Santibate et Libertimendua sont des célébrations, en deux temps, de la période de carnaval, pratiquées dans la province de Basse-Navarre et dans quelques villages du Labourd
Santibate et Libertimendua sont des célébrations, en deux temps, de la période de carnaval, pratiquées dans la province de Basse-Navarre et dans quelques villages du Labourd.
Santibate est un cortège nocturne de personnages masqués ou maquillés aux aspects plus ou moins dépenaillés, dits zirtzil, dansant et chantant le long de leur parcours (rue, maisons, bars), autour de la semaine de carnaval, à des dates variables. Un ou deux poètes improvisateurs (bertsulari) et des musiciens font partie du cortège.
Santibate et Libertimendua sont des célébrations, en deux temps, de la période de carnaval, pratiquées dans la province de Basse-Navarre et dans quelques villages du Labourd.
Santibate est un cortège nocturne de personnages masqués ou maquillés aux aspects plus ou moins dépenaillés, dits zirtzil, dansant et chantant le long de leur parcours (rue, maisons, bars), autour de la semaine de carnaval, à des dates variables. Un ou deux poètes improvisateurs (bertsulari) et des musiciens font partie du cortège. Libertimendua est une célébration diurne se déroulant le Dimanche gras ou un dimanche de la période de Carnaval, demandant une organisation importante pour la danse, les costumes et surtout le théâtre pamphlétaire.
Si Santibate, fête des zirtzil, est le symbole de l’hiver, Libertimendua, fête des volants, du nom des danseurs « à volants » de la cavalcade bas-navarraise, annonce l’arrivée du printemps qui reprend ses droits sur l’hiver. Depuis la reprise de ces deux manifestations dans les années 2000, les jeunes filles y prennent part.
Dans les villages de Basse-Navarre et du Labourd, où les traditions de Santibate et Libertimendua ont été reprises (cf. partie I.4), les organisateurs et protagonistes sont des groupes de jeunes, filles et garçons âgés de 15 à 30 ans, souvent déjà membres d’associations culturelles (danse, théâtre), avec pour objectif la promotion de la culture basque. Parfois, la manifestation est initiée par ces associations, tels le groupe de danse Garaztarrak à Saint-Jean-Pied-de-Port et les groupes de danse Burgaintzi et de théâtre Kitzikatzank à Saint-Palais, ou par le comité des fêtes du village, comme à Irissarry. L’organisateur peut aussi tout simplement ne pas être mentionné.
D’une manière générale, les acteurs sont originaires de la ville, du village ou de la vallée. Leurs compétences diverses s’acquièrent, le plus souvent, dans le groupe duquel ils sont issus.
Les participants à Santibate (tournée des bars) doivent être capables d’interpréter les chants basques prévus. Ils sont donc bascophones, au moins passifs, au mieux actifs. Les deux poètes improvisateurs (bertsulari), qui font partie de la bande, parlent couramment la langue basque.
Libertimendua alterne théâtre charivarique, danse et improvisation versifiée et chantée. Les zirtzil dépenaillés qui occupent pendant 1h30 de spectacle la place du village sont d’une verve et d’une énergie incroyables. Les danseurs, aux costumes gracieux et lumineux, sont généralement confirmés. Les bertsulari commentent les événements. Tout se déroule en euskara (langue basque).
À Saint-Jean-Pied-de-Port et dans ses environs, la génération née dans les années 1990 a participé dès son adolescence à ces deux manifestations : « Duela 13 urte hasi zen Libertimendua, duela 12 urte Santibate, 13 urte dituztanetik ezagutu ditut (26 urte ditut aurten), kasik ene « kulturan » sartuak dira, horiekin handitu naiz » [Libertimendua a redémarré il y a 13 ans, Santibate il y a 12 ans, je connais ces fêtes depuis que j’ai 13 ans, elles font partie de ma culture, j’ai grandi avec elles] (témoignage d’un comédien, 26 ans, janvier 2019).
Devenues aujourd’hui rituelles, ces fêtes rassemblent, au-delà des jeunes, toute la communauté villageoise. Santibate, la tournée nocturne des bars du village, est ouvert aux gens de toutes générations. Le spectacle de Libertimendua rassemble quant à lui un public important, qui dépasse très largement les frontières du village. Le public a hâte de savoir ce que le théâtre leur réserve comme surprises : « Heldu dira ez dakit zenbat jende, denek jakin nahi dute zer aterako den… » [Viennent je ne sais combien de gens, ils veulent tous savoir ce qu’il en sortira…] (témoignage de Mattin Etxeberri, porte-drapeau, dantzan.eus, 7 février 2016).
En 2019, les fêtes carnavalesques connues aujourd’hui sous le nom de Santibate et Libertimendua ont lieu en Basse-Navarre (villes de Saint-Palais et Saint-Jean-Pied-de-Port, village d’Irissarry, vallées d’Hergarai et des Aldudes, en Pyrénées-Atlantiques) et dans trois villages limitrophes du Labourd (Mendionde, Macaye et Louhossoa, en Pyrénées-Atlantiques), regroupés pour l’occasion. En Nouvelle-Aquitaine, la Basse-Navarre (environ 30 000 habitants), le Labourd (environ 250 000 habitants) et la Soule (environ 15 000 habitants) sont les trois provinces historiques du Pays Basque nord, administrativement regroupées depuis janvier 2017 au sein de la communauté d’agglomération Pays basque, Euskal Hirigune Elkargoa (308 323 habitants).
