Parmi les jeux traditionnels provençaux, les Joutes nautiques sont certainement l’un des plus spectaculaires et des plus anciens.
La Tàrgo prouvençalo – ou Joute nautique provençale - est la méthode classique pratiquée sur le littoral méditerranéen français et encadrée par la Fédération Française de Joutes et de Sauvetage Nautique (FFJSN) à l’échelle nationale.
La Joute provençale cultive ses particularismes par la truculence et l’extrême codification de ses démonstrations, ses attaques franches et viriles, toujours assorties de plongeons sonores. La Joute provençale est un condensé d’honneur médiéval, de fête communautaire villageoise, mais aussi une réponse agonistique à l’agression de la vie contemporaine... La Joute provençale est considérée comme la plus violente méthode entre toutes, ce qui n’effraie nullement les chevaliers de la tintaine...

Il existe six variétés de Joutes nautiques.
Sur le littoral de Marseille à Nice, se pratique la Joute provençale – objet de cette fiche- tandis que l’Alsace perpétue la joute strasbourgeoise. La joute du Nord a cours dans la région de Lille, Arras, Étreux et Melun. Cette dernière est aussi proche de la méthode parisienne. La joute lyonnaise et la joute givordine procèdent elles, d’une méthode identique au niveau du règlement comme du matériel utilisé. Seule la position du jouteur change car le sens de croisement n’est pas le même. La joute languedocienne du littoral héraultais demeure avant tout un loisir du quotidien, souvent en dehors des compétitions officielles. Pendant l’été, l’étang de Thau est investi par les jouteurs qui s’escriment lors de plus de 80 tournois consécutifs !

Il n’existe donc pas pour le moment d’harmonisation des méthodes entre ces six variantes, malgré la reconnaissance (tardive, en 1973) de quatre Ligues incluant ces spécificités locales au sein de la Fédération Française de Joutes et de Sauvetage Nautique (FFJSN).
Cette Ligue est elle-même scindée en deux comités : celui de Provence comprend sept sociétés : Istres, Fos-sur-mer, Estaque, Martigues, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis-du-Rhône et Arles.
Le comité de Côte-d'Azur comprend dix sociétés : La Ciotat, Sanary, Saint-Mandrier, La Seyne, Saint-Raphaël, Fréjus, Agay, Roquebrune, Théoule.
Mais en plus des différences attachées aux méthodes et aux découpages administratifs, il faut aussi considérer les différences entre deux environnements aquatiques très dissemblables : mer ou fleuve.

Les barques provençales de pêcheurs méditerranéens aménagées pour la Joute sont équipées d’une plateforme arrière de 60x70cm (la tintaine), située à deux mètres au-dessus du niveau de l’eau. Le jouteur revêtu de la couleur de son club y prend place lors d’un tournoi. Le jouteur bénéficie de la protection d’un plastron en bois posé sur sa poitrine. Ce dernier étant destiné à recevoir la lance adverse.

Les deux adversaires tiennent chacun dans leur main droite une lance mesurant 2m70 de long, et dans leur main gauche, ils tiennent un cube de bois, le témoin dont le but est de l’empêcher de saisir la lance de l’adversaire. Le jeu consiste en rencontres entre jouteurs (passes) desquelles sort vainqueur celui qui reste en place sur sa tintaine. Ces jouteurs sont divisés en deux équipes, distinguées en bleu et rouge grâce aux couleurs des lances et des bateaux. Les poids des adversaires sont répartis harmonieusement de part et d'autre par souci d’égalité physique, ce qui rend les joutes intéressantes. D’autre part, la Méthode provençale est la seule à ne pas séparer les poids des jouteurs en catégories.

Dans chaque barque, deux ou trois jouteurs sont assis ou couchés à l'avant, attendant leur tour de monter sur la tintaine, où se tient déjà l'un d'eux. Les barques se croisent par la gauche. Généralement, on laisse les premières joutes aux débutants, et les champions ferment la marche.
Tout jouteur doit rester sur sa tintaine pour être déclaré vainqueur. S’il tombe, il perd. Il a le droit d’utiliser la surface du plateau dans sa totalité, hormis le reste du bateau. Enfin, il sera disqualifié pour "joute dangereuse" s’il masque son plastron, s’il frappe son adversaire dans une zone hors gabarit (en dehors de la zone de protection normale du plastron) ou s’il quitte la plateforme vers l’avant pendant la passe, avant le coup de lance. S’il la quitte pendant la passe, poussant son adversaire alors qu’il n’est plus sur sa plateforme, ce dernier se verra éliminé en même temps que son adversaire.

