Les pratiques de sociabilité liées aux cercles en Provence

Le cercle présentait trois principales fonctions : politique, ludique et économique, et demeure un lieu de transmission de la culture orale, des légendes, des contes, des récits sur la rivalité entre villages... 

En Provence, le cercle prend ses racines dans plusieurs formes de sociabilité : les confréries de pénitents, les chambrettes, les loges maçonniques, les corporations de métiers, les sociétés de secours mutuels, le cercle bourgeois, les clubs révolutionnaires et les sociétés secrètes

Le cercle est une assemblée de personnes partageant des valeurs et/ou des loisirs communs qui se réunit pour discuter, jouer, manger ou boire un verre. En Provence, le cercle prend ses racines dans plusieurs formes de sociabilité : les confréries de pénitents, les chambrettes, les loges maçonniques, les corporations de métiers, les sociétés de secours mutuels, le cercle bourgeois, les clubs révolutionnaires et les sociétés secrètes. Le cercle présentait trois principales fonctions : politique, ludique et économique, et demeure un lieu de transmission de la culture orale, des légendes, des contes, des récits sur la rivalité entre villages... Présents par centaines en Provence jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les cercles se sont progressivement raréfiés pour devenir les témoins d’une vie communautaire caractéristique d’une sociabilité méridionale en pleine mutation, ils sont actuellement situés principalement en Basse Provence, c’est-à-dire dans les trois départements littoraux, Bouches-du Rhône, Var et Alpes-Maritimes. Aujourd’hui, les cercles sont régis par la loi de 1901 sur les associations sans but lucratif. Ils ont perdu à peu près leur dimension politique au profit d’une fonction ludique, réunissant divertissement et lien social. Loin de constituer un espace fermé, le cercle reste un espace privé, il peut cependant recevoir de nouveaux membres, c’est ainsi que la circonférence de l’association s’agrandit.

- Les associations régissant les cercles, avec leur conseil d’administration et leur bureau
- Les membres ou adhérents des cercles
Très souvent, pour les membres actuels, leurs pères et grands-pères faisaient déjà partie du cercle, ils avaient la carte du cercle ; eux, continuent.
- Les consommateurs extérieurs/journaliers. La fréquentation évolue en fonction des moments de la journée et de la semaine : café du matin, joueurs de cartes de l’après-midi (apéritif), mères de famille aux sorties des écoles ; le vendredi soir ou le samedi soir.
- Les associations connexes : ball trap, musique, yoga, etc. Il peut s’agir d’associations louant le local du cercle (salle à l’étage du cercle philharmonique de Saint-Maximin) ou pour un mariage comme c’est le cas à Marseille ; ou utilisant l’espace du café pour leurs animations (activité de club de lecture) ; ou d’associations ayant leur siège au cercle comme les bravadeurs de Saint-Tropez au cercle de l’Avenir de Barjols, l’association des amis de la Pastorale ou du chilet (synonyme d’appeaux ou appelants) au cercle Philarmonique de Saint-Maximin.
- Les personnes employées par le cercle, cela peut être un gérant, un ou plusieurs salariés aidés occasionnellement par des membres bénévoles lors des concours de boules, des fêtes diverses, que ce soit celle du cercle, la fête patronale, la Pastorale. Leur fonction est de tenir le comptoir, servir les membres, organiser les évènements ou d’y participer.  

Lieu(x) de la pratique en France

De la rive gauche du Rhône à la frontière italienne, soit l’aire historique de la Provence où l’on observe une forte densité.

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

On trouve des cercles de chasseurs dans les Landes. En Alsace il y a des cercles, mais souvent catholiques.
Enfin, cette sociabilité se prolonge chez nos voisins italiens jusque dans les Pouilles, en Sicile, et en Sardaigne. Pour la Sicile, les circoli que l’on retrouve dans les romans de Leonardo Sciascia et d’Edmonde Charles Roux.

Les cercles sont des assemblées de personnes constituées en associations qui se réunissent de façon régulière ou irrégulière, dans un local prenant la forme d’un café-bar. Les membres pratiquent des activités ludiques, festives ou sociales.

Le cercle occupe une place centrale dans la commune, face à la mairie, sur une place, près d’une fontaine, sur le cours, à l’ombre des platanes cela permet de recevoir les membres sur une terrasse en été.

Un gérant, ou une gérante, parfois logé dans le cercle s’occupe de son ouverture et de sa fermeture. Il ou elle filtre les clients parmi lesquels il peut y avoir des personnes non inscrites, mais accompagnées ou invitées. Il doit également s’intéresser à la gestion des boissons, à la propreté du local et à sa décoration. Les obligations du gérant(e) sont toutefois précisées dans le règlement intérieur de l’établissement.

La clientèle du cercle varie dans la journée, au cours de la semaine et de l’année. Certains cercles peuvent proposer des repas à leurs membres, c’est le cas pour les cercles en milieu urbain (Marseille). C’est principalement vers midi et le soir que les clients sont les plus nombreux, le vendredi et le samedi soir en semaine, dans l’année, plutôt l’été et l’hiver. En effet, l’été les membres et une clientèle de passage peuvent profiter d’une terrasse ombragée et l’hiver d’une salle chauffée. Il faut ajouter que souvent, en milieu rural, ce lieu est un des rares endroits de consommation possibles dans le village. Globalement, il existe des moments de consommation et de convivialité s’organisant autour de deux temporalités, l’une quotidienne et l’autre évènementielle, davantage festive. Au quotidien, les membres se rencontrent pour consommer des boissons et pratiquent des activités ludiques au cours de la journée. Il existe parmi les membres des « équipes », ce terme étant sans cesse employé par les membres des cercles. Par exemple, à Saint-Maximin, les membres du bureau constatent l’existence d’une équipe du matin venant consommer le café et d’une équipe de l’après-midi venant prendre l’apéritif et jouer aux cartes.  

Plusieurs modes de gouvernance sont possibles dans le cercle : l’animation par un gérant auquel l’association délègue la gestion financière et quotidienne du cercle, ou bien l’animation par l’association embauchant des salariés, ou encore l’animation assurée par des membres bénévoles.

Il faut considérer la pratique du cercle comme étant liée à un phénomène de sociabilité qui s’apparente à une habitude, celle du jeu de cartes, de boules, des banquets, d’une castagnade, c’est-à-dire une dégustation de châtaignes rôties, bref, celle d’une association où les membres se connaissent depuis l’enfance et qui aiment à se retrouver dans un « forum intérieur ».

Bien qu’historiquement la fréquentation du cercle soit strictement limitée aux membres possédant la carte et renouvelant annuellement leur adhésion, les cercles ont connu à partir des années 1980, une ouverture au public qui leur a permis parfois de perdurer financièrement jusqu’à nos jours (travaux, frais fixes, charges salariales). Certains cercles ont fait évoluer les modalités d’adhésion avec une carte à prix réduit, accessibles à tous, et une nuance entre les membres fondateurs, les membres réguliers et les consommateurs de passage qui bénéficient d’une carte journalière. Au sein des membres, certains établissements proposent un statut honorifique de « membre fondateur » pour différencier les personnalités les plus impliquées dans la gestion associative.

