Manifestation festive, prenant la forme d’un simulacre de chasse à l’ours dans les rues d'Arles-sur-Tech.
Arles-sur-Tech représente une fête de l’Ours dansée et théâtralisée. Après la capture de l'Ours, à l’extérieur de la ville, celui-ci est montré sur les principales places où se joue une même scène dans laquelle évoluent plusieurs dizaines de personnages.
Arles-sur-Tech représente une fête de l’Ours dansée et théâtralisée. Après la capture de l'Ours, à l’extérieur de la ville, celui-ci est montré sur les principales places où se joue une même scène dans laquelle évoluent plusieurs dizaines de personnages. L’Ours, le Trappeur (le chef des Chasseurs) et la Roseta (son épouse) en sont les personnages principaux. L’Ours enchaîné tente d’échapper au Trappeur, pour attraper la Roseta. Le Trappeur le retient et récite en catalan la Predica1 qui célèbre ses exploits. Autour, gravitent des personnages spécifiques de la fête arlésienne au rôle ambigu, à la fois protecteur et provocateur : les Bótes (personnages qui portent de grands bidons de plastique peints et décorés sous lesquels ils se dissimulent en partie) et les quatre Tortugues2 (personnages vêtus de blanc qui se cachent dans de grands cylindres métalliques recouverts de draps blancs en agitant au bout d'un bâton, de petites poupées, les patotes, qui servent de leurres).
De nombreux Chasseurs encadrent la scène et tentent d’attraper l’Ours quand il s’échappe. Après avoir fait le tour de la ville, la chasse se termine sur la place de l’Église, où se déroule la scène finale du rasage de l’Ours par le Trappeur et la Roseta.
Préparation de la fête et choix des acteurs
Créée en 1957, l’association L’Alegria, groupe de danse folklorique d'Arles-sur-Tech, se charge depuis cette date de l’organisation de la fête. Depuis une vingtaine d’années, elle le fait en coordination avec le Comité des fêtes de la ville d’Arles-sur-Tech. Une Commission « Ours » a été créée afin de prendre collégialement les décisions relatives à cette organisation. Le choix de l’Ours et des différents rôles a lieu trois semaines avant le dimanche consacré à la fête, à l’occasion d’une réunion publique. Les candidats doivent être des hommes, arlésiens, âgés de moins de 30 ans et avoir une condition physique leur permettant d'assurer pleinement leur rôle. En effet, à la différence de Prats-de-Mollo-La-Preste et de Saint-Laurent-de-Cerdans, un seul Ours est sélectionné. Son choix se fait sur la base d'une décision discutée entre les différents membres de la Commission "Ours".
Les rôles du Trappeur et de la Roseta (un homme déguisé en femme) sont tenus par des membres de L’Alegria pour leurs compétences en danse et la maîtrise de leur jeu théâtral en catalan. Les autres acteurs, arlésiens pour la plupart, tiennent également les mêmes rôles d'une année sur l'autre.
Le déroulement de la fête
À 9 h 30, un petit déjeuner salé, l’esmorzar, rassemble les principaux acteurs de la fête - organisateurs et personnages - à la salle des fêtes de la ville avant que ne débute, à 10 h 30, l’"Appel du Trappeur" ou la Trobada dels Caçaïres. Le Trappeur y somme la population et les Chasseurs de se joindre à lui pour la chasse à l’Ours qui doit se dérouler l’après-midi. Ce prélude à la fête est spécifique à Arles-sur-Tech. Le Trappeur, la Roseta et les Chasseurs, formant cortège, parcourent la ville en direction des trois places situées aux intersections des rues principales. Là, au centre d’un cercle de Chasseurs, le Trappeur déclame sa harangue en catalan, tandis que la Roseta virevolte autour de lui. Tout au long de ces parcours, la cobla joue les airs traditionnels de l'Ours, en alternance avec le répertoire ambulatoire de la banda. Le matin est ainsi réservé à la mise en place du cadre théâtral en interaction avec le public.