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La passe d'honneur
À l’ouverture de chaque tournoi, les deux premiers antagonistes se croiseront en position debout, face à face, se saluant en levant la lance à la verticale. Il en sera de même avant la première passe de la finale qui désignera le vainqueur du tournoi.

La passe (le combat)

1. Tout jouteur devra être présent sur le quai et en tenue à l’appel de son nom. Dans le cas contraire, il sera éliminé et taxé d’une amende, son adversaire quant à lui, fera l’objet d’un nouveau tirage au sort, s’il existe un jouteur impair il le gardera jusqu'à la fin s’il y a un impair.
2. Le jouteur qui sans jouter et pour des raisons évidentes (chocs, remous, houle, virage trop accentué ou trop rapide etc.…) quitte la plateforme d’un ou des deux pieds ne sera pas sanctionné.
3. La vitesse du bateau sera déterminée par le jouteur dans la mesure du raisonnable.
4. Les lances devront obligatoirement être levées, horizontales et stables au moment précis ou celles-ci ont leurs pointes qui se croisent et ce jusqu’au coup de lance.
5. Tous jouteurs se présentant à l’horizontale (plastron non visible) avant le coup de lance sera taxé d’un avertissement à la troisième réprimande il sera disqualifié pour joute dangereuse.
6. Tout jouteur dont le coup de lance atteindra directement une zone hors gabarit sera disqualifié pour joute dangereuse au profit de son adversaire. "Le gabarit étant situé entre la ligne inter claviculaire du jouteur et sa taille, les bras n’en faisant pas partie, il correspond à l’emplacement "normal" du plastron".

Les Pieds joints

1. Si un jouteur est pieds joints avant la frappe, mais qu’il envoie son adversaire à la mer en restant sur le plateau, il est qualifié.
2. S’il est pieds joints et qu’il passe devant en envoyant son adversaire à la mer c’est l’adversaire qui est qualifié
3. S’il est pieds joints et que son adversaire dégrafe, le jouteur pieds joint est qualifié, le jouteur qui a dégrafé ou viré est éliminé.
4. S’il est pieds joints, que les deux passent devant, son adversaire est qualifié.
5. Tout jouteur ne faisant pas action de joute sera disqualifié au profit de son vis-à-vis.
6. Le bras gauche du jouteur tenant le témoin à pleine main ne devra pas obstruer la vue de son plastron à son adversaire.
7. Tout jouteur qui se fera prendre dans le bras gauche (du témoin à l’épaule exclue) celui-ci obstruant la vue de son plastron à son adversaire sera éliminé au profit de ce dernier.
Tout jouteur qui avant la frappe enlèvera la lance de son adversaire avec le témoin ou le bras sera disqualifié au profit de son vis-à-vis.
8. Le jouteur devra garder le témoin dans sa main gauche tout au long de la passe.
9. Le jouteur qui lâchera le témoin avant ou pendant le coup de lance sera taxé d’un avertissement, si de surcroît il se sert de sa main libre pour mettre son rival en difficulté (attrape la lance de son adversaire avec la main gauche) il sera alors éliminé au profil de son vis-à-vis.
10. Le jouteur qui après le coup de lance, lâche son témoin pour se rétablir ne sera pas sanctionné.
11. Tout jouteur qui quittera sur l’avant la plateforme d’un ou des deux pieds avant la frappe sera disqualifié au profil de son adversaire pour joute dangereuse.
12. Après la frappe, si un jouteur quitte d’un ou des deux pieds, sur l’avant, la plateforme et continue à pousser son adversaire à l’eau, les deux jouteurs seront éliminés.
13. Tout jouteur, qui après le coup de lance, touche avec un ou deux pieds le montant de la tintaine, avant de partir à la mer (son adversaire restant sur le plateau) devra remonter pour une nouvelle passe.
14. Sur le coup de lance, le jouteur qui se fera lever les deux pieds sera éliminé quelle que soit la position ou le devenir de son adversaire. Dans les autres cas de figure, il restera en course pour le déroulement de la passe.
15. Avant, pendant et après la frappe, le jouteur pourra utiliser comme bon lui semble, la surface du plateau dans sa totalité pour les besoins de sa cause.
16. Le nombre de passes est limité à cinq pour les catégories cadet, junior, sénior et à trois pour les catégories minimes, benjamin.
17. "Avertissement coussin" pendant la frappe si le jouteur fait tomber son coussin qui n’est pas attaché.

Le barreur
À partir du coup de lance, il sera strictement interdit au barreur de :

- Débrayer
- Ralentir ou accélérer le bateau
- Faire marche arrière
- Inverser le sens de la barre pendant le coup de lance.

