Il consiste en une superposition polyrythmique de vocalisations percussives (bruits de gorge sur onomatopées et halètements) et de battements de mains réalisée par des hommes pour accompagner certains chants traditionnels, notamment ceux des veillées mortuaires de Guadeloupe continentale.

Bouladjèl, Boulagèl, Bannjogita

- pratiques sociales, rituels ou événements festifs
- traditions et expressions orales

En tant que pratique musicale héritée des ancêtres Africains esclavagés en Guadeloupe, le bouladjel appartient au domaine des traditions et expressions orales. Il entre aussi dans la catégorie des pratiques sociales et des rituels relatifs à la mort.

La pratique du bouladjel était autrefois reléguée au milieu des travailleurs agricoles descendants des Africains esclavagés en Guadeloupe 'continentale' (Grande-Terre et Basse-Terre). Elle a toujours été transmise par osmose au sein des familles, entre proches voisins et/ou membres de communautés très soudées. Aujourd'hui le bouladjel continue à être pratiqué et transmis par des personnes issues de ces familles et communautés. Elles appartiennent majoritairement aux classes moyennes et populaires de la société guadeloupéenne et habitent indifféremment la ville ou la campagne.

Le bouladjel est connu et pratiqué partout en Guadeloupe dite continentale (Grande-Terre et Basse-Terre). Aujourd’hui il est particulièrement vivace sur la Grande-Terre, dans la région dite des Grands-Fonds (Abymes, Sainte-Anne, Gosier, Moule). Aujourd'hui encore, le bouladjel demeure une tradition et une pratique sociale spécifiquement guadeloupéennes. Il est pratiqué sur la Grande-Terre et sur la Basse-Terre à l'exclusion des autres îles de l'archipel.
Le jeu polyrythmique de vocalisations percussives caractéristique du bouladjel a séduit une poignée de jazzmen et de musiciens qui pratiquent les musiques actuelles aux États-Unis notamment. Ainsi, David Murray, Rachelle Ferrell ou encore Gino Sitson ont enregistré des compositions nouvelles où le bouladjel sert d'accompagnement polyrythmique, suite aux échanges qu'ils ont eus avec des musiciens Guadeloupéens.
Toutefois, en tant que genre musical, ou type d'accompagnement polyrthmique, il reste très exceptionnellement entendu hors de la Guadeloupe et quand il apparaît sur certains enregistrements CD, il est performé par des musiciens guadeloupéens.

Le bouladjel est un jeu polyrythmique de bruits de gorge, de vocalisations percussives et de battements de mains. Il appartient à la famille des musiques gwoka, mais le patron rythmique binaire qui le sous-tend ne correspond à aucun des sept rythmes traditionnels du gwoka. Sa fonction principale est d’offrir un accompagnement au chant pendant les veillées mortuaires de Guadeloupe continentale. Toutefois on peut aussi entendre du bouladjel hors du contexte de la veillée, sur scène ou pendant un échange musical impromptu qui peut se passer de jour comme de nuit dans des contextes divers. Le bouladjel traditionnel n'admet aucun instrument de musique.
La pratique est exclusivement masculine. En principe trois ou quatre hommes suffisent pour exécuter un bouladjel, chacun répétant une cellule rythmique ou un court fragment mélo-rythmique invarié. Les ostinati rythmiques sont créés par l'énonciation d'onomatopées percussives qui favorisent les expirations prolongées et sonores, les sons aspirés et les hoquets. Un bouladjel réussi résulte de la superposition d'au moins deux ou trois ostinati rythmiques différents.
Au cours du chant, il arrive qu'un boularien (celui qui participe au bouladjel) déclame de temps à autre des petites moqueries et des satires sur un mode de parole rythmée proche du rap. Ces interventions contribuent à la polyrythmie. Elles sont très appréciées par l'auditoire parce qu'elles provoquent le rire et permettent ainsi au chant de veillée de remplir sa fonction principale qui est d'aider les personnes endeuillées à oublier leur chagrin.
Lorsque les boulariens sont assez nombreux et expérimentés, il peut s'en trouver pour chanter çà et là des fragments de mélodies qui enrichissent la texture du bouladjel. Le nombre de participants à un bouladjel varie en effet, de deux ou trois à une dizaine ou plus, selon les circonstances. Pendant qu'ils chantent, certains boulariens portent les mains jointes à hauteur de la bouche et font glisser leurs paumes l'une contre l'autre en un mouvement de va-et-vient vertical. D'autres préfèrent les refermer autour de la bouche et du nez. La cavité formée par les paumes face-à-face sert alors de résonateur. L'inclusion du bouladjel dans un chant traditionnel obéit à des règles précises. Contrairement aux autres musiques gwoka où les entrées sont étagées; d'abord le chanteur soliste puis les répondè, ensuite les battements de mains suivis de l'entrée des tambours d'accompagnement et enfin du tambour soliste, toutes les parties du bouladjel démarrent ensemble. C'est un participant qu'on nomme souvent "commandeur" de bouladjel, qui signale le début du bouladjel. Une fois que le chant responsorial accompagné de battements de mains est stabilisé, le commandeur appelle les boulariens à commencer leur partie en utilisant une formule parlée traditionnelle dont il varie un peu le texte afin de le personnaliser.
Selon la mémoire des Aînés, on a toujours pratiqué le bouladjel en Guadeloupe.
Toutefois, et bien que l'hypothèse la plus vraisemblable fasse de cette tradition un héritage des ancêtres africains, des recherches approfondies sont nécessaires afin d'élucider son histoire.