La règle générale concernant les consommations est leurs prix modiques plus bas que dans les cafés. Le cercle est détenteur d’une licence IV dite administrative qui permet de servir des boissons aux membres.

Pour ce qui est des évènements festifs, ils sont souvent liés au village tout entier comme pour la fête patronale et ils prennent part à des festivités plus larges dont ils sont l’épicentre. Il peut s’agir de fêtes propres aux cercles (l’aïoli aux cercles de Martigues, la fête du 24 février à Correns, la Saint-Sébastien au cercle Saint-Roch de Rougiers, la fête des vendanges le 3e week-end d’octobre à Saint-Jeannet) ou de concours sportifs et ludiques (boules et cartes), de banquets, de commémoration de la fondation du cercle, voire de fêtes politico-historiques, de fêtes traditionnelles avec la participation de chars (St-Eloi à Auriol), musicales (concert) ou théâtrales avec la Pastorale à Saint-Maximin ou à Auriol.

Langue(s) utilisée(s) dans la pratique

Français, le provençal est pratiqué occasionnellement ainsi que des termes vernaculaires (français régional).

Nom

En français

Les pratiques de sociabilité liées aux cercles en Provence

En langue régionale

Lou cerclé, la chambreto (ainsi dénommé à La Sagne – Briançonnet, 06)

Patrimoine bâti

Les cercles s’installent en majorité dans des endroits visibles et fréquentés là où se joue la sociabilité villageoise : cours, place, rues principales, entrées de village. Il y a dans ce choix topographique comme une sorte de décor qui s’installe de façon théâtrale. Pour ce qui est du local, il peut faire l’objet d’un bail ou être acheté par un membre comme à Rougiers pour le cercle St-Roch, où le président du cercle a acheté le local en 1934 ; la souscription était aussi une solution pour se rendre propriétaire des murs (cercle philharmonique de Saint-Maximin ou de Rougiers avec le cercle de La Jeune France). Seuls deux cercles ont, sur le territoire administratif Provence Verte Verdon, été construits pour être des cercles : à Pontevès et à Fox Amphoux. Un cercle peut être mis à la disposition des membres par la coopérative ou la mairie. La salle où se réunissent les membres est généralement située au rez-de-chaussée, mais elle pouvait par le passé se situer au premier étage afin de surveiller les passages des gendarmes. La salle du rez-de-chaussée se double d’une terrasse à la belle saison, ce qui contribue à un effacement des limites entre espace privé et espace public. Avant leur modernisation, les intérieurs s’organisaient autour d’un poêle central. Les bâtiments comprenaient souvent une autre pièce aménagée destinée à être prêtée aux syndicats agricoles comme à Pontevès et à Tourves ou aux sociétés de chasse comme à Saint-Maximin. Ce genre de pièces se situe à l’arrière de l’immeuble ou au premier étage. Certains cercles possèdent un logement pour le gérant, c’est le cas à Saint-Maximin, à Rougiers et à Pontevès. Le cercle présente souvent à l’extérieur une hampe près de la porte d’entrée qui sert à hisser le drapeau le 14 juillet ou lors des fêtes patronales, enfin pour le décès d’un membre on le met en berne. Il peut exister, comme ce fut le cas il y a peu à Saint

Zacharie au cercle du 21 septembre, une pièce dévolue à la lecture où se trouvait une bibliothèque bien fournie. Il en était de même au cercle de l’Harmonie d’Aubagne ou à celui d’Arles. Des cours d’alphabétisation étaient également donnés dans ce lieu.

Objets, outils, matériaux supports

Le décor des cercles est le reflet de l’identité de l’institution. Cependant, le mobilier du cercle se compose d’objets fonctionnels qu’on peut retrouver dans tout café : chaises, tables en marbre, perroquets, miroirs, bar, étagères…

Néanmoins on relève aussi des objets relatifs au fonctionnement du cercle : bannières, drapeaux, règlements… D’autres objets sont présents de manière récurrente comme quelques livres, des journaux, des revues auxquelles le cercle est abonné ou encore les archives de l’association. Des jeux sont à la disposition des membres. La présence du drapeau tricolore est régulière.

Le décor se compose en grande partie d’objets récupérés ou offerts, d’affiches, de photographies, de reproduction de tableaux, ou de portraits. L’ingéniosité est de mise et il n’est pas rare que les membres apportent leur contribution selon leur compétence. C’est habituellement le cas pour le tableau présentant les noms des membres : la liste est évolutive et les noms sont inscrits sur des étiquettes amovibles maintenues par des systèmes d’accroches (Nans-les-Pins) ou de cordelettes cousues (Barjols). Les objets sont ainsi souvent réalisés au sein du groupe et traduisent une participation intime de chacun dans ce décor si modeste soit-il.

Les peintures qui ornent le local sont fréquemment réalisées par des membres du cercle ou leurs amis, en témoignent certaines perspectives ou proportions parfois approximatives. Le cercle Saint-Roch à Rougiers conserve ainsi trois œuvres signées Marius Levens, deux peintures à l’huile et un dessin à l’encre daté de 1866. Ce dernier dédie ses œuvres à ses amis et au « bien aimé cercle ». Un tour d’horizon des objets du cercle indique qu’il y a peu de dépenses inconsidérées. Dans ce contexte, l’acquisition par plusieurs cercles à la fin du XIXe siècle de bustes de Marianne d’assez belle facture semble significative de l’importance accordée à ce symbole républicain. Les cercles à tendance républicaine radicale exposent régulièrement des bustes ou des portraits d’hommes politiques. La Jeune France à Rougiers possède notamment un buste de Jean Jaurès réalisé par Gabriel Pech, offert en 1932 par le biais de quêtes organisées à l’occasion de deux bals masqués pour la jeunesse républicaine. Au cercle Saint-Roch de la même commune, les membres ont choisi un tableau représentant leur saint patron. Ce cercle possède également plusieurs portraits militaires : un officier du 4e régiment de Hussards en 1806 (reproduction extraite du supplément au numéro du 1er décembre 1906 de l’Illustration), du général Joffre, et un soldat (reproduction d’un portrait de soldat peint par Georges Scott, peintre aux Armées, en 1915). Ces portraits sont l’indice possible d’une sensibilité catholique et bonapartiste, pour le moins d’un attachement aux valeurs militaires. Ils ont néanmoins été acquis dans un contexte nationaliste et patriotique qui domine les imaginaires politiques d’avant 1914 et durant le conflit.

