Chaque année depuis 1975, le concours de chant de la Bogue d’or rassemble à Redon (Ille-et‐Vilaine) une quarantaine de chanteurs de toutes générations.
Ces assemblées de chants locales, organisées dans toute la Haute‐Bretagne, avec une plus grande densité dans le pays de Redon, permettent chaque années à plusieurs centaines de passionnés du chant de se rencontrer et de s’exprimer, que ce soient des anciens, "porteurs de tradition", des collecteurs qui rechantent ce qu’ils ont collecté ou bien de jeunes “apprenants”, élèves des nombreux ateliers de chant de la région. Ce concours joue un rôle déterminant depuis presque 40 ans, à la fois dans le renouveau de la pratique et dans le travail de collecte du chant traditionnel en Haute‐Bretagne.
- Concours de chant de la Bogue d’Or.
- Pour les éliminatoires locaux : "Éliminatoires pour la Bogue d’Or", "Sélections pour la Bogue d’Or", "Assemblées de chant pour la Bogue d’Or"
- traditions et expressions orales
- arts du spectacle
- pratiques sociales, rituels ou événements festifs
On peut distinguer plusieurs catégories d’acteurs qui font vivre le concours de la Bogue d’Or :
‐ L’association organisatrice et fondatrice, le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine (GCBPV). Créée en 1975, l’association s’est donné pour mission la mise en valeur de la culture populaire du pays de Redon dans toutes ses dimensions (musique, chant, danse, gastronomie, langue, savoirs‐faire, petit patrimoine bâti, gastronomie, etc.) Organisatrice du festival de la Bogue d’Or (qui contient beaucoup d’autres dimensions que le concours de chant), l’association est aussi une école de musique traditionnelle de plusieurs centaines d’élèves et un centre de ressources documentaires qui rassemble le résultat des nombreuses collectes et recherches de terrain effectuées par des dizaines de bénévoles passionnés.
‐ Les organisateurs d’assemblées locales servant de sélection à l’événement final. Cette catégorie comprend à la fois des individus, souvent des collecteurs qui ont rencontré de nombreux "porteurs de mémoire" dans leur commune ou dans leur canton, et qui organisent un rassemblement qui est à la fois une façon de prolonger le collectage en regroupant des informateurs, et une façon de provoquer la rencontre entre ces porteurs de tradition qui souvent n’ont plus l’occasion de s’exprimer, les chanteurs de la nouvelle génération et un public proche, local, qui bien souvent redécouvre ses "aînés". Si ces collecteurs‐organisateurs étaient à l’origine surtout des membres du GCBPV, le phénomène s’est ensuite élargi et ouvert à d’autres collecteurs isolés ou membres d’autres associations effectuant un travail similaire à celui du GCBPV sur d’autres territoires de Haute‐Bretagne (La Bouèze, Dastum 44, l’Epille, De Ouip en Ouap, Dasson Pen Meur, etc.) Ces assemblées locales peuvent aussi être organisées par de telles associations dans le cadre d’événements préexistants.
Aujourd’hui, une partie de ces assemblées de sélection s’organisent dans des cafés où ont lieu régulièrement, tout au long de l’année, des "veillées chantées" (voir la fiche consacré aux "Veillées de café" en 2013), et l’on peut compter les patrons de ces cafés au nombre des organisateurs. Enfin, ces assemblées sont souvent organisées aussi à l’initiative des responsables et des élèves d’ateliers de= chant (il en existe une quinzaine actuellement en Haute‐Bretagne).
‐ Enfin, les acteurs principaux restent bien sûr les chanteurs eux‐mêmes, qu’ils soient de la génération des "porteurs de tradition" auprès de qui de nombreuses collectes enregistrées ont été faites, de la génération des "collecteurs‐chanteurs" qui ont été à l’articulation de cette formidable aventure de transmission, ou encore de celle des élèves ou "apprenants" qui réapprennent le répertoire et la façon de chanter dans le cadre de stages, d’ateliers de chants (au GCBPV et dans plusieurs autres structures), ou de façon plus informelle par l’écoute de disques, d’archives sonores (GCBPV, Dastum), ou encore par la simple fréquentation de veillées chantées. En 39 éditions, on peut estimer le nombre de chanteurs ayant participé à ce phénomène de la Bogue d’Or à plusieurs milliers de personnes différentes.
L’événement final a lieu chaque année à Redon, au théâtre (il a parfois eu lieu dans d’autres salles : salle des fêtes de Redon, ou chapiteau).