Santibate et Libertimendua, directement liés au passage de l’hiver au printemps, peuvent être rapprochés des mascarades rurales et carnavalesques connues dans toute l’Europe (cf. en bibliographie les travaux de Van Gennep, Gaignebet et Lajoux).
Leurs aspects communs sont les tournées de dons et de contre-dons, de maison en maison, les cortèges de masques, beaux ou laids, et de danseurs pratiquant la quête, la présence d’un déguisement en ours ou encore les pratiques pamphlétaires de type charivarique.
Ces éléments se retrouvent très souvent en France (fêtes de l’Ours du Vallespir, tournées des Belles à cheval blanc en Provence, tournées des Baladins dans les Hautes-Pyrénées), en Italie (tournées de La Baio de Sampeyre et mascarades rurales d’Aoste), en Espagne (Vijanera de Silió en Cantabrie ; tournées de quêtes des villages du Baztan, d’Ituren et de Zubieta en Navarre), en Pologne (tradition des Dziady de Ziwiec), en Tchécoslovaquie (tournées des maisons à Vernar ou à Doudleby) ou encore en Autriche (blancs et noirs de Nassereith).
L’aspect théâtral de Libertimendua évoque les nombreux tribunaux jugeant les personnifications de carnaval et déballant sur la place publique des problèmes moraux, locaux ou nationaux, comme dans la condamnation de Pétassou en Périgord (Occitanie), de Sent Pançard à Pau (Béarn) et du Marquitos de Zalduondo dans la province d’Alaba (Espagne, Pays Basque sud).
L’aspect critique est présent dans de nombreuses mascarades hivernales, comme dans les chars mettant en scène des événements de l’année écoulée à Laza (Espagne), ou chez le Tragenrufer d’Elzach (Allemagne), clamant et dénonçant en pleine nuit les faits qui ont défrayé la chronique (cf. Jean-Dominique Lajoux).
La composition du cortège de Libertimendua, composé de personnages joliment habillés et dépenaillés, rappelle les mascarades de la province voisine de Soule, d’Aragon (Bielsa, en Espagne), du bassin méditerranéen (Grèce, cf. Julio Caro Baroja en bibliographie) ou d’Europe de l’Est (Roumanie, Tchécoslovaquie).
« Santibate est le premier carnaval, le carnaval d’hiver, que l’on oppose à celui du printemps, Libertimendua. C’est un carnaval nocturne, celui des masques, l’ombre de celui des volants. Le jeu consiste à aller de maison en maison la nuit. Il s’agit d’un chemin initiatique. Entre jeunes du quartier, l’expérience des uns profitant aux autres, on apprend à connaître les chemins les plus courts, expériences de boy scout que l’on se plaît à raconter avec nostalgie : celui-ci est tombé dans le ruisseau ; celui-là, caché dans une borde, a effrayé ses amis ; les pensées se remplissent d’émotions et de peurs. On fait la connaissance des maisons, de ceux qui, toute la vie, seront de notre village », écrit Antton Luku (2014, p. 192), à propos de la tradition dans la région de Saint-Jean-Pied-de-Port. « Que faisaient-ils dans les maisons ? Boire et manger, à l’image des tournées de maison vécues comme les meilleurs moments des fêtes de village, ici aussi les jeunes sont invités dans les maisons. Lorsqu’on insiste : Mais que faisiez-vous de particulier ? Rien de beau. On était masqués, ils essayaient de savoir qui était qui. On faisait des grimaces avec nos masques. On riait ».
De mêmes souvenirs ont été recueillis auprès de Jeanne Unassobiscay, Catherine Tisset ou Domingo Lerissa (respectivement nés en 1926, 1936 et 1932), à Béhorléguy (vallée d’Hergarai), très probablement pour la période après 1945, dans le cadre de l’enquête pour la présente fiche. Les jeunes garçons circulaient de maison en maison, le Mardi gras, à la quête de nourriture (boudins, saucisses, jambon, œufs). En route, ils s’amusaient parfois à effrayer les enfants en courant derrière eux. Ils arrivaient dans les maisons en chantant, en jouant de l’accordéon, parfois en dansant aussi. Devant la porte, ils entonnaient un chant spécialement donné à cette occasion, le Santibatek andere, en l’honneur de la maîtresse de maison. S’ils étaient invités à entrer, ils terminaient la chanson avec des remerciements, dans le cas inverse avec des propos secs et acerbes (la chanson elle-même présentant ces variantes). À l’intérieur de la maison, les jeunes gardaient leurs masques afin qu’on ne les reconnaisse pas. Ils pouvaient parfois les enlever pour discuter tranquillement avec les gens. Les hôtes offraient du vin et des beignets (kauserak) et quelques victuailles à emporter. Les œufs étaient transportés dans un panier, la viande de porc accrochée à une broche (gerrena), le tout était ramené à Errentaenea pour que Graxiana les cuisine.