Le barreur fautif, ne respectant pas ces interdictions, descendra immédiatement du bateau, sera remplacé et sanctionné par la commission de discipline. La passe sera considérée comme nulle et donc à refaire.
Naturellement, après la passe, le barreur devra, dans la mesure du possible essayer de récupérer, uniquement avec la barre, le jouteur en difficulté et ce sans discrimination.

Réclamations

1. Après contrôle vidéo de la totalité de la passe, toutes réclamations seront rejetées.
2. Si aucun contrôle vidéo n’a été effectué, toute réclamation sera acceptée jusqu’au début du coup de lance suivant (moment où les deux jouteurs suivants sont prêts, en position, lances calées et bateaux en avant vers la passe).
3. Lors des tournois officiels, les réclamations seront faites obligatoirement par le président de la société (ou son représentant) en veillant à ce que les alinéas 1 et 2 de cet article soient respectés.

Cartons jaunes
Tout jouteur coupable d’un geste d’humeur, manque de fair-play, jet de matériel, manque de respect envers les arbitres ou toutes autres personnes appartenant à la famille de la joute et qui se trouve à bord d’un bateau et refuse de monter ou descendre pour quelque raison que se soit, sera taxé d’un carton jaune. Suivant la nature de ses actes, le jouteur sera susceptible de passer en conseil de discipline dont la sanction sera délimitée par la commission des arbitres en application du barème des sanctions.
Au bout de deux cartons jaunes, le jouteur sera alors immédiatement suspendu pour le tournoi suivant, quel qu’il soit. Si le deuxième carton jaune est obtenu au cours du même tournoi, le jouteur sera immédiatement disqualifié.

- La barque : Il y a une différence entre la barque dévolue aux joutes en eau douce et aux joutes en eau de mer. Sur le Rhône, les barques n'ont pas la haute plateforme qui soutient le jouteur, mais un "tabagnon" presque au niveau de la chaloupe. Le jouteur d'eau douce tombe de moins haut, mais sa lance, en revanche, est deux fois plus longue. En revanche, en mer, la barque est une réplique (ou un réemploi) des barques traditionnelles de pêcheurs professionnels. Elles sont désormais équipées d’un moteur, y compris lors des Joutes.

- Lance (targue) : La Méthode provençale admet 2,70 m de longueur pour la targue. Les Sétois utilisent le bois du Nord, mais qui casse souvent. À Mèze, on utilise du bois rouge et les lances ont vingt ans d'âge. Elles portent à leur extrémité un petit trident d'acier qui leur permet de se ficher dans le pavois de l'adversaire.

Trident de lance

- Pavois (plastron) : bouclier de bois comportant des reliefs retenu par deux bretelles et placé sur la poitrine du jouteur. Il destiné à recevoir les coups de lance adverses.

- Tintaine : plancher situé à environ deux mètres au dessus de l’eau. C'est l’endroit où est placé le jouteur. Celui-ci dispose sur son plancher de cale-pieds qui lui permettent de s’arc-bouter pour résister au choc de la lance de son adversaire.

- Plancher : situé à l'extrémité des bigues, selon le nombre de jouteurs assis sur la bigue, le plancher doit être à environ 2 m au dessus de l'eau. Le jouteur dispose sur son plancher de deux cale-pieds, grâce auxquels il peut s'arc-bouter.

- Bigue : deux poutres de bois parallèles hissées presque horizontalement à l’arrière de la barque et qui supportent la plate-forme sur laquelle se trouve le jouteur (tintaine). Ces poutres sont reliées entre elles par des traverses (sorte d’échelle).

- Couleur des barques : au XVIIIe siècle, les tournois opposaient les célibataires des différents quartiers aux hommes mariés de la cité royale. La couleur des habits, des lances et des barques des jeunes était le bleu, alors que les hommes mariés revêtaient le rouge... Aujourd’hui, la tradition perpétue ces codes-couleur sans toutefois en adopter le sens ancien : les adversaires son simplement départagés et reconnus grâce à leur couleur respective.

Couleurs des deux barques

- Tenue des jouteurs : pantalon blanc de marin, taïole et maillot aux couleurs du club.

Jouteur en tenue sur la bigue

- Targàire : jouteur, de tàrgo, lance, en provençal.

- Taiole (ou taillole) : ceinture de tissu large et coloré d’origine provençale qui sert à retenir le pantalon.

- Témoin : cube de bois tenu par le jouteur dans la main gauche pour l’empêcher de saisir la lance adverse.

Le témoin

- Barreur : responsable de la direction motorisée de la barque de Joute.