La personnalité du cercle s’exprime au travers de l’iconographie des œuvres présentées. Toujours au cercle Saint-Roch, on trouve une reproduction du tableau de Théophile Duverger, Le laboureur et ses enfants, qui témoigne par l’évocation de la fable de La Fontaine de l’importance des valeurs du travail. Les activités et centres d’intérêt qui forment l’unité du groupe sont également présents dans l’iconographie comme des tableaux à propos de parties de pétanque, ou de cartes, la chasse, le sport. À l’instar d’une maison, et d’une famille, le local du cercle conserve le souvenir des anciens. Plusieurs établissements sont décorés avec des photographies ou des tableaux représentant les membres à différentes périodes, devant le cercle lors d’une partie de pétanque, de chasse ou de cartes. Autre trait commun avec le foyer, des trophées remportés collectivement ou individuellement sont exposés fièrement dans la pièce ; les coupes sportives, trophées de chasse ou encore médailles de concours musical prennent place sur des étagères, ou derrière le comptoir. Ainsi, la « maison des hommes » est décorée tel un foyer, sur les murs duquel sont exposés photographies et souvenirs des membres d’une famille.

Le buste de Marianne varie d’un cercle à l’autre, parfois blanc, doré, ou tricolore, il orne le cercle toujours en hauteur, il faut dire qu’on ne compte plus les bustes dérobés… Mis à part les cercles à tonalité catholique, on rencontre Marianne à peu près partout.

Au cercle catholique d’Auriol un tableau représentant Saint-Joseph est placé en hauteur sur un mur, sous celui-ci on peut lire la liste des membres tombés au champ d’honneur en 14-18 ; un drapeau tricolore se trouve à proximité, protégé dans une petite armoire vitrée, sur ce drapeau est cousu le nom du cercle en fil doré. Au cercle du Progrès de Saint-Jeannet, un mur est dédié à l’affichage de la liste des membres tombés au champ d’honneur durant les deux Guerres mondiales. Le cercle possède aussi son drapeau qui est sorti lors des défilés, des commémorations et des autres fêtes traditionnelles importantes. On y retrouve le blason du cercle du Progrès avec Saint Jean-Baptiste, ainsi que des tableaux représentant le village de Saint-Jeannet, ou encore des photographies des équipes de football composées de membres du cercle. À Carro, la salle du cercle Saint-Pierre possède une marine montrant un voilier pris dans une tempête, c’est sans doute le navire La Russie qui fit naufrage près de Carro. Les hommes du village participèrent au sauvetage de tous les naufragés. Un autre tableau montre un plat constitué d’un poisson et de coquillages. Une partie de pétanque avec en arrière-plan le pont transbordeur de Marseille orne le dessus d’une porte, en face c’est encore une partie de pétanque qui surmonte une porte. Marianne a disparu au grand regret des membres alors qu’une Fanny (statuette représentant une femme montrant son postérieur et que le perdant doit aller embrasser) a pu être préservée. Des membres du cercle de Carro ont réalisé un musée au premier étage de l’établissement ; on y trouve tout l’outillage des pêcheurs d’aujourd’hui et d’autrefois. Ce lieu présente des points communs avec la « cabane » actuelle des pêcheurs, c’est ainsi qu’on désigne la remise du pêcheur où il répare ses filets et prépare la prochaine sortie.

Beaucoup de photos de véritables pêches miraculeuses à la seiche ornent ce musée mais on y voit aussi une croix de Saint-André qui servait à pêcher le corail, des nasses, des poteries et des ancres romaines, des moules amandes, différentes sortes de filets sont montrés comme le gangui ou le sardinau. Le peuple des bergers et des carriers n’est pas oublié puisqu’ils furent nombreux dans ce quartier. Pour ce qui est du cercle de Saint-Zacharie, il expose de nombreux documents didactiques sur des panneaux dans divers emplacements de la salle : photos de statut, de règlement, d’articles valorisant des émissions télévisées sur les cercles, photographies des anciens fours de la commune puisque la commune était célèbre pour sa production de céramique. Par exemple, lors de la fête du 14 juillet, des drapeaux tricolores peuvent orner la salle. Le versant didactique du cercle aujourd’hui nous met sur la piste d’une perception du cercle en tant que lieu de mémoire, il ne s’agit pas de muséifier l’institution, mais de se rappeler et de rappeler aux citoyens l’identité du cercle qui n’est absolument pas un bar.

Au sein du décor de la salle, il existe une tentation de s’auto-représenter par le moyen de fresques comme c’est le cas à Château-Gombert (Marseille) à Plan de Cuques et à La Treille, dans ces peintures, ce sont des personnages du village que l’on retrouve, un peu à la façon d’une « santonisation » des membres. Ces détails renforcent la perception du décor du cercle et du cercle lui-même en tant que scène de théâtre.

Tout d’abord, la famille semble le berceau déterminant de l’apprentissage et de la transmission ; les générations se succèdent au cercle, accompagnées de récits divers. Le fait est observable dans la liste des membres comme dans les archives. C’est par la cellule familiale que l’identité se forge : l’inscription au cercle est au même titre que la carte de la société de chasse, un élément incontournable auquel il faut adhérer.

L’autre principal mode de transmission des pratiques de sociabilité liées aux cercles reste cependant l’adhésion à l’association : elle est matérialisée par une carte de membre. Le renouvellement des membres se fait par l’adhésion annuelle permettant aux membres d’actualiser leur carte, elle permet de consommer des boissons et de fréquenter le cercle. La carte est aussi ce qu’il reste du rituel de passage qui était historiquement en vigueur lors de l’entrée d’un nouveau membre au cercle : l’acquisition se fait toujours à dix-huit ans mais aujourd’hui, la présence de parrains n’est plus exigée, ni l’affichage sur les murs du cercle pendant quinze jours. Cette pratique paraît avoir disparu il y a une vingtaine d’années. Cependant, la carte peut dans certains cas donner lieu à une réciprocité entre cercles d’une microrégion (accès à plusieurs cercles), elle peut parfois se transmettre, néanmoins certains cercles différencient la notion de membre (actifs, fondateurs, etc.) et celle d’adhérent (consommateurs de passage avec paiement différencié). Le renouvellement des membres se fait selon deux modalités : au sein des membres fréquentant le cercle au quotidien, intégrant ou non de nouveaux membres, et au sein de l’association du cercle, conseil d’administration et bureau. Ces renouvellements sont formalisés d’une part par l’existence d’une cotisation et d’autre part par les formalités régissant les associations en France. Les membres bénéficient de certains honneurs : ainsi lorsqu’un membre décède, on met le drapeau en berne ou on offre une couronne de fleurs. Le statut de membre est bien sûr affiché. Le sentiment d’appartenance au cercle est un autre facteur de transmission important. Par exemple, à Rougiers, les associations des cercles, bien que n’ayant désormais qu’un rôle de bailleur, sont maintenues par les membres au nom d’une mémoire commune, de souvenirs partagés, d’un attachement puisant ses racines dans l’enfance. Elle permet à certains habitants qui se sont installés ailleurs de garder une sociabilité dans leur village d’origine, le cercle étant décrit comme un second foyer.