Contrairement au gwoka qui est enseigné dans plusieurs écoles associatives réparties sur toute la Guadeloupe, le bouladjel ne fait pas l'objet d'un apprentissage formalisé. Il se transmet par osmose au sein des familles et de certaines communautés aux liens resserrés parmi les Guadeloupéens d'ascendance africaine surtout. Jusqu'aux années soixante, le bouladjel s'entendait dans les veillées mortuaires de toute la Guadeloupe "continentale". Sur la Grande-Terre la musique du bouladjel accompagnait les chants, les jeux (zizipan, pilé kako) et les luttes (bènadèn, sové vayan) qu'on pratiquait traditionnellement dans les veillées. Aujourd'hui c'est seulement sur la Grande-Terre que sa pratique est demeurée vivace dans le contexte traditionnel de la veillée mortuaire.
D'après les informateurs de la région des Grands-Fonds en Grande-Terre, jusqu'au début des années soixante-dix les jeux polyrythmiques de type bouladjel s'entendaient aussi en dehors des veillées. Les enfants s'amusaient à en créer ensemble parfois. Les adultes recourraient à ce type de vocalisations polyrythmiques pour accompagner le chant traditionnel dans des contextes variés qui allaient du travail aux petits moments de détente entre amis. Enfin, on pouvait en fredonner en vaquant à ses occupations quotidiennes. Bien sûr l'utilisation du bouladjel excluait le recours à d'autres instruments de musique.

Les changements profonds qui ont affecté la société guadeloupéenne depuis le milieu du XXe siècle ont contribué au déclin de cette tradition sur la Basse-Terre et à un recul de la pratique sur la Grande-Terre. Toutefois, depuis quelques années les musiciens et artistes guadeloupéens sont de plus en plus nombreux à tenter de nouvelles expériences autour du bouladjel en le mariant à d'autres instruments de musique telle la basse électrique ou même le tambour ka. D'autres explorations musicales ont amené certains à remplacer les séquence rythmiques binaires du bouladjel traditionnel par des étagements ternaires. Bien que le bouladjel traditionnel continue à être pratiqué dans le cadre de la veillée mortuaire, son espace de référence, de plus en plus de musiciens l'utilisent aussi sur scène et les enregistrements commerciaux.

Dans les chroniques rédigées par les colons résidant ou de passage aux Antilles pendant la période esclavagiste et/ou coloniale on n'a retrouvé à ce jour, aucune description de pratique musicale évocatrice du bouladjel. Plusieurs hypothèses ont été émises sur les conditions de son émergence en Guadeloupe, mais toutes restent à vérifier. La plus crédible est peut être celle qui établit un parallèle avec la concentration de noirs libres dans la région des Grands-Fonds et les rites de la veillée mortuaire qui sont spécifiques de cette région de Guadeloupe. La recherche reste à effectuer, notamment dans les archives du clergé local.

