Le mawlida shenge de Mayotte

Le Mawlida shenge est une pratique sociale et spirituelle de tradition soufie. 

C'est un ensemble indissociable comprenant toute une organisation sociale, du chant, de la musique, de la danse pouvant aller jusqu'à la transe et qui combine différentes esthétiques tant chez les femmes et les hommes.

Le Mawlida shenge est une pratique sociale et spirituelle de tradition soufie. C'est un ensemble indissociable comprenant toute une organisation sociale, du chant, de la musique, de la danse pouvant aller jusqu'à la transe et qui combine différentes esthétiques tant chez les femmes et les hommes. On peut observer des tenues apprêtées chez les femmes et relativement épurées chez les hommes. La pratique du Mawlida shenge se fait avec les hommes et les femmes dans le même lieu, le plus souvent sur la place publique. Hommes et femmes ont chacun des espaces et rôles distincts et non interchangeables. La pratique concerne toutes les générations. La transmission est réalisée au sein des écoles coraniques.

L'espace principal de la pratique est le bandrabandra. Il a tantôt la forme d'un carré tantôt celle d'un rectangle selon les moyens offerts par l'espace public disponible. Le bandrabandra est délimité par des tissus fixés sur une ossature éphémère, en bois même si de plus en plus des espaces en dur tendent à se substituer aux savoirs et savoir-faire traditionnels. Des tissus sont étendus sur le haut de la structure pour former un toit. L'espace ainsi constitué est séparé en son milieu par un cordon de tissus souvent très colorés, qui va du sol vers le toit. Ce cordon, le msutru, marque ainsi deux espaces distincts à l'intérieur du bandrabandra : d'un côté l'espace des femmes et de l'autre celui des hommes. Leur communion se fait par les chants.

Le Mawlida shenge est un rituel qui peut se dérouler la nuit ou le jour. Il est composé d'une série de chants qui s'enchaînent et peut durer ainsi plusieurs heures. Il y a des temps de pause entre chaque série.

Les chants sont portés par les hommes. Ce sont des poèmes, des prières, des louanges rendant hommage au Prophète Muhammad. Ce sont également et exclusivement les hommes qui accompagnent les chants avec des percussions, principalement des tambours sur cadre.
Les danses et toute la gestuelle codifiée sont exclusivement portées par les femmes. Elles peuvent, par des signaux codifiés, répondre selon des règles, aux chants des hommes.

Le Mawlida shenge est organisé pour marquer des événements de la vie spirituelle (après le hadj, le pèlerinage à la Mecque), familiale (à la fin de la période de 40 jours après un décès), sociale (il est réalisé pour des luttes syndicales) et politique (pour des rassemblements, déclarations de candidature et dans le cadre des longues luttes pour que Mayotte soit un département français). De plus en plus, le Mawlida shenge est également pratiqué à l'occasion des jours fériés et les week-ends...
La pratique est généralisée sur l'ensemble du territoire de Mayotte et là où se trouve la diaspora mahoraise, notamment à La Réunion, en France hexagonale et plus particulièrement à Marseille. Elle participe à la cohésion sociale et donne à chaque Mahorais-e un sentiment d'appartenance à une histoire commune, une culture commune.

La communauté du Mawlida shenge est constituée de l'ensemble de la population mahoraise soit 256 000 habitants-es auxquels s'ajoute la diaspora qui réside à La Réunion, en France hexagonale et ailleurs.
Dès la petite enfance, au sein de la famille, puis à l'école coranique, les Mahorais-es entendent, écoutent, apprennent et chantent du Mawlida shenge et sont amenés-es à observer, puis à se saisir de l'organisation sociale et des savoir-faire qui vont avec la pratique (par exemple construire le bandrabandra, faire la préparation des mets et des présents...). C'est un mode de vie et la pratique s'inscrit dans le quotidien.
Les Mahorais-es grandissent donc avec la pratique qui les accompagne le plus souvent jusqu'à la fin de leur vie. Cela concerne tous les genres et toutes les générations. La pratique a un tel retentissement que le nom Maoulida est parfois donné  en prénom à des nouveaux-nés.
La communauté au cœur de la pratique se compose autant de femmes que d'hommes.

On peut distinguer la typologie suivante :
    • les associations de Mawlida shenge (formelles ou informelles davantage sous la forme de collectif du village). Chaque village dispose d'un shama (association). Il existe environ 72 villages pour 17 communes et 13 cantons à Mayotte,
    • les écoles coraniques,
    • les praticiens-nes qui vont officier (chanter et danser) au besoin et à la demande,
    • les facteurs d'instruments de musique qui souvent sont également musiciens,
    • les diffuseurs : les radios et la télévision régionale (Mayotte 1ère), les sites internet et les réseaux sociaux,
    • les organisateurs de festivals et autres spectacles (exemple de l'office culturel départemental),
    • les chercheurs en anthropologie, ethnomusicologie, histoire, littérature, patrimoine culturel, muséologie,
    • les amateurs passionnés de Mawlida shenge qui écoutent chez eux, à la radio.
      
Cet inventaire a pu être réalisé avec la coopération des membres actifs et représentatifs de la pratique. Ce sont des acteurs impliqués et qui ont une forte connaissance du Mawlida shenge.

Lieu(x) de la pratique en France

Le Mawlida shenge est pratiqué sur toute l'île de Mayotte ainsi qu'à La Réunion et en France hexagonale.

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

La pratique du Mawlida shenge est repérée de façon générale dans les aires culturelles musulmanes. Nous pouvons citer ici les plus proches à savoir la Grande Comore, Moheli, Madagascar,  Zanzibar, et aussi le Sénégal, le Mali, la Tunisie.
Le lien majeur est le soufisme. Les pratiques soufies se distinguent notamment par les textes (barzandjî). Dans ces textes, il y a une connexion commune autour de la thématique de la naissance du Prophète dont l'évocation constitue l'un des hauts moments symboliques où l'assemblée se met debout.
La forme, d'un point de vue musicologique, se rapproche du mulidi, du debaa des hommes, du dinahu et pour la gestuelle, du debaa des femmes.
Liste des pays célébrant le mawlid : Algérie, Bénin, Côte d’Ivoire, Emirats arabes unis, République de Guinée, République islamique d’Iran, Libye, Mali, Maroc, Sénégal, Tunisie.

Le Mawlida shenge est une cérémonie qui se situe entre la possession et la dévotion. Il est intimement lié à l'identité culturelle de Mayotte. Il fait partie de la famille des mawlid (maulid), une pratique soufie en l'honneur de la naissance du Prophète Muhammad durant laquelle on chante ses éloges. Il s’agit d’un chant religieux traditionnel pratiqué par les femmes et les hommes. Les kasuida (poèmes) chantés vont rythmer et structurer les différents moments de la cérémonie, où chaque partie joue son rôle. Les instruments de musique et les percussions sont réservés aux hommes, tandis que les femmes chantent en chœur pour accompagner le chant des hommes et dansent.

À Mayotte, la pratique partage le terme mawlida avec mawlida ya uradi, mawlida sharaf al anami et mulidi :

    • le mawlida ya uradi : une cérémonie familiale, villageoise pour célébrer la naissance d'un enfant pendant le mois du mawlida correspondant au mois du calendrier hégirien, qui s'appelle rabiya al awwal (ربيع الاول) c'est-à-dire le mois de la nativité.

Cette cérémonie se pratique dans une sphère privée.

    • le mawlida ya mukiri (« nativité de la mosquée ») : la même cérémonie se pratique dans toutes les mosquées et mobilise l’ensemble des personnes de la zone.
    • le mawlida sharaf al anami (« nativité de la meilleure des créatures ») : c’est une cérémonie de psalmodie des poèmes et des récits, la prière précédant la cérémonie du mawlida ya shenge, mais aussi du dayra rifa’î (cérémonie de la confrérie de la Rifaiyya). Il s'agit donc d'une version de la cérémonie du mawlida shenge, connue pour être très longue au niveau du rituel, de la lecture du barzandjî.
    • le mulidi : cérémonie de la confrérie de la Qadidiriyya durant laquelle on psalmodie  notamment le barzandji, avant des phases chorégraphiées, chantées et dansées.
Il est notable, que dans toutes ces cérémonies on psalmodie le barzandjî. Cet ouvrage est un condensé de récits et de poèmes hagiographiques sur le Prophète Muhammad. Ce mot mawlida fait référence également aux chants et aux percussions qui accompagnent la cérémonie (il y a un rythme spécifique).

Le Mawlida shenge, littéralement, mawlida de veillée, renvoie à une période où cette pratique était marquée par la veillée, dans un cadre pluriel : spirituel, rituel, identitaire ainsi que dans les revendications sociales sur l’île ou encore pour de l'animation.

Une cérémonie communautaire

À l'exception des contextes d'animation, de meeting politique, de mariage, etc., le Mawlida shenge n’est pas destiné à un public passif même si des spectateurs peuvent y assister. En effet, les spectateurs sont également participants. La configuration du bandrabandra permet à celle ou celui qui le souhaite d’intégrer le groupe des femmes ou des hommes à n’importe quel moment.
Le Mawlida shenge est pratiqué par les femmes et les hommes placés-es sous le bandrabandra. d’un côté et de l'autre du msutru (le pan de tissus qui sépare en deux le bandrabandra).

 • du côté des femmes :

selon l'importance du Mawlida, on peut compter plusieurs dizaines de femmes. Elles sont habillées en saluva avec un haut près du corps et un châle très colorés. Le tout est assorti. La plupart des femmes sont assises en ligne sur des nattes, proches les unes des autres. Ce groupe fait face à un groupe plus restreint de femmes qui sont debout adossées au msutru. Elles chantent en chœur en réponse aux chants des hommes sur des indications codées. Les épouses des fundi (maîtres, par extension des sachants) sont souvent invitées par les hommes à prendre le relais de ceux-ci, pour être solistes. Selon un système de hiérarchie féminine, la primauté sera donnée à la femme du fundi le plus âgé. Si celle-ci décline, elle peut laisser la place aux autres épouses ou encore à une femme reconnue comme fundi par la communauté. Les femmes qui sont assises dansent en faisant des mouvements coordonnés du tronc à travers une chorégraphie libre. Celles qui sont debout exécutent une chorégraphie du corps et surtout une gestuelle des mains qui rappelle celle du debaa faisant allusion à la mer, aux vagues... Ici les mouvements sont encore plus lents, très minimalistes et en même temps on observe certaines praticiennes qui dansent assises avec des mouvements plus énergiques avec les mains qui vont vers le haut. C'est une chorégraphie très douce, très lente mais plus rythmée quand les chants sont plus rapides.

Cérémonie de mawlida shenge avec le msutru en l’honneur de Mari Hanaffi, 9 janvier 2021 à Acoua. © MuMA- Hakim SAÏNDOU
Cérémonie de mawlida shenge avec le msutru en l’honneur de Mari Hanaffi, 9 janvier 2021 à Acoua. © MuMA- Hakim SAÏNDOU

    • du côté des hommes :

ils sont organisés en ligne ou encore de manière à se faire face et ils sont assis sur des chaises, chantent et jouent des instruments de musique. Un chanteur principal interprète les kaswida (poèmes) du répertoire présenté dans un cahier écrit en arabe. Il est accompagné par d'autres hommes qui font le chœur et les percussionnistes. Il s'agit principalement de tambours : tambours sur cadre (tari) et tambours à deux peaux (ngôma). Le chant correspond à une série d'invocations et de déclamations, d'éloges du Prophète. Les hommes peuvent donner la possibilité aux femmes de chanter.