Ce chant est repris aujourd’hui par des jeunes de Béhorléguy mais aussi de Mendive, Ahaxe et Lecumberry (vallée d’Hergarai) qui ont décidé en 2015 de renouer avec la tradition de Santibate. Ils étaient une douzaine en 2015 à passer de maison en maison les samedi 31 janvier et vendredi 6 février au soir. Par ailleurs, rendez-vous était donné à tous les habitants de la vallée, sur la place de Lekumberri (Lecumberry), le 31 janvier au soir à 11 heures, pour chanter, danser et boire.
Regroupés depuis juin 2019 au sein de l’association Irabia, ces jeunes ont quelque peu adapté la formule et invitent les gens à se retrouver, toujours le soir, masqués et déguisés, à la maison Etxartia à Bussunarits pour y chanter et manger du boudin aux pommes.
La tradition de Santibate a donc repris à la fin des années 2000 et au début des années 2010. La ville de Saint-Jean-Pied-de-Port est la première à l’avoir accueillie à nouveau en 2007, sous la houlette d’Antton Luku. Ici, après la tournée des bars, vers minuit, les jeunes partagent le boudin à la Peña Urkulu. Les autres villages ont suivi cette même tradition à partir des années 2010. À Irissarry aussi, d’anciens élèves d’Antton Luku, étudiants au lycée de Navarre, ont remis la tradition au goût du jour. Les premières années, ils circulaient de maison en maison. Cette organisation devenant un peu lourde pour les hôtes, ils font aujourd’hui le simple tour des restaurants du village jusqu’à 2 h du matin. Des tapas leur sont offerts à manger, tandis que les jeunes paient leur consommation. Il en est de même à Saint-Jean-Pied-de-Port, à Saint-Palais et à Banca-Aldudes-Urepel. Dans ces trois derniers villages, Santibate prend la dénomination de Karatotxak. Irissarry et ses villages voisins, dont Ossès et Suhescun, se regroupent aussi depuis 2019. Partout, les bertsulari apportent du « piment » à la soirée.
Libertimendua est à Santibate ce que le jour est à la nuit. Ce carnaval de printemps, et non d’hiver, raconte l’opposition entre le monde lunaire (le cycle de la nature, les choses cachées et nocturnes) et le monde solaire (le pouvoir, les choses officielles et structurées) : « L’hiver, le soleil se rapproche de la terre jusqu’à y pénétrer, puis il remonte ragaillardi de la force qu’il a puisée dans la terre. Noël, Eguberri, signifie feu nouveau, naissance, année nouvelle » (Luku, 2014, p. 132-133). Libertimendua, avec ses personnages hauts en couleur, symbolise ce renouveau.
Libertimendua a généralement lieu un dimanche matin, durant la période de carnaval : les trois célébrations de Macaye, Saint-Palais et Urepel, en 2019, se sont déroulées entre le 2 février et le 17 mars ; les cinq célébrations de Macaye, Saint-Palais, Saint-Jean-Pied-de-Port, Irissarry et Eznazu, en 2020, entre le 9 février et le 1er mars. Le Libertimendua de Saint-Jean-Pied-de-Port a généralement lieu le dimanche qui précède Mardi gras, comme en 2020 (dimanche 23 février). La manifestation se déroule de 10 h 30 à 13 h et est suivie d’un repas pour ceux qui le souhaitent. Les villages qui organisent cet événement le font chaque année, avec des exceptions (trêve en 2019 pour Saint-Jean-Pied-de-Port, reprise en 2020).
Après un temps d’habillage et de préparation, Libertimendua démarre généralement vers 10 h 30 avec un défilé, qui parcourt le bourg.
L’ordre du défilé peut varier selon les villages, mais la tête du cortège est toujours occupée par les sapeurs, lorsqu’il y en a.
Les sapeurs sont suivis :
D’autres personnages peuvent compléter ce cortège, tels Jauna eta Anderea (le Monsieur et la Dame), représentés à Saint-Jean-Pied-de-Port par des poupées géantes, le capitaine et sa femme ou des caricatures des petits métiers (maréchal ferrant, forgeron…).
La troupe ainsi constituée arrive, au bout d’une heure et demie de défilé, sur le lieu de la représentation (fronton, mur à gauche, salle polyvalente, marché couvert, cour d’école) et en prend possession avec une danse dite martxa ou bolant dantza.
À la troupe s’adjoignent alors les bertsulari ou, le cas échéant, d’autres participants. À Urepel, en 2019, les enfants de l’école primaire se sont associés à l’événement : avant le spectacle des « grands », ils donnèrent quelques danses et brûlèrent Zanpantzar (saint-Pansard).
Le spectacle alterne ensuite, une heure et demie durant, des danses, les scènes théâtrales des zirtzil, les performances du makilari et des improvisations versifiées.
Le théâtre pamphlétaire constitue le clou de la manifestation. Il reprend des événements et thèmes de nature très différente et de niveau local, national ou international. Le village puise d’abord dans sa propre actualité, puis s’empare de thèmes au-delà, comme, en 2019-2020, la disparition des services publics, la difficulté de repeupler le Pays basque intérieur, les querelles entre écoles, l’Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), la grippe aviaire, l’introduction de l’ours dans les Pyrénées, le processus de paix du Pays basque, les politiques menées par la toute nouvelle communauté d’agglomération du Pays basque, la révolte des Gilets jaunes, l’homosexualité, les migrants, le G7 ou le réchauffement climatique.