Les premiers écrits connus relatifs au bouladjel sont très récents et peu précis. Quelques lignes dans le récit autobiographique de Susan Marcel Mavounzy Cinquante ans de musique et de culture en Guadeloupe (pp. 148-150, Présence Africaine 2002) font mention des déboires de "Chaben", de son vrai nom Gaston Germain-Calixte, suite à l'enregistrement d'un chant bouladjel en 1966, Zombi baré moin. Avant lui, Marie-Céline Lafontaine présentait "le boula-gueule" comme un "style vocal polyphonique" pratiqué lors des veillées mortuaires dans Les Musiques Guadeloupéennes dans le champ culturel afro-américain, au sein des cultures du monde, Redditions Caribéennes, 1988, p. 96. Nous n'avons pas connaissance d'écrits antérieurs à ceux-là.
S'agissant des traces sonores, c'est à partir de 1962 que le bouladjel fait l'objet de captations spécifiques. Le premier enregistrement commercial est celui de Sergius Geoffroy, un chanteur de veillée originaire de la région des Grands-Fonds à Sainte-Anne. L'année suivante Louis Victoire dit Napoléon Magloire, originaire du Gosier, enregistrait Senval un bouladjel dans un style traditionnel proche de celui de Sergius Geoffroy.
Le musicologue américain Alan Lomax de passage à Morne-à-l'eau (Grande-Terre) en Juin 1962 y a enregistré du bouladjel d'une part dans un chant de travail, Adolin Dola et d'autre part dans un chant de veillée Bo i Pati. Ces airs sont présentés sur un CD de la série Caribbean Voyage paru en 2004, The French Caribbean : We Will Play Love Tonight (Rounder Records 82161- 1733-2).
Dans les chants que Robert Loyson, Gaston Germain-Calixte et Yvon Anzala ont enregistré au cours des années 1960 et 70, le bouladjel apparaît souvent comme un instrument supplémentaire dans l'orchestre traditionnel aux côtés des tambours ka. C'est à ces trois chanteurs originaires de Moule et de Port-Louis sur la Grande-Terre qu'on doit la plupart des chants avec accompagnement de bouladjel parus entre 1963 et 1977 chez Émeraude. Parmi leurs titres les plus connus on trouve Canne à la richesse et Si papa mô de Robert Loyson (Emeraude EM-026, 1966), ou encore Zombi baré moin et Clocotè-la de Gaston Germain-Calixte (Émeraude EM 023, 1966).
Contrairement à Germain-Calixte et à Loyson qui posent la base rythmique de leurs chants sur du bouladjel, Yvon Anzala lui accorde une place secondaire dans les titres qu'il a enregistrés au cours des années soixante-dix. On a un exemple dans Gèp-la (1973) où le bouladjel n'occupe que quelques mesures au milieu du morceau. Dans Ti fi la ou té madanm an moin (Anzala, Dolor, Vélo 1974?) le bouladjel n'est entendu que pour conclure la chanson.

Les années 1980 amènent une courte éclipse du bouladjel dans la musique commerciale. D'aucuns y voient une conséquence du mouvement de revalorisation du Gwoka traditionnel. Dans les années 1990 quand le bouladjel réapparaît dans les musiques enregistrées, il est devenu moyen d'affirmation d'une identité guadeloupéenne. Lukuber Séjor est l'un des pionniers de cet usage du bouladjel comme en témoignent certains morceaux de son album Du premier voyage au retour à ka (1993). Il y explore la palette des vocables et onomatopées utilisés en divers lieux de Guadeloupe pour créer du bouladjel. Quand il renouvelle l'expérience en 2002 avec l'album Pawol é mizik kon tilili une nouvelle génération de musiciens et d'artistes guadeloupéens lui emboîtent le pas avec un regard neuf sur cette expression. Du groupe SOFT (Kadans a péyi-la, Kryph 2005; Gouté Gwadloup, Aztec Music 2008; Omaj, Aztec Music 2009) à Rosan Monza (Adyé Vivilo, Debs 2008; Ki jenné ou jenné, Debs 2011) en passant par le groupe Kimbol (album Envitasyon, 2008), le bouladjel qui s'enregistre dans les années deux-mille est souvent stylisé et sert de sous-bassement polyrythmique à des mélodies où l'influence du jazz et des musiques actuelles se ressent fortement.