Une quinzaine de communes de Haute‐Bretagne qui peuvent varier selon les années pour les sélections locales (salles des fêtes, cafés, etc.), ce qui représente plus de 150 communes différentes touchées depuis 40 ans dans toute la Haute‐Bretagne (Ille‐et‐Vilaine, Loire‐Atlantique, Morbihan, Côtes‐d’Armor).
L’événement le plus ressemblant est probablement le concours de chant du Kan ar Bobl, qui rassemble chaque année depuis 1973 les chanteurs de langue bretonne à Pontivy après une série d’éliminatoires locaux (voir la fiche consacrée à ce concours). En Haute‐Bretagne, d’autres concours existent ou ont existé sur le même modèle, notamment la Truite du Ridor à Plémet (Côtes‐d’Armor) et les Assemblées du pays de Ploërmel (Morbihan), mais sans atteindre à un développement aussi important, et surtout sans donner lieu à une série d’assemblée locales préalables "éliminatoires".
Le concours final de Redon
Le concours de chant de la Bogue d’Or consiste avant tout à rassembler les passionnés de chant traditionnel de Haute‐Bretagne et à leur faire rencontrer le public pour favoriser la mise en valeur et la transmission de cette tradition chantée. Il a lieu tous les ans à Redon, le 4e dimanche d’octobre, dans le cadre d’une foire très ancienne appelée la foire "teillouse". La Bogue d’Or a été crée en 1975, dans le cadre de cette foire, sur le principe de ce concours de chant. Aujourd’hui, la Bogue d’Or est devenu beaucoup plus que cela, un véritable festival qui s’étend désormais sur plusieurs semaines et comprend une très riche programmation (concerts, fest‐noz, conférences, expositions, etc.) au sein de laquelle le concours de chant reste un élément phare, un symbole fort. Le succès de la manifestation a par ailleurs engendré au fil du temps la naissance de plusieurs autres concours séparés (contes, accordéon, biniou‐bombarde, chant accompagné, etc.) L’ensemble de cet événement, avec toutes ses dimensions culturelles et sociales, pourra faire l’objet d’une fiche d’inventaire à part entière, mais nous nous concentrerons ici sur le concours de chant, dans le cadre d’une série de fiches qui décrivent l’importance des concours dans la pratique actuelle des traditions orales de Bretagne.
Le concours de chant de la Bogue d’Or repose sur quelques principes simples : proposer un chant de tradition orale, de Haute‐Bretagne, a capella. Comme dans tout concours, l’importance relative des différents critères de jugement peut varier selon la composition du jury, mais aussi selon le profil de la personne qui chante et selon le type de répertoire proposé. Il est en effet impossible d’appliquer un jugement identique et mécanique à un chanteur de 80 ans qui chante un répertoire hérité de ses grands‐parents par tradition et à un jeune chanteur de 12 ans qui propose un chant appris à l’école. De même, comment comparer une grande complainte, un chant à danser et une chanson grivoise ? Quoiqu’il en soit, la Bogue d’Or doit son succès à la cohérence d’un certain esprit, basé sur quelques critères de jugement fortement affirmés :
‐ la qualité du répertoire : il doit bien sûr s’agir d’un chant de tradition orale, à l’exclusion de toute chanson moderne d’auteur (les chansons de Théodore Botrel, par exemple, bien que véhiculant auprès du grand public une image liée aux traditions bretonnes, est clairement hors‐sujet). Cela répond clairement à un des objectifs fondamentaux : faire découvrir au grand public ce qu’est le véritable répertoire de tradition orale, ses richesses insoupçonnées (grande ancienneté et grande diversité des textes, richesse des supports mélodiques, etc.) Bien que ce ne soit pas là le seul critère, le jury est toujours sensible à l’originalité, à la rareté de la chanson : à l’originalité de la version (car il y a toujours de nombreuses versions différentes d’une même chanson), ou à l’originalité du thème lui‐même (on voit régulièrement surgir des chansons qui n’avaient encore jusque là jamais été retrouvées).
‐ la qualité d’interprétation : bien sûr comme dans tout concours de chant, le jury prend en compte les qualités vocales de l’interprète, sa façon "d’habiter" sa chanson, de ne pas la "réciter", de se l’approprier.
