en déclin ou oubliées dans certaines communes, ne se sont jamais arrêtées dans les villages de Ustaritz, Hasparren, Espelette, Urt, Ainhoa.

Depuis les années 1980, avec les recherches et les actions du mouvement revivaliste, de nombreux groupes dans différentes communes ont repris peu à peu cette tradition, le tout dernier étant à Bonloc en 2017. En 2003 et 2004, une bonne vingtaine de tournées étaient organisées dans quarante communes du Labourd (Ahetze, Arbonne, Ainhoa, Bardos, Bidart, Biriatou, Briscous, Cambo-les-Bains, Espelette, Guéthary, Hasparren, Larressore, Louhossoa, Mendionde, Mouguerre, Saint-Pée-sur-Nivelle, Sare, Souraïde, Urt et Ustaritz).

 

a) Les différents types de tournées de quête en Labourd aujourd’hui

Il n’y a pas de folklorisation outrancière des tournées de carnaval, même si beaucoup de groupes de danses y sont impliqués. Chaque tournée possède une réelle identité, voire des caractéristiques locales, dont les acteurs ne sont pas forcément conscients. Seuls certains acteurs, parce qu’ils sont musiciens et qu’ils interviennent sur plusieurs villages, ont une vision plus complète.

Elles se déroulent du début du mois de janvier en général jusqu’à la Semaine grasse. Certains groupes faisant le tour de toute leur commune doivent s’organiser sur plusieurs samedis et dimanches. D’une manière générale, le Samedi et le Dimanche gras sont surtout les principales dates des tournées. Certains groupes comme ceux d’Ustaritz, Hasparren ou Briscous dansent le dimanche à la sortie de la messe du matin. Avec l’éloignement des étudiants, certains groupent, calant la tournée sur les samedis et dimanches des vacances scolaires d’hiver, et peuvent être amenés à décaler les tournées sur la période de Carême, avec le risque de ne pas être reçus dans certaines maisons.

 

  • Les tournées de Kaskarot (cfr. description infra du kaskarot danseur)

Dans beaucoup de communes, le terme qui qualifie un type de danseur (Kaskarot) désigne aussi la tournée elle-même. Il est courant d’entendre : « on fait les Kaskarot ». De même, le terme utilisé pour désigner la période de carnaval (ihauteri) peut aussi être employé pour désigner cette tournée.

Le kaskarot était au départ un danseur masculin. La commune d’Ustaritz est la seule en 2018 à conserver une tournée traditionnelle de kaskarot constituée uniquement de jeunes hommes.

En Labourd, durant les quarante dernières années, avec la relance d’une réelle dynamique dansée, beaucoup de groupes folkloriques ont recréé des costumes de Kaskarot. Ceux-ci sont inspirés de photographies et gravures anciennes, mais, dans beaucoup de cas, d’importantes innovations ont été apportées dans la décoration des vêtements, des chapeaux ou bérets. Ces innovations se sont souvent réalisées en impliquant les filles (souvent très nombreuses dans les groupes basques). En effet, la tournée des Kaskarot a dans cette période pris une dimension mixte, spécialement après création en 1979 par Claude Iruretagoyena et Thierry Truffaut d’un costume féminin, en miroir de celui du Kaskarot masculin et inspiré de celui des danseuses de fandango de la côte basque d’avant-guerre 1914-1918. Cela donne désormais un « couple » de danseurs très caractéristique. Le groupe de la commune de Briscous étant l’un des plus représentatifs de ce style mixte. Il faut noter que le blanc dominant du costume du couple, la richesse des ornementations, des rubans, ceintures et baudriers ne facilitent pas les déplacements dans les campagnes. Cela donne un aspect irréel, extraordinaire à la tournée, impression renforcée par la présence de beaux costumes de masques-quêteurs avec de nombreuses sonnailles et un bon groupe de musiciens.

Le débat sur la mixité dans les tournées de quête est quasi ignoré dans les groupes ayant relancé la tradition ; il est plus marqué dans ceux qui n’ont jamais rompu avec la pratique. Ainsi, les Kaskarot d’Ustaritz se maintiennent dans l’esprit des anciens, les dirigeants veillant, malgré la demande de certains, à ne pas déroger à la règle. Ils ont par ailleurs, en dehors de la tournée, créé dans la journée du Zanpantzar (Mardi gras : promenade, jugement et crémation d’un mannequin appelé Zanpantzar) de nombreuses chorégraphies ouvertes aux filles et/ou créées pour elles.

À Hasparren, la participation des filles aux Kaskarot s’est concrétisée, entre 2003 et 2004, par la force des choses : « Il y a eu un débat sur plusieurs années ; certains étaient pour et d’autres contre, autant de garçons que de filles. Ce qui a été déterminant, c’est que l’an passé, on s’est retrouvé avec trop peu de garçons (7 danseurs et 3 quêteurs). Pour faire un groupe, il faut être 10 et 11, avec le porte-drapeau devant. Nous avons alors décidé d’inviter pour cette année des filles, qui insistaient en nous disant qu’ailleurs cela se faisait. Ceux qui étaient contre, du coup, ont arrêté en disant qu’il ne fallait pas modifier la tradition sur ce point. » (un des organisateurs de la tournée des Kaskarot).

Le costume du Kaskarot (garçon ou fille), utilisé lors des tournées, affirme une identité labourdine et a su développer, autour d’un style de costume, des particularismes locaux. Comme autrefois, il est possible au premier regard de différencier le Kaskarot d’Ustaritz de celui de Briscous ou d’Itxassou, etc. Depuis quelques années, de nombreux groupes labourdins ont ainsi participé, à tour de rôle, à de nombreux festivals des sept provinces basques, en représentant à la fois par leur costume leur province et leur village. D’ailleurs, certains jeunes nous ont confié se sentir les « ambassadeurs » de leur province dans ce type de festival. Les tournées de Kaskarot se déroulent de maison en maison et de quartier en quartier. Devant ou dans chaque maison, les participants exécutent des danses traditionnelles. Le groupe de Kaskarot possède également des personnages déguisés en quêteurs traditionnels (costumes spécifiques : Kotilungorri, Bestagorri et Ponpierra et, dans certains cas, un ou des Makilari). Certains groupes de kaskarot (Ustaritz, Saint-Jean-de-Luz, Hasparren) comptent également un porteur de drapeau basque.

 

  • Les tournées des Maskak, Zirtzil et Hartza (Ours) (cfr. descriptions infra)

Quelques communes (Urrugne, Ainhoa, Sare) ont choisi d’effectuer la tournée de maison en maison avec un cortège autour de l’ours, de son montreur et de nombreux personnages déguisés. Ces derniers sont souvent inspirés des collectages décrivant Maskak (signifie littéralement « les masques », mais sont des personnages déguisés et masqués aux aspects sauvages), dans la dynamique des groupes « de laids » d’Ascain. Aujourd’hui, on constate souvent que le terme de Zirtzil (sauvage et en haillons) est retenu pour signaler ces personnages.

Parfois, cette tournée inclut des danseurs non Kaskarot et d’autres déguisements sans rapport avec la « tradition », imaginaires ou puisés dans le fond télévisuel ou cinématographique actuel. Ce cortège s’oppose dans sa conception à celui des Kaskarot qui peut être considéré comme un cortège de beaux.

Certaines tournées se déroulent sur plusieurs samedis et dimanches entre janvier et mars.

 

  • Une tournée mélangeant les beaux (Kaskarot) et les laids (Maskak ou Zirtzil)

Plusieurs villages semblent s’orienter vers des tournées associant Kaskarot et personnages déguisés en Zirtzil. Itxassou présente des hommes vêtus en Kaskarot ou en Zirtzil et des filles en costume basque traditionnel ou en Zirtzil. Louhossoa présente les garçons en Kaskarot, les filles et d’autres garçons en personnages déguisés. Biriatou organise un très beau cortège mixte de Kaskarot et de Zirtzil.

Dans quelques groupes, le costume féminin de la tournée peut ne pas avoir de rapport direct avec le carnaval. Il est composé majoritairement de filles vêtues d’une belle jupe de basque, parfois inspirée des groupes biscayens : « Onmet le costume rouge, c’est beaucoup moins salissant le rouge. Quand le groupe s’est créé, le premier costume qu’avait fait notre présidente, c’était le rouge, donc on a de suite commencé à faire carnaval avec le rouge. Ce n’est que plus tard, quand on a ramassé des sous grâce au carnaval, qu’on a pu faire les costumes labourdins. Mais les costumes labourdins, on les met juste pour 2 ou 3 spectacles qu’on fait dans l’année ou pour les fêtes… Ce sont des costumes blancs ; à l’époque, on ne voulait surtout pas les salir. Ils nous avaient coûté hyper cher… Donc pour faire carnaval, ce n’était pas pensable de les mettre » (une responsable du groupe de Souraïde).

Des tournées sont aussi organisées par des associations non folkloriques. À cette occasion, elles apprennent quelques danses et confectionnent des costumes de Kaskarot, certes moins riches que ceux de certains groupes mais quand même représentatifs. C’est le cas du « Réveil Urtois » d’Urt et des jeunes rugbymen de Larressore.

Certaines communes conservent la tradition au travers de tournées d’enfants. Leurs déguisements ne sont pas forcément d’inspiration locale, surtout dans le cadre de manifestations scolaires, sauf ceux réalisés à la suite d’un travail particulier sur le thème, comme dans la zone d’Ustaritz (partenariat avec l’association Herri Soinu, organisatrice du carnaval).

 

b) Qu’offrent ces tournées ?

  • Une présentation qui tranche avec le quotidien

L’ensemble des groupes effectuant les tournées de quête veillent à ne pas être en civil (à part peut-être quelques musiciens). C’est un groupe costumé, et parfois masqué, qui se présente en musique devant la maison. S’il s’agit d’un groupe avec des Kaskarot, dès que les quêteurs ont frappé et que la porte s’ouvre, les danseurs avec leur beau costume sont mis en avant pour danser :

- « Xabier a toujours cette rigueur, d’abord la danse, il faut que cela soit nickel, ensuite devant la porte, on honore en chantant… Le contrat, c’est ça. Quand on est rentré dans le groupe, il faut assurer la danse jusqu’au bout, même pour les dernières maisons. » (jeune homme d’Itxassou).

- « Pour certains, c’est peut-être un moyen de voir le groupe, comme ils ne se déplacent pas vraiment pour voir les spectacles. » (danseur de Briscous).

- « Le carnaval, c’est une grosse animation. Sans ça, le village meurt un peu. Il y a des fêtes, mais c’est sur un week-end. Le carnaval, il dure plusieurs mois ; c’est une grosse animation… Je pense que les gens aiment ça. Si, une année, il ne passait pas, cela leur manquerait, il y aurait un trou. » (danseur de Briscous).

 

  • Des échanges

Chaque groupe effectuant une tournée offre toujours quelque chose. Ceux qui ne dansent pas beaucoup, comme à Sare, ont préparé un carnet de chants afin de mettre de l’ambiance. Ils ont aussi un groupe de Zirtzil qui s’offrent en spectacle faisant rire tout le monde :

« On chante, on danse et après certains font les Basa (sauvages). S’il y a des jardins, du foin, de la paille ou tout ça, cela dégénère un peu dehors, mais les gens sont contents et l’on n’a jamais eu de problème particulier. Au contraire, les anciens, cela les fait rire, quand on fait des batailles de foin ou qu’on finit dans le purin, il n’y a pas de problèmes » (jeune fille de Sare).

La plupart des groupes présentent des danses plus ou moins complexes suivant le niveau technique des danseurs. Dans une maison qui accueille bien, où les danseurs s’installent un certain temps, les habitants auront droit à plusieurs danses. D’une manière très spontanée, les danseurs prennent plaisir à danser pour ceux qui les reçoivent bien.

Itxassou et Louhossoa ont repris la tradition du chant d’honneur à l’Etxeko Andere (maîtresse de maison) sur le devant de la porte d’entrée. C’est un moment très solennel avec d’un côté, dans la cour, tout le groupe qui chante ou écoute ceux qu’il a délégués et, de l’autre, la maîtresse de maison (souvent la femme la plus âgée de la maison) avec, autour d’elle, une partie de sa famille (les autres femmes et les petits-enfants).

Dans ces deux villages, il est arrivé que les maîtresses de maison répondent en chantant. Ce moment est considéré par ceux qui l’ont vécu comme le premier cadeau de la maison et ils l’évoquent avec émotion : « Une autre maison symbolique, c’est la grand-mère de Maïder qui nous a répondu en bertsu. Cela nous a scié : après le bertsu habituel, elle nous a répondu.” (danseur de Louhossoa).

« Il y a une maison, l’etxeko anderea, elle nous répond chaque année, elle prépare sa réponse en bertsu… Ça a une classe folle, c’est une dame de 70 ans qui vient du côté du Baztan (vallée navarraise limitrophe). C’est la chose la plus parfaite… c’est la classe” (danseur d’Itxassou).

En 2004, le groupe d’Itxassou s’est adjoint un jeune bertsulari du village2. Malgré ses 15 ans, il a fait preuve d’une très grande maturité, offrant après chaque chant d’honneur un bertsu approprié à chaque maison, vantant l’époque de carnaval et n’oubliant pas de signaler les mérites des gens de la maison qui accueillait, quand il les connaissait. Un soir, dans une maison où un homme âgé le provoquait gentiment pour savoir s’il improvisait vraiment, il a su avec aplomb lui répondre dans la pure tradition de cet art, déclenchant l’hilarité générale de la famille ! Depuis, l’idée du bertsulari dans la tournée fait son chemin dans diverses communes.

À Arbonne, les organisateurs ont repris la chanson de quête que chantaient il y a soixante-dix ans les anciens du village : « xingar ta arroltze » (jambon et œuf). Du coup, ils ont refusé l’argent puisque la chanson n’en demandait pas… Avec les victuailles collectées, ils font un repas au village dans lequel ils invitent tous les habitants qui les ont accueillis.