La cérémonie se déroule par l'enchaînement de séries composées d’invocations de Dieu, de louanges au Prophète Muhammad et parfois d’évocation de personnalités relevant des confréries. Chaque chant est composé de 3 parties avec des rythmes de plus en plus rapides. La dernière partie du chant est une succession de répétitions pouvant durer plus de dix minutes tant que le fundi (maître) soliste ne marque pas l’arrêt. L'arrêt, dans certains cas, est exprimé par la récitation d’une partie de l’alphabet arabe (exemple dans la nuit du 4 septembre 2021, lors de la cérémonie de Mawlida shenge, en l’honneur de Marcel Henry, personnalité politique de Mayotte et ancien sénateur de France). Cet arrêt est également exprimé par une signature musicale connue et reconnue de tous. En effet, cette signature est reconnaissable, notamment par la manière de taper le tari avec quatre coups très rapides donnant un certain tempo. De l'autre côté du msutru, les femmes peuvent chanter comme solistes au même titre que les fundi hommes. Pour cela les hommes doivent passer le relais aux femmes, une sorte d'autorisation à être solistes en réponse aux hommes. Afin d’indiquer cette passation, le fundi va employer une expression dans l'une des langues locales (shibushi ou shimaore) comme tsuho tsuho, en français ce mot peut se traduire par « voilà voilà » ou encore le terme « tadi tadi » pouvant être traduit par « corde ». Dans certains cas, il est possible d’entendre le mot djamwa. Ce code signifie que ce sont uniquement les femmes qui doivent chanter en chœur sans l’assistance des hommes. Les hommes à ce moment-là doivent garder le silence et jouer des percussions.

Un chant dure quinze à vingt minutes et la série soixante à quatre-vingt-dix minutes. La cérémonie peut durer ainsi plusieurs heures avec un temps de pause entre les séries. Dans la série ou à la pause, les hommes peuvent se redistribuer les rôles entre les instrumentistes et le soliste.

Le Mawlida peut être organisé en soirée ou en journée. Dans ce cas, il va débuter vers 13h00 pour s'achever à 18h00. Le Mawlida en soirée accueille les invités-es à partir de 19h00. Il dure jusqu’à l'aube, un peu avant la prière du matin (fajr), qui se déroule aux premières lueurs et à l'apparition du soleil. À l'appel du muezzin, les praticiens-nes s'arrêtent pour une pause petit-déjeuner. Chaque invité-e recevra des takrima (présents alimentaires) dans un sac. Il y trouvera toutes sortes de gâteaux, de boissons, y compris de l'eau, de bonbons et parfois de biscuits, et de nos jours il peut même y trouver du pop-corn.
Le takrima peut être distribué tout au long de la cérémonie, dans des plateaux par les organisateurs. Cela tend à disparaître mais il y a également un partage de mwana fatima entre 2h30 et 4 heures du matin. Ce repas est composé de riz et de lait de vache cuisiné dans une marmite en terre cuite. Il était autrefois servi dans de grandes assiettes communément appelées siniya. Les gens mangeaient ensemble par petits groupes, directement avec les mains. Ce moment de partage et de convivialité était très attendu de l'assemblée. Il avait une forte valeur symbolique car partagé dans un cadre spirituel.
La pause est aussi un moment, si elles le veulent, où les femmes peuvent changer leur tenue, rafraîchir leur maquillage avec du msindzanu, mettre des tampa (fleur de jasmin) et se parfumer avant de revenir au bandrabandra vers 6 heures du matin pour reprendre la fin de la cérémonie jusque vers midi. Dans les cérémonies diurnes, les femmes vont également prendre soin de leur apparence. Souvent les femmes qui sont membres d’une même association (shama) vont avoir un code vestimentaire. 
Elles porteront ainsi le même tissu (saluva et « body »). Cette tenue traditionnelle portée par les femmes mahoraises est composée de différentes matières. En effet, il y a du nabawani, un tissu en coton qui vient de Tanzanie. Ces tissus sont toujours composés de motifs et de couleurs très vives.
Pour les saluva, nous pouvons trouver des tissus en matière synthétique, parfois brodés. L’habillement ici est un marqueur identitaire. Quand les associations se déplacent c’est une manière de se montrer et marquer leur appartenance et unité. Ces vêtements sont le plus souvent confectionnés par les pratiquantes elles-mêmes. Dans certains cas, elles demandent à une tierce personne de le faire en contrepartie d'une somme qui varie de 2 à 5 euros, en fonction du travail à faire et du type de saluva.

Au niveau des hommes, les tenues sont simples. Ils portent essentiellement un boubou blanc accompagné d’un gilet et d’un couvre-chef de type kofia (koufi), Istanbul (Fez) etc. Il n’y a pas la même richesse que ce que l'on observe dans les tenues des femmes.

Aspects du déroulement détaillé d'un Mawlida :

Cérémonie de mawlida shenge en journée sur une terrasse couverte d'une mosquée avec en arrière-plan des femmes qui dansent, 6 juin 2021 à Tsimkoura © Ibrahim M'COLO
Cérémonie de mawlida shenge en journée sur une terrasse couverte d'une mosquée avec en arrière-plan des femmes qui dansent, 6 juin 2021 à Tsimkoura © Ibrahim M'COLO

 

Le Mawlida shenge est organisé de manière régulière, toutes les fins de semaine, sur l'ensemble de l'île (vendredi et samedi voire le dimanche quand le lendemain est jour férié). Le Mawlida s'organise à l'échelle de la famille, du village ou de l'île toute entière. Cela dépend des moyens et du rang social et de la notoriété de celui ou celle en l'honneur de qui est organisée la cérémonie. Pour autant, quelle que soit l'échelle, le déroulement est le même. Il se fait en trois temps :

L'échauffement :

C’est un moment pour les pratiquants, surtout les hommes, de vérifier la sono, d’ajuster les instruments en cas de besoin lors d’un premier chant. C’est à ce moment-là, également, que les participants commencent à s’installer dans le bandrabandra.

Le partage (chant et danse) :

C’est le cœur de la cérémonie avec une succession de kaswida chantés et dansés.

L'émulation :

Cette partie est essentielle dans les cérémonies de shenge car elle se produit à différents moments des chants. Ce moment est visible par la danse en position assise ou debout.

Durant plusieurs heures, différents chants se succèdent dans cette configuration : chant lent, assis puis dynamique, accompagné de danse en position assise et debout du côté des femmes. Les chants durent en moyenne une dizaine de minutes voire même dans certains cas une vingtaine de minutes.

L’expression de l’émotion :

Les participants-es expriment leurs émotions spirituelles de manières multiples à travers l'exaltation et le partage de la joie en communauté ; à travers la danse avec une expressivité particulière du corps, mais également par la transe autrement dit en langue locale, le djadiba. Il n’est pas rare de voir des personnes en transe lors de cérémonies de Mawlida shenge. Pour les praticiens-nes, la transe est une manifestation de la perte de contrôle de soi. D’autres évoquent l’émotion par la sensation de la passion du Prophète (îshk) à l’instar de Mme Roukia Mahamoudou (veuve du Fundi Souffou Be d’Acoua). Ce phénomène de transe que les praticiens-nes ont du mal à expliquer fait partie intégrante des cérémonies.

Pendant que certain-e-s arrivent à la transe par le chant, d’autres évoquent l’effet de la percussion. Une 3ème catégorie s’emporte par l’effet de certains chants évoquant le souvenir d’un ancien fundi disparu. L’effet est le même chez le fidèle qu'il écoute ce chant empreint de nostalgie ou qu’il le chante lui-même (se conférer à l’entretien de Balkia BE MBOUCHI). La manifestation de l’émotion peut s’exprimer par des éléments physiques comme la chair de poule, une soudaine faiblesse corporelle, un changement des traits de l’expression du visage au dire de certains-nes. Dans le mzundzidzio c’est-à-dire la partie la plus rapide du chant, nous observons une répétition d’expressions comme « ele ya llah, ele ya llah, ele ya llah ya llah ». Cette partie pouvant durer plus de 5 minutes est un moment privilégié conduisant parfois au djadiba, favorisé par les percussions et la répétitivité en chœur par l’ensemble des participant-e-s.
Pour les praticiens-nes, ce moment de communion avec le cœur est jugé comme le plus beau dans le Mawlida shenge.
Au-delà du lâcher prise et des frissons, parfois cela s'exprime par des larmes.

Le mawlida, une pratique territoriale hiérarchisée

La plupart des villages de Mayotte ont une association de Mawlida shenge. Elle a à sa tête un responsable qui a également le statut de fundi.
À l’échelle insulaire, le territoire est divisé en deux zones placées sous l’autorité de deux fundi : la zone nord et la zone sud qui comprend également la Petite Terre.

    • La zone nord est gérée par le fundi Omar Harouna, originaire d’Acoua (village du nord) qui est également connu sous le nom de fundi Omar. Officiellement, il s'appelle Mari Souffou Be Mari Be Ben.
    • La zone sud est gérée par Maoulida Mchangama, originaire de Kani Be (village du sud).

Découpage géographique du mawlida shenge à Mayotte

Chacun a autorité dans sa zone pour la mise en place d'un planning général de cérémonies de shenge. Ce planning fait l'objet de concertations avec les autres fundi des villages de la zone. Ceux-ci font remonter les demandes formulées par les habitants-es par le biais des responsables de secteur. Un calendrier unique répertoriant toutes les dates de cérémonie est tenu par un membre de l'association Nouroumy Nouroulay de Kani Keli. 

Le déroulé d'une cérémonie rituelle : 

Le Mawlida shenge est une cérémonie populaire codifiée. Elle débute par des duwa (invocations)  qui sont faits par les grands fundi de l'assemblée. La cérémonie commence par une prière collective avec la lecture de la première sourate du Coran, Al Fatiha (l'Ouverture).
Cette prière est dirigée par des hommes avant que ne commencent le chant et la danse pour la glorification de Dieu et de son Prophète Muhammad. Par la suite, la cérémonie continue avec la lecture de poèmes psalmodiés par une personne référente. La performance consiste habituellement à faire d'un trait une prière introductive, une généalogie à caractère panégyrique et enfin un récit de la naissance miraculeuse du Prophète. Après cette introduction, les praticiens, en position circulaire, commencent à chanter. Progressivement, les percussionnistes accompagnent les chants. La danse s'installe aussi graduellement du côté des femmes. 

Cérémonie de mawlida  shenge diurne côté hommes, 6 juin 2021 à Tsimkoura. © Ibrahim M’COLO
Cérémonie de mawlida  shenge diurne côté hommes, 6 juin 2021 à Tsimkoura. © Ibrahim M’COLO

Le tableau d'un déroulé type d'une cérémonie rituelle : 

Ce tableau présente le déroulé d'un Mawlida shenge qui a eu lieu le samedi 9 janvier 2021 à Acoua (nord-ouest). La cérémonie était organisée en l'honneur du défunt père du maire de la commune, Mari HANAFFI. Elle marquait le 40e jour du décès (le arbahini).
La manifestation coïncidait avec le temps de terrain où nous devions faire le recueil d'informations et la captation dans le cadre de la formation à la méthodologie de l'inventaire PCI conduite par le SRI de la Région Réunio

Time code (environ) Activité Chanteur qui commence le kaswida Elements artistiques ou textuels Traduction / observations et synthèse de contenu
  mise en condition
13h30 Kaswida 1 Fundi Abdallah BACAR

Accordage des percussions pendant qu’Abdallah Bacar, un soliste d’Acoua (ville hôte) chante, pour s’échauffer. Il tient aussi un tari, comme d’autres personnes.