Le cercle peut être un moyen d’intégration des nouveaux venus quelle que soit la taille de la commune : « Honneur aux étrangers » assène-t-on au cercle de Fox-Amphoux lorsqu’un visiteur vient jouer quelques parties de cartes. Dans d’autres cercles où le rituel de la carte est moins marqué, l’entrée comme membre ne se fait pas par cooptation mais en fonction du jeu des sociabilités, du bouche-à-oreille et aussi de l’aspect attractif du local du cercle (treille à Barjols, terrasse couverte d’une verrière à Saint-Maximin, façade rénovée à La Jeune France de Rougiers). La modernisation des locaux est donc un facteur important d’inclusion de nouveaux membres. En cela le local est un facteur bien sûr majeur de la sociabilité. Ajoutons que les tarifs modiques des consommations, attirent les nouveaux membres, ce fait est d’ailleurs une trace de l’esprit « social » des anciens. S’ajoutent à ces remarques le dynamisme des membres et l’importance ainsi que la fréquence des évènements organisés par l’association. L’animation du cercle fidélise les membres, la présence de notables locaux dans le cercle y concourt aussi. La patrimonialisation de certaines pratiques permet de maintenir une mémoire commune et de favoriser la transmission de ce patrimoine commun. Bien qu’il ne s’agisse là que d’une mémoire « indirecte » elle a le mérite de transmettre aux nouveaux membres l’histoire et les valeurs de l’institution. Plusieurs cercles ont conservé leurs archives et leurs anciens statuts, même s’ils sont obsolètes (femmes proscrites, entraide en cas de maladie…), ils les actualisent au fil du temps.

En outre, les institutions publiques ou patrimoniales peuvent être un vecteur de transmission et de valorisation, tel le Pays d’art et d’Histoire Provence Verte Verdon (Syndicat Mixte Provence Verte Verdon) qui a publié un ouvrage sur les cercles et qui a été à l’origine d’un film documentaire sur leur histoire.  

L’identité historique du cercle se présente comme un garant fort de sa pérennité, car elle permet en dernier recours de maintenir l’association sur la base de souvenirs communs et d’un attachement identitaire et mémoriel au cercle.

Pareillement comme on l’a suggéré, les temps forts du cercle tels que les fêtes annuelles, parfois le titre du cercle lui-même, la transmission intergénérationnelle et familiale contribue à l’enracinement de l’institution.

Sont impliquées dans la transmission de la pratique de cette sociabilité, les membres du conseil d’administration, le bureau du cercle, mais aussi les adhérents ou les membres qui forment un réseau d’interconnaissances fréquentant le cercle, y consommant et participant aux fêtes et aux jeux. De même les gérants qui animent et servent les boissons, les associations annexes qui gravitent autour ou qui y sont hébergées, ces dernières parfois liées à des fêtes locales dans lesquelles le cercle est impliqué : Pastorale et Musique des Amis Réunis à Auriol, Pastorale à Saint-Maximin, bravadeurs à la Saint-Marcel de Barjols. La survivance d’une musique à Auriol est à souligner, la majorité des fanfares, harmonie ou philharmonie ont disparu, mis à part un cercle musical à Marignane. Fondée par l’abbé Fouque en 1880, la musique d’Auriol est notable puisqu’elle intervient lors des messes, à la façon des confréries de Pénitents et à l’extérieur pour donner des concerts. De plus, elle appartient à la Confédération Musicale de France et des Bouches-du-Rhône ; elle s’associe aux musiques municipales de La Ciotat et d’Aubagne pour donner des concerts importants. Notons que les musiciens d’Aubagne se réunissent pour leurs répétitions dans l’église des Pénitents noirs de cette même ville, or cette pratique est très ancienne.

Confréries et chambrées

La sociabilité méridionale de l’Ancien Régime était dominée par le clergé et la population était très imprégnée par une christianisation certaine.

En remontant loin dans le temps, c’est-à-dire selon les documents d’archives, à Marseille notamment, la confrérie du Saint-Esprit crée en 1188 l’assemblée souveraine de la ville. Fondée en 1212, elle constitue une association de secours mutuels ayant pour but de constituer l’ébauche d’une République indépendante.

Au XVIe siècle, le concile de Trente décide de rechristianiser le pays du fait du danger que représentent les Protestants. Il y a eu à ce moment-là une forte création de confréries. Déjà à Aubagne, par exemple, les Pénitents se réunissaient dans une pièce attenante à l’église qui était appelée « chambro » : ils y apprenaient le solfège et pratiquaient la musique. C’est alors que nombre de confréries ont été créées. Cependant, les confréries existaient déjà auparavant : à Vence par exemple, dans l’ancien Var, il existait la Confrérie du Saint-Esprit qui est à l’origine de la constitution de la communauté d’habitants en conseil communautaire (après la Révolution, en conseil municipal), et donc de la notion de commune. Les confréries étaient des congrégations réunissant des laïcs, qui devenaient ainsi des frères. Elles étaient régies par des principes spirituels ou moraux issus du christianisme : solidarité, entraide, équité, charité. Elles se réunissaient pour échanger sur les intérêts des habitants et régissaient par exemple les Monts « granatique » ou Mont de Piété. À Vence, la confrérie du Saint-Esprit produisait du vin, avait un grenier et établissait ses réunions dans la chapelle. Le cercle, qui apparaît après la Révolution dans un contexte de déchristianisation, possède des similitudes avec la confrérie dans laquelle il puise ses origines et certains principes. Il remplit une fonction politique, économique (coopération) et sociale. La dimension fraternelle et d’entraide se lit dans les statuts de tous les cercles. Un tronc était présent dans certains d’entre eux, afin de venir en aide aux familles dans le besoin. On saisit donc clairement la filiation existant depuis l’association jusqu’à sa dimension politique.

Il est clair qu’en dépit de la déchristianisation de la Provence, on a continué à désigner un lieu de réunion par le terme de chambro ou de chambreto, chambrées en français. Ces associations étaient très nombreuses : à Auriol il en existait une douzaine, elles prenaient place dans un local très rustique, une remise, une grange, imaginons un garage aujourd’hui, chacun y apportait sa chaise, sa bûche pour le chauffage, sa bouteille avec son nom, les membres s’arrangeaient pour trouver une table et voilà notre sociabilité en place avec un membre responsable du lieu qui tournait chaque semaine un peu de façon scolaire, on l’appelait lou semanié. Les jeux de cartes animaient bien sûr les veillées.

Des chambrettes aux cercles (XIXe-XXIe siècle)

En 1851, Napoléon III renverse la République, instaure l’Empire et décide de faire la chasse aux chambrettes jugées républicaines et dangereuses pour l’ordre public : elles organisent des charivaris, des carnavals et on décide de les supprimer. Les archives de cercle comme celle du cercle de l’Avenir de Correns attestent de l’existence de ces sociétés qui vont devenir des sociétés secrètes, un peu comme les « carbonari », c’est le cas de la chambrée « La Lumière », à Correns. Vers les années 1880, elles perdurent encore notamment au Tholonet, à côté d’Aix-en-Provence (Cézanne s’y rendait quand il allait peindre Sainte-Victoire), ou encore à Barjols où des membres du cercle, anciens tanneurs, s’exprimaient à la chambrette « La Sacca ». La série 4M des archives départementales des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes fourmillent de documents sur ces fameuses chambrettes.
Les cercles tels qu’ils sont aujourd’hui ont été créés majoritairement dans les années 1880, sous la Troisième République, ils étaient très souvent le siège d’un parti politique, par exemple les cercles dits « de l’Union » sont en fait de l’Union Républicaine. Après un siècle marqué par une certaine censure associative, la liberté d’association s’est exprimée et elle se traduira par la loi de 1901 sur les associations sans but lucratif. Cependant le terme même de « cercle » est français, or nous sommes en Provence où l’on s’exprimait dans un dialecte d’Oc, disons pour certains en provençal. La majorité des personnes employaient cette langue dans le quotidien et très peu le français.