Il s’agit d’une grosse manifestation d’une durée d’un jour. Le matin, les meilleurs jouteurs de la région arrivent et défilent. Ensuite, un tirage au sort par catégorie est effectué. Il déterminera l’ordre de passage des combats (duels), des plus jeunes vers les plus âgés. Les orchestres locaux animent le tournoi et "chauffent" l’ambiance. Pour terminer, la remise des prix signe l’heure de l’apéritif et des danses.

Description de la transmission (père en fils, maître à élève…) : Elle se fait exclusivement en club, à l’École de Joute sous la tutelle de moniteurs, de 9 à 14 ans. Les catégories sont données dans un ordre d’âge croissant :

- Benjamins
- Minimes
- Féminines de moins de quinze ans
- Féminines de plus de quinze ans
- Cadets
- Juniors
- Séniors

Méthode de transmission : L’entraînement des jeunes depuis la période des années 70 se fait au côté des adultes, les moniteurs qualifiés du club auquel ils appartiennent. Les matériels sont adaptés à la petite taille des jeunes.

Lieu(x) d'apprentissage : Le plan d’eau du Port de l’Estaque pour ce qui concerne le Club de l’Estaque.

Durée de l'apprentissage : La durée d’apprentissage peut être très variable selon les capacités physiques et la réactivité mentale de l’élève. Ce dernier doit d’abord se libérer de la peur : peur de tomber à l’eau, peur des chocs de l’attaquant adverse. Les entraînements en 2011 ont lieu tous les mercredi et vendredi, de 16h à 21 h.

Description de l'apprentissage : Un entraînement physique similaire à celui des adultes est nécessaire à la compréhension des bons gestes, et pour le bon développement des réflexes.

Des gladiateurs dans la rade...
Généralement, pas de Joutes sans musique, pas de Joutes sans commensalité, pas de Joute sans théâtralité ni sacralité. Le beau geste des tournois côtoie l’embarras comique des glissades spectaculaires, auxquelles répondent des applaudissements, de gros rires, des chants.


À Marseille, la Joute est une histoire ancienne qui n’a pas fini d’éclabousser les spectateurs... En effet, des gravures témoignent de combats de joutes dès 1720. Elles avaient lieu dans le Vieux-Port, où elles permettaient de régler "à l’amiable" les différends survenus entre bateaux de pêche pendant la journée de travail, avec force témoins et recours à la notion d’honneur. Aujourd'hui, cette rivalité a opéré un glissement vers le sport, en limitant tout débordement d’agressivité par une codification extrême de son règlement, mais en manifestant le comportement inverse, propre à une rixe... mais une rixe démocratique, maîtrisée, acceptable.
Les compétitions ont lieu de mai à septembre uniquement : la Joute est un sport intimement lié à la belle saison et aux fêtes culturelles estivales.

Véritables sportifs, les jouteurs cultivent force, agilité, réflexes, aplomb, précision et capacité à résister aux chocs violents de la lance adverse. Un bon entraînement au préalable est nécessaire afin d’acquérir tactique et maîtrise du corps. Le bon jouteur doit gagner avec les honneurs, ne pas chercher à esquiver le coup ou la lance de son adversaire, mais accepter et riposter. Le vainqueur est appelé fràïre – frère.
En Provence, l’assise de la tintaine étant très précaire (très petite), l’enjeu pour le targàïre est de posséder plus de souplesse et d’équilibre que de force brute.


Les compétitions attirent en général 2000 personnes à l’Estaque. C’est un public d’habitués, principalement. Les passes se déroulent de façon assez lente, presque intériorisées par la concentration et les manœuvres laborieuses des barques (à moteur, cependant). Mais loin de diminuer la ferveur du public présent, cette relative lenteur accentue la tension qui va croissant avec l’heure qui avance et les passes qui se complexifient. L’apparition des champions et vétérans est attendue, mais volontairement retardée. Les saluts (3) entre adversaires avant, pendant et après la passe sont complexes, ils évoquent la fraternité (si deux jouteurs tombent à l’eau pendant une passe, ils forment alors un "bouquet", se donnent l’accolade dans l’eau), le sens de la hiérarchie (le jouteur le moins titré salue le premier son adversaire).

L’eau et le périmètre du jeu ("notre arène") sont le théâtre de l’affrontement symbolique. Elle sépare et unit les protagonistes dans l’action : elle est à la fois le témoin et le support de ce jeu dont l’influence embrasse toute la vie des gens du littoral. Le public est partie prenante dans les passes à la manière d’un chœur antique, il amplifie les actions dont il est spectateur, chahute ou se tait religieusement. Les chants de marins rythment parfois aussi les tournois, dont voici un couplet, extrait de la "Targue de Martigues" :

Jogam à la Tàrga,

Bravei Martegaus,

Se tombam dins l’aiga,

Si farèm pas màu,

Ei sus la tinteina,

Qu’un marin adrech,

Coma la polena,

Dèu se tenir drech !