Le chœur est fait de femmes, de façon quasi-exclusive.

Il s’agit d’un chant lent où les mots sont tirés.

Dans cette phase, on introduit le tari réparti de partout, puis le fumba axial, et enfin le dori central.

Parallèlement, d’autres testent les micros.
Plusieurs solistes participent à tour de rôle.

Thématiques :

Tu es un seigneur généreux, plein de majesté ;

Je suis Ton serviteur faible et indigent ;

Seigneur, accorde-nous le Paradis des bienfaits.

13h55

Kaswida 2 :

Allahou ya toba – Ya rabi ya allahou maoula rahima naridjouri wa kaya raban karima

Par fundi Harouna ALI

Par Fundi Harouna Anli, M’tsangadoua


الله يا توبة
ملك عظيم الشان

Demande d’expiation des péchés, auprès d’un Seigneur suprême

« ô compatissant » ; « expiateur ! Pardonne mes péchés, ainsi que ceux des pécheurs »… « qui d’autre que toi pardonnera nos péchés »

      Rajout du mvundzidzio homme et femme  
 

Kaswida 3 :

prières sur le Prophète

Fundi Bakia BE M’BOUCHI (Abal) Chant : Nurun min. Allusion au poème de la Burda (poème hagiographique sur le Prophète) Ce poème est appelé Nurun min nurillah (Lumière divine). On cite quelques vers. Il sera entièrement lu dans une étape suivante.
  Fundi Andjilani MOUSSA BACO Chant : As-salam Prières et éloges du Prophète
      Mvundzidzio (rythme cassé) du simple au rapide « Seigneur majestueux », « pardonne nos péchés » ; « Seigneur miséricordieux », « nous espérons Ta satisfaction, ô Seigneur indulgent »
  Kaswida 4 : Duwa en faveur des défunts y compris le principal concerné (MARI Hanaffi)
« Ya rabi rahimouna mina silahi ya rabi dji-alina doughoulouli djanata wa mayinma »
Fundi Abdallah BACAR « Ya rabi rahimouna mina silahi ya rabi dji-alina doughoulouli djanata wa mayinma » Duwa en faveur des défunts y compris le principal concerné (MARI Hanaffi)
  Kaswida 5 : « a ani a ani aouna a » Fundi Abdallah BACAR « a ani a ani aouna a » La Valeur des lettres A, B, T, etc.  
  Kaswida 6 : « Raboul macharick wali magharib » Fundi Omar HAROUNA « Raboul macharick wali magharib » Seigneur de l'Est et de l'Ouest
  Kaswida 7 : « La ila ha ila loihou la yadoumou ila Allahou » Fundi Omar HAROUNA « La ila ha ila loihou la yadoumou ila Allahou » Nulle Divinité autre que Dieu, seul permanent
  Kaswida 8 : « Ya marahaba bili Moustoifa » Fundi Attoumani SAÏD (de Bouéni) « Ya marahaba bili Moustoifa » Bienvenue à l'élu
  Kaswida 9 : « Latouma mouhibi lahi fi douniya, chaoukaou fi nabiyi saïdi Mouhamadi » Fundi Attoumani SAÏD (de Bouéni) « Latouma mouhibi lahi fi douniya, chaoukaou fi nabiyi saïdi Mouhamadi »  
  Kaswida 10 : « Salamou anlayikoumou salamou salimina » Fundi Omar HAROUNA « Salamou anlayikoumou salamou salimina »  
14h17     Installation d'un diffuseur d'encens  
14h39
Fin
     
 



Acte de sacralisation de la cérémonie



  Prise de parole de l'hôte (Omar HAROUNA)  
    Prologue : Fatiha : 7 personnes Lecture de la fatiha par 7 personnes de l'assistance
    Kunut (invocation) par Omar HAROUNA « Seigneur, guide-nous parmi les tiens ; accord-nous la santé… », « Bénis-nous de ce que tu nous donnes… »
    Arwah : évocation de l'esprit des anciens On y compte des personnalités autour du Prophète, des compagnons, les Suivants, et surtout des maîtres spirituels des voix soufies, twarika dont aabdulkadir al-Djilani, Ahmad ar-Rifâî, ash-shadhili, ad-Dasuki, etc.
    Evocation du rituel + sa famille Il s’agit de citer les personnes au nom desquelles on s’est regroupés.
14h52
  Invocation (duwa) Invocation...
  Fundi Harouna ALI Coran : ومن يعمل سوءا أو يظلم نفسه ثم يستغفر الله يجد الله غفورا رحيما Verset IV/110 : « Quiconque commet une mauvaise action ou se fait du tort à lui-même, trouvera auprès de Dieu, s’il l'implore, Son pardon, indulgence et miséricorde »
  Fundi Harouna ALI l’istihifar, demande de pardon, de façon collective  
      Niya : intention Verbalisation de l'intention de la tenue de la cérémonie ?
15h01
Kaswida 11 : nurun min nurillah   Psalmodie de la burda, vers par vers :
La particularité de la burda vient surtout des motifs de sa composition. En effet, atteint de paralysie partielle, al-Bûsayrî composa ce texte (plus de 150 vers), avec l'intention sincère de chercher la guérison par cet acte de dévotion. Il vit alors le Prophète en songe qui le toucha le long du corps et, à son réveil, son mal avait disparu.

Un des poèmes les plus célèbres pour les soufis :

Extrait de la Burda d'Al-Bûsayrî (608/1213-1295/695), né de père Berbère et de mère Égyptienne, originaire de Dulâs, village proche de Bûsayr, en Égypte. Il est connu comme compositeur de plusieurs poèmes en éloge au Prophète dont, la fameuse hamziyya, kasuida longue de 517 vers.

Al-Burda, de Sharaf ad-Dîn Al-Bûsayri, le plus célèbre poème jamais composé en éloge au Prophète Muhammad. Il s'agit ici de la partie introductive du texte.

Majmû' Mawlid sharaf al-Anâm, pp. 143-173

15h26
Fin de la burda    

 

  Kaswida 12 : éloges du Prophète
  Zayana al-anbiya’i زين الأنبياء          

Salutations au Prophète et éloges

     

Mvundzidzio :

السلام عليك يا مشرَّف مكّة على المدينة، يا زين الأنبياء، يا أصفى الأصفياء، يا أتقى الأتقياء، أحمد يا حبيبي، طه يا طبيبي، يا ساتر العيوب، يا ذا المعجزات، يا رب السماح، يا ضوء الصباح، يا ركن الصلاح، يا بدر التمام، يا نور الصباح، يا كل المرام، يا حسن الشمائل، يا كافي البلايا [...] يا سيد الشباب، يا مقدَّم للإمامة، يا مشفع للقيامة، يا أبا البتول، يا مشرَّف مكة على

« Paix sur toi”1 ô honorable Mecquois à Médine; ô crème des Prophètes, ô flambeau des épurés ; ô élite des gens pieux; ô Ahmad2 mon Amant; ô Tâha3, mon thérapeute; ô dissimulateur des défauts; ô [toi] doté de miracles; ô éclat de l’aube; ô pilier de la bonté; ô lune pleine; ô lumière du matin; ô [toi représentant] tous desseins; ô toi avec d’excellentes hauts faits ; ô [toi] qui suffis contre les fléaux [….] ; ô maître de la jeunesse ; ô [toi avec] la préséance à l’imamat4 ; ô intercesseur au jour de la résurrection ; ô père de la vierge5 ; ô honorable Mecquois à Médine.

     

Plus on s'approche de la fin, plus les rythmes vont crescendo.

 

15h54
Fin de la partie  

 

 

15h56
Pause prière de ‘Äsr  

 

La cérémonie s’est complètement arrêtée pour permettre aux fidèles d’accomplir la prière rituelle de ‘Äsr.

16h30
Reprise  

 

 

  Kaswida 13 :   

Chant : « djannatan wa nayima » : جنة ونعيمة

Nous sollicitions le paradis et ses bienfaits.

     

Mfundzidzio (rythme cassé) sur 5 niveaux

 

16h53
Kaswida 14 :   

a-a-ni… ma lana mawlan siwaka

Chant qui a intensément été chorégraphié chez les femmes. À observer de près.

Ce texte anime beaucoup des madjiliss et les campagnes électorales, entre autres.

 

Jeu de mot avec les premières lettres de l’alphabet arabe sur fond de « nous n’avons aucun autre secours que Toi », qui est le refrain.

     

5 rythmes dont le dernier à 17h08.

 

16h59
   

Avertissement par un homme en charge d'une percussion de l'arrivée d'une belle chorégraphie (mbadzio)

 

17h14
Kaswida 15 :  

 

 

     

Mvundzidzio 5 à 6 rythmes

 

17h39
Kaswida 16 :  

لا إله إلا الله... لا يدوم إلا الله
فاغفر لنا ذنوبنا واستر لنا عيوبنا
من يرى بلا نور، يا حنان يا منان ذو الجلال يا الله

« Nulle divinité autre que Dieu, seul Éternel
Pardonne nos péchés, cache nos imperfections,
Toi qui vois sans besoin de lumière.
Ô compatissant et généreux ; Tu es digne de gloire, ô Dieu. »

17h50-58
   

Mvundzidzio

 

17h59
Kaswida 17 :  

يا سيدي يا محمد Muhammad, notre seigneur

Mohamed, élu, crème des créatures, étendard de la Guidée, priez sur lui.

18h17-28
   

Mvundzidzio
3-5 rythmes

 

18h22
   

Djadhiba (transe) d’une personne de sexe masculin

 

18h29
Kaswida 18 :  

محبي الله في الدنيا Les amoureux de Dieu dans ce bas monde

Seigneur de l’univers : cache nos imperfections, ô Toi qui vois tout sans être visible…

18h44
   

Mvundzidzio

 

18h45
Kaswida 19 :  

سلام عليكم سلام سالمين

Paix sur vous. Paix. Soyez sains.

18h55
   

Mvundzidzio

 

19h
Fin  

 

 

  Duwa  

 

Invocation finale

 

Les occasions pour organiser un mawlida shenge

Le Mawlida shenge est une cérémonie qui accompagne les moments heureux et fastes comme les moments tristes. En fait, il accompagne tous les moments qui marquent la vie des Mahorais-es. Selon les personnes ressources auprès de qui ont été menées les enquêtes, le Mawlida shenge est une pratique, sinon exclusivement mahoraise, du moins d’origine mahoraise. Il y a un consensus à ce sujet sur l’île (se conférer aux entretiens de Moidjaha ASSANI, Roukia MAHAMOUDOU, Ahmed BOINAHERY). Les raisons et les occasions pour organiser ce type d’évènement sont multiples :

    • dans le cas d'un décès. Une première cérémonie peut être organisée dans le but de faire une prière pour la personne décédée le jour du décès ou à l'enterrement. Une autre cérémonie peut être organisée au titre de la levée de deuil soit le 3e jour (raru), le 9e jour (shendra) ou le 40e jour (arbayini) ou encore après 12 mois (hawuli). C'est un moment spirituel qui mobilise la famille et les amis.
    • à la date anniversaire du Prophète,
    • pour un nadhara c'est à dire la réalisation d'un vœu,
    • pour le hajj (retour du pèlerinage à la Mecque).

