La haie vive tressée en montagne, dans la vallée de la Soule
La haie vive tressée marque le paysage et crée le bocage. Autour d'une propriété, elle est la trace pérenne de la mise en défend des terres privées contre tous dangers extérieurs (prédateurs etc...). À l’intérieur, elle sert de séparation en petites parcelles nécessaires à l’élevage plus qu’à l’agriculture. Sa constitution demande des connaissances botaniques pointilleuses et une excellente maîtrise du milieu montagnard.
La haie vive tressée marque le paysage et crée le bocage. Autour de la propriété, elle est la trace pérenne de la mise en défend des terres privées contre la dent des bêtes et, à l’intérieur, de la séparation en petites parcelles nécessaires à l’élevage plus qu’à l’agriculture. M. Bjl taille et tresse les haies pour former l’enclos autour de sa maison et de sa grange (Fig 1) mais aussi pour morceler l’espace et l’adapter à son travail d’éleveur.
La haie rassemble de nombreux ligneux (arbres, arbustes et arbrisseaux) différents. Dans la haie qui clôture sorho, nous avons listé : le frêne ( fraxinus excelsior, vern : lizar), l’orme (ulmus campestris, vern : zumar), le houblon (humulus lupulus, vern : ezker aihena4), le noisetier (corylus avellana, vern : hurtze, hurondo), le hêtre (fagus sylvatica, vern : fago), l’aubépine (crataegus monogyna, vern : elhori xuri), le buis (buxus sempervirens, vern : ezpel), le houx (ilex aquifolium, vern : gorostia), le merisier (cerasus avium, vern : gerezia ou gerezi-bronde [P Lhande 1926]), le chêne (quercus robur, vern : haritz kanduduna [M Saule 2002]).
La haie englobe « tous les arbres pourvu qu’ils repoussent », c'est-à-dire qu’ils supportent l’étêtage5 et la mise en forme en espalier6. Seuls les arbres fruitiers à fruits tendres, présents dans la haie, merisier, poirier greffé sur un pied franc d’aubépine et un pommier porte greffe avec trois greffes distinctes pour trois variétés, ne seront pas travaillé. De fait, tous les végétaux de la haiont leur utilité. (Cf. Tableau des végétaux de la haie et leurs usages. Page 3). M. Bjl nous dira aussi que le hêtre est « difficile à conserver, il supporte moins bien la taille».
A Larrau coexistent quatre types de haie en fonction des biotopes et de la dominance d’une espèce adaptée à chacun de ces biotopes:
La haie vive a une fonction écologique certaine, nous la comparerons à une "forêt linéaire garante d’effets climatiques favorables, riche d’une grande hétérogénéité et d’une grande diversité spécifique". Les haies font le bocage et les paysages de bocage "constituent par leur structure même un très vaste écotone avec de ce fait une richesse spécifique bien supérieure à celle de l’une ou l’autre des communautés à la frontière desquels ils se trouvent ".
L’effet corridor des haies favorise et accroît ainsi la circulation des graines, de nouvelles espèces véhiculées par les oiseaux et autres animaux s’inscrivent dans la haie. La haie permet la circulation d’un milieu à un autre pour de nombreux animaux : insectes, oiseaux, petits mammifères. Elle sert aussi de réservoir à végétaux du fait qu’elle accueille, notamment au niveau de sa strate herbacée, de nombreuses plantes prairiales qui réintégreront la prairie par dissémination des graines après les fauches successives. La haie s’inscrit donc dans les réseaux trophiques.
A ces fonctions propres à l’écologie environnementale se rajoutent celles qui se rapportent à l’écologie sociale. En effet, la haie qui sépare les parcelles et les animaux par catégories rapproche et fédère les hommes. Pour le comprendre, il nous faut aborder le rythme de vie de l’éleveur car le facteur déterminant, celui qui conditionne les échanges, est le facteur temps, celui de la période de l’année et du climat, celui du temps passé à construire la haie année après année. Nous sommes au cœur de l’hiver, les bêtes sont dispersées dans les granges, la nature du travail a changé même si les soins aux animaux demandent du temps et des efforts, il en reste suffisamment pour rabattre la haie et nettoyer les bordures de près avant la repousse de l’herbe.