Quand les groupes entrent dans les maisons et qu’ils sont bien accueillis, ils s’installent et mettent une ambiance festive avec chants, danses, plaisanteries, échanges conviviaux avec leurs hôtes. Des mini-bals s’improvisent souvent, au cours desquels les danseurs font danser les membres de la maison. À Louhossoa a été exécutée une Soka Dantza (danse en chaîne), dans la maison, lors de la tournée. Souvent, les enfants de la maison sont intégrés dans des sauts basques ou des danses comiques (Zapatain dantza) (danse de sansalier à Briscous) ou des danses-jeu (Alkidantza, danse des chaises à Louhossoa). Dans une maison d’Espelette, un mini bal populaire, avec tous ses cuivres, semblait s’être déplacé dans la cuisine. Chaque fois que le groupe possède des musiciens, ils concourent à mettre l’ambiance, à relancer la dynamique. L’univers musical déployé est des plus éclectique : chants traditionnels et musiques modernes, chants basques militants, rock endiablés, percussions au djembé avec petits bâtons frappés. De très belles voix sont fréquentes, car les jeunes, surtout dans l’arrière-pays labourdin (Louhossoa et Itxassou), prennent plaisir à chanter en basque. Pour faciliter la connaissance des chants, ils en ont même sélectionné plusieurs dans un petit livret de poche. Un jeune musicien nous a confié passer beaucoup de temps à rechercher de beaux et vieux chants basques. « C’est très jeune, c’est bien, je crois que c’est enrichissant pour eux et pour les personnes qui les reçoivent. C’est totalement autre chose par rapport à autrefois. Ils sont restés plus de 1h30. C’est un groupe organisé, cela se voit, c’est la fête dans la maison… C’est la vraie fête aussi pour eux. Ils chantent, ils dansent, ils mangent, ils boivent. » (Mme Alzuri, née en 1935, accueillant la tournée à Louhossoa).

La fatigue, corollaire au plaisir, est ressenti dans les tournées comme un certain « don de soi ».

- « On pourrait faire aussi le dimanche après-midi, mais on tient compte aussi du fait que les gens ont des chevilles fragiles et qu’un week-end entier sur deux jours (serait trop long). La journée du samedi est éprouvante. En plus, on fait la fête le samedi soir et le dimanche matin, c’est pas mal. L’après-midi, on ne pourrait pas danser, en tout cas, ceux qui n’ont pas l’entraînement, ce qui est le cas de la plupart, il y aurait des difficultés au niveau des chevilles. » (organisateur de Biriatou).

- « Pour le carnaval, de maison en maison, en marchant et en dansant, on finit avec le mal aux jambes. » (danseur de Briscous).

- « Bravo les gars, c’est courageux ; chaque année, c’est le même rituel sous la pluie, dans le froid. » (mots entendus dans une maison lors du suivi du groupe de Briscous en 2003).

 

  • La relance du lien social, de l’identité communautaire par le don

Ces tournées relancent, voire recréent du lien social dans de nombreuses communes. Cela permet aux habitants de mieux se connaître, de savoir où chacun habite. Les anciens qui sortent peu ou pas trouvent une occasion de rencontrer la jeunesse et de se tenir au courant des nouvelles, de connaître les petits-enfants ou arrière-petits-enfants de leurs amis d’enfance. Cela permet l’intégration des nouveaux arrivants au village :

« L’idée, elle est partie du fait que l’on trouvait qu’il manquait au village, qui est péri-urbain, des liens entre les gens… Il fallait créer des liens entre maisons et puis l’idée de passer de maison en maison, ça permettait à un groupe de rencontrer les plus anciens et de recréer un lien social pour utiliser un mot moderne. C’est un peu ça le but, il n’a pas été pensé comme culturel au sens propre du terme au départ, il a été pensé comme lien social. » (un des responsables du groupe de Biriatou).

À chaque fois que l’accueil fonctionne, il met en acte de réels rapprochements entre les visiteurs et leurs hôtes :

- « Les vieux, c’est vraiment leur attente de savoir : t’es le petit-fils à qui ? Comme tu as grandi, comme tu as changé… Après, ils viennent demander des nouvelles de la famille… et aitatxi (grand-père), comment il va ?… C’est des gens qui ne sortent pas ; quand ils voient des jeunes, ils se renseignent. » (danseur de Louhossoa).

- « En fait, chaque fois que je fais Ihauteri, c’est très fort… Ce qu’on a réussi à faire, c’est très-très fort… Par le fait d’aller dans les maisons, de parler basque dans les maisons, de chanter en basque dans les maisons... Chaque fois qu’Ihauteri se termine, moi, cela me donne un coup de fouet pour l’année… ». « Le fait de le faire chez les gens, je trouve ça très important… Le fait qu’on soit une communauté dans le village... La plupart d’entre nous vont à la pelote basque (c’est le seul sport à Itxassou), à la clique, à la danse, nous avons pas mal d’activités, nous avons été à l’école du village… Mais je trouve qu’à Ihauteri, c’est autre chose, c’est comme une initiation. Quand on arrive à Ihauteri et après l’avoir fait, on se sent bien, car on va partout dans le village, on a toujours un souvenir avec toutes les maisons et je pense que les gens aussi, en nous voyant arriver, ils se disent qu’on est porteur de ce message de rassembler tout le monde. » (danseur d’Itxassou).

- « Cela permet réellement aux gens de se connaître car ils demandent qui est qui. » (danseur d’Itxassou).

- « On parle à plein de personnes dans le village depuis que l’on a fait Ihauteri. On les appelle par le nom de leur maison… Quand on parle de quelqu’un, on dit “c’est quoi sa maison”. On retrouve vite grâce à Ihauteri : on a beaucoup ordonné, beaucoup associé, on a découvert les gens en allant dans leur maison. » (danseur d’Itxassou).

- « C’est le meilleur moment pour les gens du village. Quand on passe dans les maisons, les gens, ils sont contents de nous voir et puis aussitôt après ils posent des questions pour savoir comment on va, ce qu’on a fait dans l’année, sur nos projets… S’il n’y avait pas carnaval, il y aurait un manque. » (danseur de Briscous).

- « C’est bien, on se rend compte que le village pendant l’année a gagné des habitants, des maisons, et là on se rend compte qu’on connaît mieux les gens du village, c’est une occasion de connaître les habitants nouveaux. » (jeune fille de Souraïde).

- « Carnaval, c’est énorme, je le raterai jamais. On fait la connaissance des gens de Briscous que l’on ne connaît pas. Pour moi, c’est la rencontre et la fête. » (danseur de Briscous).

- « C’est découvrir ton village. Il y a des endroits et des gens que je découvre, que je ne vois qu’une fois par an. » (danseur de Briscous).

- « C’est intéressant, c’est l’ambiance de la fête et on arrive à rencontrer des gens que l’on n’a pas l’habitude de voir le reste de l’année. » (danseur de Bassussary).

- « Dans chaque maison, ils nous attendent et ils aiment beaucoup échanger avec nous. » (musicien d’Ustaritz).

Sont aussi marquantes ces phrases qui reviennent presque systématiquement, avant que le groupe ne quitte la maison pour aller dans une autre : « Vous partez déjà », « Merci beaucoup », « À l’année prochaine ! ».

Au-delà des formules de politesse, le ton est toujours très chaleureux, connotant une réelle signification identitaire et sociale. Les quêteurs sont obligés de couvrir l’ensemble des maisons et des quartiers. « Se dérober à ce devoir serait une honte pour eux-mêmes et pour la collectivité locale qu’ils représentent.3 ». Il s’agit bien d’une relation avec double obligation, celle de donner (quêter) et de rendre (maisons) dans la pure tradition du don et contre-don.

  • Une expérience individuelle et corporelle du sujet

De la fin du XIXe siècle aux années 1960, le caractère particulier des tournées carnavalesques en Labourd les faisait rentrer dans la « catégorie » des rites de passage. On retrouve encore cet aspect dans l’intégration des nouveaux. Il faut atteindre un certain âge pour faire partie des tournées. Malgré les demandes des moins de 15 ans, les « grands » ne les autorisent pas à les rejoindre. Il y a donc une attente des plus jeunes pour quitter l’enfance et être acceptés au cœur de la fête, ce qui fera d’eux des jeunes reconnus. Les jeunes passent beaucoup de temps ensemble pour apprendre les danses, effectuer les tournées et profiter des victuailles et argent récoltés. Il s’agit bien d’un rite de passage comme le définit Van Gennep : « Le rite de passage apprivoise le temps, les changements identitaires, l’altérité et toutes ses altérations, les forces de vie et les forces de mort parce qu’il donne à vivre ce qui sépare et ce qui unit. » 2. La tournée de carnaval est très attendue par la jeunesse, qui y voit un moment unique de l’année : « c’est irremplaçable » (danseur de Briscous). Sans les parents, mais avec leur « caution », ils vont pouvoir s’amuser durant des journées entières… Se lâcher de manière un peu sauvage !

On retrouve aussi beaucoup d’éléments décrits dans la littérature relative au carnaval comme « fête permettant le défoulement, la liberté… ».

- « Je voulais passer une journée un peu bohémien, l’envie d’être libre par rapport à toutes les conventions… Il y a l’idée de passer une journée ensemble aussi, c’est un peu basa (sauvage), dans le sens que tu es libre, que tout peut arriver ! » (Kaskarot d’Hasparren).

- « J’ai l’impression que c’est la période où tout est permis, où l’on peut se permettre des choses que l’on ne se permettrait pas à un autre moment dans la vie de tous les jours. Dans le groupe, on peut se permettre plein de choses… Je ne sais pas comment dire, mais j’ai l’impression que c’est une manière d’évacuer plein de choses !… J’ai l’impression que l’on est ailleurs. Il n’y pas de règles, tout est décalé, ce n’est pas les mêmes codes, il y en a d’autres qui sont moins contraignants. » (Kaskarot d’Itxassou).

La tradition permet un « être-ensemble » dont la nature émotionnelle est aussi à prendre en compte dans le sens qu’en donne Michel Mafesoli « La vie s’organise par des rencontres, par des expériences au sein des divers groupes auxquels chaque individu appartient. La puissance des affects doit être prise en compte pour comprendre la sociabilité élective. Ce qui est privilégié est moins ce à quoi chacun volontairement adhère que ce qui est émotionnellement commun à tous ».3

Au fur et à mesure de la tournée, le groupe des garçons a tendance à être de plus en plus débridé, alcool aidant. Ils s’installent dans les maisons et les responsables ont beaucoup de mal à les faire repartir. En fin de journée, quand il y a retour au local, ils se lâchent complètement, dans une ambiance qui n’est pas sans rappeler un vestiaire de rugby après une grosse victoire, suivie d’une bonne troisième mi-temps… Certains sont d’ailleurs aussi rugbymen. La complicité masculine est l’un des ingrédients majeurs de la tournée carnavalesque.

Les deux sous-groupes identitaires masculins et féminins échangent aussi entre eux et, l’alcool aidant, les langues se délient…. Comme les tournées durent plusieurs jours, chacun apprend à identifier puis à connaître l’autre, à le voir différemment. On perçoit ainsi de nombreux rapprochements amoureux... La vie d’une tournée carnavalesque est complexe et variée. Elle comporte aussi cette dimension bien naturelle de drague et de liberté, favorisant l’émergence de l’identité sexuelle.

2.Gérard MOUSTIRATS, Briscous, 2003, évoquant la période 1955-1957.
3. VAN GENNEP Arnold, Manuel de folklore français contemporain, Picard, Paris, Picard, 1943-1988, vol. « Le Carnaval », p. 863.
4. VAN GENNEP Arnold, Les Rites de passage, Paris, Picard, 1981.
5. MAFESOLI Michel, Le Temps des tribus. Le déclin de l’individualisation dans les sociétés de masse, Paris, Le Livre de poche, 1988.

1. Les étapes préalables aux tournées carnavalesques

a) Connaître les danses

D’une manière générale, l’effort des organisateurs pour présenter des danses labourdines est important, ce qui implique la nécessité de personnes ayant une bonne connaissance du répertoire dansé. Il existe en Labourd un réseau d’enseignants, dont certains professionnels travaillent en partenariat avec la Fédération de danses basques IDB (Iparraldeko Dantzarien Biltzarra).

Les danses labourdines font désormais partie du répertoire des groupes folkloriques. Ceux qui ne font pas partie de ces groupes doivent s’organiser pour apprendre les danses, car beaucoup ne sont pas danseurs :

- « On a appris les pas de Kaskarot et, à la limite, on ne sait danser que les danses de Kaskarot » (E. O., Kaskarot de Hasparren).

- « On a appris avec le groupe Gurea d’Hendaye qui vient avec nous. Il amène l’appui technique et le style de danse, car on n’a plus de tradition de danse ici » (membre du groupe de Biriatou).

- « Pour les danses, j’avais demandé avis à Xabier Itçaina. Il m’a dit : tu as ces danses… Tu fais ce que tu veux, tu as le choix… Quand j’ai choisi, il m’a dit : c’est génial, c’est ce qu’il faut faire. J’étais très content qu’il me dise ça » (L. H, responsable du groupe Poliki de Louhossoa).

- « Petit, j’avais appris le Makil, mais en plus simplifié. Les sauts, on les avait déjà vus, mais il y avait pas mal de choses à revoir et qu’on a vues pour Ihauteri » (S. A., Itxassou).

Ustaritz et Hasparren possèdent des danses ou variantes propres à leur secteur. Ils les ont conservées voire reconstituées, à la suite de diverses recherches, dont celles de Jean-Michel Guilcher. Les Kaskarot d’Ustaritz présentent une série de danses composées de deux makildantza (danses avec bâtons : makilttiki et makilhandi), de deux Xinple, deux Marmutxet d’un Fandango, sans oublier une danse de défilé : maskadantza.

Le marmutx d’Ustaritz se danse en rond, celui d’Hasparren en ligne.

 

Les autres villages présentant des cortèges avec des Kaskarot donnent généralement, en défilé, un Kaskarot martxa, puis une version de Makilttiki (danse des petits bâtons), ce sont « les grands classiques ». Certains ajoutent, suivant les maisons, des sauts basques courts (Zazpi Jauziak, Hegi, Azkaindarrak, Ostalertsa) ou un Fandango suivi d’un Arinarin. À Briscous, au départ de certaines maisons, nous avons vu également Zapatain dantza ; à Itxassou, une version de la Gavotte et Talo dantza ; enfin, à Louhossoa et dans quelques villages limitrophes de Basse-Navarre, les danses bas-navarraises Euskaldunak et Sorginak. Quand il y a de bons danseurs, il n’est pas rare de voir donner des danses d’autres provinces, spécialement dans une sorte de « compétition » : danses avec lever de jambe de la province de Biscaye (autant filles que garçons d’ailleurs), danses populaires pour couples.