À Urepel, en 2019, quelques questions philosophiques furent également évoquées, comme le travail en tant que valeur, la mémoire et sa conservation. Partant de l’anecdote de la télévision participative locale Kanaldude qui, l’année précédente, perdit les rushs du Libertimendua 2018, une réflexion émergea sur l’importance ou non de la conservation. La conclusion étant : le plus beau souvenir n’est-il pas finalement celui que chacun garde en soi ? Sur tous ces sujets, toujours traités avec sarcasme et ironie, les deux bertsulari rebondissent et le public se délecte. Les zirtzil apportent ainsi un regard extérieur critique aux événements quotidiens de la ville ou du village. C’est la raison pour laquelle ils étaient autrefois souvent originaires d’une vallée voisine. Même si ce n’est aujourd’hui plus le cas, ils représentent toujours la bouffée d’oxygène dont les gens sont friands. Le théâtre est un moment particulièrement attendu. La priorité des comédiens n’est pas d’amuser sans blesser mais plutôt de dénoncer sans retenue. La critique étant, durant cette célébration, socialement acceptée, voire recherchée, ils s’en donnent à cœur joie. Au-delà de la critique, la transgression et un vent de folie soufflent ce jour-là.
Langue basque (euskara), utilisée pour le chant Santibatek andere, qui peut se présenter dans des versions différentes. Le chant Santibatek andere a été recueilli par Resurreccion Maria Azkue à Béhorléguy à la fin du XIXe siècle.
Santibatek andere
[Présentation et demande]
Santibatek andere, aurten bezala gero ere,
Santibatek igortzen gaitu xingarketa gu ere.
« Santibate » Monsieur, Madame,
Comme cette année et plus tard aussi,
« Santibate » nous envoie
Quémander du lard, nous aussi.
Ez gabiltza ederrez, ez eta ere beharrez,
kostuma zaharraren ustez erreprotxa beldurrez.
Nous ne venons pas à la recherche du beau,
Ni non plus par besoin,
croyant aux vieilles coutumes
Et de peur de reproches.
Eztugu nahi urdea, ez eta ere erdia,
kostumako legeagatik liberaerdiko zatia,
libera erdiko zatia edo gerrenaren betea.
Nous ne voulons ni le cochon
Ni non plus sa moitié.
Suivant l’usage, la coutume,
Un morceau d’une demi-livre
Ou cette broche (de cheminée) pleine.
Ez dugu nahi tripotik, bertzean izan ez denik,
beldurrez eta tronpa gaitzaten zerri kakaz beterik.
Nous ne voulons pas de boudin
Qui n’a pas été fait dans le chaudron,
De peur qu’on nous trompe
Et qu’il soit fait avec du « caca » de cochon.
Compliments à la maîtresse de maison
Etxean eder gerrena, etxek’andere lerdena,
zure erhiko erhaztun hortaz eros nezake Baiona.
Dans la maison, belle (est) la broche (de la cheminée),
Agile, la maîtresse de maison.
Avec la valeur de la bague de votre doigt,
Je pourrais acheter Bayonne.
Etxean eder kortseiru, dabiltzanian inguru,
etx’ huntako etxek’anderea paradisuan aingeru.
Dans la maison belle est la cour.
Quand les gens tournent autour,
La maîtresse de cette maison
Est comme un ange au paradis.
Etxean eder ohako, haurra sortzen deneko,
etx’huntako etxek’anderea zaldiz elizarako,
zaldiz elizarako eta zilar kadiran jarriko.
Dans la maison, beau (est) le berceau
Pour quand l’enfant naîtra.
La maîtresse de cette maison
(Va) à cheval à l’église
Et s’assiéra sur une chaise d’argent.
Landan eder ilarra, haren pean belarra,
etx’huntako etxek’anderea zer emazte xilarra.
Dans les champs, beaux sont les haricots
Et en-dessous l’herbe.
La maîtresse de cette maison,
Quelle femme en or !
Etxean eder ferreta, haren gainean kaneta,
etx’huntako etxek’anderea zer emazte plaxenta.
Dans la maison, belle (est) la ferreta
Et au-dessus la louche.
La maîtresse de cette maison,
Quelle femme agréable !
Au maître, moitié compliments, moitié critiques
Etxean eder aitzurra, nagusi bilo izurra,
kolputto bat eman ezaguzu busti dezagun zintzurra.
Dans la maison, belle (est) la pioche.
Maître aux cheveux frisés,
Donnez-nous un petit coup
Que nous mouillions notre gosier.
Kaderan zaude jarririk, koloreñoak gorririk,
guri xingarraren ematerat jeiki bazinte hortik.
Vous êtes assis sur votre chaise,
Le teint rouge.
Pour nous donner du lard,
Si vous vous leviez de là ?
Xoria dago pinpirinetan, etx’huntako leihoetan,
zazpi zezen ilen tuzte primu horren ezteietan,
zortzigarrena toleaturen konpaiñiaren ohoretan.