‐ le style : cet élément est tout aussi fondamental que le premier. Même une magnifique complainte que personne ne connaît ne sera pas primée si elle est mal chantée, ou si elle est chantée dans une esthétique éloignée de celle de la tradition orale (esthétique du chant lyrique par exemple, ou encore esthétique trop influencée par les chanteurs de variété). Si ce critère peut sembler plus subjectif que le premier, il n’en est pas moins fondamental dans le sens, la cohérence, et le succès de la Bogue d’Or. Il permet de montrer et d’affirmer que la richesse de la tradition chantée n’est pas seulement dans son répertoire mais aussi dans un savoir‐faire, un savoir‐chanter qui s’est forgé dans un contexte donné, dans le cadre d’une transmission orale longue, et qui a donc acquis des couleurs spécifiques (on ne chante pas exactement de la même façon en Haute‐Bretagne, en Auvergne ou au Québec, a fortiori dans un opéra ou dans un groupe de rock) Cela se ressent notamment dans les façons de placer la voix, dans le timbre, le phrasé, les façons d’ornementer, etc. Ce critère a notamment pour but d’éduquer le public, par les décisions du jury, à "entendre", à prendre conscience de ces nuances de style et des richesses qu’elles représentent.
Elles ont aussi pour effet d’inciter les nouvelles générations de chanteurs à faire l’effort de s’intéresser à cette question.
‐ la relation avec l’auditoire : bien souvent, ce critère, qu’on pourrait assimiler aux qualités d’interprétation, joue un grand rôle. Il arrive souvent en effet qu’un chanteur ou une chanteuse parvienne à établir un lien particulièrement fort avec son auditoire, quelque soit le type de répertoire (rires, qualité particulière de la réponse lors d’un chant à répondre, ou encore qualité particulière de l’écoute lors d’une complainte, et force particulière des applaudissements, voire ovation parfois…). Une telle réaction de la salle ne peut parfois être attribuée à aucun des critères énoncés ci‐dessus en particulier (chanson courante, qualités vocales et styles dans la moyenne…), mais provient souvent d’une alchimie entre ces différents éléments, et bien souvent à la force d’une personnalité et au naturel avec lequel la personne porte son répertoire.
Bien souvent, le jury décide d’établir plusieurs catégories pour pouvoir comparer plus aisément les prestations (distinction fréquente entre chant à répondre et chant à écouter, ou bien entre "jeunes" et "anciens"). Ces catégories, bien que fréquentes, ne sont pas systématiques et peuvent varier. C’est bien la combinaison appliquée de manière différenciée et adaptée selon les types de concurrents et de répertoire entre ces différents critères de jugement qui donne sa cohérence et sa force à la Bogue d’Or : une chanson connue pourra être primée si elle est extrêmement bien chantée et avec beaucoup de style, et à l’inverse, une chanson extrêmement rare mais chantée moyennement aura peut‐être aussi sa chance. De même, une même chanson, selon qu’elle aura été apprise dans un disque, trouvée en fouillant dans les archives sonores, ou recueillie directement auprès d’un ancien, pourra être jugée différemment.
Au terme du concours final, le jury décerne des prix : bogue d’or, d’argent, et de bronze (la bogue faisant référence à la bogue de châtaigne, fruit emblématique du pays de Redon et de la foire Teillouse). Chaque année, le jury est composé de 5 à 7 personnes environ, avec toujours plusieurs personnes reconnues pour leurs connaissances sur le répertoire de Haute‐Bretagne et pour leurs qualités de chanteurs, mais aussi quelques personnes un peu plus "extérieures" au sujet (instrumentistes, ou chanteurs d’autres régions). Un équilibre est souvent recherché également dans la composition du jury entre les différentes générations.
Depuis l’origine, le concours de la Bogue d’Or conserve un équilibre remarquable dans ses participants entre "porteurs de tradition" et chanteurs du "renouveau". Cela correspond à une volonté de la part des organisateurs, depuis l’origine, et répond au souci primordial de favoriser la transmission. La Bogue d’Or aurait pu s’orienter vers un concours qui n’aurait fait participer que les porteurs de tradition rencontrés lors des enquêtes, au nom d’une idéale "authenticité", ou au contraire que les chanteurs de la nouvelle génération au nom d’une "modernisation" à tout prix. Au contraire, cet équilibre soigneusement conservé, nourri à la fois par un travail de collecte incessant dans toute la Haute‐Bretagne et par de multiples actions de transmission (disques, stages, cours…) a permis de favoriser un contact direct entre les générations depuis quarante ans, ce qui, porté à ce point et sur une telle durée, est probablement un exemple unique en Bretagne, et sans doute plus largement.