 

b) Avoir un groupe minimum

Ceux qui se déplacent déguisés (Maskak ou Zirtzil) n’ont pas de soucis d’organisation. Ceux qui dansent, en revanche, ont des exigences de qualité.

- « Si j’ai très peu de monde, il faut une personne pour faire le Kotilungorri, peut-être deux, si je peux. Après, si j’ai vraiment très peu de monde, je veux un accordéon et une txirula, sinon, c’est vilain. Après, il faut faire le choix dans les danseurs, c’est salaud à dire. Ce ne serait pas trop grave, s’il n’y avait pas les filles, car elles n’ont pas un rôle aussi important. Il y a des danses où, de toutes façons, elles ne dansent pas… Il faut alors quand même au pire 4 garçons danseurs, il faut conserver les garçons. » (fille du groupe Oinak Arin de Briscous).

- « Il faut au minimum 2 musiciens (txirula et accordéon ou 2 txistu), quatre couples ou six garçons. En deçà, c’est pas sérieux… Et même je sortirais les garçons tout seuls (avec autant de personnages qui ont du gaz...), si on n’avait que ça. » (Kaskarot de Briscous).

- « On ne peut pas se permettre de ne pas avoir de garçons. » (Kaskarot d’Itxassou).

- « Quand on est danseurs, c’est le calvaire. Il faut rester en ligne, il faut défiler, il faut beaucoup danser, ne pas salir le costume… » (danseur de Bassussary).

Un autre, masqué, rajoute : « C’est pour cela qu’on met les plus jeunes, comme ça ils découvrent [rires…]. Comme ils ne connaissent pas trop, ils assurent, voilà… Et nous, on est à l’aise, on va aller vers les gens pour quêter, parler, donner des explications, enfin, voilà... C’est leur apprentissage, comme tous les danseurs ont fait. Ils sont aussi plus sages… C’est un sacré truc de rester en ligne ; on est en blanc, donc il ne faut pas… ».

Il faut également noter que les groupes observés fonctionnent avec assez peu d’apports extérieurs. Certains signalent même avoir de la réticence à ouvrir leur groupe à d’autres personnes extérieures. La plupart souhaitent vivre ce moment entre eux, presque en « tribu » dans le sens de la sociabilité tribale moderne que développe Michel Mafesoli1. En revanche, il faut nuancer cela chez les groupes de l’agglomération bayonnaise et de la côte basque, qui semblent moins fermés que ceux du Labourd intérieur. Ils reçoivent souvent l’apport d’amis, qu’ils invitent pour faire les tournées. Cela leur permet aussi d’avoir un groupe conséquent… Le groupe Biez Bat de Bassussary est dans cette dynamique. Beaucoup de garçons ne sont pas originaires de la commune et se sont connus à l’Ikastola (école en langue basque).

 

c) S’organiser

Une tournée de quête est aussi faite de musiciens sachant jouer des instruments traditionnels et connaissant ce répertoire : « Les musiciens, c’est très important » (danseuse de Mendionde). Parfois, il faut se caler avec d’autres villages. Les musiciens ont un statut particulier. « Les musiciens, on accepte qu’ils soient d’ailleurs ; c’est quelquefois plus difficile pour les danseurs. Ce qui m’étonne, c’est que souvent on les paie et pas les danseurs… Enfin, les musiciens extérieurs... Pas ceux d’Itxassou. » (Y. O., Kaskarot d’Itxassou).

Il faut aussi organiser le parcours, tâche confiée aux dirigeants ou aux plus anciens des jeunes, car il faut une bonne expérience des diverses contraintes.

- « C’était une machine très très bien rodée. En fait, ils faisaient ça depuis longtemps. Les anciens, ils avaient leurs habitudes ; même, j’avais l’impression qu’ils avaient leurs repères dans chaque maison, tellement l’habitude était grande. Nous, on suivait… » (J. I., jeune danseuse d’Itxassou).

- « Petit à petit, sans trop comprendre, on s’est retrouvé à apporter des choses… et à apprendre aussi sans être dans les vrais organisateurs d’Ihauteri, un peu entre les deux. Sans s’en rendre compte, on est devenu les vieux et hier à la réunion, on s’est rendu compte que l’on avait sept ans de plus que les nouveaux qui commencent… On s’est dit : on est vieux ! Depuis deux ans, je prends en charge le parcours ; lundi, nous allons nous retrouver, nous sommes quatre, nous allons faire le parcours, nous formons un programme que nous photocopierons et que nous distribuerons dans le village. » (A. E., danseuse d’Itxassou âgée de 23 ans).

Chaque groupe a sa manière d’informer : le prospectus, l’article ou l’information dans le journal Sud-Ouest, les affiches… On veille à avertir les gens qui seront visités.

- « Ils savent que l’on va passer car on envoie des lettres aux gens dans chaque famille pour informer que l’on va passer tel jour. » (L. H, responsable du groupe de Louhossoa).

- « On définit les quartiers à l’avance, quels quartiers pour le samedi et le dimanche, ensuite on distribue dans les boîtes aux lettres quelques petites lettres expliquant ce que c’est, la fonction des personnages, des quêteurs… ».

Il faut savoir quelle sera la première et la dernière maison : il y a souvent dans ces deux maisons un accueil particulier. Comme tout le monde ne fait pas rentrer les carnavaliers, cela doit être prévu à l’avance. Parfois s’y ajoute la maison où le groupe s’arrête pour manger le midi.

- « On essaie à l’avance qu’il y ait quelques maisons qui nous accueillent, la dernière et la première, et, pour le déjeuner du dimanche, c’est primordial pour pouvoir commencer la journée. » (E., jeune de Bassussary).

- « On a des haltes définies dans le parcours et d’autres imprévues. » (E. O., Kaskarot d’Hasparren).

- « Il y a quelque chose à préciser, c’est la place de la maison dans le parcours. C’est très important. Il faut savoir vers quelle heure on va arriver, quelle maison on fait avant et celle que l’on fait après… Souvent la dernière maison, c’est une maison qui reçoit particulièrement bien, où l’on se sent bien, comme chez nous. » (danseur de Mendionde).

- « Le choix par rapport aux maisons a été par rapport à un certain niveau culturel basque : on pensait que certaines maisons allaient savoir ce que c’était et allaient nous accueillir par rapport à ce qu’elles avaient connu, les fermes avec des personnes âgées dedans. » (L. H. responsable du groupe de Louhossoa).

a) Repères historiques

  • Sources d’archives

À Bayonne, la plus ancienne prohibition de manifestation carnavalesque, en 1289, concerne l’interdiction de lâcher vaches et bœufs dans les rues. Quant aux masques, la première interdiction connue date de 13157. En 1526, une ordonnance essaie de nouveau d’interdire les masques : « masques et faulx visages sinon que sie per dance et joye publicque… en tote bone honestat chens aucune noyse… »8. En 1568, des amendes furent données à une troupe de masqués dansant dans les rues sans permission9. En 1584, il n’est pas permis de « teindre le visaige a aulcuns personnages privez ou estrangiers »10; en 1586, « ne doivent toutes manières de gens se teindre, ne accourir aucuns passans allans et venant ne autres, et de ne jeter l’eau, ne mettre feu aux estoupes sur les accoustrements »11. En 1591 sont interdits « des jets d’eaux puantes et corrompues »12 et sont aussi condamnés ceux qui vont jusqu’à « se descouvrir pour montrer leurs parties honteuses »13. En 1671, le comte de Guiche déclarait : « durant le Carnaval, il était impossible de faire autre chose que danser en Pays basque ». Cela perdure au XVIIIe siècle : en 1775 et même encore sous la Révolution, il est défendu aux masqués de frapper aux portes et de vaquer la nuit. Selon Ducéré14, il ne s’écoule pas une année sans que le corps de ville ne renouvelle ses défenses relatives au port du masque, qui donnait lieu aux plus grands abus.

Dans la commune de Hasparren, les archives ont conservé le premier document connu faisant apparaitre le terme de Kaskarot : l’arrêté du maire du 14 pluviôse an XII (1802) indique l’importance des manifestations des derniers jours de carnaval et, pour la première fois, les associe au terme Kaskarotak :

« Le maire d’Hasparren, instruit que la jeunesse réunie des différents quartiers se propose dans les derniers jours de carnaval de faire des mascarades, d’exécuter des danses connues sous le nom de Cascarotac, enfin de donner au public des farces, considérant que les réunions que nécessitent ces sortes de divertissements compromettent souvent l’ordre public si elles ne sont pas surveillées par la police et garanties par un nombre des citoyens solvables et paisible, arrête :

- Art 1er : tout exercice public, comme danse, mascarade, cavalcade et autres farces publiques sont prohibées jusqu’à ce que les auteurs en ayant présenté le projet à la mairie et obtenu le visa, à peine contre les contrevenants d’être poursuivis et jugés comme réfractaires aux ordonnances à police.

- Art 2 : six d’entre eux désignés par le maire souscriront la soumission de maintenir l’ordre public, de respecter les personnes et leurs biens et seront garantis de tous les évènements.

- Art 3 : tout rassemblement sera dissout à 7 heures du soir, les cabarets seront fermés à la même heure, à peine contre les délinquants d’être punis conformément à l’arrêté du préfet du16 pluviôse an 10. Il sera le présent arrêté là, publié et affiché aux formats ordinaires, pour que personne n’en prétende de cause d’ignorance, et copie adressée au sous-préfet. »

Plus près de nous, aux Archives municipales de Saint-Jean-de-Luz, en 1875, « les masques et autres déguisements, les danses, musiques, les autres amusements sont interdits en dehors de la cavalcade. Il y a obligation de déclarer préalablement le déguisement et qu’il soit approuvé pour pouvoir le porter… »15. Une lettre conservée aux Archives de Saint-Jean-de-Luz, datée du 15 février 1879, témoigne des tournées de danseurs en dehors de leurs communes. Le maire de Bayonne répond à M. Labrouche, maire de Saint-Jean-de-Luz, que « pour lui faire plaisir », il autorise, sur sademande, que quelques jeunes gens puissent danser à Bayonne le Dimanche et le Lundi gras, alors qu’il l’avait préalablement interdit.

 

  • Témoignages des voyageurs

Les plus vieux témoignages s’échelonnent du XVIe siècle au début du XXe. Ce sont des récits de visiteurs ou chroniqueurs suivant des visites officielles de rois, reines ou princes et plus rarement des gens du pays. La plupart des documents qui nous sont parvenus sont succincts et décrivent plutôt des attributs vestimentaires après avoir vaguement signalé qu’ils étaient portés par des danseurs !

Si la conservation de certains traits vestimentaires laisse penser que ces danseurs et cortèges ont été les « ancêtres de ceux que l’on voit aujourd’hui en carnaval », rien ne prouve, au moins jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, qu’ils intervenaient en période de carnaval. Il ressort des descriptions, dès la fin du XVIe siècle, la présence de grelots et sonnettes sur les costumes d’apparat. En 1661, lors du mariage de Louis XIV à Saint-Jean-de-Luz, il est signalé que les danseurs appelés Crascabilaires bondissent au son des grelots. Ce détail renvoie aussi à de nombreux documents historiques identiques relevés durant le XVIIe siècle dans les provinces côtières du Pays Basque sud (les communes payaient très souvent les grelots des danseurs lors des principales fêtes16).

Les danses et traditions labourdine, encore bien en place au début du XIXe siècle, sont l’occasion de descriptions de divers voyageurs ou journalistes. Celles-ci permettent de penser qu’elles avaient encore à cette époque une certaine vitalité. « Nos basques ont leur costume de fête pantalon blanc et veste blanche, ceinture rouge, béret orné de rubans, ils parcourent le rivage par bandes d’une vingtaine, armés de bâtons et précédés d’un musicien exécutant avec un fifre et un tambourin des airs harmonieux et faciles. De places en places, ils s’arrêtent, poussant des cris, comme on n’en profère nulle part ailleurs et s’acheminent peu à peu et sur le même ton jusqu’au rivage où ils vont se baigner, ils font avec leurs bâtons des manœuvres bizarres et exécutent leurs danses favorites : la Pamperruque et le saut basque »17.

En 1851, grâce à des observations de José Nicasio Casal y Anduel18; en visite à Bayonne, nous découvrons une grande animation dans les rues le jour du Jeudi Gras. Plusieurs groupes de danseurs défilent avec des musiciens. Ils sont tous habillés de blanc avec de nombreuses décorations de rubans. Ils portent soit des bérets couverts de nœuds de rubans colorés, soit des chapeaux de paille couverts de fleurs. Chaque groupe a avec lui deux ou trois paires de bœufs. Leurs cornes sont dorées ou couvertes de fleurs et leurs corps parsemés d’étoiles d’or et d’argent ou recouverts d’une mante abondamment fleurie. Chaque groupe s’arrête devant les maisons pour effectuer des danses. Cette tradition des Bœufs Gras existe encore de nos jours malgré de nombreuses vicissitudes19.

Premières représentations dessinées ou peintes La première moitié du XIXe siècle nous a livré les premières représentations de danseurs et musiciens labourdins portant de magnifiques costumes :

Une série d’aquarelles anonymes est conservée à la Bibliothèque Municipale de Bayonne20. Une copie a été réalisée en 1925 par Esther THOMAS pour le Musée Basque. Ces aquarelles représentent des danseurs et des musiciens labourdins lors d’une visite princière à Bayonne, celle de la Duchesse d’Angoulême en 182321 ou celle de la Duchesse de Berry en 1828.

Un tableau d’Hélène Feillet conservé au Musée Basque de Bayonne contient, dans un angle, un groupe de danseurs et de musiciens, lors de la visite à Bayonne du Prince d’Orléans en 1839.

Un exemplaire du numéro de la revue l’Illustration publie, en 1845, un groupe de danseurs et de musiciens à Cambo-les-Bains, ainsi que, sur un autre dessin, une danse en chaîne exécutée par ces mêmes danseurs.

 

  • Les « premiers » collecteurs : au service des valeurs basques éternelles

C’est surtout dans la seconde partie du XIXe que le collectage s’organisera, souvent à l’initiative des prêtres. À cette époque, comme le signale Xavier Itçaina22 : « l’Eglise au nom d’un conservatisme moral et politique œuvre à la préservation d’un certain nombre de danses locales, les textes parlent essentiellement de la fête Dieu, des sauts et de la danse en chaîne ».