L’originalité de la présence des cercles encore aujourd’hui en Provence tient au fait qu’il existait dans toutes ses communes des associations informelles nommées « les chambrettes », lei chambreto, les chambrées en français. Rappelons que la Troisième République n’a eu de cesse de chasser ce qu’on appelait les patois. Certes, dans des villes comme Marseille, des cercles avaient été fondés, mais ils étaient fréquentés par des bourgeois. Si les Républicains s’organisent avec leurs cercles, les Blancs établissent aussi des réseaux. C’est le cas d’Albert de Mun qui crée en 1870 les cercles catholiques d’ouvriers. Il en existe encore trois dans les Bouches-du-Rhône. L’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, a entamé sa carrière politique au cercle de Mazargues : c’était un cercle catholique d’ouvriers.

Au XXᵉ siècle, et jusqu’à la guerre de 14-18, les cercles participent activement à la vie politique locale en organisant les élections municipales, le cercle devenant l’antichambre de la mairie. Dans l’entre-deux-guerres, la vitalité des cercles perdure, mais elle tend à fléchir dans les années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale. Certes, les cercles participent avec le Parti Radical et les Républicains au Front Populaire. Pendant l’occupation certains d’entre eux sont fermés, la vie politique est brouillée et après-guerre, dans les années 1950, un certain fléchissement des cercles est observé. Aujourd’hui, quelques-uns subsistent, mais ils semblent qu’une évolution de leurs vocations premières se dessine.

Parmi ces métamorphoses de la sociabilité en Provence, depuis les confréries qui accompagnent un pays christianisé au glissement progressif vers la déchristianisation dont les chambrettes témoignent, et en arrivant aux cercles qui nous entourent, il reste des traces ici et là de cette sociabilité ancienne. Les cercles autour de Nice produisent leur vin à la façon des confréries, le cercle de Saint-Julien des Martigues s’appelle le cercle Saint-Esprit et dans l’arrière-pays grassois l’usage du mot « chambreto » désigne le cercle. Parallèlement, l’usage de l’écrit accompagne les règlements des confréries et des cercles, et il formalise les faits, cela peut-être, en écho à la romanité, à son droit, et à la dimension du rituel. Par ailleurs, il est évident que l’absence d’une dimension écrite dans un groupe favorise un expressionnisme informel.  

Les grandes évolutions de la sociabilité s’effectuent parallèlement à celles de la société. Par exemple, l’avènement des cercles à la fin du XIXe siècle marque le retour d’un esprit républicain au village, cent ans après la Révolution française. Cependant, il semble qu’une érosion des valeurs de naguère apparaisse aujourd’hui, qu’elles soient démocratiques et républicaines, avec un effacement lent mais continu des cercles dans le paysage provençal. Dans le même temps, il y a un effondrement de la pratique religieuse. Les cercles tendent à devenir des espaces publics de consommation, à vocation essentiellement ludique.

Disparition

Un certain nombre de faits sont à relever et qui marquent une évolution de la pratique dans le cercle avec des abandons d’usages. La dé-ritualisation est une autre évolution notable. Elle se remarque avec l’effacement progressif du rituel classique d’entrée dans le cercle qui était marqué il y a peu, par l’affichage du nom du nouveau venu dans le local pendant un certain temps, l’attribution de parrains et enfin la délivrance d’une carte et le paiement de la cotisation. Ce rite de passage semble évident dans sa symbolique même, mais pour diverses raisons, souvent économiques, il est plus ou moins abandonné. De plus, si le cercle se dirige vers une disparition du rituel de la carte, il tend à se confondre avec un bar et à diluer l’espace privé et l’espace public.

Les bibliothèques de cercle comme c’était le cas à Saint-Zacharie, à Aubagne ou à Arles, disparaissent du fait de la création de bibliothèques municipales qui n’existaient pas par le passé.

Il est à remarquer qu’une autre pratique s’est perdue : celle de l’usage dans le cercle d’une véritable monnaie qui se concrétisait par des sortes de petits carrés de laiton portant les initiales du membre et avec laquelle il pouvait payer ses consommations, chaque « jeton » ayant une valeur propre. L’usage de cette monnaie alternative propre au cercle s’est perdue dans les années 1950.

La présence de la télévision n’est pas du goût de l’ensemble des membres, elle est comme un « ver dans le fruit ». Selon certains, elle apporterait une division générationnelle. Effectivement, pour les joueurs de cartes, on ne peut pas dire qu’elle favorise la concentration. Là encore, elle présente un peu le cercle comme un bar. Le débat est ouvert.

Naguère l’esprit de solidarité engageait les membres vers la création de mutuelles, de secours destinés à la veuve et à l’orphelin selon l’expression consacrée. Pareillement, des secours destinés à la famille du défunt étaient mis en place. Autre détail, on remarquait voilà une trentaine d’années un tronc sur le bar de certains cercles, qui se nommait « le sou du pauvre » cela a disparu. Bien sûr, l’État subvient à divers besoins, mais la disparition de cet usage est à souligner. Pareillement, l’esprit de solidarité qui s’exprimait avec les coopératives vinicoles et oléicoles perdure, mais le titre même de coopérative s’efface progressivement avec l’usage de ceux plus neutres et plus lisses de « cave » ou de « cellier », voire « caveau ».

En outre, un décalage existe entre l’identité historique des cercles et l’état d’esprit des membres qui les fréquentent aujourd’hui, qui considèrent souvent l’institution comme un bar. La dimension politique de l’association s’efface progressivement depuis les années 1980-1990 semble-t-il : la société a considérablement évolué. On dirait même que l’intérêt que revêtait il y a peu la politique se soit dissipé dans l’ensemble du paysage français. Cette tendance s’inscrit dans un mouvement plus global comme en témoigne l’augmentation de l’abstention aux élections. Là encore, la politique en tant que référence de l’institution n’est plus, seuls certains symboles demeurent. Cette érosion politico-historique paraît imputable à une amnésie identitaire provoquée par une transmission parfois incertaine. Cela constitue un changement notable pour le cercle, cette évolution s’est effectuée au cours de ces dernières années et, pourrait-on dire, au profit d’une autre activité nettement ludique.