Vers 11 h 30, la remise de la patte de l’ours, par le maire de Saint-Laurent-de-Cerdans, à la Ville d’Arles-sur-Tech annonce officiellement le début des festivités. Des sardanes prolongent cette cérémonie qui se termine par un repas offert par le Comité des fêtes.
Vers 14 h 30, à la Fontaine des Buis, sur l’autre rive du Tech, loin du public, commence la préparation de l’Ours. Une fois sa "métamorphose" accomplie, il part se cacher dans des buissons. Le Trappeur, la Roseta et les Chasseurs, qui ont traversé le gué, se mettent à sa recherche. Découvert, le plantigrade est attrapé, enchaîné et entraîné vers la ville dans les rues de laquelle il s'échappe, poursuivi par le Trappeur, sa femme et les Chasseurs.
Le parcours dans la ville est ponctué d’arrêts sur les différentes places où se rejoue chaque fois la même scène. Au centre d'un cercle formé par les Chasseurs, le Trappeur et l'Ours s'affrontent entourés par les autres personnages. Les neuf Bótes, par groupe de trois, et les quatre Tortugues cherchent à distraire l'animal pour ralentir sa course. L’Ours se rue vers les Bótes et cherche à attraper les patotes des Tortugues qui sortent et rentrent leurs têtes comme des tortues dans leur carapace. La Roseta, qui sert d’appât, se cache derrière les Bótes. L'Ours parvient à la saisir et ils roulent ensemble au sol. Le Trappeur intervient pour les séparer et finit par capturer l’Ours. Enchaîné, celui-ci est maintenu à terre sous les cris de la foule. Le Trappeur récite alors la Predica qui décrit les péripéties de la capture, rappelle combien l'Ours était dangereux pour les femmes dont "il sentait l'odeur sous le tablier" et célèbre la vaillance des Chasseurs et ses propres talents de Trappeur. Les acteurs dansent ensuite ensemble en cercle sur la musique de l’Ours avant que celui-ci ne s’échappe à travers la foule, poursuivant sa course vers la place suivante. Cette scène théâtralisée est présentée de nombreuses fois à différents emplacements de la ville.
Le balcon d’une des maisons du Barri d’Amunt est le lieu d’une mise en scène spécifique. L’Ours, le Trappeur et la Roseta y montent, se cherchent, passent d'une fenêtre à l'autre, s’empoignent, se relâchent, jouent à cache-cache, avant de redescendre dans la rue et de continuer leur parcours. Sous le balcon, deux faux infirmiers, porteurs d’une civière, suivent tous les déplacements des personnages.
La chasse se termine sur la place principale où a lieu la scène du rasage ou "danse du barbier". Les Chasseurs y forment un grand cercle permettant de contenir les spectateurs. Bótes et Tortugues s’installent à l’intérieur.
L’Ours arrive sur la place et, après une dernière saynète où il brandit le long bâton du Trappeur pour frapper sur les Bótes, il capture une jeune fille. Il l’emmène dans une hutte de branchage installée dans un angle de la place pour figurer sa tanière. Celle-ci est alors agitée de l'intérieur de façon à évoquer un acte sexuel. Puis la jeune fille s’échappe, poursuivie par l'Ours qui est abattu par le Chasseur Domingo d'une balle à blanc. La bête est installée sur une chaise par les deux infirmiers. Le Trappeur et la Roseta commencent alors à danser, allant et venant à plusieurs reprises, vers l'Ours qu'ils narguent avant de le raser : un plat à barbe est placé sous le menton de l’Ours, une pomme en plastique fait office de blaireau et le Trappeur passe la lame de sa hache en bois sur ses joues. On lui retire ensuite sa tête et les trois personnages boivent au porró3 tandis que l’ours est ovationné. La cobla joue alors le Ball de Córrer suivi de sardanes. Le soir, un repas collectif vient clore la fête.
1 Predica signifie prêche ou sermon.
2 Bótes : barils. Tortugues : pluriel de tortuga qui est la traduction du mot tortue.
3 Porró : récipient à goulot étroit allongé permettant de boire "à la regalada", sans porter le bec à la bouche. La tête est inclinée vers l'arrière, le jet arrive directement dans la bouche et est avalé sans que le jet ne soit interrompu.