Le carnaval, dérangeant, reste souvent à l’écart. Il faut le deviner çà et là, dans les commentaires ou au milieu des recueils de collectage23. En 1841, l’abbé Duvoisin (1810-1891) dont une partie des collectes est conservée à la Bibliothèque Nationale24 écrit : « les danseurs du carnaval de Larressore allaient à l’église en costume, quand ils ressortaient ils se mettaient à danser, la danse Maure, au son du tambour et tambourin ».

Pour que les musiques ne se perdent pas, l’effort de certains se portera sur la collecte de partitions de ces vieilles danses. Trois recueils en sont le témoignage :

- En premier, celui dénommé « Recueil de sauts ou branles basques notés par P.L. instituteur », antérieur à 1858 (aujourd’hui conservé dans la famille Dassance). Sur 22 musiques, il en donne trois typiques du carnaval : Cascarot dantza, Mascarada martcha et Mascarada dantza.

- En second, celui également manuscrit, aujourd’hui propriété de la maison Pikoenia d’Ustaritz, retrouvé dans les archives du grand séminaire de Bayonne. Il est de loin le plus riche et, sur 36 airs, nous donne lui aussi trois airs : Cascarot dantza, Mascarada martcha et Mascarada dantza.

- Par contre, le troisième, le seul édité, celui du chanoine Laharrague (1910), ne contient aucun air de carnaval. Il tiendrait les musiques d’un collectage effectué entre 1840 et 1852 par Monsieur Wolf, professeur de musique à Saint-Palais. Il permet la conservation des musiques des sauts basques encore dansés aujourd’hui, entre autres en période de carnaval.

Comme le démontre avec justesse Xabier Itçaina25, en cette fin du XIXe et au début du XXe siècle, « le processus d’emblématisation de la danse amorcé par le combat entre l’Eglise et l’Etat, s’affine avec l’éclosion et le développement du régionalisme, on extrait la danse de son contexte rituel pour en faire l’emblème d’un discours identitaire nouveau ». Plusieurs associations sont créées, des revues d’études historiques voient le jour, des fêtes basques promeuvent la langue et la culture basques avec concours de chants, improvisateurs (bertsulari) et danses.

C’est l’époque de plusieurs productions très entachées de romantisme, sous des allures pseudo scientifiques. En 1845, Francisque Michel (1809-1887) publie Le Pays Basque, sa population, sa langue, ses mœurs, sa littérature et sa musique26. Il y écrit : « En basque, le mot Kaskarot désigne à proprement parler une sorte de bateleur ou bien des jeunes gens qui lors des fêtes, des marches joyeuses, des escortes d’honneur, sont choisis pour marcher en tête en dansant constamment ». En 1883, Julien Vinson (1843-1927) édite chez Maisonneuve Larose dans la célèbre collection « les Littératures populaires de toutes les nations » : Le Folklore du Pays Basque27. Cet ouvrage est un mélange de collectages (réalisés avec son ami, également passionné de culture basque, le révérend anglais W. Webster) et d’un important corpus de textes issus d’une recherche de nombreux manuscrits et livres imprimés28 . Çà et là, à travers les chants de quête ou les notes montrant la rivalité entre les villages, nous rencontrons le carnaval, toujours marginalisé au niveau culturel. En 1897, Charles Bordes (1863-1909) publie, à la suite du « congrès de la tradition basque » de Saint-Jean-de-Luz, un article sur « la musique populaire des basques » dans l’ouvrage portant le nom significatif La tradition au Pays Basque29. Il dénonce « l’introduction de nouvelles danses corruptrices du goût populaire : polka, mazurka, scottish, valse et l’invasion de ces troupes pistonnantes des fanfares villageoises ».

 

b) Les traditions de tournées

Les traditions des tournées carnavalesques en Labourd semblent pouvoir être regroupées en plusieurs grands types, le plus fréquent étant celui des groupes de quêteurs plus ou moins masqués.

  • À peu près généralisé sur l’ensemble de la province, se plaçait en premier l’usage de la quête par divers groupes constitués pour l’occasion, sans préparation particulière. Il s’agissait de jeunes (garçons et jeunes hommes) allant de maison en maison puis, plus récemment, d’enfants. Ils sont appelés « Maskak » (personnages masqués), parfois « Zirtzilak », « Piltzarrak » (gueux dépenaillés). Ils allaient de maison en maison, grossièrement déguisés, souvent accompagnés par des musiciens. Ils n’y étaient pas toujours les bienvenus car parfois très entreprenants (cf archives citées plus haut). Il était très difficile de s’en débarrasser sans rien leur donner. Souvent, ils mettaient la collecte en commun et festoyaient ensemble.
  • Il semble que le cortège le plus attendu et apprécié était le cortège dansant et quêtant appelé « Kaskarot ». Il était organisé par les jeunes hommes célibataires. Il nécessitait l’apprentissage des danses soit avec un maître de danse, soit avec des anciens, soit dans un groupe folklorique local (à partir des années 1930) et réclamait obligatoirement la présence de musiciens. Souvent, les maîtres de danse en Pays Basque étaient aussi des musiciens. Les danseurs, souvent les conscrits, étaient habillés très solennellement avec un costume d’apparat. Ce costume nécessitait une forte implication des femmes couturières de la maison. Ils quêtaient de maison en maison, se déplaçaient parfois dans les communes limitrophes. Certains allaient jusqu’à Bayonne, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz. Ils collectaient argent et nourriture avec lesquels ils festoyaient ou finançaient diverses activités culturelles. Les danseurs Kaskarot pouvaient être appelés à participer à d’autres fêtes durant l’année. Dans plusieurs communes, lors des tournées de quêteurs, les jeunes présentaient aussi un cortège constitué de quelques personnes déguisées, spécifiques au Labourd (Kotilungorri, Ponpierra, Bestagorri). Dans certaines communes, on trouvait aussi le Makilari (sorte de tambour-major), personnage que l’on retrouve aussi en Basse-Navarre.
  • Entourant éventuellement l’un et l’autre des deux cortèges précédents, on retrouve d’autres personnages :

- un jeune homme habillé en ours, mené par un autre déguisé en montreur d’ours. Ce couple sortait chaque année dans la plupart des communes.

- de temps en temps, un couple de mariés se joignait au cortège.

Jusqu’au début des années 1970, aucun cortège labourdin n’incluait de femmes.

Pour terminer la journée ou la période de carnaval, les jeunes ayant effectué les tournées jugeaient, condamnaient et exécutaient un mannequin appelé « Zanpantzar » (Saint Pansard), parfois préalablement promené dans la commune.

 

c) Les personnages des tournées

  • Maskak (les personnages masqués)

Ce qui frappe en étudiant les témoignages sur les tournées de Maskak, c’est leur très grande homogénéité. Ils se ressemblaient tous, un groupe d’Itxassou aurait très bien pu se produire à Sare ou à Briscous, personne n’aurait vu la différence :

- « Mais au total l’imagination se met rarement en frais ».
- « C’était le Mardi Gras. Avec le défunt Lucien… on se dit : si on s’habillait un peu, on va à Briscous... Je lui ai dit : J’ai une tante qui nous a amené de vieux habits, il y a de quoi s’habiller à la maison. Moi, je sais que je m’étais habillé en homme et lui en femme et on avait été dans quelques maisons au bourg et aux Salines ».

Cette ressemblance s’étend sur les Pyrénées, la France et même l’Europe : « Dans la nuit, dans la neige, des bandes de garçons se hèlent, une bande se forme. Il suffit de noircir à la suie le visage ou de le cacher sous une étoffe tissée lâche, de s’engoncer dans un sac, ou simplement de mettre à l’envers ses habits, coutures apparentes, d’autres préfèrent se glisser dans des vieilles robes de femmes »30. En Labourd, Maskak sont aussi parfois appelés « Piltzar » (haillons) ou « Zirtzil » (pitres, clowns).

Maskak sont surtout caractérisables par leur allure sauvage et inquiétante. Ils ont des habits lacérés, rapiécés, salis. Ces guenilles sont réalisées à partir de vieux sacs de jute, de vieux draps déchirés : tout était bon, un rien habillait Maskak qui utilisaient aussi des peaux de bêtes sauvages ou domestiques. La peau préférée était celle du mouton noir, appelé « Mattin Beltza » à Arbonne. A Espelette31, avant 1914, « ils attachaient des queues de vaches dans leur dos ». Généralement, leurs visages sont masqués (parfois noircis) avec des matériaux trouvés dans la maison. Les gens n’achetaient que très rarement des masques. En dessous du masque, à Espelette32, « certains mettaient un passe montagne afin que personne ne puisse les reconnaître en voyant les cheveux ou en soulevant le masque. Ils buvaient avec une paille et changeaient leur voix : ils cherchaient à voir qui nous étions, car on ne nous reconnaissait pas. Ceux qui avaient décidé d’être masqués l’étaient bien, on ne nous reconnaissait pas. On n’en pariait pas moins pour savoir qui allait être reconnu le premier » témoigne Jean-Pierre Iparraguerre d’Espelette né vers 1900.

Cette protection permettait de nombreuses plaisanteries qui semblent avoir été très combattues par « l’Eglise », depuis au moins l’an 1315 à Bayonne33.

Les témoins se souviennent des dangers du port du masque : À Sare34, « si les masqués rentraient dans le cimetière à côté de l’église leurs masques se colleraient sur le visage ». À Ainhoa35 « il ne fallait pas se mettre de masques, sur le visage sinon on disait qu’il pouvait rester collé à jamais. On se noircissait la figure avec un bouchon brûlé, c’était cela “Maskak” ». À Arbonne, « le prêtre interdisait les masques, c’était un pêché. Quand on faisait des masques, ils étaient en carton peint ou décorés pour faire peur ». À Ascain, « certains masques étaient hideux avec des dents faites avec des peignes et même des râteaux ! »36. Il y a, semble-t-il, une certaine ambiguïté entre les jeunes, la mort et les revenants qui a été relevée par plusieurs ethnologues. Daniel Fabre voit dans ces pratiques une forme d’initiation propre à la jeunesse pour devenir adulte. « C’est au contact de la mort que l’on parvient à se vivre mortel »37.

Dans tous les villages où nous avons rencontré des anciens dont le souvenir allait des premières années du XXe siècle à la fin des années 1960, nous avons noté que très souvent, les jeunes gens (garçons, adolescents ou jeunes hommes célibataires) choisissaient l’inversion sexuelle en prenant comme déguisement des habits féminins :

Maskak étaient des jeunes garçons habillés en filles, en femme, qui travestissaient leur voix en prenant un ton aigu. Il y en avait de très mignons, très bien habillés et fardés avec goût, rouge à lèvres compris. Dans la rue, il y avait une maison où on savait les préparer. Ainsi, un vrai carnaval” se souvient Madame Elso à Ainhoa.

Certains se débrouillaient pour avoir de grosses fesses et de gros seins38. Ils pouvaient former aussi un couple, Jaun eta Anderea (Monsieur et Madame), à Itxassou, Hasparren, Ustaritz... Une noce est signalée à Espelette comme l’un des thèmes des Maskak39. Nous n’avons pas recueilli d’actions plus ou moins grotesques, en liaison avec la sexualité ou la maternité, comme c’est souvent le cas dans les mascarades possédant ce type de coutumes. Mais les rires des informateurs à l’évocation de ces costumes nous permettent de supposer que cela a pu exister.

A côté du déguisement en fille, femme ou vieille, il y avait aussi souvent un autre type de déguisement, plus complexe, n’utilisant de la femme que la jupe pour donner au personnage une allure plus ambiguë. Ce personnage portait souvent une large ceinture de sonnailles. Dans certains villages (Jatxou, Macaye ou Urrugne), il aurait parfois mené le cortège des Maskak. Au Bas-Cambo, un personnage identique portait le nom de « Kattingorri ». « C’était une sorte de cantinière chargée de porter les paniers »40. Ce type de déguisement est, semble-t-il, à rapprocher d’autres masques de la tradition basque et même européenne. Ustaritz possédait, dans le cortège des Kaskarot, un déguisé masqué, portant le nom de « Kotilungorri » ou « Marika » que nous évoquerons plus loin. Il est, semble-t-il, un des exemples les plus élaborés de ce déguisement.

Maskak complétaient aussi leur déguisement d’objets spécifiques pour épouvanter les enfants. Pour faire du bruit, ils portaient des cloches, des grelots que les meneurs arboraient sur leurs chapeaux à Arbonne. Certains soufflaient dans des trompes, parfois tapaient sur des boîtes ou faisaient tinter leurs magnifiques ceintures de sonnailles.

Pour attraper les enfants et les filles, chaparder quelques saucisses dans les maisons, certains personnages pouvaient utiliser de longues pinces appelées « Aixturrak ». Elles nous ont été signalées à Ainhoa et à Ustaritz dans le cortège des kaskarot. Cet objet existe dans d’autres traditions carnavalesques du Pays Basque (en Soule où c’est l’instrument du Gatüzain, autrefois à Zubieta en Navarre...). Il est connu dans bon nombre de traditions européennes : c’est le hape-tchar (happe chair) de la Haguète du carnaval à Malmedy en Belgique, l’instrument de certains Narros du carnaval de Rottweil en Allemagne et, avec la batte, l’un des accessoires de l’Arlequin italien.

Il y avait aussi dans cette panoplie traditionnelle certains objets nécessaires à la pratique de la quête comme « Gerena », un long bâton aiguisé presque comme un aiguillon. Parfois, Maskak utilisaient aussi une broche de cheminée. Avec cet instrument, ils empalaient les morceaux de lard ou les oreilles de cochon que les maisons offraient mais ils menaçaient également ceux qui ne donnaient rien ! L’un des chants les plus utilisés avec certaines variantes était le suivant, à Arbonne :

 

Ez dugu nahi urdia

Ez eta ere erdia

Liberako zatia

Edo geren hunen betia 

Xingar eta arroltze 

Bat edo bertze

Bertze gerena ipurditik sartze41

 

(Nous ne voulons pas le porc

Ni même la moitié

Tout juste un demi-kilo

De quoi mettre sur ce bâton

Jambon et œufs

L’un ou l’autre

Sinon nous vous enfonçons le bâton dans le cul)

 

  • L’ours (Hartza) et le montreur

Alors que les derniers cortèges représentant un ours et son dompteur se sont arrêtés au milieu des années 1960, la reprise difficile de ce personnage ne s’est faite qu’à partir de la fin des années 1970, avec le mouvement revivaliste.