Dans la maison ce travail est celui des hommes « les femmes aussi elles peuvent, c’est pas dur mais c’est plutôt les hommes qui le faisaient » et lorsque je signalais à M. Bjl la présence de sa cousine, il répondra « pour les fagots oui, c’est une aide importante ». La mise en forme de la haie « demande de la patiente, il faut pas croire qu’on fait 200m par jour… ». Ce qui laisse entrevoir de nombreuses journées de travail. Pour ce travail les hommes sont côte à côte ou bien en vis-à-vis de chaque côté de la haie, en tous cas jamais bien loin les uns des autres. Cette proximité facilite l’échange «… il y avait beaucoup de haies,(haies de noisetiers) c’était un travail long et pénible, mon père et moi nous nous mettions face à face et on taillait, (tous les deux ans) … c’étaitl’occasion de se parler… on parlait de tout et beaucoup du travail, ce qu’on avait remarqué, comment on pouvait améliorer… c’est comme ça qu’on apprenait »15et un éleveur de Larrau nous dira aussi « … j’allais à l’école d’agriculture de Berrogain pour le certificat agricole mais ce n’était pas tout le temps… c’était comme l’alternance et je travaillais à la maison avec mon père…il nous fallait beaucoup de petites parcelles pour séparer les animaux…c’était des petites prairies de 25 ares environ les unes à côté des autres, des successions d’enclos … les clôtures c’étaient les haies, on passait beaucoup de temps à les entretenir »16. L’apprentissage au contact des aînés pendant les longs travaux sur les haies restera longtemps de mise comme étant une composante majeure des transmissions. M. Bjl nous parlera aussi longuement des échanges entre voisins « pendant la taille on se voyait avec les voisins, mon père parlait avec eux, c’est à ce moment qu’ils décidaient quant faire erekinka17 » et de rajouter « quelques fois les voisins et nous, on travaillait de chaque côté de la haie, on se parlait…et puis tout le monde faisaient les haies en même temps… ». Chez M. Bjl et ses voisins, les haies encadrent le grand chemin de transhumance qui conduit aux estives d’Iraty. Il serpente entre les enclos des maisons, les atandes de Larrau en entretenant les haies, entretiennent aussi les chemins qui restent ouverts aujourd’hui encore au passage des gens et des bêtes. Pour tout ce que nous avons évoqué, la haie est un objet patrimonial qui favorise les transmissions de connaissances intergénérationnelles ou entre voisins, elle est aussi le lieu ou se prennent des décisions qui engagent collectivement les voisins dans une société agro pastorale uni par une culture commune.
Entre les parcelles, le long des chemins, en bordure des enclos des granges et des maisons depuis l’étage collinéen à celui montagnard.
Nous avons pu vérifier très localement à l’échelle d’un quartier une transmission entre voisins et parents.
L’histoire de la haie dans le paysage de Larrau se confond avec les premières installations pérennes pour l’élevage entre 400 et 800m et peut être légèrement au-delà de cette limite dés le Moyen Âge pour le moins. Les textes manquent encore pour l’affirmer mais les documents consultés jusque là corroborent cette hypothèse. Des essais de datation de séquences boisés et de charbons sont en cours. (Cf. Fiche « Atandes de Larrau ») Quoi qu’il en soit, la clôture devient très vite une nécessité, non seulement pour contenir les animaux et séparer les parcelles mais aussi parce qu’elle différentie les maisons. Les maisons franches18 ou les tenures des fivatiers19 se distinguent des installations temporaires provenant des abaki20. Ceux qui font labaki n’ont pas le temps de planter et de développer des haies vives, celles-ci sont donc le plus souvent liées aux affièvements. Ce constat se vérifie dans le contexte historique de Larrau qui laisse entrevoir peu de maisons franches et nobles par rapport à la masse des 120 établissements répertoriés dans les textes à partir du XVIè (contrats ou nommés dans les confronts) comme étant des bordes et bordes bordaar21 dont environ 70% seront des fermes d’élevage en 1830. (Cf. Fig3).