Ces dernières années, le Mawlida shenge s’est de plus en plus popularisé auprès des Mahorais-ses jusqu’à devenir un élément identitaire fort. En effet, ce chant est utilisé en dehors du cadre religieux et spirituel. Il intervient ainsi lors de moments festifs, ludiques :

    • Durant les périodes électorales, le Mawlida shenge est utilisé comme moyen d’animation pour rythmer les meetings et autres rencontres politiques et surtout lors de la présentation des listes électorales aux côtés d’autres chants tels que le fumbo, le shadi ou encore le debaa, qui vantent les mérites du ou des candidats-es érigés-es en héros-héroïnes.
    • Dans les manifestations de mariage, sous plusieurs formes c’est-à-dire lors du manzaraka (cortège nuptial diurne) dans le bandrabandra (chapiteau) et lors de la cérémonie nuptiale nocturne du madjilis (aspect plus spirituel dans ce cas).
    • Lors de rassemblements pour des revendications sociales (grande grève de 2011 contre la « vie chère », ou celle de 2018 contre l'insécurité par exemple).

Ces nouvelles circonstances d'expression de la pratique ont émergé durant les années 60-70. À cette période, les Mahorais-es avaient choisi ce chant comme moyen de lutte contre la politique comorienne qui prônait l'indépendance des quatre îles de l'archipel face au pouvoir colonial français. Mayotte était alors en lutte pour rester française et plusieurs Mawlida ont ainsi été organisés, parmi les plus mémorables, celui du congrès de Tsoundzou du 2 novembre 1958, celui de Chiconi de juin 1962 ou encore sur les ziara (sites sacrés cartographiés sur tout le territoire de Mayotte). Les ziara étaient également le théâtre de cette lutte pour rester dans la France. De cette époque, les habitants ont associé ce chant aux revendications sociales et à la politique.

Un regard sur la préparation des repas 

La préparation des repas est un savoir-faire associé à la pratique. Ce sont les femmes qui organisent et font cette préparation dans le cadre d’évènements communautaires, mazuhuli afin d’accueillir les invités. Sur l’île, l’espace d’une journée, le village devient une cuisine à ciel ouvert où des marmites de 10 à 20 kilos parsèment le sol. Tout le village est mobilisé. On y cuisine au feu de bois, principalement du riz nature, du riz au coco, des viandes en sauce, du poisson, des brèdes. Il y a également du lait caillé.

Les hommes sont chargés, sous la conduite des femmes, de mettre en place la logistique et de ramener le bois, le zébu qu'ils auront saigné tôt le matin. Traditionnellement, on leur dédie également le kange (viande cuisinée à l’eau et au sel). Le kange est une véritable institution locale.

L'accueil des convives

Autre aspect de la pratique, l'accueil des convives fait l'objet d'une organisation particulière. Chaque quartier va accueillir un nombre précis de convives originaires d'un ou plusieurs villages. Ceux-ci sont regroupés et des boissons et de la nourriture sont mises à leur disposition. Le service se fait dans de grands plats placés au milieu des invités-es. Des assiettes et autres cuillères sont également disponibles. La prise en charge financière pour le repas dépend de la participation des fidèles mais aussi de la contribution des commerçants sensibles à l’évènement comme exprimé par Echat AMBRIRIKI de Chirongui, Mariame ADA BOINA et Nafissa ABDALLAH DAOUDA de Labattoir.

 

1. Cette expression est répétée devant chaque qualificatif élogieux de la liste de ce passage.
2. Surnom coranique du prophète Muhammad.
3. Surnom coranique du prophète Muhammad (cf. sourate IX/1).
4. Allusion à la prière dirigée par le prophète Muhammad, lors de son ascension au ciel.
5. Qualification de Fatima, la fille de Muhammad.

La langue principalement utilisée est l’arabe puisque les textes chantés sont en arabe classique (poème/poésie ou prose). Ces textes sont issus du patrimoine soufi, plusieurs fois centenaires et parfois millénaires.

Nous avons aussi un peu de shimaore et de kibushi. Ces langues locales interviennent souvent pour encourager les participants-es, pour donner de la force au chœur mais rarement dans les chants eux-mêmes. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre : marahaba dahala (merci le groupe), mvosheleyo (allez-y chœur), huwa huwa (une façon d’encourager à la danse), etc.

Patrimoine bâti

Le Mawlida shenge se déroule traditionnellement en plein air, le plus souvent dans l'espace public. Il n'y a pas d'infrastructure publique dédiée à la pratique. 
Le support principal est le bandrabandra. C'est une construction éphémère réalisée par les hommes, à chaque occasion. Cette construction peut se faire avec des éléments naturels (ossature bois) ou en prenant appui sur l'existant (kiosque, clôture de maison...). L'ouvrage s'apparente à une sorte de tente, de la forme d'un grand carré (10x25m en moyenne soit 250 m2). Ces dimensions changent parfois en fonction de l’espace disponible et/ou du nombre de convives à accueillir. Le haut peut être recouvert par le hayma (drap) pour former un toit.

    • Les hommes habillent le lieu par des tshandaruwa qui peuvent faire jusqu'à une vingtaine de mètres. Ainsi, la zone est délimitée par ces tissus placés de manière à faire ce grand carré clos qui forme le bandrabandra. Auparavant, le tshandaruwa était brodé avec des motifs divers mais de plus en plus les associations utilisent des tissus imprimés issus du commerce d'importation.
    • Le bandrabandra est divisé en deux, toujours par des tissus pour former la séparation physique entre les hommes et les femmes. Cette séparation se nomme le msutru.
    • Sur le sol, il est disposé des nattes en fibre synthétique très colorées qui permettent aux invités de s’asseoir.

Objets, outils, matériaux supports

Il s'agit ici de présenter les principaux instruments utilisés dans le Mawlida shenge. Il n'y a pas de changement constaté dans l'instrumentarium. Nous retrouvons les trois principaux, ci-après le tari, le fumba et le dori.

Tari (ou Tar, Târ)

Localisation géographique : Mayotte, Union des Comores, Madagascar, monde arabe.
Identification organologique : membranophone.
Catégorie instrumentale : tambour sur cadre.
Procédé de mise en vibration : frappe.
Conformation de l’instrument : Le tari est un tambour sur cadre circulaire à une peau lorsqu’il est joué par les femmes et souvent à deux peaux lorsqu’il est joué par les hommes.
Traditionnellement, son cadre monoxyle est fait de bois. De nos jours, il n’est pas rare que les facteurs d’instruments utilisent du plastique (le chlorure de polyvinyle).
Le tari de Mayotte est d’origine arabo-musulmane. Il est joué dans la danse féminine debaa, le mulidi des hommes et dans le shenge. L’instrument tari est également présent dans un rituel profane d’origine anjouanaise appelé tari. Il est fabriqué par des facteurs d’instruments qui sont généralement des musiciens. Jeu de l’instrument : le tari est tenu par une main, dont les doigts exécutent des petits frappements sur la membrane. La deuxième main exerce des battements plus conséquents dans des mouvements libres.

Fumba

Localisation géographique : Mayotte, Union des Comores, Madagascar, Afrique.
Identification organologique : membranophone.
Catégorie instrumentale : tambours à peaux cerclées.
Procédé de mise en vibration : frappe.
Conformation de l'instrument : Le tambour fumba est un membranophone à deux peaux. Il s’agit d’un tambour cylindrique dont la peau est tendue au moyen d’un laçage en forme de N. Musicalement, le fumba assure la base rythmique de toutes les danses traditionnelles populaires pratiquées encore aujourd'hui à Mayotte. Il est fabriqué par des facteurs d'instruments qui sont généralement des musiciens. Jeu de l'instrument : selon les genres musicaux qu'il accompagne, le ngoma (nom générique pour les tambours) peut être joué par une ou deux mains. Parfois le fumba est frappé avec une baguette et une main sur une seule face.

Dori

Localisation géographique : Mayotte, Union des Comores, Madagascar.
Identification organologique : membranophone.
Catégorie instrumentale : tambours à peaux cerclées.
Procédé de mise en vibration : frappe.
Conformation de l'instrument : Comme le fumba, le tambour dori est également un membranophone cylindrique à deux peaux, attachées par un laçage en forme de « N ». D'origine africaine, le dori est utilisé dans différents rituels et genres musicaux et chorégraphiques par exemple le trumba (un rituel de culte aux ancêtres pratiqué à Madagascar, Mayotte et aussi La Réunion)  et le mrenge (art de combat traditionnel qui s'apparente au moring de La Réunion). La place du dori est capitale dans le shigoma (musique et danse pratiquée dans les mariages). Selon les genres musicaux qu'il accompagne, le ngoma peut être joué par une ou deux mains. Parfois le dori est frappé avec une baguette et une main sur une seule face. Comme pour le fumba, il est fabriqué par des facteurs d'instruments qui sont généralement des musiciens.

Outre ces instruments, nous relevons quelques objets utilisés lors des cérémonies : sheredzo, ubani et ûndi (brûle encens) et aussi les ouvrages : safina (répertoire de textes), le barzangî (barzange ou barzandjî) qui est une compilation de récits et poèmes mystiques hagiographiques sur la vie du Prophète Muhammad. Il s'agit d'un ouvrage utilisé par les principales confréries soufies comoriennes et mahoraises dans la célébration du mawlid (naissance du Prophète).

Nous présentons ici les accessoires observés et qui participent à une esthétique particulière :

Vawo : ensemble fait de saluva (tenue vestimentaire traditionnelle de la femme mahoraise, en forme de tube. Le tissu est enfilé et noué sur les côtés au-dessus ou sous la poitrine), du kishali (châle qui peut être fait dans le même tissu que l'on porte sur la tête ou les épaules), d'un « body » sous le salouva et de kabwa (chaussures).
Marashi : parfum
Djumba (shi), ankandzu be (ki) : boubou
Dayiyo (shi), Ravagna (ki) : ensemble de bijoux, parure
Msindzanu : masque de beauté porté par les femmes, fabriqué à base de bois de santal
Tampa (shi), kilabu ni anfou (ki) : botte de fleurs de jasmin accrochée à une épingle
Toka : fleurs de jasmin attachées en boule
Lolo (shi), Lolu (ki) : collier de perle

L'apprentissage du Mawlida shenge se fait dès le plus jeune âge dans les espaces traditionnels de la culture mahoraise à savoir les écoles coraniques.
Il existe deux catégories d’écoles coraniques :

◦  Les shioni traditionnels :

Le shioni en shimaore ou le kioni en kibushi est le lieu des livres, comme l’indique littéralement son nom : shio = livre + ni = locatif. Cette structure traditionnelle d’apprentissage est mixte. Les élèves sont assis à même le sol sans distinction de niveau, ni d’âge. Il existe un programme d’enseignement. Il est essentiellement axé sur l’apprentissage du Coran par cœur. Les participants-es apprennent à lire et à recopier les caractères arabes du Coran. Ils apprennent également, de manière moins systématique, le fiqh (la compréhension des règles interprétées, celle du droit). L’école coranique, à la manière mahoraise, c’est aussi l’apprentissage des sciences connexes telle que la psalmodie (technique vocale). Les mercredis et jeudis sont les jours de prédilection pour la psalmodie du Twaybal’asmaï et du Barzandjî (des recueils classiques de louanges en vers et en prose).