Le groupe (ours et dompteur) présente de nombreuses similitudes avec la plupart des sorties d’ours pyrénéennes, cantabriques voire même européennes Il est signalé dans de nombreux villages labourdins sous la forme d’un homme déguisé en ours avec des peaux de mouton, noires dans certains villages comme Arbonne et Sare. Il est attaché par une chaîne ou grosse corde à son montreur ou dompteur. Celui-ci est souvent habillé comme un tzigane, il tient un gros bâton et joue parfois du tambourin. « Voici l’ours des rotes Pyrénées ! » disait le montreur à Ainhoa.

À Ustaritz, Jean Baptiste Larre nous a évoqué les souvenirs de son père dans les années 1920 et les siens en 1952. Chaque fois, la tournée avec l’ours était plus ou moins improvisée au dernier moment, comportant toujours plusieurs personnes masquées et des jeux comiques. Parfois aussi, le groupe effrayait les animaux domestiques, ce qui entrainait alors un départ précipité pour ne pas être démasqué en cas de dégâts… Malgré cela, le jeu en valait la chandelle et rapportait beaucoup d’argent. Il y eut donc plusieurs sorties de ce groupe jusqu’en 1952. La pratique a été reprise dans la commune en 1986, grâce au festival Hartzaro (Le temps de l’Ours).

Le cortège de l’ours pouvait être complètement indépendant des Maskak et des Kaskarot. À Sare, il suivait à l’arrière. À Ainhoa, il sortait seul, essentiellement le dimanche après Vêpres. Il était accompagné de quatre ou cinq danseurs, sans tenue particulière. Souvent, l’ours était appelé « Martin » ou « Mattin ». Son montreur le faisait danser en disant, la plupart du temps en français : « Pauvre Martin, travaille bien pour gagner ton pain » (Arbonne). À Cambo-les-Bains où la tradition s’est arrêtée au milieu des années 1960, il portait le nom de « Martin buru » (tête de Martin) et dansait comme à Ustaritz. « Martin danse » ou « Maître Mattin danse » disait-on à Saint-Pée-sur-Nivelle. À Ainhoa, il était « habillé uniquement en peaux de mouton bien cousues, un masque rabattu sur le visage avec deux trous pour les yeux et que l’on pouvait soulever pour lui donner à boire car on transpirait dans ce costume. N’importe qui pouvait faire l’ours mais il fallait quelqu’un d’assez costaud. Ce sont les jeunes qui décidaient entre eux : toi tu vas t’habiller en ours et celui qui était désigné s’exécutait. »42. À Sare43, l’un des derniers (avant la reprise de la tradition) à se déguiser en ours fut Martin Salaberrieta. Il tint le rôle de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’en 1948 et en garda le surnom de « Hartza » (ours, en basque). Il se souvenait avoir interprété Hartza dantza (la danse de l’ours).

Les seuls éléments recueillis sur cette danse proviennent surtout d’Ainhoa44. « “Allez, danse Martintxu” disait ici le montreur en tapant avec une main sur son tambourin qu’il tenait de l’autre. Il lui disait de danser “Allez Martin danse ! Tumba, tumba, tumbala-tumba, txumba, pumpa, pumpa” et il fredonnait continuellement cette sorte de rengaine, tapant avec sa main sur le tambour à chaque temps fort pour appuyer ce rythme lancinant. L’animal dansait, tapait du pied par terre, sautait fort, faisait mine d’agresser les spectateurs…“Plus vite” lui disait le montreur et l’ours “grrr…”. Des fois, l’ours ne voulait rien savoir. Le montreur lui donnait alors un coup de bâton sur l’épaule, un coup qui résonnait très fort ». Le Père Donostia a recueilli à Villefranque (à côté d’Ustaritz) l’air d’une danse appelée Zurume dantza (la danse du talon) ou « Tililieta Talala »45. Elle est identique à celle appelée Hartza dantza, autrefois pratiquée à Saint- Etienne-de-Baïgorry. L’air est assez connu en Labourd, il est même aujourd’hui l’une des composantes de la danse folklorisée dite des poissonnières appelée « Matelota » !

A côté de la prestation « dansée », les anciens d’Ainhoa46 ont conservé le souvenir d’une pratique qui témoigne de l’ancienneté de ce personnage et de son jeu. « Le montreur lui disait aussi : “Allez, monte à l’arbre” et l’animal grognait “grrr…”, puis faisait mine de s’exécuter. Alors le maître lui disait “Bon, allez, assez, on arrête”, l’ours faisait aussi semblant d’attaquer en grognant et en levant les pattes de devant. Les enfants étaient curieux et s’approchaient pour voir. C’est alors que les autres comparses “danseurs” les attrapaient et les lui amenaient. Il les serrait contre lui, sans plus, mais les enfants étaient morts de peur, hurlaient, pleuraient. Ils croyaient que c’était vrai ! Tout le monde s’échappait ».

Cette scène nous paraît correspondre à de nombreuses légendes de l’ours protecteur des enfants, voire ancêtre mythique. « L’ours n’est pas un gibier, l’homme a été fabriqué à partir de l’ours » a recueilli Txomin Peillen à Saint-Engrâce, en Soule. De nombreux informateurs âgés se souviennent que, jusque dans les années 1920 où il y avait encore des montreurs d’ours professionnels, on leur amenait les petits enfants pour les mettre à califourchon sur le dos de la bête. Cela les protégeait contre les maladies et facilitait leur apprentissage à la marche. En Galice, à Salcedo, il existe encore une sortie d’ours avec capture « des proies humaines » que des « criados » offrent au plantigrade.

Le musée de Biscaye conserve une idole en pierre en forme « d’ours » sur laquelle on posait des enfants pour les protéger. Ces éléments tendent à confirmer l’hypothèse d’anciens rituels de protection des enfants liés à la sortie de l’ours, certainement connus en Labourd.

Aujourd’hui, le Labourd a conservé une danse48 dissociée de l’ours, appelée « Bizar dantza » à Arbonne et sur la côte basque, « Baber dantza » (danse du barbier) à Ustaritz et dans les villages alentour. Elle est très similaire à une des scènes de la chasse à l’Ours dans le Vallespir (Catalogne versant français). L’ours y est rasé, meurt puis ressuscite2. Il s’agit là encore d’un vestige de jeu, sans doute rituel, dont les codes sont désormais perdus mais dont les études comparatives montrent une très ancienne aire de diffusion49. D’après certains chercheurs, elle pourrait correspondre à un ancien culte de l’ours assez similaire à ce que certains groupes sibériens pratiquent encore de nos jours.

 

  • Les membres du cortège dansant

Les Kaskarot

Il semble que le cortège labourdin « originel » fut surtout le cortège dansant et quêtant appelé « Kaskarot ». Rappelons que le terme « kaskarot » désigne aussi le danseur, membre de ce cortège. Ce cortège, contrairement à celui des Maskak était très attendu et apprécié. La première mention connue50 à ce jour du mot « Kaskarot », se trouve dans les archives de la commune d’Hasparren en date du 14 Pluviôse an 12 (1802, voir II. 2. Repères historiques). Le maire de cette commune essayait de réglementer, lors des derniers jours de carnaval, les organisations de jeunesse qui effectuaient des danses sous le nom de « Kaskarotak ».

L’origine du mot « kaskarot », objet de nombreuses controverses, n’est toujours pas élucidée à ce jour. C’est surtout durant le XIXe siècle que ce danseur sera décrit ou représenté. Francisque Michel51 avait noté son importance dans de nombreuses traditions festives et honorifiques et avait signalé que le rôle était tenu par des jeunes gens choisis ! Ces jeunes désignés ou sélectionnés parmi les célibataires, sachant très bien danser, représentaient de fait une sorte d’élite. Ils occupaient, en dehors de carnaval, de nombreuses places honorifiques dans la vie du village : lors des fêtes (c’était le chef ou capitaine des Kaskarot52 qui menait l’organisation des différentes manifestations sacrées et profanes), pour l’accueil de l’évêque en visite pastorale ou l’entrée dans la commune de nouveaux prêtres.

C’est le danseur Labourdin par excellence, il sortait aussi lors des parades charivariques et pouvait alors apparaitre aussi dans quelques villages de la province voisine de Basse-Navarre dans ses occasions. Il se peut d’ailleurs qu’il fut jadis plus généralisé sur les provinces basques du Nord car on retrouve dans les derniers villages de la vallée de Baïgorry en Basse-Navarre une tradition de tournée de Kaskarot pour carnaval jusque dans les années 1950. Enfin il est aussi à rapprocher des Pantalons Béarnais et Balladins de Bigorre qui sont aussi de bons danseurs très joliment parés.

En Labourd, le corps était mis en valeur, « épiphanisé53» par l’apprentissage de la danse mais aussi par les costumes, les bijoux. Le jeune homme célibataire devient alors un personnage hors du commun. Il est regardé, reconnu et, à ce titre, il doit assurer une prestation de qualité avec un grand sérieux. Ceux qui n’ont pas le niveau requis sont automatiquement exclus.

Leur nombre semble variable. À Espelette, sur la plus ancienne photo connue (1883), ils sont 14. À Ustaritz, sur un tableau de Cazaubon représentant le carnaval (1906), ils sont 4 et dans la même commune, ils sont 8 en 1927. Sur la commune d’Ustaritz, on sait qu’il y eut, avant la guerre 1914-1918, 3 groupes de Kaskarot simultanément : un au bourg, le second au quartier Arrauntz, le troisième à Hérauritz. À Bidart en 1905, ils sont 8 sur une carte postale, 8 également à Cambo-les-Bains en 1910, une vingtaine à Hasparren en 1922. À Espelette, ils sont 10 en 1932 et 6 à Larressore en 1935.

À Ainhoa vers 1945-1950, la majorité des jeunes hommes célibataires forme le groupe des Kaskarot. Tous n’en font cependant pas partie car le groupe fonctionnait sur la base du volontariat. En fait, lorsque l’on demande à des anciens de ce village si c’était un déshonneur de ne pas être Kaskarot, certains répondent « non, mais c’était bien de l’être ! Nous étions une vingtaine quand cela marchait bien ». Dans ce même village, avant la guerre de 1939-1945, on ne pouvait devenir Kaskarot qu’à l’âge de 18 ans54: l’âge fut rabaissé à 16 ans après la guerre. D’une manière générale il n’y avait pas un âge limite pour arrêter de faire partie du groupe : on pouvait y rester tant qu’on était pas marié. À Ainhoa, rares étaient ceux qui y allaient au-delà de 28 ans. La participation était généralement d’une durée de deux à trois ans55. Les hommes mariés ne faisaient pas partie du groupe, exception faite de quelques entraîneurs.

Les danseurs étaient généralement habillés très solennellement avec un costume d’apparat garni de bijoux, rubans, fleurs, grelots. Ce costume était confectionné par la mère de chaque danseur qui veillait à ce que son fils soit toujours aussi bien vêtu que les autres. La mère jouait ici un rôle capital pour le maintien de la tradition et l’initiation identitaire de son fils. Il nous paraît important de noter le luxe du costume de Kaskarot. Ceux qui occupent cette place portent souvent des vêtements qui tranchent avec tout ce qui est costume civil. Nous avons là, très nettement marqué, un état d’exception, un rôle honorifique, un marqueur très significatif d’un rite de passage. Jean-Michel Guilcher se demande d’ailleurs « si le statut de danseur était accessible à tout le monde puisque le costume à lui seul exigeait une certaine dépense »56. Le rôle et l’importance des Kaskarot semblent expliquer pourquoi tous les documents de l’époque ancienne, qu’ils soient écrits ou dessinés, ont ignoré totalement les personnages masqués qui les accompagnaient. Totalement éclipsés, ils n’apparaissent que çà et là de manière très lapidaire. Dans les témoignages, plusieurs anciens font une sorte de classification : « Les Masques ne faisaient jamais la danse des Kaskarot. Du reste, ils ne dansaient pas avec eux, les Kaskarot c’est la vraie danse »57. Il nous faut un peu nuancer cela car, à Ustaritz, Jean Michel Guilcher a relevé que les jeunes pouvaient parfois porter le costume de Kaskarot à l’extérieur de leur quartier et, pour ne pas le salir, effectuer la quête autour de chez eux déguisés en Maskak. Malgré quelques variantes locales, l’habit du Kaskarot est d’une grande homogénéité sur toute la province58.

 

Les principales composantes du costume sont :

- une chemise blanche repassée et empesée ;
- un pantalon blanc dont les coutures des côtés et des ourlets sont recouvertes d’un entrelacs de rubans de diverses couleurs ;
- des sandales blanches (parfois brodées) avec lacets ;
- de nombreux ornements : bretelles de couleurs décorées de broderies réalisées la plupart du temps par la mère du Kaskarot à ses initiales59, baudrier de soie rouge ou violet grenat ou ceinture, cravate ou nœud autour du cou, rubans de couleur entourant le bras.
- un béret (rouge, blanc ou bleu…) ou chapeau ; les deux toujours décorés de fleurs, plumes, pompons, rubans, paillettes, grelots.

Enfin, à Ustaritz, la tradition voulait que des chaînes d’or et des bijoux de valeur leur soient confiés, par leur mère, les femmes de la maison, les jeunes filles du voisinage, leurs fiancées ou même par certaines familles de la bourgeoisie locale, ceci afin de rehausser l’éclat du costume60 : « Un ruban de cravate violet forme un nœud dans l’échancrure du col puis s’engage dans l’anneau de mariage et la bague de fiançailles des parents du danseur avant de se diviser en deux pans. Chez tous, le plastron de la chemise porte au moins cinq ou six chaînes d’or, disposées les unes en dessous des autres et cousues à la chemise en chevrons surbaissés rappelant des brandebourgs. Ces chaînes précieuses ont été empruntées à des parents et amis (il est d’usage que tout nouveau marié en offre une à sa jeune femme) »61.

Jean-Baptiste Larre, né en 1934, nous a décrit, ému, comment chaque matin avant le départ, sa mère cousait tous ces bijoux sur le devant de la chemise : « il fallait rester au garde à vous pendant au moins vingt minutes le matin ma mère cousait et le soir elle décousait pour pouvoir laver la chemise ».