L’oiseau est en train de piailler
Dans les fenêtres de cette maison.
Ils vont tuer sept taureaux pour le mariage de l’aîné,
Le huitième en l’honneur de ceux qui causent du tracas.
Quand la maîtresse de maison donne quelque chose
Eman duzu nobleki, konpaiñiak ere badaki,
paradisuan sar zaitela zure familiarekin.
Vous avez donné généreusement.
La compagnie le sait aussi.
Que vous entriez au paradis
Avec votre famille !
Quand la maîtresse de maison ne donne rien
Goazin goazin hebentik, hemen eztiagu xingarrik,
etx’huntako gazitegian saguak umeak hazten tik.
Partons, partons, d’ici.
Ici, il n’y a pas de jambon.
Dans le saloir de cette maison,
La souris nourrit ses petits.
Etxean eder aihotza, etxek’andere hortz motza,
su burdinaz hauts ditzazula sudur eta kokotza.
Dans la maison belle (est) la serpe.
Maîtresse de maison à la dent cassée,
Que le chenet vous casse
Le nez et le menton !
Patrimoine bâti
Sans objet
Objets, outils, matériaux supports
• La broche (gerrena) pour accrocher et transporter les victuailles recueillies dans les maisons
• Les costumes des danseurs de Libertimendua
Santibate demande surtout que les chants donnés à cette occasion soient mémorisés, tandis que Libertimendua requiert un savoir-faire plus important sur le plan artistique (théâtre et écriture, d’une part ; danse et musique, d’autre part) et sur le plan organisationnel (communication, repas du dimanche midi). L’écriture des textes démarre dès l’automne de l’année précédente. Quelques comédiens (anciens et/ ou nouveaux) discutent et structurent les idées, future trame du théâtre charivarique. Ils se lancent, à partir de décembre, dans l’écriture et la mise en scène. Les répétitions s’ouvrent dès lors à tous. Les danseurs, déjà confirmés, commencent leur répétition hebdomadaire après les fêtes de fin d’année.
Le repas du midi est souvent préparé par l’association locale des parents d’élèves de l’ikastola, habituée à se mobiliser pour faire entrer de l’argent dans ses caisses. Ces parents, pas directement impliqués dans l’organisation de Libertimendua, sont plus disponibles pour l’intendance du midi.
La transmission de ces savoir-faire se fait au sein d’associations déjà constituées (groupes de danse ou de théâtre, dits gaztetxe, ou maisons de jeunes, parents de l’ikastola) : les anciens transmettent aux plus jeunes. L’apprentissage est collectif, la passation aussi. Ceci ne doit pas occulter le rôle décisif de certaines personnes dans la transmission de ces pratiques chantées et dansées.
Certaines personnes ont joué un rôle clé dans la renaissance et/ou le maintien de ces traditions carnavalesques.
• Faustin Bentaberry (1869-1936)
Pour la partie dansée et musicale de Libertimendua, l’apport de Faustin Bentaberry dans le Pays de Cize et au-delà est incontestable. Originaire d’Ispoure (Pyrénées-Atlantiques), fils de forgeron et issu d’une famille de ménétriers, il apprit à jouer de la clarinette au sein de la Lyre de Saint-Jean-Pied-de-Port, formation musicale émanant d’une mouvance républicaine de gauche, et devint musicien professionnel, l’un des premiers à en vivre. Dès l’âge de 17 ans, il jouait de la clarinette et maîtrisait parfaitement le solfège, alors que son oncle et son grand-père, musiciens également, apprenaient la musique par cœur sans connaître le solfège.
Comme en témoigne Michel Aurnague (collecte Eleketa, 2014, 19 AV 1486-1487), Faustin a contribué au développement de la danse basque en Basse-Navarre et au Pays basque nord : réhabilitation de sauts basques tombés dans l’oubli (Alemanak, Teilagorri, Kattalina) ; introduction des entrechats dans les sauts bas-navarrais, sans doute sous l’influence de la Soule ; création de la danse euskaldunak sorginak (variante de sauts avec disposition en deux rangées horizontales) et des quadrilles. Selon Antton Luku, les sauts basques n’auraient, sans lui, probablement pas traversé le XXe siècle.
Vers 1890, pour valoriser ces sauts basques, il créa à Ispoure, sur le modèle des parades charivariques [cf. fiche « La parade charivarique en Basse-Navarre et Labourd/Kabalkada ou Toberak », Inventaire national du patrimoine culturel immatériel, 2018_67717_INV_PCI_FRANCE_00401, https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Patrimoine-culturel-immateriel/L-inventaire-national-du-PCI/Inventaire-national/Pratiques-sociales-et-festives ], les premiers Libertimendu, des cavalcades simplement dansées, sans sujet, qui, en quelques années, se répandirent à Uhart-Cize, Saint-Jean-Pied-de-Port et en quelques communes alentour.
Sans s’arrêter à son décès, sa carrière musicale se prolongea grâce à son fils, Jean, qui forma un orchestre de bal champêtre en 1946. Ses anciens musiciens créèrent l’orchestre Ramuntxo dans les années 1950, en reprenant les airs des sauts basques, la danse des volants, des quadrilles. Beñat Galtxetaburu (1934-1990) en assura ensuite la continuité. Aujourd’hui, les sauts basques sont dansés partout en Pays basque et des jeunes artistes revisitent leurs partitions et mouvements.