Les assemblées de chant locales “sélections”
Dès l’origine, les organisateurs ont soin de faire en sorte d’enraciner l’événement dans le territoire, et de tout mettre en œuvre pour permettre aux porteurs de tradition de pouvoir participer. C’est bien dans cet esprit que sont créés les premiers éliminatoires, comme l’explique Jean‐Bernard Vighetti, l’un des principaux fondateurs de l’événement : "L'on fit rapidement l’inventaire des chanteurs, des communes où les traditions étaient bien vivantes pour organiser des éliminatoires. Il s’agissait ainsi de bien faire comprendre aux chanteurs que le répertoire recherché était celui du pays (qui prenait ainsi une valeur nouvelle) et bien sûr de les préparer aussi à leur venue à Redon."1
Le nombre d’éliminatoires, organisés chaque année en septembre et octobre, passe rapidement de cinq à une dizaine, puis à une quinzaine. Ce système des éliminatoires institué dès le début permet d’emblée de faire participer beaucoup plus de chanteurs, mais aussi d’impliquer beaucoup plus d’organisateurs, et surtout de collecteurs. Il permet aussi d’une certaine manière de rehausser le prestige, la valeur du concours final de Redon, et d’y amener beaucoup plus de public. Ces éliminatoires peuvent prendre différentes formes : petit concours plus ou moins formels dans une salle communale avec passages au micro et proclamation des résultats, ou veillées chantées dans les cafés, repas du troisième âge ou même veillées dans des familles, très éloignés de l’ambiance d’un concours, où le jury, envoyé par le GCBPV, se fait beaucoup plus discret, plus en position d’observateur et de "repérage" qu’en position de juge. Ces éliminatoires ont l’intérêt d’avoir une dimension très locale, et de rassembler des personnes géographiquement proches, aux répertoires souvent communs. Cela est souvent un atout pour le travail de collecte du répertoire, notamment dans les zones de chant à répondre où les chanteurs ont souvent besoin d’une ambiance et de répondeurs habitués pour donner toute la mesure de leur talent, sans compter l’effet d’émulation, voire d’excitation que peuvent produire ces réunions. Les assemblées locales ont aussi l’intérêt de permettre une ambiance beaucoup plus conviviale que le concours final : si ce dernier a l’intérêt d’avoir un écho médiatique, un caractère un peu officiel
propre à susciter l’intérêt, les premières permettent finalement à la tradition chantée de retrouver des occasions d’expression finalement plus appropriées, et surtout plus nombreuses. Ainsi, depuis la création en 1975, on recense pas moins de 483 assemblées locales de chant ayant servi d’éliminatoire pour 39 finales, touchant 151 communes différentes. Ces assemblées locales sont d’ailleurs souvent à l’origine de veillées chantées dans les cafés qui sont devenues mensuelles.
On peut sans doute dire que ces éliminatoires ou sélections ont autant d’importance dans le phénomène de la Bogue d’Or que le concours final de Redon, et que l’ensemble forme un tout cohérent et indissociable : le concours final ne fonctionnerait pas sans ces éliminatoires, ou pour le moins n’aurait pas le même sens ni le même retentissement, et les assemblées locales n’auraient sans doute jamais existé, du moins pas dans ces proportions, sans le moteur que constitue le concours final de Redon.
1 "La Bogue – La redécouverte d’une richesse, d’un patrimoine, d’une identité", interview de Jean‐Bernard Vighetti par Bernard Hommerie, in Musique Bretonne n°49 : 4‐7.
Disons tout d’abord que la Bogue d’Or a été conçue, et l’est toujours, comme un moyen de transmettre un répertoire et une tradition de chant qui étaient en train de disparaître. En effet, cette tradition chantée est issue de la société rurale traditionnelle dans laquelle le chant trouvait place dans de nombreuses circonstances (repas de fête, marche, danse, travail, veillées d’hiver, etc.) Avec la transformation rapide de la société et le courant de modernisation qui caractérise le XXe siècle, la plupart de ces occasions d’expression ont eu tendance à disparaître, plus ou moins vite selon les lieux et les circonstances. D’une façon générale, l’instauration des concours de chants et de musique traditionnelle fait partie des actions de sauvegarde qui ont été mises en place tout au long du 20ème siècle pour pallier à la disparition de ces lieux d’expression, et donc recréer de nouvelles conditions de pratique et de transmission.
Si l’on considère le concours en lui‐même, comme élément à transmettre, on se trouve confronté à des questions similaires à celles qui se posent pour le fest‐noz, par exemple : d’une part, la fragilité des structures associatives qui organisent, d’autre part l’enjeu de réussir à maintenir le lien avec le public, maintenir l’intérêt et le sens de cette pratique dans une société qui évolue.