À travers ces deux ouvrages, on enseigne la louange de Dieu et l’éloge du Prophète Muhammad, sous forme de chants en arabe. Le Twaybal’asmaï est une série de poèmes chantant les louanges de Dieu. Il est organisé sous-forme de mukhammasa, groupement de cinq vers. Quant au second, le recueil de kaswida, il constitue une compilation de proses et de poésies de plusieurs auteurs relatant la biographie du Prophète Muhammad et ses aspects éthiques ou spirituels. Le portrait est fait de façon à la fois descriptive et métaphorique voire hagiographique.

◦ Les madrasas

Les madrasas sont des écoles plus récentes (depuis 1990) tendent à supplanter les shioni. Les madrasas sont associatives, parfois payantes pour les parents en fonction du nombre d’enfants. Elles emploient le plus souvent des maîtres bénévoles ou rétribués, souvent diplômés d’une université ou d’un centre de formation islamique. L’enseignement au shioni et à la madrasa diffère quant au contenu et à la méthode.

L'école coranique est obligatoire à partir de l'âge de 3 ans pour tous-tes les Mahorais-es. Elle est en sus de l'école républicaine qui a été rendue obligatoire depuis 1981. À l’inverse de la madrasa, le shioni est le plus souvent hérité d'un parent. Il est tenu par un fundi qui accueille gratuitement les enfants chez lui. L’enfant conserve ce maître du début jusqu'à la fin de son apprentissage. Cette pratique donne à leur relation le caractère d'un lien d'autorité très fort, de maître à disciple.

La musique traditionnelle soufie à Mayotte se transmet :

• oralement,
• et à partir de supports édités tels que les recueils de poèmes, mais également de supports manuscrits des praticiens qui sont parfois transmis de génération en génération.

Musique et danse sont intimement liées à tous les aspects de la vie des Mahorais-es.

La transmission peut se faire par l'observation régulière et la répétition par mimétisme. En effet, certaines personnes rencontrées dans le cadre de cet inventaire ont appris les chants et à jouer des instruments en imitant. D’autres personnes ont suivi un parcours où elles ont démarré comme apprenti jusqu'à devenir fundi. La fin de l’apprentissage est marquée par une présentation générale du nouveau venu à l’ensemble du cercle des pratiquants.

Cette liste non exhaustive présente des personnalités particulièrement actives au sein de la communauté et qui ont participé à l'inventaire.

Mari Be Ben MARI SOUFFOU BE alias Jujo ou encore Fundi Omar HAROUNA, âgé de 47 ans, est originaire d’Acoua. Il est instituteur dans le même village depuis de nombreuses années. Marié à Cavani et père de famille, il est aujourd’hui le fundi responsable de secteur Nord du Mawlida shenge c’est-à-dire de Chiconi en passant par Dembeni vers le nord. Il est membre du bureau de l’association Ahalil maoulida d’Acoua.
  Rafioun MAOULIDA MCHANGAMA, né en 1969, est originaire de Kani Be. C’est le fils de Maoulida MCHANGAMA, le fundi responsable du secteur sud du Mawlida shenge, dont il a hérité la pratique du Mawlida. Dans la famille, ses sœurs sont également investies dans le Mawlida.
Saïndou SIDI DJOUM, originaire de Chiconi dans le centre de l’île, est le plus jeune fundi de Mawlida shenge du territoire. En effet, il n’a pas encore 30 ans. Il est connu et reconnu pour son talent à jouer les percussions et pour la puissance de sa voix. Il a débuté le Mawlida shenge en 2010 mais il avait déjà côtoyé ce milieu depuis sa jeunesse à travers ses grands-parents et surtout sa grand-mère qui était une passionnée de la pratique. Au début de sa démarche d’apprentissage, il était plutôt intéressé par les percussions. Puis, s'en est suivi un intérêt pour le chant. En tant qu’animateur culturel au sein de la commune de Chiconi, il a mis en place des actions pédagogiques en faveur de l’apprentissage du shenge dans les établissements scolaires de la commune : atelier chant, atelier apprentissage des percussions, etc.
Il était l’apprenti de Rafioun MAOULIDA MCHANGAMA, le fils du fundi responsable du secteur sud et celui de Fundi Madi OILI de Chiconi.
Nafissa DAOUDOU ABDALLAH, mère de famille, ancienne élue à la culture de la commune de Dzaoudzi-Labattoir, est une passionnée du shenge. Elle prend très à cœur son rôle de présidente de l'association Ahalil maoulida de Petite-Terre et s’investit énormément dans la sauvegarde et la transmission du shenge.
Mariame ADA BOINA est membre de l’association de Mawlida de Petite Terre. Très engagée dans cette pratique, elle sillonne toute l’île en solo ou avec l’association pour participer à des cérémonies. Elle travaille pour la transmission de la pratique au quotidien au sein de son cercle familial ou en dehors.

Les origines de l’implantation du Mawlida shenge à Mayotte ne sont pas encore très bien établies. On peut constater qu'il existe peu de recherches sur le sujet. La pratique est nommée à travers des études plus larges qui peuvent couvrir le champ de l'ethnomusicologie, l'anthropologie, la linguistique voire des domaines comme l'attractivité du territoire.

À travers ce texte, nous avons tenté de retracer l’histoire de la pratique à partir des sources orales, des différents témoignages ou encore des récits transmis de génération en génération parmi les adeptes. Après de nombreuses enquêtes auprès des praticiens-nes comme le fundi Rafioun MCHANGAMA ou encore le fundi Omar HAROUNA, nous pouvons dire qu’il y a une convergence sur l'identité des pionniers de la pratique sur le territoire de Mayotte. En effet, les mêmes noms reviennent souvent comme celui d'Ibrahim Al-Dasuqi (1255-1296). Celui-ci est présenté comme « imam égyptien » qui occupe une place centrale dans l’histoire du soufisme (Wikipédia en français). Il serait le fondateur de l'ordre soufi « Al-Dasuqi». Il est connu pour des miracles et jouit d’une grande aura de l’Egypte au Soudan, dans le milieu soufi (Wikipédia en arabe).

Au niveau local, les informations recueillies auprès des fundi ne permettent pas de lier concrètement la pratique du shenge à l’ordre évoqué, et ce même s'il est établi, de ces dires, une chaîne de transmission qui relierait cette pratique jusqu'au Prophète. C’est, selon nous, une façon de légitimer celle-ci, d'en faire une pratique « authentique » et de l’inscrire dans l’Histoire.

Sources orales

Le Mawlida shenge est une pratique spécifique de Mayotte qu’on retrouve avec quelques différences à Moheli. Son nom associe les deux mots mawlida et shenge. Avant le développement des infrastructures à Mayotte, les cérémonies avaient lieu le plus souvent la nuit. De cette pratique nocturne, les individus ont ajouté le qualificatif shenge qui signifie « veillée ». Ce mot viendrait du swahili « jenge » qui veut dire feu, « moro » en shimaoré. C’est un mot qui fait référence à la lumière c’est-à-dire « nur » en arabe. C’est un terme également utilisé pour dire que le corps est chaud. Cette lumière dans le Mawlida shenge se manifestait du coucher au lever du soleil. Pour veiller, les praticiens devaient trouver une solution pour illuminer la cérémonie. Dans un contexte où il n'y avait pas d'électricité, la population s'éclairait avec de l’huile de baleine, de palme ou encore de l’huile de chèvre. Chacun devait illuminer sa maison et chaque famille ramenait la lumière sur le lieu de la cérémonie. Dans cette pratique nocturne, il y a également la symbolique de la religion, le Coran qui est une lumière. Le terme shenge a été accentué par cette notion de « tsi mandri mandri » en shibushi qui signifie veillée.

Au niveau historique

Entretien avec Ali-Saïd ATTOUMANI, ancien directeur de la culture et du patrimoine du Conseil départemental.

Selon lui, l’implantation du shenge sur le territoire peut être mise en parallèle avec l’évolution de la religion musulmane. On pourrait ainsi distinguer 3 périodes significatives : du 12e siècle jusqu’au 17e siècle, de la fin du 18e siècle jusqu’à 1841, de 1841 à nos jours.

Du 12e siècle au 17e siècle

Cette période est marquée par l’installation du sultanat sur le territoire. Durant cette période, le Mawlida shenge était organisé lors des madjilis (assemblées). L’évènement était organisé essentiellement dans les villages capitaux du sultanat comme à Tsingoni, Mtsamboro ou encore Dzaoudzi. Les sultans avaient l’habitude de réunir la population mais surtout les notables de l’île pour des évènements importants tels que les naissances, les décès, les mariages, les couronnements, etc. Lors de ces rencontres, dans les villes capitales du sultanat, les convives étaient invités depuis la veille. Des hommes étaient invités à animer les Mawlida afin d’occuper les invités du sultan jusqu’au lendemain. Les sultans de Mayotte ont repris cette tradition des Hadhrami de l'Hadramaout du Yémen.

De la fin du XVIIIe siècle à 1841

C’est une période marquée par un nouveau fonctionnement avec l’installation du régime colonial, conséquence de la vente de Mayotte à la France, par le dernier sultan de l’île, Andriantsoly. C’était parallèlement aussi une période de progression de l’islam. Le Mawlida au sein de la population était un outil d’islamisation sous le régime de Cadi Omar qui était l’équivalent du premier ministre d’Andriantsoly lors des kabar c’est-à-dire de grandes réunions. Celles-ci étaient organisées pour aborder des sujets importants du sultanat même si le pouvoir avait déjà changé. Il faut noter que le Mawlida avait l’avantage de permettre la participation des non-musulmans.

De 1841 à nos jours

Avec le changement de régime, la société traditionnelle subit progressivement des changements. L'organisation administrative du territoire se rapproche de celle de la France. L'île est découpée en cinq (5) cantons. Déjà, à la fin du sultanat, certaines personnes ayant les moyens, notamment les notables et autres chefs de villages organisaient des Mawlida shenge dans leur village. Ce phénomène se poursuit, et l'on observe vers les années 70, la réalisation de cérémonies à l’échelle de ces cantons. Avec ce changement, nous pouvons remarquer progressivement des invitations entre cantons à tour de rôle. Au fur et à mesure, ce système s’est généralisé jusqu’à l'organisation de Mawlida par village. C'est l'organisation qui est restée.
Nous faisons ci-après un éclairage sur un phénomène qui a marqué historiquement le développement du Mawlida shenge.

Au début de la deuxième moitié du 20e siècle, le Mawlida shenge a accompagné les moments historiques importants de Mayotte et s'est en quelque sorte consolidé avec l’évolution politique de l’île du sultanat jusqu’à la République. Cette cérémonie a connu un renouveau mais surtout une popularité très forte à partir des années 1960 avec le combat pour que Mayotte reste française. En effet, durant cette période les Mahorais-es avaient utilisé le Mawlida shenge comme moyen de rassemblement. Il est devenu à ce moment, un élément identitaire pour les habitants du territoire, un chant de ralliement, de lutte, par excellence. Les rassemblements politiques tels que les grands congrès (Chiconi 1958, ou encore Tsoundzou en juin 1962, etc.) sur l’avenir politique de l’île étaient animés par des Mawlida shenge la veille de leur tenue.