Le groupe de danses Garaztarrak a célébré la mémoire de Faustin en 1979, en organisant la « journée de Faustin » (Faustin Eguna). Son nom fut aussi donné à la salle polyvalente d’Ispoure.
• Antton Luku (né en 1959)
Si l’héritage musical et dansé de Faustin perdura après les années 1950, il n’en fut pas de même pour Libertimendua et Santibate, qui connurent un déclin avant de renaître dans les années 2000, à l’initiative d’Antton Luku. Originaire de la région de Saint-Palais (Pyrénées-Atlantiques), il arrive comme instituteur à Esterençuby, près de Saint-Jean-Pied-de-Port, au début des années 1980. Dansant dès alors au groupe local de danse Garaztarrak, il s’interroge assez vite sur la nature des pratiques dansées et théâtrales, notamment des cavalcades de la vallée de la Nive, dont parlent Georges Hérelle, Sauveur Harruguet, Jean-Michel Guilcher. Il abandonne la danse pour le théâtre et joue avec le groupe Hiruak bat de 1985 à 1990 en tant qu’acteur et auteur.
À partir des années 1990, il se fait connaître pour son activité très conséquente dans le monde du théâtre, d’abord comme comédien, puis comme auteur et metteur en scène de nombreuses pièces. Enseignant au lycée de Saint-Jean-Pied-de-Port dès la fin des années 1990, grâce à l’option théâtre basque, il suscite l’amour du théâtre et développe sa pratique parmi les jeunes, contribuant ainsi largement à raviver l’usage de Santibate (2007) et de Libertimendua (2006) à Saint-Jean-Pied-de-Port puis en Basse-Navarre.
Beaucoup de lycéens, dont beaucoup continuent aujourd’hui de faire vivre ces deux traditions, sont montés sur les planches pour la première fois sous la houlette d’Antton Luku. C’est le cas d’Elena (née en 1995, d’Ossès) : « J’ai découvert Libertimendua en 2011, à l’âge de 15 ans, en entrant au lycée de Navarre. Antton Luku l’organisait tous les ans, avec les Terminales, à l’intérieur de l’option théâtre. Pour Santibate, il nous rassemblait dès janvier de chaque année, une fois par semaine, pour nous expliquer le sens de cette fête, de ses chants, que nous apprenions. Je l’ai célébré pour la première fois, en 2011, un vendredi soir, début février, dans les rues de Saint-Jean-Pied-de-Port. J’ai attendu 2013 pour « pratiquer »
Libertimendua (car réservé aux Terminales). À cette époque, cela ne se faisait qu’à Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Palais ».
Libertimendua a été organisé à Saint-Palais sur le modèle de Saint-Jean-Pied-de-Port (Donibane Garazi). Après l’y avoir vu, Mattin Irigoyen (né en 1964, à Ainhice-Monjelos ; vit aujourd’hui à Arberats) créa un spectacle de ce type pour l’inauguration du collège Manex Erdozaintzi Etxart à Larceveau en 2007. Avec les groupes de danse Burgaintzi et de théâtre Kitzikatzank, il décida, à partir du printemps suivant, de le pérenniser sur Amikuze.
• Les transmetteurs actuels
D’autres jeunes metteurs en scène ont pris le relais plus récemment, à Louhossoa, Macaye et Mendionde, dans la vallée de Banca, Les Aldudes et Urepel. À Saint-Jean-Pied-de-Port s’y ajoute l’association de danse Garaztarrak, qui a ouvert le chemin au travail d’Antton Luku. En effet, le Libertimendu organisé en hommage à Faustin Bentaberry en mai 1979 fut suivi d’une dizaine d’autres entre 1980 et 1995. Ces Libertimendu reprenaient le modèle de Faustin (cavalcade sans théâtre charivarique), mais se déroulaient n’importe quel dimanche de février ou mars, pas forcément le Dimanche gras : « À cette occasion, nous sortîmes pour la première fois certains masques perdus depuis des décennies (le Monsieur et la Dame, l’Ours, des zirtzil) mais pas tous… ; le capitaine et sa femme, le maréchal-ferrant, le dépenaillé déguisé en huissier etc. n’apparaissaient pas. Parmi nous, il y avait aussi toujours un ou deux improvisateurs (Arrosagarai, Ezponda, Alkhat, Laka, Mixel Aire) et les fameux chevaliers « quêteurs » à veste rouge et longue perche (pour quêter jusque dans les balcons) » (témoignage de Michel Aurnague, entretien du 24 avril 2020).
À l’image des souvenirs collectés sur le terrain (cf. partie I.5), le journal Eskualduna (1887-1945) évoque cette fête, à quelques reprises entre 1904 et 1944, en la décrivant sous trois aspects complémentaires (em>cf. partie IV.4 « Récits de la tradition ») : un défilé traditionnel de danseurs et de personnages déguisés à Lecumberry (1904), une quête de bohémiens, en période de cochonnailles, à Bussunarits (1905), et une fête dépensière et inconvenante à Arnéguy (1904).