Le bocage naît majoritairement des affiévements et c’est finalement dans la coutume de Soule écrite au XVIè s. que nous trouvons un titre consacré à la clôture de terres donc à la présence des haies « Le bétail est libre de paître dans les champs et propriétés portant fruits… passé le moment de la récolte. Il ne peut aller dans les prés des enclos, vignes, jardins et vergers qu’on peut clôturer. Mais si les vergers sont ouverts on peut y faire paître »22. Quant à M. Bjl qui nous a montré son savoir faire, l’origine de sa maison reste imprécise. Son nom d’usage23 actuel apparaît une première fois dans la liste des habitants du bourg en 154024 sans qu’aucune possession de terres ou de bâtiments en dehors du bourg n’y soit rattachée. Un lieu dit portant un nom apparenté par la racine existait déjà en 151525 dans le même quartier que la maison actuelle. En 1535 le terrier situe les terres de la maison à l’endroit que nous lui connaissons actuellement. Nous retrouverons ensuite le nom identique à celui de 1540 en 1699 dans une liste de fermiers de la dîme26. Nous constatons aussi que le suffixe borda accolé au nom d’usage actuel laisse entrevoir une installation dans un bordaltia27ce que semble confirmer la forme de sorho avec la maison en bordure prise dans la haie. Il est donc probable que la maison existait au XVIés. et que la pratique de la haie date de cette période. Dans une configuration assez semblable, la maison atandes sur la photo ci-dessous est présente en tant que bordaar28 dans le censier de 151529. Les haies séparent les parcelles et l’ancien sorho pourrait être compris entre la maison et la grange.
Un troisième exemple nous conduit à aborder le chapitre des haies relictes qui prennent la forme de successions d’arbres peignes caractéristiques des veilles haies en déprise depuis des décennies, voire beaucoup plus, bordant les chemins de transhumance et les pourtours des bordaar souvent ruinés. Galharria est un ancien bordaar30 qui apparaît en confront d’un affiévement en 1535. Il se situe sur le chemin de transhumance qui conduit aux estives d’Orhy et aussi à un ensemble d’autres bordaar à l’historique connu dès le XVIès.
Le long du chemin de transhumance, la haie relicte qui longe le bordaar est formée de très grands « arbres peignes32 », d’autres arbres de la même haie sont maintenant isolés ou par petits groupes dans la forêt. L’autre coté du chemin est lui aussi planté « d’arbres peignes ». Les deux haies canalisaient les bêtes et protégeaient des parcelles aujourd’hui recouvertes de bois issus de semis spontanés issus des graines des arbres des enclos et de ceux de la forêt alentour. Dans tous les boisements forestiers les châtaigniers « échappés » des enclos des bordaar se mêlent aux hêtres. `
Les haies relictuelles de Galharria ont sûrement plus de 200 ans sans que nous sachions exactement les dater. Les plus gros arbres sont ils là depuis l’origine ? En tous cas la pratique de la haie tressée semble aussi ancienne que les installations des tenures et les arbres peignes sont les témoins des bordaar délaissés.
Ouvrages:
Personne(s) rencontrée(s)
Localisation (région, département, municipalité)
Nouvelle-Aquitaine, Pyrénées atlantiques, Pays basque province de Soule, Commune de Larrau
Indexation : Savoir-faire
Dates et lieu(x) de l’enquête : Commune de Larrau 28 Mars et 19 Mai 2012.
Date de la fiche d’inventaire : 3 Juillet 2012
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Dominique Cunchinabe, Laboratoire ITEM, EA 3002, UPPA.
Nom du rédacteur de la fiche : Dominique Cunchinabe, Laboratoire ITEM, EA 3002, programme de recherches « Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel en Aquitaine », Université de Pau et des Pays de l’Adour.
N° d'inventaire Ministère Culture : 2012_67717_INV_PCI_FRANCE_00154
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2bj
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Haie_vive_tressee
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