Le Mawlida shenge, en raison de sa place dans la culture et la tradition mahoraises, était présent dans certains lieux de culte, les ziara. En d’autres termes, les Mahorais-es ont prié Dieu pour éviter d’être associés-es à l’indépendance des Comores. Ils se réunissaient régulièrement dans les ziara pour solliciter la protection et les faveurs des esprits. Toutefois, cette cérémonie n’était pas organisée sur n’importe quel site sacré. Le choix de ce dernier demandait au préalable d’aller consulter divers fundi pour connaître le lieu et le moment mwafaka (moment propice, favorable) afin que la cérémonie puisse se faire dans de bonnes conditions mais surtout afin que le souhait soit exaucé par Dieu par l’intermédiaire des esprits peuplant les sites sacrés. Les astres étaient consultés par des mwalimu dunia et des mwalimu mgnogo, fundi des djinns. Rien ne se faisait sans chercher conseil auprès de ces personnes. Le site adéquat pour un Mawlida shenge était donc choisi en fonction du gniora c’est-à-dire les astres. Le but était d’obtenir la protection du Seigneur contre la « menace comorienne ». Lors des cérémonies, les sites sacrés étaient aménagés pour accueillir au moins l'équivalent de la population d’une commune tout entière. Parmi ces sites, on peut citer Andembé, Mkombozi, la mosquée de Mjini Jimawé, Dzaoudzi, etc. On peut ainsi dire que les ziara de Mayotte étaient les témoins privilégiés de la ferveur du combat des Mahorais-es pour leur maintien dans la France. Des personnages illustres tels que Zéna M’déré ou Younoussa Bamana ont fréquenté ces lieux. Le Mawlida shenge est naturellement devenu le symbole par excellence de l’union des Mahorais.

Aujourd’hui, le Mawlida shenge n’est plus aussi présent dans les sites sacrés comme c’était le cas dans les années 1960 à 1980. Avec la fin de la lutte pour « Mayotte française », cette pratique a été peu à peu délaissée. Mais, dans certains sites sacrés, le Mawlida reste très présent. La pointe Mahabou, avec le tombeau du sultan Andriantsoly, est une zone sacrée très importante pour la population locale. Chaque année, un grand Mawlida shenge y est organisé et de nombreux fundi de trumba (cérémonie pour les esprits des défunts) et de patrossi (cérémonie pour les esprits de la nature) assistent à la cérémonie. La mosquée de Polé, monument historique, à Labattoir, accueille également cette manifestation environ une fois par an.

    • Le Mawlida shenge est passé d'une pratique uniquement nocturne à une pratique également diurne. Les organisateurs répondent ainsi à la demande.
    • Le Mawlida shenge est passé d'une pratique spirituelle à une pratique également festive, associée au calendrier à la fois républicain-chrétien et musulman. Ainsi, il est organisé pour les jours fériés (y compris, le jour de Noël), l'Aïd El Fitr... et aussi juste pour le plaisir, les fins de semaine. C'est là un moyen pour les fundi d'avoir une audience plus large que les seuls musulmans et pour proposer une alternative aux vule (rassemblements sur la plage autour d'un barbecue) qui se tiennent lors de ces jours fériés et le dimanche.
    • Le Mawlida shenge connait une forte visibilité. La pratique est médiatisée sur les réseaux dits sociaux et/ou par les télévisions.
    • La sonorisation est de plus en plus présente. Ce qui permet une plus large diffusion, notamment vers les habitants alentours, lors des cérémonies.
    • Il y a des passerelles rythmiques entre le Mawlida shenge et le debaa qui sont faites de plus en plus par certains artistes. Par exemple la madrassati Watoinya de Sohoa dans le debaa « Marahaba » introduit des rythmes du shenge. La chanteuse Zily utilise parfois la rythmique du Mawlida shenge dans ses créations musicales.

Vitalité

Le Mawlida shenge est pratiqué sur tout le territoire de Mayotte et partout où réside sa diaspora. C'est un élément patrimonial qui irrigue constamment la vie des Mahorais-es. La pratique connaît une forte vitalité.
La tenue des Mawlida est centralisée dans des plannings qui couvrent toute l'année. C'est devenu la manifestation du week-end, des commémorations, des luttes politiques et/ou sociales et des jours fériés. La pratique bénéficie d'une forte médiatisation.

Menaces et risques

    • De nos jours, le bandrabandra traditionnel est remplacé par des chapiteaux. Ces chapiteaux apportent un confort. Le paysage du Mawlida shenge s'en trouve modifié. Cette apparente modernité invalide l'autonomie et les capacités que les praticiens-nes avaient dans le montage du bandrabandra. Le contenu du Mawlida n'est pas affecté. Il y a nécessité à s'adapter à un environnement de plus en plus fortement urbanisé.
    • Cette nouvelle disposition introduit une dimension financière dans le Mawlida shenge. Là où il y avait de la solidarité, se substitue le pouvoir d'achat. Les tentes sont louées et cette location représente un budget allant de 1 500 à 3 000 euros selon l'importance du Mawlida.
    • Les organisateurs se retrouvent poussés à aller chercher de l'argent auprès des mairies pour obtenir une subvention, pouvant créer ainsi des liens de dépendance voire de clientélisme.
    • Un autre phénomène est en cours. La visibilité est devenue un gage de qualité et de réussite. Aussi pour en bénéficier, certaines associations se retrouvent à négocier avec des médias privés pour que leur cérémonie soit filmée. Le prix de ce type de transaction peut couter aux associations demandeuses, aux alentours de 300 euros pour 10 min de captation.
    • Le Mawlida est perçu comme une activité de « vieux ». C'est celle des anciens. La pratique est intimement liée à des modes de vie traditionnels. Ces modes de vie ont évolué vers une société de la consommation, de la rapidité, de l'ouverture sur des pratiques plus attractives pour les jeunes. L'apprentissage des fondamentaux du Mawlida shenge demande du temps, de la passion, de l'obstination pour arriver à l'aisance dans le jeu des instruments, dans les chants (pour les garçons) et une parfaite chorégraphie (pour les filles). On peut ainsi constater la faible participation active des plus jeunes. Ils assistent et contribuent, portés par leurs familles, à la mise en œuvre des cérémonies mais sont de moins en moins les chanteurs et percussionnistes.   

Modes de sauvegarde et de valorisation

    • la transmission par les apprentissages dans les écoles coraniques,
    • la transmission au sein des associations de Mawlida shenge de l’île,
    • l'organisation régulière de Mawlida shenge par les acteurs de la communauté,
    • la mise en place d'un atelier périscolaire dans l'école primaire de Chiconi. Les élèves bénéficient de l'apprentissage des percussions du Mawlida shenge : tari, fumba et dori, ainsi que des chants.

Actions de valorisation à signaler

    • la participation d'un groupe de Mawlida shenge aux Scènes ouvertes 2019. C'est une action menée par l'Office culturel départemental de Mayotte. La finale a eu lieu en janvier 2021.
    • l'organisation d'un Mawlida shenge par des élèves de l'école primaire de Bambo Ouest à l'occasion de la Journée internationale de la langue maternelle 2021 (le 21 février).
    • Reportages par les médias et diffusion la plus large, notamment sur le réseau de la chaîne publique, Mayotte la 1ère.
    • La pratique du Mawlida shenge a été présentée par l'équipe du Musée de Mayotte (MuMa) au 8e colloque de la MCM-CFPCI (Maison des cultures du monde - Centre français du patrimoine culturel immatériel) sur la thématique « Patrimoine culturel immatériel et musées, vers un  tiers-lieu ? ». La manifestation s'est tenue à Vitré, du 14 au 15 octobre 2021. L'équipe a fait une communication qui a permis un échange et l'ouverture sur un aspect des pratiques culturelles de Mayotte.

Modes de reconnaissance publique

Sans objet

    • Cet inventaire constitue la première action de sauvegarde. Les membres de la communauté ont salué la démarche et ont exprimé l'intérêt qu'il y a à formaliser toutes ces connaissances,
    • Développer le soutien aux associations par les acteurs publics tels que les mairies, le Conseil départemental et la Direction des Affaires Culturelles (DAC) de Mayotte, le pôle culturel de Chirongui (c'est un établissement secondaire de la commune de Chirongui),

    • Engager, par le biais du MuMa et d'autres acteurs culturels, une collaboration avec la Direction des affaires culturelles (la DAC) et la Délégation académique à l'action culturelle (DAAC) pour l'éducation artistique et culturelle en chant, danse, musique par exemple.
    • Projet en 2022 de réaliser une exposition sur les musiques de Mayotte par le MuMa. Le Mawlida shenge est l'une des trois musiques retenues avec le Shigoma et le Debaa,
    • Accompagner les associations dans leur volonté de sauvegarder la pratique du tsandaruwa (tissu brodé utilisé pour la réalisation de l'espace du Mawlida shenge, le Bandrabandra) et faire une exposition des tissus confectionnés,
    • Prolonger cet inventaire par une campagne de collecte des textes, sauvegarder des cahiers de Mawlida shenge et faire une captation en vue de réaliser un film court.

Rayhatou MZE
Rafioun MCHANGAMA
Mari Souffou Be MARI BE BEN
Ahmed ELZAKI
Mariame ALI SAÏD
Bacar ABDALLAH
Hamida BOINALI
Roukia MAHAMOUDOU
Djalal-Dine Eric ABDOU
Balkia BE MBOUCHI
Marib HANAFFI
Mariame ADA BOINA
Nafissa DAOUDOU ABDALLAH

Récits liés à la pratique et à la tradition

D’après certains témoignages, le Mawlida shenge viendrait d’un personnage très pieux qui s’appelait Shenge. D’origine africaine, il aurait introduit la pratique du Mawlida sur le territoire. Reconnu dans cette pratique, il avait réuni de nombreux adeptes autour de lui. Souvent les fidèles faisaient la prière chez lui. Pour exprimer le fait d’aller chez leur fundi, les partisans disaient souvent : « on va chez Shenge ». Avec l’habitude, le nom du genre est devenu Mawlida shenge.

Cette hypothèse est en décalage avec celle qui voit dans le terme shenge, un qualificatif qui signifie « nocturne » et renvoie au fait que les cérémonies se déroulent à l’origine la nuit. Ainsi, Moidjaha Assani, à Sada, et Roukia Mahamoudou à Acoua, deux octogénaires consultées, parlent d’une pratique déjà ancrée à Mayotte dans leur prime jeunesse. Elles considèrent même que cette pratique est « locale » et que certainement les autres communautés comoriennes ou malgaches se seraient inspirées des Mahorais. Ce point de vue est même partagé par des hommes comme Ahmed Boinahery de la même génération.

Plus poétique, certaines personnes lient le shenge à un amoureux qui, fou d’amour, a chanté l’amour de sa bien-aimée.

Mari Souffou Be MARI BE BEN alias Fundi Omar

« Le Mawlida shenge est arrivé très tard et de manière progressive dans ma vie. En Métropole, j’étais nostalgique des chants mahorais et de l’île de manière générale. De cette époque, est née une envie d’écouter des rythmes qui ont bercé mon enfance, ma vie sur l’île. Après de nombreuses années en Métropole, je suis rentré à Mayotte en 2008. À partir de là, j’ai commencé à suivre les cérémonies de Mawlida shenge. Au début, je voulais juste capter le son et enregistrer les chants afin de pouvoir réécouter chez moi. J’ai commencé à suivre le fundi de l’époque, Souffou Be d’Acoua qui était aussi mon grand-père. À force de fréquenter ces cérémonies, je me suis initié peu à peu au Mawlida en apprenant les textes et en jouant des instruments, surtout le tari. En 2012, mon grand-père me donne un cahier afin que je puisses écrire des textes de Mawlida. À ce moment là, je n’étais pas encore lancé dans un processus d’apprentissage. À la mort de mon grand-père, j'ai été nommé fundi responsable du secteur Nord. Ce poste demande une personne qui est à l’écoute, qui a un sens aiguisé de la diplomatie, un meneur mais surtout une personne qui fédère. Pour moi, les autres fundi ont dû voir ces qualités chez moi d’où le choix de me nommer…
En tant que responsable du secteur Nord, j'ai en charge l’organisation des Mawlida shenge dans ma zone. Un planning très strict est fait afin d’éviter les problèmes entre les villages.  Afin d’harmoniser l’ensemble, le fundi doit être informé. Une personne qui n’aura pas fait sa demande à temps devra attendre pour avoir une autre date ».  