Le costume est complété par une baguette plus ou moins longue (suivant les documents), garnie de rubans multicolores et terminée par une rosette assortie au costume. Entre les deux guerres, avec le développement de Makil dantza (danse des bâtons), les danseurs abandonnèrent progressivement cette baguette au profit de deux petits bâtons.

Il semble que les Kaskarot n’étaient jamais masqués62.

Le Kaskarot est un danseur. Louis Dassance et Jean-Michel Guilcher ont relevé qu’autrefois les Kaskarot devaient apprendre, durant l’hiver, les danses transmises par les maîtres de danse de leur quartier. Nous pouvons penser qu’il y avait là aussi, comme dans d’autres provinces basques, un grand engouement et respect pour la danse et sa symbolique. Comme l’écrit Arnold Van Gennep, ces types de danses en Europe « semblent avoir été primitivement apotropaïques, très puissantes à la fois par le rythme et par les gestes contre les esprits méchants, malfaisants qui apportent les maladies et mettent en danger les récoltes... Les danses et les rondes carnavalesques ont en principe un pouvoir magique »63. Malheureusement, aucun témoignage ne nous a livré les codes et le sens de ces danses en rond, en chaîne ou avec des bâtons frappés. Pour soutenir l’hypothèse que ces danses étaient jadis « rituelles », voire peut-être « sacrées », nous n’avons que peu d’éléments qui perdurent. Mais ceux qui restent semblent quand même significatifs : nous avons un groupe choisi et formé, d’âge précis, composé de célibataires, en costume d’apparat. Ce groupe a obligation de danser, devant chaque maison, des danses précises. Nous pouvons relever une « prise de la place » comme marqueur de leur présence dans chaque quartier. Enfin, les danseurs sont attendus et accueillis avec chaleur, souvent on leur demandait telle ou telle danse, à la chorégraphie parfois complexe, accompagnée de chants. Etre Kaskarot, c’était une grande responsabilité.

Les danses utilisées par les Kaskarot, annotées dans les plus vieux recueils de musique (milieu du XIXe siècle) et dans les études du XXe siècle, évoquent soit les mascarades (Maskarada martxa, Maskarada dantza, Maskak dantza), soit les Kaskarot (Kaskarot martxa, Kaskarot dantza). La danse, relevée à Ustaritz et appelée « Xinple », est une forme de saut basque dont la musique provient d’un ancien air régimentaire déjà connu au XVIIe siècle. Ce saut est également employé en Soule lors des mascarades pour la danse dite du verre, « Godalet dantza ». C’est aussi, à l’autre bout des Pyrénées, à Prats de Mollo en Vallespir, l’air de la sortie de l’ours ! L’autre danse relevée à Ustaritz et Hasparren est Marmutx. Guilcher y reconnaît l’air également militaire de « Malbrough s’en va en guerre ».

Après la guerre de 1940-1945, d’après nos informateurs, beaucoup de tournées de Kaskarot ne donnaient plus que Kaskarot dantza, suivi d’un Fandango et d’un Arin Arin64. Quand ils ne dansent que le Fandango, les Kaskarot sont appelés « Fandangolariak » (Sare et Ascain).

Makil dantza semble provenir des provinces basques du sud. Elle s’est imposée petit à petit dans la première moitié du XXe siècle pour devenir souvent la seule danse pratiquée dans des versions très simplifiées.

Les Kaskarot possédaient, dans certains villages, des danses qu’ils pouvaient également chanter.

La plus connue est une danse de bâtons (Makil ttiki) et les paroles sont :

Hiru xito izan lau galdu

Xita horen ama zerk ereman du

Purra purra egin nion bortatik

Kokorozka egin zautan eltzetik

Gure xitoaren ama oiloa

Axeriak kendu dio lepoa

 

(Avoir trois poussins en perdre quatre

Qui est-ce qui a emporté la mère de ces poussins

Purra purra je l’appelais de la porte

Elle m’a répondu en gloussant de la marmite

La mère poule de notre poussin

Le renard lui a tordu le cou)

 

Certains groupes de Kaskarot, bons danseurs, exécutaient aussi des sauts basques. Ils quêtaient de maison en maison sur leur commune mais aussi parfois dans les communes voisines et les grandes villes comme Biarritz, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz. Ils collectaient argent et nourriture avec lesquels ils festoyaient65. D’une manière générale, les jeunes s’octroyaient de grandes libertés, c’était aussi l’occasion de boire et manger plus que d’habitude et cela occasionnait parfois des débordements.

La coutume était de passer dans toutes les maisons. À Ainhoa, un ancien signale qu’avant 1950 : « le cortège va de maison en maison avec obligation de visiter toutes les maisons… Il n’était pas question de rater l’événement ni de rater une maison. Il fallait parfois plusieurs journées pour parcourir toute la commune ».

Nous avons là une tradition classique du système du don et contre-don, telle que l’a décrit Mauss66. Il y a un véritable mouvement alternatif, les danseurs offrent en grand apparat des danses considérées comme porte bonheur pour la maison, en retour, la maîtresse de maison qui est souvent honorée d’un chant, offre à manger et à boire sur place ainsi que des victuailles à emporter (œufs, lard, saucisses), voire de l’argent qui permettra de financer un bon repas au village.

Un autre ancien Kaskarot décrit bien la tradition avant les années 1950 :

« Les danses faites, les fermes offraient à boire et on mangeait quelques gâteaux… On arrosait bien dans ces petits gueuletons à base de gâteaux, de xingar ta arrotze (jambon et œufs) et parfois de kruspet (beignets). C’est qu’il faut avoir la santé ! Il faut marcher toute la journée, danser et manger à table dans les maisons… Il faut assurer ! Certains finissent par être fatigués… La visite dans une ferme prenait quasiment trois quart d’heure. Partout, on nous donnait en plus des œufs, des saucisses, des oreilles de cochon mais aussi la pièce. »

Parfois, le récit évoquait des exploits alimentaires et de bons souvenirs de fête. Il concourrait à l’identification de chacun dans sa communauté. Récemment, un de nos témoins nous a signalé avec émotion avoir été à l’enterrement d’une dame âgée : « Je voulais lui rendre hommage car quand nous faisions les Kaskarot, il y a près de quarante ans, elle savait très bien nous accueillir en offrant chaque fois un véritable repas complet ».

L’alcool était au centre de ces traditions, il permettait de vérifier qui « assurait » en supportant l’alcool. À Ustaritz, dans les années 1950-1960, après avoir effectué toutes la tournée des maisons, les Kaskarot faisaient la tournée des bars avec l’argent collecté et certains finissaient très mal ! « Quelquefois, il y eut quelques beuveries ou certains furent “ivres morts”, les autres se chargeaient le lendemain de colporter les exploits… Ce qui faisait rire tout le monde. Les gens ne portaient pas de jugement négatif, à cet âge, c’est normal, il faut bien que cela arrive une fois ! ».

Cette coutume de quête carnavalesque sur tout le territoire labourdin doit aussi être envisagée, comme le signale Jacques Godbout67 sous l’angle du lien communautaire. En effet, ce qui est mis en jeu dans le fait de donner les danses, de les recevoir en les regardant et de rendre en donnant aliments, boissons (ou argent pour en acheter), c’est la création d’un lien fort qui marque l’identité de chacun dans le groupe communautaire.

 

La tradition a une triple obligation :

- donner la danse à chaque maison en habit d’apparat ;

- regarder, et rendre en aliments, boissons (ou argent) ;

- recevoir les offrandes en retour de la prestatio.

Comme l’évoque Philippe Rospabé68 : « l’obligation de rendre résulte d’un principe à la fois englobant et fondamental qui est celui de la réciprocité entre les individus et les groupes. Ne pas rendre, c’est rester en dette et c’est généralement très mal vécu ».

Dans les années 1960, la coutume s’essouffle, seules les communes d’Ustaritz et Espelette maintiennent régulièrement ces tournées.

Puis, dans les années 1970, grâce aux premières publications des recherches de Jean Michel Guilcher et sous l’impulsion d’un fort mouvement identitaire et militant basque, les tournées redémarrèrent. Il s’agissait alors de vivre des fêtes, hors périodes touristiques, en les recentrant sur la communauté de chaque village, sans spectacle à « vendre » aux « étrangers ». Ces pratiques sont aujourd’hui en pleine expansion dans toute la province, spécialement à Briscous, Biriatou, Cambo-les-Bains, Itxassou, Louhossoa, Hasparren, Bardos, Bassussarry, Arbonne, Urt, Ustaritz, Espelette, Mendionde, Sare, Ascain, Bidart, Bonloc, etc… Il faut remarquer qu’en dehors d’Ustaritz qui a conservé un cortège masculin, la mixité (garçons/ filles) s’est installée partout ailleurs.

 

  • La danseuse labourdine

Ce costume, inspiré de celui des anciennes danseuses de Fandango du Labourd de 1900 à 1930, a progressivement été adopté à partir des années 1980. L’initiative est due à Claude Iruretagoyena et Thierry Truffaut en 1979. Il a permis d’intégrer les filles dans les cortèges du carnaval Labourdin à côté des Kaskarot. Comme pour les garçons, il existe aujourd’hui des costumes labourdins féminins et contemporains dans beaucoup de communes et ils ont tous dans leur confection des particularités locales. Dans chaque type local de ce costume, on peut également noter de très nombreuses variantes de couleurs ou broderies.

 

  • Le porte-drapeau

Le groupe comprend en tête un porte-drapeau (Banderari ou Enseinari) non masqué, en costume noir. Dans les années 1920, plusieurs photos et le témoignage de Monsieur Haira (né en 1913) décrivent un costume bleu très inspiré des costumes des Torrero espagnols de l’époque. Il semble d’introduction récente et porte le drapeau français. À Ustaritz, il aurait été choisi comme le meilleur danseur69 (le plus leste). Dans d’autres villages comme Espelette et Ainhoa, ce personnage est également signalé mais le rôle est tenu par un Kaskarot. Louis Dassance précise qu’il n’est pas antérieur à 1890 à Ustaritz. Violet Alford le note comme important à Ainhoa entre 1920 et 1930. Aujourd’hui, aucun témoin n’en a le souvenir. À Hasparren, le porte-drapeau apparaît avec le groupe des Kaskarot, il porte un costume plutôt militaire et une écharpe tricolore en baudrier (1922). À Cambo-les-Bains, Pablo Tillac peint, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, deux porte-drapeaux lors du Zanpantzar : un drapeau français et un drapeau basque, l’Ikurriña (très rare à cette époque !). Sur des documents photographiques d’avant 1914, nous avons plusieurs cas de porte-drapeaux habillés en Kaskarot.

Cette présence du drapeau renforce, à notre avis, l’aspect identitaire des danseurs. Ils sont les représentants de leur communauté et en tant que tel, ils sortent avec le drapeau du village, ceci quand le maire le veut bien car ce ne fut pas toujours le cas dans certains villages. À Ustaritz, le premier porte-drapeau utilisant l’Ikurriña fut Simon Telleria, en 1946, lors de la reprise par le patronage des Labourdins.

 

  • Le Makilari

Ce personnage, sorte de tambour-major, exécute avec dextérité des manipulations avec un bâton, surtout à l’occasion de la Fête-Dieu. Il nous a été signalé à Ustaritz comme pouvant accompagner les Kaskarot mais nous n’en n’avons trouvé qu’une représentation sur une série de cartes postales prises à Bidart avant 1905.

 

  • Les personnages masqués

Kotilungorri ou Marika

Leurs rôles étaient de faire la police, de reformer le cortège après chaque arrêt, d’éloigner les spectateurs et les enfants qui s’approchaient trop. Ils leur faisaient peur : pour cette raison, ils ont progressivement disparu quelques temps avant la guerre de 1914-1918. Jean Michel Guilcher nous a raconté que Joseph Larre, née en 1889 et ancien kotilungorri, lui avait confié : « on était les rois ».

Ils sont masqués d’une toile rouge couverte de paillettes lui donnant un aspect pustuleux. Ils ont un chapeau pointu avec une armature de tige de bois couverte de fleurs et de rubans virevoltant. Ils portent une épaisse veste en laine blanche et, par-dessus leur pantalon blanc, une jupe rouge couverte d’un tablier multicolore à laquelle sont fixées une ou deux grandes poches remplies de sciure en guise de confettis. Ils ont aussi une ceinture de sonnailles (pouvant en supporter une douzaine) et sont chaussés de sandales à lacets rouges pouvant aussi parfois être brodées. Ils ont un bâton terminé par une queue de vache qu’ils allaient chercher chez les bouchers à Bayonne (ils la fixaient comme un fléau). Le sens androgyne de Kotilungorri et Marika est ambigu. La première traduction pourrait être « cotillon ou jupon rouge » puisque c’est l’une des composantes du costume.

Par ailleurs, le kotilungorri ou Marika pourrait être associé à la coccinelle, souvent connotée comme « porteur de bonheur ». Certains ethnologues basques y voient une relation avec la déesse du panthéon basque, Mari, également associée à cet insecte et à la couleur rouge. D’une manière générale, le sens primitif de ce personnage est aujourd’hui très difficile à discerner. Seules les comparaisons nous autorisent à penser qu’il a pu avoir autrefois une importance dans les rituels de cette période de l’année.

Si le costume des Kotilungorri à Ustaritz paraît très défini, le souvenir d’un masque similaire, quoique présent, est plus diffus sur l’ensemble du Labourd. D’une manière générale, nous avons déjà relevé que dans beaucoup de cortèges de Maskak, le meneur possédait une jupe et une ceinture de sonnailles dont parfois il ne reste que la ceinture de sonnailles.

Jean-Michel Guilcher a retrouvé le vague souvenir de ces personnages à Sare, Ainhoa, Arbonne, au tout début du XXe siècle, Madame Riolsse se souvenait avoir vu des Marikaxuri (Kotilun blancs) avec des Marikagorri (Kotilungorri) vers 1900. Rappelons aussi qu’à Cambo-les-Bains, le personnage habillé en femme qui suit les Kaskarot pour porter les divers dons s’appelle « Kattingorri ».