Il est clair que ce qui avait trait à la mémoire orale renvoie aujourd’hui à l’Histoire et les titres des cercles sont parfois limpides : cercle du 21 septembre (Convention), du 24 février (proclamation de la Seconde République). Il y a là une évolution dans la perception d’un enquêteur d’aujourd’hui : il y a trente ans encore les membres s’exprimaient à partir d’un vécu du cercle avec ses combats : la mémoire de trente-six, les rivalités entre les Rouges et les Blancs, la Résistance, la dernière guerre…

Aujourd’hui avec les nouvelles générations, tout cela s’efface peu à peu et les cercles ont créé des sites Internet qui documentent leur histoire. Au cours de l’enquête orale, les enquêtés font par exemple référence au site du cercle pour certaines questions ayant trait à l’histoire orale. Le site internet représente à la fois une innovation, qui permet à l’internaute d’accéder rapidement aux activités et à la « définition » de l’association, et une mutation des vecteurs de la mémoire du cercle, qui d’orale, devient écrite. La patrimonialisation de la mémoire du cercle supplante aujourd’hui largement la mémoire « vive » des membres qui s’exprimait dans un véritable discours historique. La dimension du « vécu » historique liée à la résistance, aux grèves, aux mouvements sociaux divers n’est plus directe, mais elle est rapportée et indirecte. La mémoire a « muté », le témoin a disparu, mais sa mémoire a été conservée. La transmission de l’histoire orale est devenue délicate, mais sa numérisation lui permet de survivre. L’outil informatique a délégué la mémoire sans la reléguer. Mais la création de musées, comme c’est le cas à Carro au premier étage du cercle, permet de fournir aux curieux un complément d’instruction quant aux modes de pêches des anciens. Ailleurs, comme à Saint-Zacharie, des expositions de photographies anciennes et d’articles de journaux ponctuent le local du cercle aux ornements confectionnés par les anciens céramistes de la commune spécialisée dans cette industrie. Un versant didactique du cercle semble émerger, ce qui ne fait pas de cette démarche une muséification de l’institution, mais une redynamisation de la curiosité de chacun.

La sociabilité locale est également l’objet, indirectement, de la mutation des communes d’une façon générale. La création de diverses zones d’emploi en périphérie a modifié le genre de vie. Cela a contribué à un remodelage de l’espace, et donc à une multiplication des déplacements et par voie de conséquence a réduit les possibilités de se réunir. Le centre de gravité des communes s’est déplacé. Ces micros délocalisations influent grandement quant à l’homogénéité du tissu humain. Une des conséquences est générationnelle : beaucoup de membres sont aujourd’hui des retraités même si certains jeunes fréquentent le cercle.

Renouveau

Rappelons qu’il y a peu, les femmes n’étaient pas admises dans le cercle. Cela était encore perceptible dans les années 1990, mais les femmes avaient leur place à la cuisine d’abord, puis à la table du banquet. Dans le contexte actuel d’évolution des mœurs, on remarque une présence de plus en plus prépondérante des femmes dans le cercle. Elles sont présidentes de cercle par exemple, ce qui était impensable lors des enquêtes des années 1980-1990. Ainsi, à Saint-Zacharie, à Aubagne, à Gémenos, à Saint-Savournin, à Rougiers (cercle Saint-Roch), et autrefois à Correns, les présidentes sont des femmes et elles sont aujourd’hui détentrices de la mémoire du cercle. Comme on peut le noter dans les discours, elles ont véritablement « hérité » du cercle. Dans certains cas, ce sont les femmes qui par leur présence sauvent les cercles d’un naufrage possible. Il est clair par ailleurs que dans la société globale les femmes occupent une place importante, par exemple, dans les manifestations que la France a connues ces derniers temps : « gilets jaunes » ou « convoi de la liberté ». S’agit-il du signe d’une certaine solitude que le cercle peut atténuer ? Ce n’est pas un hasard si le cercle est parfois qualifié de « seconde maison ». Le cercle est le miroir de notre société.

Le modèle économique du bar basé sur la rentabilité n’a historiquement pas lieu d’être dans un cercle : le cercle applique la loi de 1901 sur les associations, sans but lucratif. Sans doute la gestion d’un cercle n’est-elle plus aussi aisée qu’auparavant, mais le trésorier a fort à faire avec les services du fisc qui contrôlent les applications et la légitimation administrative de la licence IV justifiée par une archive, les actes de propriété du local, ainsi que les fréquentations du cercle : présence de la carte chez les membres, appartenance au cercle, absence de jeux d’argent… Bref, le gérant et le conseil d’administration doivent posséder aujourd’hui quelques notions basiques de droit et de gestion comme tout gérant d’un établissement tel que le bar. De même, pour perdurer économiquement, le cercle est souvent contraint d’adopter le modèle économique de ce type d’établissement.

Enfin, la pandémie liée au Covid-19 a contraint les gérants à la fermeture, certes provisoire, mais la sociabilité s’est trouvée remise en question et la fréquentation a globalement diminué.  

Quelques faits principaux sont à retenir : la place des femmes dans le cercle actuellement, la dépolitisation progressive de l’institution, la « nouvelle mémoire » via les sites des cercles. Après la disparition de sa dimension politique, le cercle adapte à ce jour ses activités comme il le fit naguère, et prend une direction en adéquation avec la société, organise par exemple des expositions de peinture, des cours de yoga ou des clubs de lecture dans la salle du cercle, voire se métamorphose, ou concilie sa vocation originelle avec la création de bistrots de pays.

Vitalité

Dans le territoire administratif de la Provence Verte Verdon, les cercles disparaissent progressivement, d’une dizaine encore ouverts lors de l’enquête d’inventaire du patrimoine républicain menée par le Pays d’art et d’histoire en 2016, il n’en reste plus que cinq ouverts. Parmi ces cinq cercles, deux sont en gérance libre et sont devenus de simples bars-cafés-restaurants. On peut donc considérer que seuls trois cercles perdurent sur ce territoire (Saint-Maximin, Barjols et Fox-Amphoux). En plus de cela, il faut ajouter deux cercles dont l’association est active, mais sans local : à Pontevès (local en attente de travaux de mise en conformité) et à Correns.

Dans les Bouches-du-Rhône la situation est moins préoccupante : les cercles sont relativement actifs même si certains montrent des signes de faiblesse. Les zones présentant le plus grand nombre de cercles sont celles de Martigues et de Marseille, ainsi que celle de Gardanne-Aubagne. Dans les Alpes-Maritimes, ils sont présents autour de Grasse et de Contes. Le Vaucluse présente peu de cercles, ainsi que les Alpes-de-Haute-Provence.