La dimension sacrée de la Joute est inscrite dans le programme même d’une journée de tournoi, réglée comme une liturgie. Le défilé terrestre des targàïres en tenue mêle aussi parfois liesse populaire et tradition chrétienne dans la procession religieuse. Ainsi, à l’occasion de la fête votive de la "St Pierre Es Liens" qui a lieu début septembre à l’Estaque, ce sont bien les targàïres qui promènent la statue du saint-patron des pêcheurs par les rues, à la façon d’une confrérie de pêcheurs. La tradition professionnelle est alors associée à la tradition sportive et religieuse dans un généreux syncrétisme. La musique des fifres et tambourins les accompagne.

La Joute représente peut-être plus une tradition culturelle collective faite de gestes codifiés et de symboles exposés au public, qu’un sport où des entités individuelles s’affronteraient dans un but trivial, vénal, même si l’argent (sponsors) et l’institutionnalisation (structure fédérative encadrante, écoles de Joute, trophées) ne sont pas absents des tournois. Ira-t-on cependant vers une sportivisation complète de la Joute ? Certaines tendances semblent accréditer cette hypothèse (la sélection des meilleurs jouteurs par clubs ne se fait plus sur des critères d’appartenance socio-culturelle ou sur des valeurs communautaires, mais uniquement sur l’espoir d’un bon résultat).

(3) Charles Pigeassou et Jérôme Pruneau, « Regards critiques sur les rites et rituels dans la joute Languedocienne », Corps et culture, numéro 4, 1999, mis en ligne le 25 avril 2007 à http://corpsetculture.revues.org/581.

Une fresque datant du haut-empire égyptien (IIIe à VIe dynasties, -2780 à -2380 tombeau de Khoum el Ahmar) témoigne déjà d’une forme de combat aquatique pratiquée sur le fleuve Nil. La Grèce, puis en Sicile ont ensuite ouvert la voie (d’eau !) aux Romains qui adoptèrent ce combat/spectacle afin d’agrémenter leurs fêtes populaires et officielles. Dans le monde romain, la naumachie désigne soit un spectacle nautique mettant en scène une bataille entre navires et gladiateurs condamnés à s’entre-tuer (les naumachiarii), soit le bassin dans lequel avaient lieu ces affrontements. C’est en -46 que Jules César donne sa première naumachie à l’occasion d’un triomphe. Un bassin artificiel creusé près du Tibre à Rome pouvait contenir plusieurs navires à rames (biremes, triremes, quadrirèmes), dont 2000 combattants et 4000 rameurs, tous prisonniers de guerre promis à la mort.

Le souvenir de ces démonstrations du pouvoir impérial s’est peu à peu transformé en parties ludiques (joutes nautiques) dans les provinces anciennement romanisées. Quelques survivances locales seraient attestées depuis le haut Moyen Âge. D’après Ausone, une forme de naumachie portée par la jeunesse subsistait encore sur le cours de la Moselle au IVe s. après Jésus-Christ. Au cours du Moyen Âge, de nombreuses joutes seraient dénombrées par des documents d’époque post-latine : ainsi un tournoi de Joutes aurait eu lieu à Lyon en 1177 (commémoration du millénaire des martyrs chrétiens), un autre se serait déroulé en 1270 sous l’égide de Louis IX, entre Croisés en partance pour la Palestine. D’autres écrits plus récents témoignent de cette pratique en Sologne, mais plus largement encore sur tout le littoral méditerranéen (Toulon).

Le déplacement à Lyon de François Ier est décrit en 1548 dans l’ouvrage de P. Clerjon. Les joutes nautiques sont citées dans le cortège des réjouissances royales en ces termes : "Leurs Majestés prolongèrent leur séjour jusqu'au lundi suivant, 1er octobre, tantôt recevant les présents qui leur avaient été destinés par la commune, tantôt se prêtant à maintes fêtes, spectacles joutes, naumachies, artifices de feu et fusées. Elles partirent de Lyon pour Fontainebleau". Cependant, dans sa description, Clerjon semble faire une différence entre joute et naumachie, comme si ces deux pratiques avaient évolué en développant chacune assez de spécificités pour se maintenir séparées tout en coexistant dans le temps. Le Roi Henri II fut également le témoin de joutes nautiques à Rouen en 1550. Les jeux de Sète sont institués en 1666, à la date de création de la ville elle-même. Napoléon Ier en sera également le témoin d’honneur en 1807, à Milan. À Marseille, parmi les réjouissances organisées pour la visite de Monsieur, Frère du Roi, en 1777, figuraient des jouteurs, dont le costume est décrit : "Veste, culotte et bas blancs, chapeau de paille jaune retroussé par derrière, orné de rubans roses avec un plumeau bleu. Ils étaient au nombre de vingt quatre. Leur habillement était très galant". Le déroulement de la joute n’est hélas pas décrit. Les archives de Marseille signalent aussi des joutes données à l'occasion de fêtes publiques, notamment le 31 mai 1837, pour la visite du duc d'Orléans et le 2 août 1841, pour celle du duc d'Aumale.