Le point commun, évoqué ou suggéré dans ces trois récits, est la quête par les jeunes gens, usage confirmé par Jean-Michel Guilcher comme caractéristique de Santibate : « Le seul qui soit partout attesté est une quête de jeunes gens, grossièrement déguisés, masqués ou barbouillés, passant de ferme en ferme demander du jambon, des œufs, des saucisses et autres dons en nature. Cette quête se fait généralement le dimanche et le mardi-gras (…). Les quêteurs sont parfois masqués et non costumés. Les déguisements, quand ils existent, sont du genre très sommaire (hommes en femmes, vieux habits etc.). Par endroits seulement, nous ont été signalés quelques types un peu plus originaux : l’ours (un garçon recouvert de peaux de brebis) tenu en laisse par un gardien, dansant sur commande et présentant ensuite un plateau pour recevoir (Ossès, Irissarry, Saint-Jean-le-Vieux), le couple de chaudronniers, mari et femme, portant un maillet et une vieille bassine à réparer (Irissarry) » (Guilcher, 1984, p. 533-538).
Aux confins du Pays de Mixe et de la Basse-Soule, Jean-Michel Guilcher signale aussi un porteur de pince extensible, un homme à ceinture de sonnailles, parfois aussi un sonneur de clairon, un rémouleur, un apprenti-barbier, ainsi que, dans la région d’Irouléguy, pays de vignoble, « un ânon enrubanné tirant un barricot monté sur roues, où l’on collecte le vin ».
Dans trois villages, au début du XXe siècle, a lieu un défilé de danseurs : d’une part, à Mendive, en pays de Cize, où, en plus de la quête des masques, un cortège de danseurs avec deux ou quatre quêteurs, se produisait dans la commune et parfois à Saint-Jean-Pied-de-Port, et, d’autre part, aux Aldudes et à Urepel, en pays de Baïgorry, où, après les vêpres, les Dimanche, Lundi et Mardi gras, la jeunesse formait un simple cortège de danseurs, sans autre participant, et défilait à travers le bourg jusqu’au quartier d’Esnazu, au son d’une txirula, d’un ttun-ttun et d’un tambour. Ils s’arrêtaient ici et là pour donner un fandango, les gens sortaient alors des maisons et leur donnaient un peu d’argent, qui leur permettait ensuite de manger au restaurant.
Pour la même période, Jean-Michel Guilcher évoque, dans quelques communes du Pays de Cize, une cavalcade de type parade charivarique (avec danseurs, zirtzil ou masques, bertsulari mais sans « tribunal ») à la période du carnaval. Ispoure, à la fin du XIXe siècle, organisait chaque année une cavalcade de carnaval sous la direction des frères Bentaberry, le Dimanche gras et Mardi gras. Il en était déjà de même à Valcarlos et Arnéguy. Dans les premières années du XXe siècle, Uhart-Cize puis Saint-Jean-Pied-de-Port suivirent l’exemple, et quelques autres également.
Sauveur Harruguet, en 1927, décrit un Santibate à Saint-Jean-Pied-de-Port organisé sur ce modèle : « En Carnaval, les jeunes d’une commune décident parfois de faire une cavalcade. Cela s’appelle un Santibate » (Harruguet, 1927, p. 26-36). Il y ajoute la description d’un cortège coloré, semblable à la parade charivarique, avec cavaliers, danseurs, tambour-major, géants, volants, Monsieur et Dame, orchestre et « barde-improvisateur », mais sans zirtzil ni simulacre de jugement. Autour d’un centre de rayonnement constitué de Saint-Jean-Pied-de-Port, Uhart-Cize et Ispoure, surtout après 1920, s’est donc établi l’usage de faire, sur le modèle des parades charivariques anciennes avec sujet, des « cavalcades sans sujet ».
Ces cavalcades avaient lieu le plus souvent à la période du carnaval, mais aussi parfois en d’autres occasions (lundis de Pâques ou de Pentecôte, fêtes patronales, événements particuliers). Elles concernaient une dizaine de communes, en plus des trois suscitées : Ascarat, Saint-Michel, Mendive, Esterencuby et Saint-Jean-Le-Vieux. Leur fréquence était plus ou moins régulière, car l’organisation imposait de lourdes dépenses.
« La cavalcade sans sujet de la vallée de Garazi est une création des frères Bentaberry (le seul antécédent éventuel serait les petits groupes de danseurs quêteurs de carnaval, si tant est que cette formule ait été répandue). Faustin Bentaberry a commencé à jouer dans les noces vers 16-17 ans [1886-1887] avec son oncle Landdaburu. Lorsqu'il s'arrête momentanément en 1914, il a plus de vingt-cinq ans de carrière derrière lui. C’est donc vers 1890 qu’ils ont dû, avec son frère Manex, organiser les premières cavalcades sans sujet [de carnaval] à Ispoure pour ensuite essaimer à Uhart-Cize (d'où venait leur famille) puis Valcarlos ; tout cela en dix-quinze ans maximum. Cette datation coïncide parfaitement avec le témoignage d'Alexandre Alchourroun (que j'ai recueilli, de même que Guilcher) disant que "vers la fin du XIXe siècle, les paysans/agriculteurs d'Ispoure avaient été très choqués que des artisans [et non des maîtres de maisons] aient pu organiser une cavalcade" » (témoignage de Michel Aurnague, entretien du 24 avril 2020).