La vitalité d’un cercle se mesure à l’implication de ses membres et de l’association qui le régit et/ou le gérant qui l’anime. Les évènements festifs et ludiques ponctuent l’année et marquent des temps forts de la sociabilité liée aux cercles. Le fait que le cercle accueille et rassemble d’autres associations qui utilisent ses locaux ou y siègent est un garant de vitalité. On peut voir aussi cette vitalité en miroir de celle de la commune où est situé le cercle : le cercle a un rôle de dynamisation des centres-villes et de pérennisation du lien social. A contrario, dans les villes plus peuplées, ils captent une partie des activités annexes qui s’y organisent. La carte de membre apparaît parfois comme un moyen de pérenniser le cercle par l’adhésion financière des membres et par le fait qu’il s’agit d’un vecteur de transmission. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’un frein, car elle dissuade les nouveaux consommateurs de venir au cercle puisqu’ils ne bénéficient pas de tarif préférentiel ou ne peuvent pas consommer. Le nombre de membres et son évolution permettent de juger de la vitalité de l’association. Les liens entre la mairie et le cercle sont quelques fois très étroits, cela varie. Cependant, le soutien de la municipalité est une garantie de sauvegarde étant donné qu’une mauvaise entente peut signer la fermeture du cercle. À Barjols, on observe le soutien de la municipalité afin de retrouver la licence IV à l’aide d’un archiviste et la présence de membres du conseil municipal dans le conseil d’administration du cercle.

Menaces et risques

Les principales menaces pour les cercles sont d’ordre administratif d’une part et d’ordre social d’autre part.

Les cercles possèdent habituellement une licence IV dite administrative, non cessible, permettant de servir des boissons alcoolisées à leurs membres. Cependant, la plupart de ces licences ayant été octroyées il y a une centaine d’années environ, certains cercles qui ont perdu leurs archives ne peuvent pas fournir de preuve administrative en cas de contrôle. Un « flou administratif » important existe autour de cette question au niveau des services compétents. De plus, chaque cercle adapte son fonctionnement différemment, suite à un contact avec l’administration : carte journalière, abaissement du tarif de la carte pour inciter tous les consommateurs à adhérer, ou encore gérance libre. Seul le cercle de Fox-Amphoux détient une licence IV cessible et non administrative.

Autre frein, celui de la mise aux normes des locaux. En cas de mauvaises relations au sein du village, les contraintes très fortes de mise en conformité peuvent s’avérer fatales pour le cercle, comme à Pontevès où le local est en attente de travaux suite à un contrôle et ne peut être réinvesti par l’association.

Autre menace, celle d’une baisse de fréquentation progressive du cercle, entraînant des problèmes financiers ou tout simplement la fermeture du cercle.

Par ailleurs, une moyenne d’âge élevée et le manque d’implication des jeunes de la commune sont des éléments qui peuvent mettre en péril l’institution, tout comme, on l’a suggéré ailleurs, l’éclatement de l’habitat et les changements sociologiques. Le glissement vers un côté ludique qui fait que le cercle devient peu à peu un simple bar avec une gestion financière plus difficile constitue un risque certain.

La crise sanitaire par ses contraintes liées au passe sanitaire et/ou vaccinal couplée à une peur inhérente ont porté un coup à la sociabilité.

Enfin, le domaine numérique peut constituer une menace pour les cercles avec les réseaux sociaux. Le cercle est en quelque sorte l’inverse des nouvelles formes de sociabilité froides et distantes. L’usage de ces canaux de communication renforce peut-être l’individualisme, alors qu’il devrait pouvoir être concilié avec une sociabilité vive.

Modes de sauvegarde et de valorisation

Différentes voies sont possibles afin de sauvegarder et de valoriser les cercles. Tout d’abord, la valorisation patrimoniale des cercles qui a pour but de faire prendre conscience aux populations qu’un cercle est un lieu de mémoire. En cela, la création d’un musée à Carro permet aux enseignants de valoriser certes le métier de pêcheurs, mais aussi indirectement le cercle.

La démarche entre 2012 et 2019 du Pays d’art et d’histoire Provence Verte et Verdon qui a consisté à établir un inventaire du patrimoine républicain incluant une étude des cercles est extrêmement positive. Cet inventaire a fait l’objet de notices accessibles sur le site dossiersinventaire.maregionsud.fr  et de publications diverses (voir bibliographie).

Les thèses de Pierre Chabert sur « les Cercles dans le Pays d’Aix » (thèse de 3ème cycle, Aix, 1982) et sur « Les Cercles en Provence » (thèse d’Etat, Aix, 1991) ainsi que l’ouvrage :  Les Cercles à Marseille (2006) ont contribué à la production de connaissances scientifiques sur les cercles. Les enregistrements des membres ont été déposés à la MMSH (Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme) à Aix en Provence.

Diverses interventions et articles ont été réalisés en Provence.

Nombre d’articles ont paru dans les journaux locaux.

Les cercles ont créé leurs sites qui sont très instructifs et détaillés.

Actions de valorisation à signaler

Toutes les manifestations organisées par les cercles. L’inventaire du patrimoine républicain en Provence Verte Verdon

Modes de reconnaissance publique

La constitution en association loi 1901, la possession d’une licence IV, d’un règlement intérieur, d’un local, les soutiens des municipalités.

Des demandes de subvention pour la réfection des locaux des cercles en sommeil, comme c’est le cas à Pontevès, sont envisageables par les associations des cercles.

Une clarification juridique de la licence IV administrative et sa simplification par la préfecture pourraient être envisagées.

Des rencontres inter-cercles ont été initiées par le passé, en soutien à un cercle menacé de fermeture (Pontevès). Actuellement en sommeil, elles ont vocation à être relancées par les membres des cercles à l’échelle régionale.

Les associations et les membres des cercles sont mobilisés au quotidien afin de faire vivre ces établissements des points de vue administratif, financier, social, évènementiel, etc. Ils sont guidés par la volonté de maintenir le lien social au sein des villages et la dimension patrimoniale et affective des cercles. Le cercle est le dernier liant de l’entre soi historique des communautés villageoises, avant les grands mouvements de population que l’on connaît aujourd’hui. Il permet également l’intégration de nouveaux venus au sein de la communauté.

Durant la conférence de restitution de la fiche d’inventaire qui s’est déroulée le 7 septembre 2022 au cercle philharmonique de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, les membres des cercles présents ont émis la volonté de relancer les rencontres inter-cercle, et le souhait de refaire apparaître la dimension mémorielle des cercles, présentée tel un devoir de mémoire. Ainsi, la création d’un dépliant présentant l’histoire et la genèse des cercles est envisagé.

Les membres des cercles rencontrés.

Récits liés à la pratique et à la tradition

« La Démocratie corrensoise » par M. Rippert, membre du cercle de Correns, et le récit de Jean Marotta, président du cercle de Correns (enquête 2022), suite à l’assemblée générale de 2016 ;

Le musée du cercle de Carro ;

Les divers statuts (avant réactualisation) des cercles mis en avant en tant que récit historique ;

Les divers romans de Giono, Daudet, Pagnol…

Les divers écrits des membres des cercles ainsi que leurs témoignages ;

Les émissions de France 3, comme « Vaqui » ;

Inventaires réalisés liés à la pratique

L’inventaire du patrimoine républicain en Provence Verte Verdon accessible sur le site dossiersinventaire.maregionsud.fr

Bibliographie sommaire

Agulhon M., Bodiguel D., Les Associations au village, Paris, Actes Sud, 1981
Agulhon Maurice, La République au village, Paris, Seuil, 1979
Chabert Pierre, Les Cercles, une sociabilité à Marseille, Marseille, J. Laffitte, 2010
Chabert Pierre, Les Cercles, une sociabilité en Provence, Aix, Publications de l’Université de Provence, 2006
Orengo K. et Santarelli C., Laissez-vous conter les cercles en Provence Verte, Cahiers du patrimoine de la Provence Verte, Syndicat Mixte du Pays de la Provence Verte, 2014
Roubin Lucienne, Chambrettes des Provençaux, Paris, Plon, 1970
Santarelli C., Recul et renouveau de la sociabilité en Provence : l’exemple des cercles, Mémoire de master 2 (dir : P. Hameau), Université de Nice-Sophia-Antipolis, 2014
Dell’Umbria Alèssi, Histoire universelle de Marseille de l’an mil à l’an deux mille, Marseille : Agone, collection mémoires sociales, 2006.