Les costumes de l'Ours et ceux des principaux acteurs sont conservés par l'association L’Alegria qui les utilise parfois au cours de l'année pour des spectacles folkloriques où figure la scène du rasage. La théâtralisation de la fête et son inscription dans un répertoire folklorique sont propres à Arles-sur-Tech. De tous les éléments de costume, la tête de l'Ours est le plus important. Elle est constituée d'un casque de moto recouvert d’une peau de chèvre. Les yeux y sont représentés par de grosses billes de verre appelées boulards. Une grande bouche, d’environ vingt centimètres de long sur deux de haut, laisse apparaître une dentition imposante composée de 26 dents de bois rougies à la peinture et attachées par de la ficelle tressée. La forme particulière de cette tête, dessinée dans l’ouvrage de Joan Amade4, est attestée depuis plus de cent ans. Refaite sur le même modèle dans les années 1960, elle a ensuite été restaurée en 2012. Le reste du costume est constitué d’une combinaison en fourrure synthétique marron.
Le déguisement des Bótes a considérablement évolué au cours des années. Dans la première moitié du XXe siècle, les Bótes étaient jouées par quatre hommes portant sur leurs épaules des barils en terre cuite fabriqués par un artisan local et peints, des deux côtés, d’un visage aux yeux terrifiants, au nez en bois saillant, à la bouche béante, avec des tresses d’ail ou de paille en guise de chevelure. Une ceinture de huit à dix cloches et clochettes complétait ce costume. Les fûts en terre cuite étaient détruits par l’Ours, à coups de bâton, juste avant la dernière scène du rasage. À la mort de l’artisan qui les produisait, ils ont été remplacés par des tonneaux en bois, puis par des bidons en plastique bleu, plus légers qui ne se cassent pas et peuvent être réutilisés d'année en année. Peints de couleurs diverses, ils sont actuellement décorés de branches de genêt.
4 AMADE Joan, 1950. Costumari Català, vol. I, Ediciones Salvat, Barcelone : 676.
Contrairement aux deux autres communes où la fête s’est maintenue sans interruption, à Arles-sur-Tech elle a parfois été ajournée entre 1953 et 1962.
L’association L’Alegria, décide alors de la relancer et, en 1967, afin d’en dynamiser la fréquentation, de la transférer en été, au mois d’août. Elle devient alors un élément parmi d’autres de la représentation folklorique de la culture traditionnelle catalane à l’usage des touristes. Le simulacre de chasse à l’Ours est alors considérablement réduit et ne sert plus que de prétexte à la scène finale du rasage, spectacle payant qui se déroule dans le parc de la Mairie. C’est à partir de 1986, à l’initiative de quelques personnalités locales passionnées, que la fête est replacée en hiver, le premier samedi ou dimanche de février. La fête de l’Ours est alors entièrement reconstituée, les personnages traditionnels sont mis en valeur, offrant un déroulé théâtral fortement marqué, caractéristique, aujourd’hui, de la fête arlésienne.
Du fait de cette histoire, la fête d'Arles-sur-Tech est sans doute celle qui se prête le plus aux discussions sur le caractère, traditionnel ou non, de son déroulement. Certains plaident pour un retour complet à la tradition et pour la restauration d’accessoires considérés comme authentiques tandis que d'autres, minoritaires, restent nostalgiques d’une fête de l'Ours estivale. Mais la nouveauté pourrait bien venir d'ailleurs : la Festa de l’Ós Petit, la fête de l’Ours des Enfants, créée en 2014 sur le modèle des deux autres communes, pourrait bien constituer un laboratoire conjuguant traditions et innovations. Lors de cette fête dont les acteurs sont les jeunes de moins de 14 ans, qui apprennent à "faire" l’ours, sous la tutelle des adultes, on a vu réapparaître certains éléments disparus des costumes, comme les cloches à la ceinture des Bótes, en même temps que se négocient de complets bouleversements, comme le choix des remplaçants ou plus encore la redéfinition de la place des filles dans la fête.
Bibliographie sommaire
- ALFORD Violet, 2004 [1937]. Fêtes Pyrénéennes, Loubatières, Barcelone.