Le XIXe siècle marque un tournant dans l'histoire des joutes. Des sociétés de mariniers (aujourd’hui on dirait "sociétés halieutiques") se créent et structurent la pratique autour de la nécessité de secourir les riverains du Rhône principalement. Les joutes, activité connexe seulement, se déroulent lors de fêtes locales, pérennisant dans le sport des gestes séculaires, depuis les jeux du cirque d’eau jusqu’aux spectacles en hommage aux rois de France. Beau paradoxe de nature carnavalesque pour ces sociétés en charge de secourir les naufragés et qui organisent parallèlement à cela des jeux dont le but est, justement, de jeter les compétiteurs à l’eau ! Ainsi, en 1899 est créée l'Union fédérale des Sociétés Françaises de Natation et de Sauvetage, première structure nationale contenant les sociétés de sauvetage locales. Cette Union organisera en 1901 le premier championnat de France, sur le lac de la Tête d'Or à Lyon. En 1905, l'Union est remplacée par la Fédération Nationale des Sociétés de Natation et de Sauvetage, à l’origine des championnats régionaux.
Pendant l’entre-deux-guerres les compétitions se multiplient, bénéficiant de l'évolution des moyens de transport et de l’allongement du temps de loisirs. La question d’une normalisation des règlements et matériels employés se pose alors. Mais c’est en 1960 que la joute est officiellement reconnue comme sport par l’État français. La Fédération actuelle : Fédération Française de Joute et de Sauvetage Nautique naît en 1971, des suites d’une rupture avec l'ancienne fédération. La FFJSN est toujours actuellement la structure encadrante des Joutes nautiques françaises, et le principal référent de la Fine Lance Estaquéenne à Marseille.

La Fine Lance Estaquéenne

En 1921, un groupe de pêcheurs fonde la Fine Lance Estaquéenne . Cette société organisera dès lors chaque année un grand tournoi de Joutes provençales, à l’origine des championnats actuels. Puis, le tunnel du Rove aidant les échanges avec les sociétés voisines situées sur l’Étang de Berre, une Fédération de Joutes provençales est créée. Jusqu’à l’aube de la guerre, la Fine Lance Estaquéenne ne cesse de prospérer.

C’est finalement 1961 qu’un groupe de jeunes et d’anciens relance l’association de la Fine Lance dans l’arrière-salle du Bar Albert (quartier de l’Estaque), avec le peu de moyens dont ses membres disposent à l’époque. Pas de locaux adaptés à la pratique, pas de subventions. Juste la volonté mise au service de la passion, gratuite, amatrice. Au fil des compétitions, une élite de jouteurs se distingue dans l’action, et une autre, moins douée de ses gestes, contribue à structurer l’encadrement administratif.

En 1967, sous la présidence de M. Jeannot Soggiu, la Fine Lance reçoit de M. Paul Ricard une aide financière qui, ajoutée à celle des commerçants et des industriels du quartier, permet la construction de deux embarcations, le "Paul Ricard" et le "St-Pierre-Es-Liens".

En 1967, M. Henri Feltrin est sacré champion de France de Joute junior, puis en 1971, succède un nouveau titre porté par M. Panciatici, M. Tarasconi, M. Spinoza suivi en 1973 par un autre titre de Champion de France junior grâce à M. Villar. M. Robert Soggiu remplace alors son frère à la présidence et obtient de la ville de Marseille l’autorisation d’installer leur local sur le quai (emplacement actuel).

En 1976, deux amis, M. Henri Feltrin et Adrien Raynaud reprennent l’héritage des anciens et hissent le club au sommet de la gloire.

À partir des années 80, la F.L.E., dirigée depuis quatre ans par M. Henri Feltrin et Adrien Raynaud connaît un fort développement avec l’avènement des catégories minimes et cadets. Les jeunes du très populaire 14e arrondissement de Marseille peuvent enfin s’insérer dans le club et participer aux Joutes selon leur propre niveau. Les titres nationaux commencent à enrichir la collection de Coupes, trophées et médailles sur les étagères du local. La décennie suivante voit se renforcer une réputation de compétence sportive déjà solide, et le club affirme ainsi son leadership en Provence.