Parallèlement, au tournant des années deux-mille quelques musiciens issus de la tradition gwoka s'appuient sur le bouladjel pour partir à la rencontre d'autres musiques. L'exemple le plus connu est l'album Liyannaj produit par Aztec Music en 1999. Il témoigne des échanges musicaux entre le Carré Manchot (Bretagne) et Akiyo (Guadeloupe). Les CDs de David Murray Yonn-dé (Justin Time 2003), Gwotet (Justin Time 2008) et The devil tried to kill me (Justin Time 2009) préservent le souvenir des expériences de Jazz fusion/Free Jazz avec des musiciens gwoka. Dans la même veine, des extraits du CD Soné ka-la (EmArcy 2007) du saxophoniste de jazz Jacques Schwarz-Bart proposent du bouladjel performé par des musiciens de tradition gwoka. En 2013, l'album Tayo que le groupe Kan'nida a entièrement dévolu au bouladjel, marque une nouvelle étape dans l'évolution de l'élément hors du contexte traditionnel de la veillée. Résultat d'une étroite collaboration entre un porteur de la tradition des Grands-Fonds respecté en Guadeloupe et Gino Sitson, un vocaliste de jazz cet album contient, entre autres choses les premiers essais de bouladjel en rythme ternaire (Ta yo Kanid 019, 2013).
Outre ces collaborations et échanges avec des artistes d'horizons divers les musiciens traditionnels de Guadeloupe continuent à enregistrer du bouladjel dans un style plus conventionnel comme par exemple Hilaire Geoffroy (Réconciliation 2002), Cyrille Daumont (La vi sé on kado 2004), Indestwaska (20 Lanné, 2013) ou encore Kan'nida dont les enregistrements de bouladjel traditionnel s'étalent sur une quinzaine d'années avec, par exemple, Evariste Siyèd'lon (CD Kyenzenn 2000), Nou ka travay (2007), Ta yo (2013).

Dans toutes les représentations de l'histoire du bouladjel, les interdits de la période esclavagiste jouent un rôle primordial : l'explication la plus fréquente est que le bouladjel a émergé en Guadeloupe suite à l'interdiction faite aux esclaves de jouer du tambour. Cette interdiction relayée par l'église catholique expliquerait comment, au fil du temps, le bouladjel est devenu la musique privilégiée des veillées mortuaires. C'est d'ailleurs ainsi que l'histoire du bouladjel est présentée sur un enregistrement récent par le groupe Kan'nida (Ka sa ka bay, CD Kanid 007).

La transmission actuelle étant strictement informelle au sein des familles et des communautés il est à craindre que la tradition disparaisse complètement au fil des changements sociétaux qui affectent la Guadeloupe depuis le milieu du XXe siècle. Il suffit en effet que pour des raisons diverses un porteur de tradition ne transmette plus ses savoirs pour que la pratique de cet élément du patrimoine immatériel s'éteigne dans une région ou au sein d'une communauté. Le manque actuel de recherche sur l'élément contribue à le fragiliser.

Au niveau local l'essentiel des efforts entrepris pour valoriser, transmettre, sauvegarder cette tradition provient de ceux qui en sont porteurs. Au début des années 2000 un effort de recensement des onomatopées les plus courantes dans le bouladjel par Lukuber Séjor lui permettait d'en inclure dans son spectacle intitulé "katéchis a ka". Le festival de Gwoka de Sainte-Anne poursuit depuis plusieurs années un travail de mise en valeur de cet élément par le biais de récompenses offertes aux porteurs de tradition et en lui ouvrant un espace d'expression sur ses scènes. Le festival contribue à sa sauvegarde par la mise en place d'ateliers ponctuels, destinés aux enfants. La première étude approfondie de cette expression est en cours. Réalisée par Rèpriz, le centre régional des musiques et danses traditionnelles et populaires de Guadeloupe, cette étude est accompagnée au niveau local par la Région Guadeloupe et au niveau national par le bureau des patrimoines du ministère de la culture et de l'éducation.
Parallèlement à ces efforts, depuis les années 2000 les rencontres que les musiciens guadeloupéens tels Guy Konkèt, Klòd Kiavué, René Geoffroy ou encore Jacques Schwarz-Bart ont faites avec Rachelle Ferrel, David Murray et Gino Sitson ont abouti à l'enregistrement de bouladjel sur des CD distribués aux USA et contribuent au rayonnement du bouladjel à l'étranger.

Les porteurs de tradition contactés ont tous donné leur accord pour rencontrer la petite équipe de collecte mise en place par le Centre Rèpriz et participer aux entretiens. Ils ont parlé de leur expérience du bouladjel et celle de leurs parents, le cas échéant. Ils ont contribué à étendre le réseau des informateurs soit en indiquant les nom et adresse d'autres porteurs de la tradition bouladjel, soit en les contactant directement pour nous les faire rencontrer.

Localisation (région, département, municipalité):

Guadeloupe

Date de la fiche d’inventaire: 2013

N° d'inventaire Ministère Culture : 2013_67717_INV_PCI_FRANCE_00326
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk29p

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bouladjel

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