Balkia BE MBOUSHI

« Dans ma jeunesse, mes activités étaient très éloignées des pratiques soufies actuelles. Je chantais et dansais du shigoma. J’étais même animateur et animait différents types de soirées avec ma sono : bals, mariages, shigoma etc. De retour à Mayotte, en même temps que le fundi Omar, je me suis initié petit à petit au Mawlida shenge, en commençant tout d’abord par écouter régulièrement dans ma voiture. Pour me perfectionner et étudier en profondeur, je me suis rapproché des anciens fundi du village ainsi que de leurs femmes et j'ai commencé à recopier les textes chantés et dansés. Avec beaucoup de rigueur et d’implication, j'ai aujourd’hui le titre de fundi. Cela induit un autre comportement. Avec un tel titre j'ai dû faire un choix entre ma vie d’avant et celle d’aujourd’hui. Tout naturellement, j'ai tiré un trait sur mes anciennes activités car je suis père de famille et mon âge entre en ligne de compte. En tant que père je ne veux pas que mes enfants me voient dans certaines pratiques. De plus, mes activités allaient à l’encontre de mon nouvel emploi du temps c’est-à-dire que mes week-ends étaient réservés au Mawlida shenge. Je ne pouvais plus à la fois faire de l’animation et assister aux cérémonies ».

Nafissa DAOUDOU ABDALLAH

« Le Mawlida shenge pour moi est un élément important de ma vie. Je n’ai pas toujours connu ce milieu. Cette passion est arrivée au fur et à mesure que je participais à des cérémonies même en Grande Terre. À cette époque, début des années 2000, il n’existait pas encore d’association de Mawlida shenge en Petite Terre. Avec le temps, nous avons créé notre association de shenge en Petite Terre et par affinité nous sommes rattachés au secteur sud. Mes camarades ont vu en moi une personne très impliquée et ils ont fait de moi, la présidente de l’association Ahalil mawlida ».

Mariame ADA BOINA

« Dans chaque village, il y a un shama (association) de Mawlida shenge. Les dates sont très demandées auprès des fundi responsables de secteur. Il y a un tel engouement que nous cherchons à avoir au moins 2 dates pour organiser un Mawlida par an. Pour organiser ce type de manifestation nous faisons un appel au don de tous les magasins de la Rue du Commerce à Labattoir. Heureusement, ils répondent toujours présents. Ils sont tellement habitués à nos sollicitations qu’ils sont étonnés quand nous n’allons pas vers eux ».  

Rafioun MCHANGAMA

« Le shenge est entré dans ma vie depuis tout petit à l’école coranique. À cette époque,  j'accompagnais déjà mon père aux cérémonies. Attiré par les instruments dans un premier temps, je jouais parfois du ngôma devant mes aînés. Mon père n’appréciait pas que je me fasse ainsi remarquer vu que j'étais petit. Avec le temps, il ne pouvait pas fermer les yeux sur le talent de son fils. Durant mon apprentissage, j'ai pu côtoyer de nombreux fundi très illustres. Aujourd’hui, je transmets la pratique à d’autres personnes ».

Roukia MAHAMOUDOU

« Le Mawlida est une bonne pratique. C’est en quelque sorte le remède du village d’Acoua selon moi. Le Mawlida ainsi que les autres pratiques soufies doivent toujours être présentes sur le territoire. En effet, c’est considéré comme une prière qui est organisée chaque année dans le village pour faire avancer la communauté, et ainsi garder la spiritualité du village. Grâce à mon défunt mari, Assani Amana, fundi très connu sur l’île, j'ai pu enrichir mes connaissances sur le Mawlida shenge ainsi que ma démarche spirituelle ». 

Inventaires réalisés liés à la pratique

Aucun autre inventaire que celui-ci n'a été réalisé.

Bibliographie sommaire

ADDAS Claude, La Maison muhammadienne. Aperçus de la dévotion au Prophète en mystique musulmane, Paris, Gallimard, 2015, 180.
ABID Hiba, La vénération du Prophète en Occident musulman à travers l’étude codicologique de livres de piété (XIe /XVIIe -XIIIe /XIXe siècles).
BLANCHY Sophie, Notes sur quelques sites de cultes (Ziara) à Mayotte. [Rapport de recherche] (15-23 mai 1995) pour le CEROI, INALCO. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01176087 
D’HEROUVILLE Pierre, Mulidi Ya Homu, dit « Mulidi » : une goutte dans un océan, v14.0, Décembre 2010.
Direction des affaires culturelles de Mayotte. Musiques de Mayotte, Patrimoine caché, 2018. https://www.culture.gouv.fr/Regions/Dac-Mayotte/Publications-ressources-communication/Les-publications/La-collection-Patrimoines-caches/Musiques-de-Mayotte-2018 
L’imâm Al-Busayrî, Al-Burda, la perle des odes et le diadème des hymnes à la gloire du Prophètes, Albouraq
RANDRIANARY Victor, Patrimoine musical et chorégraphique de Mayotte, Rapport de mission, février et juillet 2007.

Filmographie sommaire

Le mawlida shengue, réalisation Laure Chatrefou et Elena Bertuzzi, production Les Piémontés, 2021, 21 min 16.

Sitographie sommaire

https://www.zamanproduction.com/ 
Un maoulidé shengué pour Mayotte, (s. d.). Mayotte la 1ère. Consulté 12 avril 2021, à l’adresse https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/2015/12/28/un-maoulide-shengue-pour-mayotte-318043.html 

Praticien(s) rencontré(s) et contributeur(s) de la fiche

MAOULIDA MCHANGAMA Rafioun ; Fundi de mawlida shenge
Commune de Kani Kéli

MARI BE BEN Mari Souffou Be dit Fundi Omar ; Fundi de mawlida shenge, responsable du secteur nord, enseignant en primaire à Acoua
Commune d'Acoua
jijoacoua@outlook.com 

SIDI DJOUMA Saïndou ; Fundi de Mawlida shenge, animateur communal
Commune de Chiconi
sdjoumasidi@gmail.com 

ATTOUMANI Ali-Saïd ; directeur adjoint de la DJSCS, Conseil départemental
bankora976@yahoo.fr 

Métadonnées de gestion 

Rédacteur(s) de la fiche

BOINAÏDI Achoura ; Chargée d'enquête et de collecte au MuMa (Musée de Mayotte)
achoura.boinaidi@cg976  / +269(0) 639 697  735

Enquêteur(s) ou chercheur(s) associés ou membre(s) de l’éventuel comité scientifique instauré                                       

BEN SAÏD Abdoul-Karime ; Directeur du musée de Mayotte (MuMa) – traduction et relecture

M'COLO Ibrahim ; Professeur d'histoire-géographie, photographe

ASSANI Moinaydi ; Assistante de documentation (MuMa)

SAÏNDOU Hakim ; Chef de bureau audiovisuel et multimédia (MuMa)

HASSANI Naouir ; Technicien audiovisuel (MuMa)

BOURAHIMA Houzaïmati ; Animatrice socio-culturelle à la mairie de Pamandzi

DANDEU Emeline ; Recherche documentaire – Université de La Réunion

ALENDROIT Eric ; Chargé de mission patrimoine immatériel au service régional de l'inventaire (SRI) de la Région Réunion, coordination du projet d'inventaire, formation à la méthodologie de l'inventaire du PCI à Mayotte et relecture.

Lieu(x) et date/période de l’enquête

Après une première sensibilisation au PCI par la DIRI, l'inventaire du Mawlida shenge a été initié à l'issue de la formation dispensée en 2019 par le SRI à La Réunion. L'accompagnement s'est poursuivi fin 2020 et plus particulièrement dans le cadre de l'appel à projets de la DgPat-Diri 2020-2021 pour lequel le programme de coopération du SRI a été retenu. Le terrain de recherche était le territoire de Mayotte.

Données d’enregistrement

Date de remise de la fiche : Avril 2022
Année d’inclusion à l’inventaire : 2022
N° de la fiche : 2022_67717_INV_PCI_FRANCE_00510
Identifiant ARKH : <uri>ark:/67717/nvhdhrrvswvkswc</uri>

 

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : fiche à créer

Chant extrait 1 : La yadumu illa llah

Nurumi nurulai

1

Ô noblissime créature : je n’ai nul autre refuge que toi lorsque le malheur S’abattra sur tous
L’honneur que tu me fais n’indisposera pas l’Envoyé de Dieu, lorsque le miséricordieux revêtira l’habit du sévice.
Ta largesse couvre, en effet, les biens du monde et ses richesses, et les savoirs celui de la Planche et de la Plume.
Chère âme : ne désespère donc pas d’un trébuchement à conséquence néfaste ; car face à l’absolution, tout se vaut, petite ou grande transgression
Sans doute, la répartition de miséricorde de Dieu, adviendra-t-elle à l’aune de la désobéissance
Seigneur, ne retourne pas bredouille mon espérance et n’anéantis pas mon espoir.
Aie pitié de ton serviteur endurant dans les deux Demeures, lorsqu’il fera face aux malheurs accablants.
Permets un décompte de prières permanentes et régulières depuis la source intarissable,
Tant que le vent de l’amour soufflera à al-Ban, et qu’affectera le chant du chamelier sur les caravanes
Et que ta satisfaction couvre Abu Bakr, ‘Umar, ‘Ali et ‘Uthman, honnête homme.
Les proches, les amis et les successeurs, hommes de foi, de pureté, d’indulgence et d’honneur.

Chant extrait 2 : Ya mustafa

As-asalamu ‘alayka ya musharraf makka

Que la paix soit sur toi, ô crème des Prophètes
Que la paix soit sur toi, ô élite des pieux.
Que la paix soit sur toi, ô flambeau des épurés
Que la paix soit sur toi, ô quintessence des gens purifiés
Que la paix soit sur toi, de la part du Seigneur du Ciel
Que la paix soit sur toi, infiniment et sans limite
Qu la paix soit sur toi, ô Ahmad, mon bien-Aimé
Que la paix soit sur toi, ô Tâhâ2, mon thérapeute
Que la paix soit sur toi, ô musc, et parfum
Que la paix soit sur toi, ô absoluteur des péchés
Que la paix soit sur toi, ô assistant des étrangers
Que la paix soit sur toi, Ahmad, le louable
Que la paix soit sur toi, Tâha, le glorifié
Que la paix soit sur toi, ô caverne et refuge
Que la paix soit sur toi, ô beauté sans égal
Que la paix soit sur toi, ô soulageur des peines
Que la paix soit sur toi, ô crème des créatures
Que la paix soit sur toi, ô pleine lune
Que la paix soit sur toi, ô Lumière contre toute obscurité
Que la paix soit sur toi, ô unique dessein
Que la paix soit sur toi, ô faiseur de miracles
Que la paix soit sur toi, ô détenteur des vérités
Que la paix soit sur toi, ô toi le plus excellent des guides
Que la paix soit sur toi, ô espoir des pécheurs
Que la paix soit sur toi, ô crème des crèmes
[…….]