Henri Feltrin et Adrien Raynaud consolident également leur position au niveau national en venant occuper de nouveaux postes au sein de la Fédération nationale, ainsi qu’à la tête de la Ligue Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Grâce à une pérennisation financière due aux recrutements, en 2003, les barques à moteurs et les équipements sont renouvelés, la F.L.E. acquiert deux minibus pour les déplacements des jeunes (benjamins et minimes) et assure désormais la gratuité des licences sportives. Les jeunes sont totalement pris en charge par le club, pendant que les titres de gloire continuent à affluer...

Ainsi, et depuis lors, des courriers récurrents aux collectivités locales (Mairie de Marseille, Conseil Général et Régional) permettent de dégager des subventions nécessaires au fonctionnement pratique de l’association (qui engage du matériel coûteux pendant les affrontements). L’adaptation de barques de pêche aux installations de joute nécessite également des investissements assez lourds, des réparations et du temps. Un partenariat annuel conclu avec les commerçants de l’Estaque dégage néanmoins un budget qui permet la tenue du tournoi estaquéen local.

En 2011, la FLE est à son apogée en termes de renouvellement, d’organisation et de rayonnement. A ce jour, la Fine Lance Estaquéenne est le club de Joute le plus titré de France toute catégorie confondue, il est aussi la plus importante structure en terme d’effectifs. Devrait-on en rajouter ? Le Challenge Nicollin a été remporté quatre ans consécutivement par l’Estaque, et c’est là l’une des plus hautes distinctions délivrées par la Fédération française. La Fine Lance Estaquéenne... de tous les superlatifs !

- Les barques étaient jadis propulsées grâce à la force motrice des rameurs placés sous la tintaine. Aujourd’hui, les barques possèdent toutes un moteur.

- Une récente modification du règlement a permis l’abandon de la ligne-limite tracée sur la tintaine. Autrefois, lors de la passe, le jouteur devait avoir le pied gauche en avant de cette ligne, et le pied droit en arrière. "Mordre la ligne" revenait à être disqualifié.

- Les femmes sont maintenant présentes dans la Joute provençale et bénéficient de deux catégories : Féminines de moins de quinze ans et Féminines de plus de quinze ans.

- La Joute provençale s’expose au public de Mai à Septembre (sport lié à l’été) lors de tournois joués à domicile (regain d’intérêt des locaux pour leur patrimoine culturel et sportif) ou à l’extérieur (rencontre éventuelle de nouveaux publics).

- Malgré la tentative permise par la Fédération nationale d’exporter la méthode provençale en Alsace, à Paris, à Vichy, en Corse ou même en Martinique, la "greffe culturelle et sportive" n’a jamais "pris".

- La Fine Lance Estaquéenne à son complet contribue à cette valorisation.

- La Fédération nationale apporte son soutien, son crédit, sa structure.

- Les partenaires publics et privés participent aux financements des tournois.

- Une harmonisation des quatre méthodes serait souhaitable selon M. d’Elia, afin de valoriser la Joute et non plus les Joutes. Une compromis national permettrait donc à la fois une meilleure lisibilité de la Joute au niveau de la France sportive, et une reconnaissance plus forte en termes d’effectifs. C’est néanmoins un souhait ambivalent, car cette normalisation se ferait aussi au dépends des particularismes traditionnels qui fondent toute légitimité dans l’histoire de leurs régions respectives.

- Des Joutes provençales bénéficiant du quai principal du Vieux-Port donneraient aux Fines Lances l’occasion de toucher un public d’estivants plus nombreux en centre-ville qu’à l’Estaque (ce dernier quartier étant trop excentré). En effet, la Joute provençale – tout comme la Rame traditionnelle – est un sport typiquement marseillais, il serait donc logique que la Mairie de Marseille s’intéresse de plus près à cette pratique qui passe aujourd’hui quasiment inaperçue du fait d’une sous-exposition culturelle et médiatique.

- Des polos et des t-shirts sont offerts aux joueurs et aux personnes impliquées dans la vie du club à l’occasion d’une compétition.

- Des coupes, des trophées, des médailles, frappés des symboles de la Joute sont exposés dans le local portuaire de la F.L.E.

- Des affiches couleur format A3 sont imprimées pour chaque tournoi.

- Deux calendriers suspensibles, tous couleurs et papier glacé sont édités chaque année grâce aux annonceurs publics et privés.

- Un magazine annuel tout couleurs, Le Jouteur et le Rameur est édité par la FFJSN.

Partenariats publics

- Ministère de la ville, de la jeunesse et des Sports
- Région Provence-Alpes Côte d’Azur
- Conseil Général des Bouches-du-Rhône
- Ville de Marseille
- Mairie du 8e secteur de Marseille (15-16e arrondissements)
- Les demandes de subventions au niveau européen sont découragées par la complexité du dossier à fournir.