Concernant le premier point, on peut dire que l’association organisatrice, le GCBPV, a su se renouveler dans une bonne mesure et que plusieurs des cadres qui portent aujourd’hui cette organisation n’étaient pas nés ou étaient enfants lors de la première Bogue d’Or. On peut dire aussi que le renouvellement de générations s’est fait de façon progressive et qu’un contact permanent a toujours été maintenu entre les différentes générations de cadres de l’organisation. Force est toutefois de constater que cette transmission reste fragile, et que l’association reste dépendante de subventions dont la disparition ou la diminution peuvent mettre en péril du jour au lendemain la pérennité de l’événement. Du côté des assemblées locales, on constate que globalement, la transmission se fait, de différentes manières.
Certaines assemblées se font régulièrement au même endroit pendant plusieurs années, avec un renouvellement de personnes. Dans d’autres cas, les organisateurs s’épuisent au bout de quelques temps, mais une nouvelle dynamique renaît dans une autre commune, que ce soit dans le cadre d’une association ou non. D’une façon générale, la transmission se fait tout simplement par imprégnation, par imitation : des gens qui ont assisté en tant que chanteur ou comme public à plusieurs assemblées locales se décident un jour à prendre le relai et à devenir eux‐mêmes organisateurs, parfois en s’appuyant sur un travail de collecte local auprès des anciens, parfois en s’appuyant sur un atelier de chant, parfois tout simplement dans le cadre d’une association d’animation locale, et toujours en lien et avec lesoutien du GCBPV.
Concernant le second point, celui de l’intérêt que pourra continuer de susciter ou non cette forme de concours auprès du public et des chanteurs, on peut constater que pour le moment, il se maintient. Du côté des chanteurs tout d’abord : une évolution se fait sentir, prévisible depuis longtemps, avec la raréfaction des chanteurs de l’ancienne génération, "porteurs de tradition". Cette raréfaction s’explique naturellement par la disparition progressive des chanteurs ayant appris dans le contexte de la tradition familiale ou locale, mais aussi dans une certaine mesure par la diminution de l’activité régulière de collecte sur le terrain, seule capable aujourd’hui de permettre de repérer des porteurs de tradition qui existent toujours dans certaines régions, et qui bien souvent ne viennent pas participer d’eux‐mêmes si on ne les invite pas. En revanche, de nombreux jeunes chanteurs, dont beaucoup sont issus des différents stages et ateliers de chants de Haute‐Bretagne, participent, non seulement au concours et aux assemblées locales, mais aussi aux nombreuses veillées chantées régulièrement organisées dans les cafés. On peut même considérer dans une certaine mesure la multiplication des veillées chantées régulières, souvent mensuelles, comme un nouveau déploiement des assemblées locales de la Bogue : la Bogue d’Or donne lieu à des assemblées locales annuelles, et une partie non négligeable de ces assemblées locales annuelles donnent naissance à des veillées mensuelles (ou inversement, certaines veillées mensuelles décident d’accueillir une assemblée de Bogue annuelle). Ce succès des veillées mensuelles, dont le moteur n’est plus le concours final, pourraient presque laisser penser que l’objectif est finalement atteint, et que des occasions de chanter se sont recrées en grande partie grâce à l’impulsion du concours, mais que celui-ci n’est plus nécessaire dans un certain nombre de cas. Pourtant, le concours final de Redon reste un rendez‐vous annuel incontournable pour tous les passionnés de chant traditionnel, dont le rayonnement dépasse d’ailleurs largement la Bretagne. On constate également une certaine baisse, relative tout de même, de fréquentation de ce concours final : il semble d’une part qu’il subisse la concurrence des nombreuses animations programmées dans le festival et l’éclatement géographique de celui‐ci, et on peut se demander d’autre part si l’offre concernant la pratique du chant traditionnel dans des veillées tout au long de l’année n’a pas amoindri l’appétit des passionnés pour cet événement annuel de la Bogue. Peut‐être enfin que la raréfaction progressive des chanteurs de l’ancienne génération est en train d’écarter peu à peu un public populaire qui venait à la Bogue pour écouter les "gens du pays", sans être forcément passionnés de chant traditionnel.
Quoiqu’il en soit, on peut dire que les acteurs de la Bogue dans leur ensemble ont à cœur, et ont toujours eu à cœur, de réfléchir à l’avenir, de s’adapter aux évolutions, aux changements de situation, etc.