1. https://www.nationalkuwait.com/forum/index.php?threads/21282/ 
2. Surnom coranique du prophète Muhammad.

Lexique

Aïd El Fitr : en arabe : ʿīd el-fiṭr, عيد الفطر, (fête de la rupture) est la fête musulmane marquant la rupture du jeûne du mois de ramadan.
‘Äsr : prière de l’après-midi, la troisième des cinq prières quotidiennes.
Arbaini : quarantième jour, par exemple après un décès.
Arwah : évocation de l’esprit des anciens.
As-salam : prière et éloges du Prophète.
Bandrabandra : sorte de chapiteau traditionnel bordé de tissus brodés qui accueille les manifestations publiques ou privées.
Barzandjî (barzange ou Barzangî) : compilation de récits et poèmes mystiques hagiographiques sur la vie du prophète Muhammad. Il s’agit d’un ouvrage utilisé par les principales confréries soufies comoriennes et mahoraises dans la célébration du mawlid, naissance du Prophète.
Burda (al) : de Sharaf ad-Dîn Al-Bûsîrî, le plus célèbre poème jamais composé en éloge au prophète Muhammad. Il s'agit ici de la partie introductive du texte. Mais, la particularité de la Burda vient surtout des motifs de sa composition. En effet, atteint de paralysie partielle, Al-Bûsayrî composa ce texte (plus de 150 vers) avec l'intention sincère de chercher la guérison par cet acte de dévotion. Il vit alors le Prophète en songe qui le toucha le long du corps et, à son réveil, son mal avait disparu.
Dalo (shi.), Tsihi (ki.) : natte tressée de paille koma et faite de trois bandes cousues que l’on replie avant de la rouler.
Dayiyo (shi.), ravaɳa (ki.) : ensemble de bijoux, parure.
Dayra : cérémonie mystique où les initiés se mettent en rond, souvent debout, se tenant les bras et sautillant au rythme des chants. Les trois principales traditions mystiques mahoraises la pratiquent, à savoir la Shâdhiliyya, Rifa’iyya et Qâdiriyya. S’agissant de la Shâdhiliyya, depuis quelques années, les femmes se sont mises à pratiquer la dayra, en position assise.
Debaa : pratique musicale mystique, issue de la confrérie Rifâ’iyya. Le mot renvoie en même temps à la cérémonie et au type de musique associé. L’origine de son appellation remonterait à Abdurrahmân b ‘Alî al-Dayba' (عبد الرحمن الديبع) / al-Dayba’î (ڥʏالديب) (866h/1461), historien yéménite, écrivain, traditionniste (spéc. Hadîth), compilateur de poèmes et auteur de mawlid (récits mystiques sur la naissance du Prophète et sur les évènements afférents). Originellement masculin, le debaa est devenu, à Mayotte, une pratique de prédilection des femmes depuis la première moitié du XXe siècle, avec une chorégraphie faite de gestuelles (main, corps, etc.) mêlant grâce et beauté. La pratique masculine du debaa se joue dans les cérémonies de mulidi, de kandza, de dinahu et de madjlis.
Dinahu : nom d’une prière d’hommes chantée et dansée organisée par les adeptes et consistant en un pas en avant un autre en arrière.
Djadhiba : de l’arabe djadhîba (جذيبة), attraction, état de transe succédant à l’enivrement par la musique et/ou le chant spirituel. Attraction vers le Divin.
Djavi (shi.) : grande natte.
Djumba (shi.), ankandzu be (ki.) : habit traditionnel musulman, également appelé « boubou ».
Dori : membranophone, tambour à deux peaux de la famille des ngôma.  
Duwa : invocation dans l’islam, c’est une supplication par laquelle les musulmans demandent à Allah d’exaucer leurs demandes.
Fajr : la première des cinq prières quotidiennes, entre 4h et 5h du matin.
Fatiha : « Ouverture » en Arabe ; première sourate du Coran, la plus courte, souvent dite comme prière courante de louange à Allah.
Fumba : membranophone, tambour à deux peaux de la famille des ngôma.
Fumbo : Le fumbo est un substantif issu du verbe ufumba, « parodier ». Il s’agit d’un chant accompagné ou non d’instrument et dont l’objet est la parodie, la critique ou au contraire l’éloge. Pratiqué dans les cérémonies nuptiales profanes (shigoma, mlelezi, mbiwi, etc.), il permet de louer les époux ou, au contraire, de dénoncer les attitudes néfastes au mariage. Mais son chant couvre aussi la critique de la société, le dénigrement ou encore l’éloge d’un candidat aux élections, ou la défense d’une cause. Il est caractérisé par l’usage de beaucoup d’allusions, de métaphores et de messages indirects. À Mayotte, deux villages ont été célèbres pour cet art : Bandrélé et Mtsangaboua.
Fundi : En shimaore, c’est un terme générique qui signifie « maître » dans les domaines de la connaissance.
Gniora : les astres.
Hayma : drap couvrant le haut du bandrabandra, c’est-à-dire le toit.
Istihifar : acte de demander le pardon d’Allah, il est considéré comme l’une des parties essentielles du culte en islam.
Kabar : grande réunion.
Kange : ragoût de bœuf très apprécié à Mayotte et souvent mis à l’honneur lors des évènements.
Kasuida : poème, en arabe. Ce terme est utilisé à Mayotte pour désigner une manifestation exclusivement masculine consistant à chanter les louanges de Dieu et de son prophète Muhammad à l’occasion des mariages.
Kunut : « être obéissant » ou « acte de se tenir debout » en arabe classique. Duwa spéciale récitée pendant la prière.
Lolo (shi.), lolu (ki.) : collier de perle.
Madjiliss : de l’arabe madjlis (سِلْجَم), assemblée. Il s’agit d’une assemblée réunissant les dignitaires et le public autour d’un objectif spirituel, ou à l’occasion d’une joie. Le madjlis de mariage est ponctué de lectures du Coran, de mawlida (barzandjî), d’exhortations, de chants et de danses.
Majmû’ mawlid sharafi l-anâmi « Barzandji » : une compilation de textes en prose et panégyrique du prophète Muhammad sous forme de prose ou poésie. C'est également le support de base des rituels pour les cérémonies nuptiales publiques à caractère religieux (comme le madjilis), pour la célébration familiale ou sociale de l’anniversaire et de la nativité (mawlida). Les Soufis s’en servent aussi dans leurs rituels (mulidi, dayra), où on psalmodiera aussi des poèmes issus d’autres sources, à l’instar d’al-Qasida al-witriyya dans la confrérie des Qadiri.
Marashi : parfum.
Mbadzio : chorégraphie.
Mrenge : sport de combat pratiqué dans l’océan Indien, combat à mains nues proche du moring réunionnais.
Msindzanu : masque de beauté porté par les femmes, fabriqué à base de bois de santal.
Msutru : tissu qui sépare les hommes des femmes dans le bandrabandra, lors des mawlida shenge.
Muezzin : personne chargée de lancer l’appel à la prière, au moins cinq fois par jour, le plus souvent du haut du minaret de la mosquée.
Mulidi : mot venant d’une déformation du terme mawlid (دِلْوَم), naissance. Il désigne tout autant la cérémonie, le chant, la danse et le rythme de chant soufi de Mayotte se réclamant de la twariqa qâdiriyya.
Mvundzidzio : action d’accélérer le rythme de la musique, vers la fin.
Mwafaka : moment propice, favorable.
Nadhara : de l’arabe nadhr (رْذَن), promesse d’action. Il renvoie à une promesse d’œuvre pieuse, après la réalisation d’une réussite et d’une joie.
Ngôma : nom générique renvoyant aux instruments membranophones.
Niya : intention de faire quelque chose.
Nurun min : autre nom donné au poème de la Burda (burday en shimaore). Il s’agit d’un poème d’al-Busîrî, maître soufi qui aurait été guéri d’une paralysie après la composition dudit poème. Quant à l’appellation de Nurumi, elle vient du début du refrain du chant qui est : /nurun min rûri l-lâh, yâmustafâshay’un li-lâh/= « lumière parmi les lumières de Dieu ; ô Élu, chose de Dieu ».
Patrossi : esprits de la nature.
Rwahi : de l’arabe arwah (أرواح), esprits. Il s’agit d’une étape dans la cérémonie où on évoque l’esprit de personnes bénéficiaires de l’invocation par la fatiha (1ère sourate), présentée comme « présent » spirituel. Cette étape couvre différentes personnalités de l’islam et de la confrérie, mais aussi le nom des personnes en l’honneur desquelles est organisé le rituel.
Shâdi : chant a capella.
Shama : association (formelle ou informelle).
Sheredzo : brûle encens.
Shigoma : nom d’une danse masculine au cours de laquelle les hommes portent leurs plus beaux habits, les rythmes et les pas se font dans une hiérarchie et un ordre bien ordonné.  
Shioni (shi.) ou kioni (ki.) : école coranique traditionnelle.
Shiri (ki.) : chaise.
Soroda : partisans du rattachement de Mayotte à la France et de sa départementalisation, à partir des années 1970.
Takrima : présents alimentaires remis lors de certaines cérémonies aux convives.
Tampa (shi.), kilabu ni anfu (ki.) : botte de fleurs de jasmin accrochés à une épingle.
Tari : membranophone, tambour sur cadre.
Toka : fleurs de jasmin attachés en boule sur des colliers de perles.
Twahibal’asmaï (ou Toybal Asma’i ): poème de louange à Dieu, utilisé comme invocation. On l’apprend au shioni tous les mercredis. Il est lu en privé ou de façon collective, pour le shidjabu (rituel de protection contre le mal) ou encore pour la recherche de bénédiction, y compris au profit d’une personne morte, dans la commémoration de sa mort (mahitimiyo).
Trumba : nom générique d’esprits possesseurs d’origine malgache (esprits de rois ou de chefs décédés), et nom des cérémonies qu’on organise pour s’entendre avec eux.
Tshandaruwa : tissu brodé à la main, bordure petakufe, avec divers motifs de la vie quotidienne ou des représentations symboliques, utilisé pour décorer le bandrabandra.
Twarika : de l’arabe tarîqa (طريقة), voix soufie, confrérie. À Mayotte, il y a principalement la Qadiriyya, la Rifa’iyya et la Shadhuliyya (Shadhiliyya).
Ubani : encens, résine odorante, employé en fumigations pour toute cérémonie religieuse islamique et traditionnelle.
Ûndi : encens en tige odorante employé en fumigations pour toute cérémonie religieuse islamique et traditionnelle comme le ubani.
Vawo : ensemble fait de saluva (lambe circulaire), kishali (lambe ouverte), « body » (haut) et de kabwa (chaussures).
Vule : terme utilisé par les Mahorais pour désigner un barbecue traditionnel souvent organisé sur la plage. La tradition du vule est très vivace : les familles et amis se réunissent chaque fin de semaine pour déguster des grillades (bananes vertes ou manioc cuits, grillés ou sous la cendre), jouer et se baigner.
Ziara : lieu sacré réputé habité par des djinns, où sont déposées des offrandes au cours de visites privées ou de fêtes religieuses.

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