Ponpierra (Ponpierrak au pluriel)

Ponpierrak vont généralement par deux et seraient d’introduction plus récente. D’après Louis Dassance, ils n’existaient pas avant 1890 à Ustaritz (nous les trouvons sur le tableau de Cazaubon de 1905 et dans les rues de Bayonne vers 1900). Leur costume est constitué de bandes de tissus de couleurs différentes cousues longitudinalement. Ils ont une collerette autour du cou, de nombreux grelots sur le costume et des bas car leur habit possède une culotte et non un pantalon. Cela met en évidence des sandales à lacets verts et rouges. Ils portent également des gants blancs et un masque de tissu rouge frangé d’or, très ressemblant à celui du Kotilungorri. Leur coiffe pointue est constituée d’un bâti de bois garni « d’anneaux superposés de papillotes de papier et de ruban ». Cazaubon signale « qu’ils ont aussi un peigne à carder qui rappelle sans doute les interdits du travail du lin à l’époque carnavalesque »70. L’ensemble du costume s’apparente aux « Fous carnavalesques » et à certains Arlequins.

Des photographies de cortèges de Kaskarot d’avant 1914 présentent, à Cambo-les-Bains, une variante de ce personnage, avec des chapeaux assez pointus. À Ainhoa, les deux personnages appelés « Polixinela » (Polichinelle), un en rouge, l’autre en vert, dans un costume d’une seule pièce, pourraient peut-être en avoir été une variante. Enfin, Pablo Tillac présente dans ses dessins du Zanpantzar de Cambo-les-Bains, entre 1927 et 1933, des personnages vêtus d’un costume blanc d’une seule pièce avec collerette et petit chapeau pointu. Ponpierrak sont souvent, dans le cortège, utilisés comme quêteurs.

Bestagorri

Les Bestagorri (veste rouge) sont au moins deux, ils portent le même pantalon que les Kaskarot mais ont une veste rouge de type militaire très similaire à celle parfois employée dans les Fête-Dieu (Ainhoa). Leurs coiffes, chapeaux ou bérets couverts de fleurs se terminent par un masque rouge frangé d’or. Ils portent un sabre et une petite caissette en bois pour la quête. Nous les trouvons sur de vieilles cartes postales de groupes faisant des tournées à Bayonne ou dans les alentours d’Ustaritz. Les dessins de Pablo Tillac en présentent plusieurs à Cambo-les-Bains, lors de la mise à mort du Zanpantzar. Ils semblent être aussi des danseurs. À Hasparren, les groupes de Kaskarot des années postérieures à 1914-1918 présentent des personnages portant des costumes différents, plutôt de type militaire. Ils évoluent au fil des ans vers un costume cravate noir qui pourrait s’apparenter à la fonction de quêteur.

Des personnages similaires apparaissent dans le déroulement des jeux de l’oie (antzara jokoa). Ils sont alors appelés Capitaine, voire Roi (Errege). Comme jadis un peu partout au Pays Basque, leur rôle s’apparente alors à celui de responsable de la jeunesse. Ces personnages sont présents sans masque dans les Toberak-mustrak et dans les cavalcades bas-navarraises (Kabalkadak). Ils sont souvent armés de sabres en bois ou sont porte-drapeau.

Jaun eta Anderea (Les Mariés)

Jaun eta Anderea (Les mariés traditionnels des cortèges nuptiaux carnavalesques) faisaient partie avant 1914 du cortège des Kaskarot. Il y avait, d’après les témoignages collectés par Jean-Michel Guilcher, une saynète de tentative d’enlèvement de la dame… Le rôle de la dame était, bien entendu, toujours tenu par un jeune homme. Dans quelques villages labourdins, dans les cortèges d’Itxassou, Espelette, Villefranque, ce couple est signalé. Guilcher note que, parfois, le thème de la noce pouvait être aussi représenté dans les cortèges comme ce fut le cas à Espelette. En 1946, lors de la reprise de la tournée des Kaskarot le groupe d’Ustaritz comptait ces deux personnages qui disparurent jusqu’au mouvement revivaliste des années 1980.

Ce couple ressemble beaucoup à ceux des cortèges encore conservés en Soule, dans les Alpes italiennes et dans l’Europe de l’Est. C’est peut-être le dernier souvenir de la mariée symbolisant la nouvelle année que la jeunesse promenait de maison en maison71.

 

d) Revivalisme

lors que seules les communes de Ustaritz, Espelette, et de temps en temps, Hasparren avaient conservé les tournées de Kaskarot, elles redémarrèrent à la fin des années 1970 et au début des années 1980, sous l’impulsion d’un fort mouvement identitaire et militant basque (Association Lapurtarrak à l’initiative de Betti Betelu, Pierre Gil, Peio Irachabal, Claude Iruretagoyena, Philippe Lesgourgues, Thierry et Hélène Truffaut ainsi que Pantxika Zubiria).

 

e) Les récits liés à la pratique et à la tradition

Les organisateurs et les jeunes interrogés pensent qu’il s’agit de traditions très anciennes dont ils sont dépositaires et qui permettent de recréer du lien social dans la commune, de mieux se connaître et s’intégrer. Ils reconnaissent, grâce à ces tournées, les gens de leur village et sont reconnus par ces derniers au sens propre et figuré !

Ils disent que ces tournées permettent de créer en hiver, quand il n’y a pas beaucoup d’animation, un temps festif dans chaque maison avec danses, chants et musiques. C’est un des moments qui valorisent la culture et la langue basques. Ils pensent que cela fédère les jeunes, les familles, les voisins. Chacun peut se « lâcher, boire et manger plus que d’habitude » comme ils disent :

« C’est faire “la bringue” entre nous et avec les gens qui nous accueillent entre générations ».

C’est rendu possible car tous les ingrédients de la fête sont là : musiques, chants, danses, rituels, boissons, nourritures… ! Ils vérifient qu’ils sont dans la continuité puisque les anciens les attendent. Les groupes les plus constitués, s’appuyant sur un groupe de danse, apprécient spécialement les tournées de Kaskarot. L’implication des autres est rendue possible par la version, moins contraignante, des personnages masqués du cortège.

Durant les tournées carnavalesques en Labourd et un peu partout en Pays Basque et en Europe, les jeunes d’aujourd’hui, comme ceux d’antan, s’approprient leur territoire, le reconnaissent et s’y font reconnaître comme la nouvelle force vive de la communauté.

7. Bib. mun. Bayonne/Arch. mun. Bayonne, Livre des établissements. Une autre mention de course de vaches, en 1289, est l’une des plus anciennes de cette région, mais rien ne précise que c’était en carnaval ou pour les Bœufs gras.

8. Bib. mun. Bayonne/Arch. mun. Bayonne, Registres gascons.

9. DUCERE Édouard, Dictionnaire historique de Bayonne, Marseille, Laffitte Reprints, (1910) 1976, p. 67.

10. Bib. mun. Bayonne/Arch. mun. Bayonne, Registres français

11. Bib. mun. Bayonne/Arch. mun. Bayonne, Registres français. Ce texte évoque la danse dite « du feu au cul », que nous avons recueillie à Guiche et Bardos, où elle se pratiquait encore entre les deux guerres mondiales et qui a été relancée pour le carnaval 2004 par le groupe de danses basques de Bardos.

12. En 1914, le chanoine Jean Baptiste LABORDE évoquant, dans la revue Réclams de Biarn et Gascoungne, la tradition à Bayonne, signale la volonté des participants de salir en jetant divers éléments dont de la farine. 

13. Bib. mun. Bayonne/Arch. mun. Bayonne, Registres français.

14. DUCERE Édouard, ibid., p. 67.

15. Bibl. mun. Saint-Jean-de-Luz/Arch. mun. Saint-Jean-de-Luz.

16. TRUFFAUT Thierry, « Danse : des faits et des gestes », Dictionnaire thématique de culture et civilisation Basque, p. 131-132, édition Piperrak, Urrugne, 2001.

17. GERMOND de la VIGNE, article du 9 octobre dans la revue L’artiste, 1842. 1

8.Texte cité par GARMENDIA LARRAŇAGA Juan, Iñautiri, el carnaval vasco, p. XXIV à XXIX, Kutxa, San Sebastian, 1992.

19.TRUFFAUT Thierry, « Contribution à l’étude des traditions en Labourd : jeux avec des oiseaux domestiques, les bœufs gras à Bayonne », Dantzariak, N° 44, p. 19-29, EDB, Bilbao, 1989.

20. Bibliothèque municipale de Bayonne, Réserve n° 41.

21. D’après Bernadou, références données par le Musée Basque.

22. ITZAINA Xabier, « Danse, rituels et identité en Pays Basque nord », Ethnologie française, n°3, p. 492, Armand Colin, Paris, 1996.

23. Nous avons dépouillé et publié les résultats d’une enquête réalisée par l’Evêché de Bayonne sur l’Etat des traditions : TRUFFAUT Thierry, « Questionnaire sur les traditions souletines en 1909 d’après les archives de l’évêché de Bayonne », Ekaina, N°33, p. 9-14, Bidart, 1990. Les commentaires sur les traditions de Carnaval sont très éloquentes au niveaux de la critique négative et assez unanimes quant aux rejets et condamnations.

24. DUVOISIN J., « Comédie des basques », Album pyrénéen, 1841.

25. ITZAINA Xabier, Ibid, p. 493. 26. MICHEL Francisque, Le Pays Basque, sa population, sa langue, ses mœurs, sa littérature et sa musique, Firmin Didot, Paris, 1857.

26. MICHEL Francisque, Le Pays Basque, sa population, sa langue, ses mœurs, sa littérature et sa musique, Firmin Didot, Paris, 1857.

27. VINSON Julien, Le Folk-Lore du Pays-Basque, p. 396, Maisonneuve et Cie, Paris, 1883.

28. VINSON Julien, Ibid, avant-propos.

29. BORDES Charles, « La musique populaire des basques », La tradition au Pays-Basque, Paris, 1899.

30. FABRE Daniel, Le carnaval ou la fête à l’envers, p. 36, Gallimard Collection Découvertes, Paris, 1992.

31. Témoignage de Jean-Michel GUILCHER.

32. Monsieur Jean-Pierre Iparraguerre, Espelette, 1981.

33. Voir chapitre II. 2. Repères historiques

34. Propos collectés en 1981.

35. Enquête menée avec Michel Duvert, auprès de Messieurs Añorga, Audiot, Saint Jean, 2004.

36. Informateurs d’Ascain.

37. FABRE Daniel, « Juvéniles revenants », Etudes rurales, n°105, p. 147-164, 1987.

38. Témoignage de Monsieur Barnetche, Urt.

39. GUILCHER Jean-Michel, La tradition de Danse en Béarn et Pays-Basque Français, Editions de la maison des Sciences de L’Homme, Paris, 1984.

40. Témoignage collecté par Robert Poupel auprès de Mr Saint-Jean, ancien Kaskarot de Cambo-les-Bains, années 1970.

41. Informateurs d’Arbonne.

42. Ainhoa, Lucien Añorga, J. Onienborda (faits se situant avant 1940).

43. Sare, d’après nos informateurs Jose Miguel Barandiaran et Mathieu Salaberrieta.

44. Ainhoa, témoignage recueilli par Michel Duvert, 2004.

45. Azkue, p. 101-103 de son Cancionero.

46. Ainhoa, informateurs en 2004.

47. Padre Donostia, Michel Labeguerie, Pierrot Gil et Betti Betelu en parlaient.

48. Vallespir en Catalogne, Gèdre en Bigorre où le montreur ressuscite l’ours en lui soufflant dans le cul avec son grand bâton, en Labourd où le client égorgé par le barbier est ressuscité par le barbier avec son soufflet.

49. La mort et la résurrection de l’ours est aussi pratiquée en Europe de l’Est, voir les travaux de Jean-Dominique Lajoux.

50. Il est certain que ce type de danseurs préexistait depuis au moins le XVIe siècle, chroniqueurs et voyageurs signalent les danseurs masculins lors de nombreuses cérémonies dans différentes communes et villes labourdines. TRUFFAUT Thierry, Joaldun et Kaskarot. Des carnavals en Pays Basque, Elkar, Donostia, 2005.

51. Michel Francisque, auteur du XIXe siècle.

52. Rôle très similaire à l’abbé de jeunesse.

53. Expression chère à Michel Mafesolli qui renvoie à l’idée d’apparition (Epiphanie), hors du commun, de recherche esthétique, de sacralisation participant à la reconnaissance, à la socialisation.

54. Dans certains villages il y a eu aussi un rapport avec la classe d’âge pouvant faire le service militaire (les conscrits de l’année).

55. La durée souhaitée est celle de trois ans, la première année étant consacrée à l’apprentissage (initiation), la seconde à la pleine pratique (initié), la troisième et les suivantes à la transmission aux nouveaux arrivants (initiateur).

56. GUILCHER Jean-Michel, La tradition de danse en Béarn et Pays-Basque français, p. 517, Editions de la maison des Sciences de L’Homme, Paris, 1984.

57. Propos recueillis en juillet 2004 par Michel Duvert auprès de Mesdames Elso et Marckert (Ainhoa) évoquant leurs souvenirs de l’entre-deux-guerres.

58. Il nous paraît important de relever ici que ces Kaskarot tranchent complètement avec l’aspect sauvage des Maskak, ils sont par leurs costumes enrubannés, emplumés, couverts de broderies et bijoux presque « féminisés ». Cela est une constante de beaucoup de traditions carnavalesques en Europe.

59. À Ustaritz, Simon Telleria, né en 1926, nous a montré ses bretelles brodées de ses initiales qu’il conserve avec beaucoup d’attachement.

60. DASSANCE Louis, « Les sauts basques et les vieilles danses labourdines », Bulletin des amis du Musée Basque, p. 21-30, 1927.

61. GUILCHER Jean-Michel, La tradition de danse en Béarn et Pays-Basque français, p. 517-518, Editions de la maison des Sciences de L’Homme, Paris, 1984.

62. À Ainhoa, un informateur a signalé à Michel Duvert un Kaskarot au visage noirci au milieu de la troupe ; à part cette distinction, il participe au même titre que les autres.

63. VAN GENNEP Arnold, Manuel de folklore français contemporain, tome sur le carnaval, p. 1111-1112, Picard, Paris, 1943-1988. Cette thèse est défendue par l’un des spécialistes de la danse basque Juan Antonio Urbeltz.

64. Le Fandango, introduit dans la seconde moitié du XIXe siècle, vient d’Espagne. Il est toujours suivi d’une autre danse plus enlevée, appelée Arin-Arin, qui signifie léger-léger. Betti Betelu avait appris puis transmis à ses meilleurs élèves des variantes de pas de ces danses jadis pratiquées sur la côte labourdine.