Partenariats privés

- La zone commerciale de Grand Littoral loue un panneau à l’année à la F.L.E. (2000 €)
- Caisse d’Épargne
- Groupe Nicollin (M. Louis Nicollin est le président de la FFJSN)
- S.A.R.L. TNL Transports routiers
- Réseau des Transports 13
- Seize restaurants et cinq bars (annonceurs du calendrier de la Ligue PACA 2011)

Le budget de déplacement de la F.L.E. est important :
- 70 personnes mobilisant deux cars = 800 €
- 70 repas = 400 €
- Budget pour un week-end = 1200 €

Gros budget d’entretien, d’achat et de renouvellement des équipements :
- Deux barques à moteur neuves avec équipements = 100 000 €
- Une lance = 70 €
- Un plastron = 100 € (pièce fragile, renouvelée tous les deux ans).

- Site officiel de la Joute provençale
- Site officiel de la Fédération Française de Joutes et de Sauvetage Nautique (FFJSN)
- Site en provençal sur les Joutes et la Rame traditionnelle
- Site sur les jeux et sports traditionnels
- Site sur la St Pierre Es Liens
- Site sur l’histoire de la naumachie
- Site contenant beaucoup de photos de joutes
- Site ciotaden
- Site sur les variantes des joutes
- Page Facebook sur les Joutes estaquéennes
- Vidéo sur les joutes à Théoule
- Archives audiovisuelles de Marseille
- Hélène Morsly, réalisatrice : film Les Passeurs de joutes, sur la transmission de l’identité sétoise par l’apprentissage des joutes languedociennes (52’, production Les films du Sud, 2006, diffusion TéléToulouse) et de Joutes, la relève (1h12, diffusion DVD).
- MAGNUS AUSONIUS D., Idylles X, Moselle, 200-2,29.
- CLERJON P., 1832. Histoire de Lyon depuis sa fondation jusqu’à nos jours, Chroniques de la Réforme et des Ligues, tome V, Théodore Laurent Éditeur, Lyon.
- PIGEASSOU Charles ; PRUNEAU Jérôme. "Regards critiques sur les rites et rituels dans la joute Languedocienne", in Corps et culture, numéro 4, 1999, mis en ligne le 25 avril 2007 à http://corpsetculture.revues.org/581.
- BERTONÈCHE Patrick, 1998. Les joutes nautiques en France : des origines à nos jours, Le Chasse-Marée/Armen, 1998.
- PRUNEAU Jérôme, 2003. Les joutes languedociennes, ethnologie d’un "sport traditionnel", éd. L’Harmattan.
- BONNEMAISON J. ; CAMBREZY L. ; QUINTY-BOURGEOIS L., 1999. Les territoires de l’identité. Le territoire, lien ou frontière ?, éd. L’Harmattan, cité par Jérôme Pruneau.
- BLANC J., 1968. Les Joutes à Sète, Lacour, Nîmes.

Remerciements particuliers à M. Feltrin, M. Alain d’Elia, et M. Marc Nazzi pour leur collaboration et leur disponibilité.
En 2011, la fine Lance Estaquéenne fête ses 90 ans d’existence.

Personne(s) rencontrée(s)
- M. Feltrin Henri, président de la Ligue de Joutes Provence-Alpes-Côte d’Azur
- M. D’Elia Alain, trésorier général

Localisation (région, département, ville) : Provence, Bouches-du-Rhône, Marseille, Port de l’Estaque, Marseille

Adresse et contexte de l’entretien : Local de la Fine Lance Estaquéenne (F.L.E.), quai des Pêcheurs, 13016 Marseille. Entretien direct du Jeudi 21 juillet, tenu entre 10h30 et midi par une femme de 34 ans.

Adresse du lieu de la pratique : Plan d’eau du port de l’Estaque, face au local de la F.L.E..

Siège social : Maison des Associations, 90 Plage de l'Estaque et Bar Albert au 3 rue Emile Doria, 13016 Marseille.

Mail : finelance@free.fr
Site Web

Indexation : joutes nautiques, tàrgo, tàrgaïre, naumachie, Estaque, Marseille, Provence.

Dates et lieu(x) de l’enquête : Marseille, Août 2011

Date de la fiche d’inventaire : 13 Août 2011

Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Marie-Véronique Amella

Nom du rédacteur de la fiche : Marie-Véronique Amella

N° d'inventaire Ministère Culture : 2011_67717_INV_PCI_FRANCE_00145
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2b6

Le calendrier des manifestations F.L.E. 2011

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Joute_nautique_provencale

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