- AMADE Joan, 1950. Costumari Català (5 volumes), Ediciones Salvat, Barcelone.
- BOBBE Sophie, 1986. Trois fêtes de l’ours en Catalogne, Mémoire de maîtrise d’ethnologie, Université Paris X-Nanterre.
- BOSCH Robert, 2013. Fêtes de l’ours en Vallespir, Trabucaire, Perpignan.
- COLLIER Basil, 1939. Catalan France, Londres.
- FABRE Daniel, 1993. "L'ours, la Vierge et le taureau", in Ethnologie française, t. XXIII, n° 1 : 9-19.
- HENRY Dominique Marie Joseph, 1835. Histoire de Roussillon : comprenant l’histoire du Royaume de Majorque, livre premier, Imprimerie Royale, Paris.
- LAJOUX Jean-Dominique, 1996. L’homme et l’ours, Glénat, Grenoble.
- LEGUIEL Émile, 1908. "Le Carnaval d’autrefois à Prats-de-Mollo (Souvenirs de ma belle-mère)", in Revue Catalane (Société d’étude catalane), tome II, Perpignan, vol. n°21 p. 262-267 ; vol. n°22, p. 299-304 ; vol. n°23, p. 367-370 ; vol. n°24, p. 387-392.
- PAGÈS Magali, 2010. Culture populaire et résistance culturelle régionales, Fêtes et chansons en Catalogne, L’Harmattan, Paris.
- PASTOUREAU Michel, 2007. L’ours, histoire d’un roi déchu, Seuil, Paris.
- VAN GENNEP Arnold, 1999. Le folklore français, du berceau à la tombe. Cycles de Carnaval-Carême et de Pâques, Robert Laffont, Paris.
Une bibliographie complète sera proposée sur le site internet dédié aux ressources documentaires.
Sources audiovisuelles
- CAILLET Antoine, 1938. Films amateurs sur les fêtes de l’Ours de Prats-de-Mollo-la- Preste et Arles-sur-Tech, archives privées.
- CHEGARAY Denis ; BREUGNOT Pascale, 1979. La fête de l’Ours, FR3, 55 minutes.
- LAJOUX Jean-Dominique, 1979. L’ours ou l’homme sauvage, CNRS, 16mm, 14 minutes.
- TRENET Charles, 1950. La chanson de l’ours
Personne(s) rencontrée(s)
- Sandrine Barsacq (Service jeunesse Communautés de Communes du Haut- Vallespir), organisatrice de la festa de l’Ós Petit
- Robert Bosch, organisateur de la fête de l’Ours d’Arles-sur-Tech de 1986 à 1991 et auteur d’articles et d’ouvrages sur les fêtes de l’Ours dans le Vallespir
- David Planas (agent d’assurance), Conseiller municipal, président de l’association L’Alegria, organisateur de la fête de l’Ours
- Claude Quesnay-Parramon (adjointe administrative du centre de la Baillie, Arles-sur-Tech), organisatrice de la festa de l’Ós Petit
- Sébastien Raya (agent EDF), Conseiller municipal, président du Comité d’animation / tourisme de la Mairie d’Arles-sur-Tech, organisateur de la fête de l’Ours
Localisation (région, département, municipalités)
Région Languedoc-Roussillon
Département des Pyrénées-Orientales
Municipalité d' Arles-sur-Tech
Dates et lieu(x) de l’enquête : De mai à septembre 2014, Arles-sur-Tech
Date de la fiche d’inventaire : 28 octobre 2014
Nom du rédacteur de la fiche : Pays Pyrénées-Méditerranée
Noms des enquêtrices : Christelle Nau, médiatrice du patrimoine / guide conférencière – Office du Tourisme de Prats-de-Mollo-La-Preste et Julie Schlumberger, médiatrice du patrimoine / guide conférencière – Pays d’Art et d’Histoire Transfrontalier Les Vallées Catalanes du Tech et du Ter
N° d'inventaire Ministère Culture : 2014_67717_INV_PCI_FRANCE_00349
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk26t
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
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