65. Sur les quêtes et leur sens : VAN GENNEP Arnold, Manuel de folklore français contemporain, 8 vol., p. 862-863, Picard, Paris, 1943-1988.

66. MAUSS Marcel, « Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », Sociologie et anthropologie, p. 145-284, PUF, Paris, 1950.

67. GODBOUT J.T, « Les bonnes raisons de donner », Anthropologie et Société, volume 19, n°1-2, p. 45-56, 1995.

68. ROSPABE Philippe, « L’obligation de donner », La revue du M.A.U.S.S., N° 8, 2e semestre, p. 142 à 152, Paris, 1996

69. GUILCHER Jean-Michel, La tradition de danse en Béarn et Pays Basque, França, 1984.

70. DASSANCE Louis, « Les sauts basques et Les vieilles danses labourdines », Bulletin des amis du Musée Basque, p. 21-30, 1927.

71. Voir en bibliographie les travaux de Jean Dominique LAJOUX.

La première constatation à faire sur ces traditions carnavalesques en Labourd est le grand changement de contexte. Ces traditions s’inscrivent désormais dans une campagne labourdine où l’agriculture ne cesse de reculer. Aujourd’hui, plus de 97% de la population active travaille dans les secteurs secondaires et tertiaires. Les jeunes, n’ayant plus de débouchés dans le domaine agricole, doivent trouver d’autres voies en suivant des études souvent hors de la région, ce qui induit leur dispersion.

Par ailleurs, l’accroissement démographique, l’attrait touristique et climatique du Labourd, avec pour conséquence l’augmentation considérable de la population dans de nombreuses communes, ont créé deux types de population : les autochtones et les autres. Partout, des maisons et des lotissements ont poussé comme des champignons, formant parfois de nouveaux quartiers avec peu de personnes originaires de la commune. Dans ce contexte, les relations sociales sont souvent mises à mal, développant un « chacun chez soi ». Un jeune de Bassussary (commune limitrophe de Bayonne) nous disait avec humour « le week-end, dans sa grande maison spacieuse, Monsieur fait le jardin et Madame la lessive, alors quand ils voient arriver vingt-cinq zonzon qui viennent faire carnaval, c’est plutôt difficile ». Dans les communes, « l’association » (sportive, culturelle, de danse, comité des fêtes) est venue progressivement supplanter beaucoup d’organisations jadis prises en charge par la jeunesse, les adultes devenant parfois à leur place les véritables organisateurs.

Enfin, dans ce contexte, il nous faut aussi noter le net recul de la langue et de la culture basques, surtout sur la côte basque et les villages autour de l’agglomération bayonnaise. Ceux qui les pratiquent encore se sentent parfois marginalisés au milieu d’une population indifférente.

Tout cela induit, à notre avis, des manques profonds voire des malaises. Le lien social s’est terriblement appauvri. Dans des communes qui ont doublé ou triplé leur population, les gens ne se connaissent plus et ne se regroupent plus que par affinités culturelles, sportives…La jeunesse est éclatée entre les différentes associations, seul le comité des fêtes arrive parfois à les regrouper. Ce n’est pas pour rien que depuis quelques années beaucoup de jeunes revendiquent des Gaztetxe (maison des jeunes) pour se démarquer et avoir une réelle identité par rapport au reste de la population.

Dans ce contexte, l’organisation des tournées dansées de Kaskarot est rendue difficile. Elles pourraient, par manque d’encouragement et de valorisation, se réduire voire être remplacées par celle des Maskak-Zirtzil plus spontanées et faciles à organiser et ne nécessitant ni beaux costumes, ni connaissance approfondie des danses. D’ores et déjà, la dernière pratique non mixte des Kaskarot à Ustaritz fait l’objet de nombreuses critiques afin d’y intégrer les filles.

Malgré les risques signalés plus haut, si les tournées de quêtes carnavalesques en Labourd ont actuellement un certain succès, c’est qu’elles contribuent à recréer des échanges, des rencontres, du lien social dans les communes. La jeunesse y trouve les éléments nécessaires à sa construction identitaire, personnelle et collective, grâce à une vie de groupe qui dure plusieurs jours et à une reconnaissance des adultes qui les accueillent. Cette tradition permet aux jeunes d’affirmer leur identité basque, ce qui n’était pas autrefois une revendication des tournées de quête. Ils trouvent là une occasion de faire pénétrer la culture (chant, danse, musique) et la langue basques dans les maisons, de la faire exister et apprécier, de réanimer le débat sur l’appartenance du Labourd à l’entité Pays Basque. Les jeunes découvrent aussi une manière d’exprimer leur culture autrement que par la production de spectacles pour touristes. Les tournées maintiennent et relancent les liens intergénérationnels : savoir qui est qui et ce qu’il devient…

Cette pratique rompt l’isolement de beaucoup de personnes âgées et contribue à rassembler les membres d’une famille, d’un quartier. Elle concourt à l’intégration des nouveaux. Les initiatives d’accueil des tournées entre voisins, comme à Itxassou, tendent à prouver que de nouvelles dynamiques se créent pour tisser les liens entre autochtones et nouveaux habitants, peut-être plus dans le Labourd intérieur que sur la côte.

Depuis une trentaine d’années, le développement du Festival Hartzaro à Ustaritz contribue à promotionner la tradition des tournées de Kaskarot, tout en développant la vulgarisation et le développement des pratiques carnavalesques.

Dans la plupart des communes du Labourd, le temps de Carnaval est redevenu un moment fort de la vie communale et bénéficie donc de regards et financements bienveillants des élus.

L’Institut culturel Basque, au travers de son exposition Soka, œuvre à la connaissance et à la promotion de ces traditions.

En 2011, Thierry Truffaut, lauréat de la Bourse José Miguel de Barandiaran, publiait aux éditions de la Fondation José Miguel Barandiaran, à Vitoria, (Alaba, Pays Basque sud) les résultats d’une enquête initiée en 1978 : « Vers un inventaire des traditions carnavalesques et hivernales de la province du Labourd » comprenant :

- un livre explicatif de 147 page ;

- un CD regroupant les résultats des 40 communes du Labourd : une monographie par commune pour un total de 3367 pages comprenant nombreux témoignages retranscrits, photos, documents et partitions ;

- 2 autres CD d’une durée d’une heure chacun, l’un présentant diverses danses carnavalesques, l’autre des témoignages d’anciens en langue basque.

Cet inventaire vient compléter son livre Joaldunak et Kaskarot – Des Carnavals en Pays Basque, aux Editions Elkar à Bayonne, présentant la synthèse historique et ethnographique des traditions de tournées carnavalesques en Labourd.

Cette fiche réalisée par Thierry TRUFFAUT (anthropologue et membre des associations : Lapurtarrak, Herri Soinu, Lauburu et Etniker Iparralde) a bénéficié des données collectées lors de sa vaste enquête réalisée depuis 1978 sur l’ensemble des communes du Labourd. Cette enquête a mobilisé des centaines d’acteurs des tournées carnavalesques en Labourd.

Elle a été spécialement impulsée par les associations Lapurtarrak de Bayonne, Herri Soinu d’Ustaritz qui œuvrent au maintien et au développement de la tradition carnavalesque à Ustaritz et en Labourd.

Elle s’est enrichie de nombreuses rencontres avec les divers groupes et chercheurs : Jean Michel Guilcher (récemment décédé), Xabier Itçaina, Michel Duvert, Claude Iruretagoyena, Jean-Pierre Espilondo et Pierre Gil (les deux derniers également décédés) etc.

Elle a été corrigée avec Terexa Lekumberri, ethnologue, responsable de la section Ethnologie et Patrimoine de l’Institut Culturel Basque.

Les auteurs de cette fiche rappellent que les informations qu’elle contient ne constituent qu’une description partielle de l’état actuel de la pratique à un instant T.

CARO BAROJA, Julio. Le Carnaval. édition française, Gallimard, Paris, 1979.

DASSANCE, Louis. Les Sauts Basques et Les Vieilles Danses Labourdines. Bulletin des amis du Musée Basque, p. 21-30, 1927.

DUVERT, Michel. Essai sur le temps et l’espace de l’art traditionnel en Euskadi nord. Anuario de Eusko-Folklore n°31, p. 59-101, Eusko-Ikaskunza, 1982-83.

GUILCHER, Jean-Michel. Danses et cortèges traditionnels du Carnaval en Pays de Labourd. Bulletin du Musée Basque, N°46, Société des Amis du Musée Basque, Bayonne, 1968.

GUILCHER, Jean-Michel. La danse traditionnelle dans les provinces basques de France. Etre basque, Privat,Toulouse, 1983.

GUILCHER, Jean Marie. La tradition de danse en Béarn et Pays Basque français. Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1984.

GUILCHER, Yvon. La danse traditionnelle en France, d’une ancienne civilisation paysanne à un loisir revivaliste. éditions Librairie de la danse, FAMDT et l’ADP, éditions, nouvelle édition revue et augmentée, Maison-Alfort, 2001.

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_____________ Danse, rituels et identité en Pays Basque nord. Ethnologie française, n°3, p. 490-503, Armand Colin, Paris ,1996. ITÇAINA, Xabier, « Sanction orale, fête et politique : le charivari à Itxassou au XIXe siècle », Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne, n°151, Bayonne, 1996.

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SACX, Maurice. Récréations Bayonnaises – jeux – Divertissements et Plaisirs. Bulletin de la Société des Sciences Lettres et Arts de Bayonne, N°140, p. 329-332, Bayonne, 1984.

TRUFFAUT, Thierry. La danse en Labourd. La danse basque, Lauburu, Bayonne, 1981.

_______________ Le Carnaval labourdin. Dantzariak, N° 20, EOB, Bilbao, 1982.

_______________  Arbonne au fil des jours. Calendrier traditionnel de la mémoire et des coutumes populaires il y a 50 ans et plus à Arbonne . Ekaina, N° 26, Bidart, 1988.

_______________ Biriatou au fil des jours, Biriatou. Ekaina, p. 107-187, Saint Jean de luz, 1989.

_______________ Ascain au fil des jours. Ekaina, Saint Jean de Luz, 1991. TRUFFAUT Thierry, « Le Folklore », Atlantica, N°65, p. 8-23, ONI, Biarritz.

_______________ Le saut basque. Apogée, déclin et renaissance. Ekaina, N°32, numéro spécial Folklore, p. 195-213, Saint Jean de luz, 1989. 

_______________ Ihautiri - Carnavals et fêtes d’hiver au Pays-Basque. (textes accompagnant les aquarelles d’Annie Garnier), Ohidurak, n°1, Saint Jean de Luz, 2004.

_______________  Joaldun et Kaskarot. Des carnavals en Pays-Basque. p. 366, Elkar, Bayonne/Saint Sébastien, 2005.

_______________ Mutations spatiales dans la maison traditionnelle, la maison contemporaine, le quartier et le lotissement en Labourd lors des tournées carnavalesques. L’aménagement du territoire en Pays Basque, actes de colloque, sous la coordination de Eguzki Urteaga, Eusko Ikaskuntza, Dakit argitaldaria, p. 137-152, Zarautz, 2007.

_______________ Un exemple de construction identitaire de la jeunesse en Pays-Basque : les tournées carnavalesques en Labourd. Figures de la Jeunesse - Fête, ruralité et groupes de jeunes, ouvrage coordonné par Cyril Isnart, p. 87-107, Collection Le Monde Alpin et Rhodanien, Musée Dauphinois-Isère, 2010.

_______________ Vers un inventaire des traditions carnavalesques et hivernales de la province du Labourd. Livre de 147 pages, comprenant un CD avec 40 monographies pour un total de 3367 pages, un DVD d’une heure avec divers témoignages en basque et un autre DVD d’une heure présentant diverses traditions carnavalesques, Fondation José Miguel de Barandiaran, n°15, Vitoria/Gasteiz, 2011.

VAN GENNEP, Arnold. Manuel de folklore français contemporain. 8 vol, Picard, Paris, 1943-1988.

Fonds Eleketa collecté par l’Institut culturel basque, sous maîtrise d’ouvrage du Conseil Départemental des Pyrénées-Atlantiques (consultable aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques – Pôle de Bayonne, ainsi qu’au siège de l’ICB à Ustaritz) :

  • Paul et Marceline Harispourou. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 323-324
  • Jeanne et Manex Olhagaray. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 256, 267-268
  • Dominika Teilleire veuve Aguerre. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 114, 127-128
  • Norberto Aguerre. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 345, 349
  • Janette Elissetche. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 206-208
  • Pascal Paris. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 172
  • Gratien Sauveur Larronde. 2008. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 292
  • Henri Duhau. Collecte Eleketa. 2012. © Département des Pyrénées-Atlantiques. Archives départementale. 19 AV 234-239
  • Pierre Etchelecou. Collecte Eleketa. 2014. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 19 AV 1428
  • André Zugasti et Michel Bercetche. 2014. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 15 AV 412-413
  • Xabier Itçaina. Collecte Eleketa. 2015. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 19 AV 1521-1522
  • Thierry Truffaut. Collecte Eleketa. 2015. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales. 19 AV 1547-1549

- Raymond Foulon et Thierry Truffaut, « Ihautiri bat », film muet sur les traditions hivernales reconstituées en Labourd, 1984. © Département des Pyrénées-Atlantiques - Archives départementales.

- Thierry Truffaut, films vidéos sur les traditions carnavalesques réalisées entre 2003 et 2011 dans plusieurs communes du Labourd. © Thierry Truffaut (Collection personnelle de Thierry Truffaut consultable aussi à l’Institut culturel ou a été déposée une copie)

Association Dantzan
https://dantzan.eus/kidea/DantzanIkasi/lapurdiko-inauteriak-thierry-truffaut

Bilketa, portail des fonds documentaires basques
www.bilketa.eus

Institut culturel basque
www.eke.eus

Musée basque et de l’histoire de Bayonne
www.musee-basque.com

Localisation des tournées du Carnaval labourdin :
Nouvelle-Aquitaine, Pyrénées-Atlantiques, Pays basque

Institution porteuse du dossier :
Institut culturel basque / Euskal kultur erakundea
Pôle ethnologie et patrimoine
Château Lota
64480 Ustaritz
05 59 93 25 25
www.eke.eus

 

Date de remise de la fiche : 5 mars 2018
Année d’inclusion à l’inventaire : 2018

 

N° d'inventaire Ministère Culture : 2018_67717_INV_PCI_FRANCE_00400
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2lf

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carnavals_basques

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