La pratique du concours en tant que tel est un élément beaucoup plus ancien qu’il n’y paraît. Le concours de la Bogue d’Or s’inscrit dans un contexte historique riche et complexe. On peut voir à la naissance de l’événement ainsi qu’à son succès populaire deux racines principales. D’une part, la pratique de la confrontation, de la joute, du concours en général est depuis très longtemps ancrée dans les sociétés rurales traditionnelles et trouve à s’exercer dans toutes sortes de travaux et d’activités, mettant à l’épreuve les qualités de force physique, d’adresse, d’endurance, de rapidité, etc. (courses, fauchage, soulever du sac de blé, etc.). Certaines de ces joutes spontanées donneront d’ailleurs naissance à ce qu’on appelle aujourd’hui les jeux traditionnels. Ce genre de confrontation informelle existe aussi pour le chant, on en trouve de nombreux témoignages. La confrontation peut porter sur l’abondance du répertoire (pari entre deux personnes à table lors d’une noce pour savoir qui chantera le plus de chansons), ou sur des capacités vocales (hauteur, longueur de souffle, etc.) Les fêtes locales ou patronales sont depuis longtemps le théâtre où ont lieu, de manière déjà plus formalisée, ce genre de concours. On en retrouve la trace dans les articles de presse du 19ème siècle ou sur des affiches. On y trouve régulièrement, parmi d’autres activités, des concours de sonneurs, et parfois de chant.
D’autre part, les mouvements folkloriques et régionalistes ont utilisé le concours dès la fin du XIXe siècle comme un puissant moyen d’action. En Bretagne, les concours de la première moitié du XXe siècle ont surtout concerné les sonneurs de couple, puis la nouvelle formule du "bagad". Peu à peu, le concours va être utilisé pour promouvoir d’autres instruments, d’autres formes d’expression, ou le répertoire d’un terroir particulier. L’histoire des collectes et du renouveau des différentes pratiques instrumentales et vocales est jalonnée de concours, qui vont se diversifier et se multiplier à partir des années 1970. Certains seront éphémères, d’autres très durables, mais beaucoup joueront un rôle important. Une étude réalisée en 2006 a permis de recenser environ 160 concours ayant lieu dans une quarantaine d’événements différents en Bretagne chaque année2.
En 1973 naît le Kan ar Bobl3 (Chant du Peuple), créé à l’initiative de Polig Monjarret par le comité organisateur du Festival Interceltique de Lorient, en suivant l’exemple d’un concours préexistant en Irlande, le Fleac’h Oil. Le Kan ar Bobl utilise très tôt lui aussi le système des éliminatoires. C’est dans ce contexte que naît, en 1975, le concours de la Bogue d’Or. C’est un contexte d’effervescence en Bretagne : d’un côté, les nouvelles occasions de pratique de la musique traditionnelle se multiplient avec l’explosion du phénomène du fest‐noz et le phénomène "Alan Stivel", et d’un autre côté, les actions de collecte du répertoire sur le terrain se développent, encouragées par la naissance de l’association Dastum qui se donne pour mission de collecter, sauvegarder et transmettre le patrimoine oral de Bretagne pour faciliter la transmission des pratiques. Le GCBPV s’inscrit dans cette mouvance, et le concours de la Bogue d’Or est probablement celui qui sera le plus fortement et le plus durablement ancré dans une pratique de collectage sur le terrain, et qui établira les plus riches relations avec d’innombrables porteurs de tradition. Il faut dire que le terrain est favorable. Dès la fin des années 1950, Albert Poulain commence à effectuer des collectes dans le pays de Redon et à rechanter le répertoire recueilli, aussi bien dans les fêtes locales que dans les fêtes bretonnes. Il est bientôt relayé, à partir de 1965, par le Cercle Celtique de Redon, avec Albert Noblet notamment, qui enregistre à son tour de nombreux informateurs et s’efforce de transmettre. En 1973‐1974, Jean‐Bernard Vighetti donne une nouvelle impulsion au mouvement de collecte, notamment en organisant des réunions de chanteurs.