Filmographie sommaire

Paroles de cercles, loisirs et démocratie en Provence Verte réalisé par Bianco E. et Aubert P., produit par Syndicat Mixte du pays de la Provence Verte, éditions Plaine page, 2014, 35’. Accessible sur https://vimeo.com./111134709 

La PELOTE 8 / NON à la mort programmée du Cercle de Pontevès réalisé et produit par Le vidéographe, 27 /02/2018, 4’43. Accessible sur https://www.youtube.com/watch?v=UYloB6IRWRc

Serge ? C'est Serge, réalisé et produit par Le Vidéographe, 28 juin 2018, 8’56. Accessible sur https://www.youtube.com/watch?v=lnJrU4ity7o

Le cercle républicain à Saint Zacharie, réalisé et produit par TF1, 4 juillet 2014, 3’. Accessible sur : https://www.youtube.com/watch?v=coFcx5r7Ibg 

Sitographie sommaire

Cercle des Pêcheurs de Carro - Martigues

https://fr-fr.facebook.com/pages/category/Social-Club/Cercle-des-P%C3%AAcheurs-de-Carro-Martigues-105135481388483/

https://www.maritima.info/actualites/vie-des-communes/martigues/11206/les-cercles-une-tradition-perpetuee-a-martigues.html

Cercle Républicain du 21 Septembre - St Zacharie

https://www.facebook.com/Cerclesaintzacharie/

Cercle Saint-Pierre – Auriol

http://www.cerclesaintpierreauriol.fr/

Cercle Philarmonique - Saint-Maximin-la-Sainte-Baume

https://fr-fr.facebook.com/cerclephilharmonique.saintmaximin

Inventaire du patrimoine des cercles en Provence Verte Verdon

https://dossiersinventaire.maregionsud.fr/ 

Les membres des cercles ont été sollicités et associés au projet par des entretiens ethnographiques parfois enregistrés. Des prises de note ont été effectuées. La fiche d’Inventaire a fait l’objet d’une relecture de la part de chaque personne interrogée, les remarques ont été intégrées en conséquence. Les équipes communales, lorsqu’elles étaient liées au cercle, ont été associées aux entretiens par leur familiarité avec le travail du pays d’art et d’histoire Provence Verte Verdon.

Praticien(s) rencontré(s) et contributeur(s) de la fiche

Pierre Boyer, vice-président du cercle philharmonique de Saint-Maximin- La -Sainte-Baume
Robert Siam, secrétaire du cercle philharmonique de St-Maximin
Jacques Freynet, membre du cercle philharmonique de St-Maximin
Zacharias Dacunha, membre du cercle philharmonique de St-Maximin
Pierre Cabrol, membre du cercle philharmonique de St-Maximin
Jean-Claude Bresson, pêcheur retraité, membre du cercle St-pierre des Pêcheurs de Carro
Christophe Niel, pêcheur, président du cercle St-Pierre des Pêcheurs de Carro
Anne Latz, trésorière du cercle de l’Avenir de Correns
Jean Marotta, président du cercle de l’Avenir de Correns
Denise Paolini, présidente du cercle républicain du 21 septembre de Saint Zacharie
Alexandre Aubert, vice-président du cercle républicain du 21 septembre de Saint Zacharie
Didier Lecina, président du cercle de la Fraternité de Pontevès
Gonda de Smedt, membre du cercle de la Fraternité de Pontevès et membre du conseil municipal de Pontevès
Marie Christine Mathieu, membre du conseil municipal de Pontevès
Jean-Michel Constans, maire de Tourves
M. Dettori Campus, président du cercle St-Pierre d’Auriol
Serge Héritier, président du cercle de l’Avenir de Barjols
M. Mourbrun, gérant du cercle de l’Indépendance de Puyricard (Aix en Provence)
Régine Routier, présidente du cercle Saint-Roch de Rougiers
Pascal Henri, trésorier du cercle Saint-Roch de Rougiers
Arlette Derossi, membre du cercle St-Roch, et secrétaire du cercle de La Jeune France, adjointe à l’urbanisme et au patrimoine à la commune de Rougiers
Jean-Claude Giraud, président du cercle de La Jeune France à Rougiers
Gérard Cauvin, président du cercle de l’Avenir de Fox-Amphoux
Bernadette Ailhaud, trésorière du cercle de l’Avenir de Fox-Amphoux

Métadonnées de gestion

Rédacteur(s) de la fiche

Pauline Mayer ; Ethnologue, chargée de mission inventaire du patrimoine, Pays d’art et d’histoire Provence Verdon 
ipatrimoine@paysprovenceverteverdon.fr

Pierre Chabert ; Enseignant retraité, auteur de thèses et d’ouvrages sur les cercles. 
pierchabert@wanadoo.fr 

Enquêteur(s) ou chercheur(s) associés ou membre(s) de l’éventuel comité scientifique instauré

Karyn Zimmerman-Orengo ; Historienne, chargée de mission inventaire du patrimoine du Pays d’Art et d’histoire Provence Verte Verdon en 2014, pour son travail d’inventaire du patrimoine bâti et mobilier des cercles en Provence Verte Verdon, repris en partie "Éléments matériels liés à la pratique" de la présente fiche.

Lieu(x) et date/période de l’enquête

Eté 2021 / février 2022
Cercle St-Pierre des Pêcheurs de Carro, Bouches du Rhône
Cercle St-Pierre d’Auriol, Bouches du Rhône
Cercle Républicain du 21 septembre de Saint Zacharie, Var
Cercle de l’Indépendance de Puyricard, Bouches du Rhône
Cercle Philarmonique de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, Var
Cercle de l’Avenir de Barjols, Var
Cercle Saint-Roch de Rougiers, Var
Cercle de La Jeune France de Rougiers, Var
Cercle de l’Avenir de Fox-Amphoux, Var
Cercle du Progrès, Saint-Jeannet, Alpes-Maritimes

Cercles en sommeil :
Cercle de l’Avenir de Correns, Var
Cercle de la Fraternité, Pontevès

Cercles disparus :
Cercle de l’Avenir de Tourves, Var

Données d’enregistrement

Date de remise de la fiche

06/04/2022

Année d’inclusion à l’inventaire

2023

N° de la fiche

2023_67717_INV_PCI_FRANCE_00522

Identifiant ARKH

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Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Provence#Culture

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