Dès la création du GCBPV, en janvier 1975, il lance l’idée du concours de la Bogue d’or. Malgré les doutes, voire le scepticisme de certains qui considèrent que la tradition orale est à l’agonie, le succès de la première édition dépasse tous les espoirs : "Un, deux, puis trois concurrents se succédèrent dans un silence respectueux, puis le public s’anima et commença à donner la réponse aux chanteurs qui le souhaitaient. Ce n’était bientôt plus un
concours, mais une communion, un rite que célébrait le millier de personnes réunies. Il redécouvrait la richesse, la variété de son patrimoine, son identité”4. Le concours s’installe bientôt au théâtre de Redon, symbole fort de la reconnaissance de cette culture populaire qui investit désormais les lieux de la culture savante… Tout au long de ces 40 années, le concours de la Bogue d’Or a conservé ce côté "communion" ou "rite", propre à galvaniser et remobiliser les énergies de tous les acteurs (collecteurs, chanteurs, organisateurs…)
Si l’influence du concours a d’abord concerné le seul pays de Redon pendant les dix premières années, il s’élargit ensuite peu à peu, après une interruption d’une année en 1986, à l’ensemble de la Haute‐Bretagne.
2 (COLLECTIF), 2006. Musiques traditionnelles de Bretagne. Concours, joutes et rencontres, éditions Musiques et danses en Bretagne, 161 p...
3 Voir la fiche d’inventaire consacrée à ce concours.
4 HOMMERIE Bernard, 1984. La Bogue – La redécouverte d’une richesse, d’un patrimoine, d’une identité (interview de Jean-Bernard Vighetti), in Musique Bretonne n°49 : 6.
Comme évoqué dans le paragraphe sur la transmission, la menace principale vient de la difficulté à financer l’organisation du concours final de Redon, et au‐delà, de l’ensemble de l’événement dans lequel il s’inscrit. L’avenir du concours à long terme dépend donc en grande partie de l’évolution des subventions accordées à l’association organisatrice, le GCBPV, ainsi que, dans une certaine mesure, du renouvellement des énergies bénévoles qui la font exister.
On peut penser aussi que, de façon prévisible, l’un des ressorts principaux qui ont fait le succès et la force de la Bogue d’Or est peu à peu en train de disparaître, à savoir la mise en contact entre les porteurs de tradition et les chanteurs des nouvelles générations. La part des porteurs de tradition tend en effet à diminuer fortement, à la fois parce qu’ils sont de moins en moins nombreux sur le terrain, et parce que la dynamique de collectage est elle-même en baisse. L’un des paris pour l’avenir est donc de faire émerger ou de renforcer d’autres ressorts, ce qui semble être le cas si l’on en croit la forte participation des chanteurs de la nouvelle génération, mais aussi le succès durable que connaissent les ateliers de chant traditionnel et les veillées chantées dans les cafés, que l’on peut considérer en partie comme un développement, une démultiiplication et une relocalisation d’un phénomène et d’un intérêt qui doit beaucoup à la Bogue d’Or.
Quant aux assemblées locales, si leur nombre et leurs liens avec des veillées chantées mensuelles de plus en plus nombreuses sont de bon augure pour l’avenir des pratiques chantées, elles restent néanmoins pour partie liées au maintien d’un concours final à Redon, qui continue de catalyser les énergies.
Le GCBPV, qui gère aussi un centre de ressources documentaires important, a entrepris, en collaboration avec Dastum, de travailler à la sauvegarde et à la mise en valeur des nombreuses archives audiovisuelles en lien avec la Bogue d’Or. Il a pour cela entrepris un recensement précis de tous les documents en lien avec le concours et ses éliminatoires (affiches, programmes, enregistrements sonores, enregistrements vidéo, photographies, notes de terrain, recensement des collecteurs et organisateurs ayant mis en place des éliminatoires, etc.) Cela représente plusieurs centaines d’heures d’enregistrements audio, des dizaines d’heures de captations vidéo et des milliers de photographies. Tout cela doit être numérisé, documenté et mis en ligne, via la base de données de Dastum, dont le GCBPV est un pôle associé. Si ce travail est déjà bien engagé (2232 items sont déjà consultables), il reste encore beaucoup à faire, et là aussi se posent des problèmes de financement.
Au‐delà de ce travail sur la documentation, le GCBPV réfléchit en permanence et depuis de nombreuses années pour adapter au mieux le concours aux changements et aux circonstances : réflexion sur le meilleur lieu pour le concours final, développement de nombreuses activités autour du concours (cabarets, fest‐noz, concerts, etc.), mais aussi création de concours autres (concours de contes dès l’origine, concours d’instruments, concours de chant accompagné pour intéresser les jeunes chanteurs qui ont une pratique de groupe, concours de chant "enfants", etc.).
L'association Dastum, rédactrice de cette fiche d'inventaire, a rassemblé depuis sa création en 1972 un nombre important d'interviews, d'entretiens, de témoignages ainsi que d'enregistrements de chanteurs et de concours, notamment plusieurs centaines d’heures d’enregistrements effectuées dans le cadre de la Bogue d’Or et de ses éliminatoires.
Certains de ces témoignages ont donné lieu à des articles publiés dans la revue Musique bretonne. La rédaction de la fiche est basée sur la rencontre régulière avec plusieurs centaines d'acteurs de la pratique (chanteurs de tradition, chanteurs de la jeune génération, organisateurs, public), ainsi que sur l'observation et l'implication directe à tous les stades de cette pratique (collecte, pratique et transmission, recherches et enquêtes, publications, organisation de sélections de Bogue d’Or, participations au jury de la Bogue d’Or…).
Les guides de la musique bretonne
L'association Dastum a édité trois guides sur la musique bretonne en 1990, 1993 et 2000, comportant dix‐sept rubriques et recensant les acteurs de la musique bretonne : musiciens et chanteurs, groupes musicaux, bagadoù et cercles celtiques, associations, festivals et concours.... Tous ces guides comportent trois rubriques recensant pour la première les sonneurs, musiciens et chanteurs, pour la seconde les associations et structures impliquées dans des actions de formation, d'animation et de promotion de la musique et culture bretonne, et enfin les fêtes, festivals et concours organisés en Bretagne avec les contacts des
personnes ressources et organisateurs.
Tous ces travaux d'inventaire, tout comme la rédaction de la fiche ici présente, ont été conduits en relation étroite avec les personnes intéressées.
- MOELO Serge, 1990. Guide de la musique bretonne, DRAC‐DRJS‐Dastum‐SKV, 199 p.
- DASTUM, 1993 (2e édition, revue et augmentée). Guide de la musique bretonne, Dastum‐Skol Uhel ar Vro : Institut culturel de Bretagne, 286 p.
- DASTUM, 2000 (3e édition, revue et augmentée). Guide de la musique bretonne, Dastum, 446 p.
Ces guides soulignent tous au passage combien la dynamique actuelle de la musique bretonne repose en grande partie sur l'immense travail bénévole du mouvement associatif en Bretagne. Ils montrent également l'étendue et la diversité des champs investis par le mouvement associatif : collecte, animation, promotion, diffusion de l'information, enseignement, transmission,...
Articles :
‐ (COLLECTIF), 2006. Musiques traditionnelles de Bretagne. Concours, joutes et rencontres, édition Musiques et danses en Bretagne, 161 p.. Voir notamment :
- DEFRANCE Yves, "Traditions et concours de traditions" : 12‐26.
- "Bogue d’Or" (fiche de présentation du concours) : 31‐33.
- HERVIEUX Gilbert, VIGHETTII Jean‐Bernard, "Reconnaître le génie populaire": 127‐128.
‐ HOMMERIE Bernard ; LABBÉ Yves. "La Bogue d’Or de Redon", in ArMen n°22, 1989.
‐ LATOUR Jean‐Louis. "À propos de la Bogue d’or… et des cercles celtiques", in Musique Bretonne n°152, p. 4‐5, 1998.
‐ HOMMERIE Bernard. "La redécouverte d’une richesse, d’un patrimoine, d’une identité – La Bogue" (interview de Jean-Bernard Vighetti), in Musique Bretonne n°49, p.3‐7, 1984.
‐ "La voix d’une fierté retrouvée. La Bogue d’Or", in Musique Bretonne n°151, p. 22‐25, 1998.
‐ MORVAN Christian. "Petite histoire des concours de chant", in Musique Bretonne n°142, p. 27, 1997.
Discographie
‐ Bogue d’Or – Chants traditionnels, édition GCBV, 1977 (enregistrements des finales de la Bogue 1975 et 1976) [disque 33 tours]
‐ Bogue d’Or ‐ Mémoire de notre peuple, édition GCBPV, 1996 (enregistrements effectués lors des finales de la Bogue entre 1975 et 1995, CD publié à l’occasion du 20ème anniversaire) [CD]
‐ Bogue d’or – Morceaux choisis 1991/1992, édition GCBPV, 1993 [Cassette audio]
‐ Bogue d’Or – Redon – Enregistré en public en 1978-1979, édition GCBPV, 1979 [Cassette audio]
‐ Bogue d’Or 1989, coll. Chanteurs et musiciens de Bretagne n°3, édition Dastum, 1990 [Cassette audio-livret]
‐ Bogue d’Or 1990, coll. Chanteurs et musiciens de Bretagne n°7, édition Dastum, 1991 [Cassette audio-livret]
N° d'inventaire Ministère Culture : 2014_67717_INV_PCI_FRANCE_00336
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk29k
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bogue_d'or
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