Le lien entre ces cavalcades sans sujet, quand elles avaient lieu à la période du carnaval, et la quête des masques variait d’un endroit à l’autre. À Valcarlos, vers 1905, chaque quartier avait sa bande de quêteurs travestis et masqués, le jour de quête n’étant pas forcément le même pour tous les quartiers. La bande faisait ensuite son festin et y invitait parfois certains habitants du bourg : « Au bourg où on organisait chaque année une cavalcade, les masques ordinaires accompagnaient les volants en costumes de fête qui les reléguaient au second plan. […] Là où la cavalcade s’affirme carnavalesque, ses liens avec la quête des masques diffèrent d’un lieu à l’autre : la tournée des masques peut demeurer le seul usage constant et la cavalcade s’y ajouter en certaines années sans interférer avec elle. Il arrive aussi que celle-ci se substitue à celle-là ou que les deux se fondent » (Guilcher, 1984, p. 536-537).
Michel Aurnague souscrit à cette idée : « Le groupe de base était un groupe informel de gens costumés/masqués avec des sources d'inspiration multiples : personnages citadins, métiers, commedia dell'arte, vieux fonds européen... Pour des raisons, à mon avis purement « fonctionnelles » et intéressées/opportunistes (donner une meilleure image, avoir un meilleur accueil, récolter davantage de victuailles ou d'argent), et toujours en lien avec des procédés d'émulation/compétition, ces troupes de masques se sont parfois adjointes les services de musiciens et de danseurs (c'est-à-dire de « morisques », volants et kaskarot en Pays basque, pantalous en Béarn) et cela a conduit progressivement aux multiples variations relevées sur le terrain (uniquement masques quêteurs, masques quêteurs et danseurs, uniquement danseurs, etc.), même si la simple troupe de masques demeure le seul modèle véritablement universel/partagé » (témoignage de Michel Aurnague, entretien du 24 avril 2020). Pour autant, il n’y a selon lui aucune preuve historique que Santibate (troupe de quêteurs de Carnaval) et la cavalcade sans sujet aillent systématiquement ensemble.
Si le lien entre Santibate et la cavalcade sans sujet n’est pas attesté historiquement, force est de constater que la frontière entre les deux est parfois floue et ténue. La terminologie crée parfois elle-même la confusion entre les deux événements : le bertsu Lecumberry (cf. partie III.1) nomme « <em» la cavalcade donnée fin mai 1904 dans le village de Lekumberri ; de même que Harruguet au sujet de la cavalcade de 1927. Ce type de cavalcade dansée et sans sujet est pourtant nommée Libertimendua par celui-là même qui l’a créée (Faustin Bentaberry). À la même époque, la cavalcade avec sujet, ou parade charivarique, se déroulant, elle, à d’autres moments de l’année, était appelée Karrosak dans la région de Saint-Jean-Pied-de-Port et Toberak dans les autres régions de Basse-Navarre. Elle continue d’être nommée ainsi, alors que Libertimendua ne désigne plus aujourd’hui que la cavalcade avec sujet de carnaval, telle que l’étudie la présente fiche.
Le lien entre cavalcade sans sujet et avec sujet mérite par conséquent d’être évoqué. Il nous permettra de comprendre les variations dans l’histoire du Libertimendu actuel.
Selon Jean-Michel Guilcher, le modèle des cavalcades sans sujet provient de celui des cavalcades avec sujet ou parades charivariques (Guilcher, 1984, p. 460). Celles-ci paraissent s’être progressivement installées à partir de la Révolution française et du début de l’Empire. Face à la recrudescence d’interdictions, elles étaient un moyen de maintenir les charivaris, en les intégrant dans une plus importante manifestation, incluant théâtre et danses. Selon l’article 479 R.34/8 du Code pénal, le charivari nocturne ou diurne, comme la promenade sur l’âne, était condamné, au début du XIXe siècle, couronnant trois siècles d’efforts de l’Église et de l’État pour éliminer ou réduire cette tradition (Desplat, 1982). Une raison de leur émergence tient aussi, pour Michel Aurnague, à « l’émulation/compétition, toujours très forte au Pays basque, qui a constitué un moteur central de propagation des processus créatifs » (témoignage recueilli le 24 avril 2020).
Progressivement, au cours du XIXe siècle, les parades ont pris la forme ainsi définie : « En premier lieu, un défilé à grande figuration : la cavalcade proprement dite. Outre les « sujets » et le tribunal devant lequel ils doivent comparaître, on admire des cavaliers, des sapeurs, des militaires de diverses armes, des danseurs (« volants » et « kaskarot ») magnifiquement costumés, un tambour-major, des « dames sauvages », des « dames blanches, des improvisateurs, des bouffons en tous genres. En second lieu, une sorte de saynète impromptue, que des intermèdes chorégraphiques et des épisodes comiques divisent en plusieurs parties, mais sans aucun entracte » (Guilcher, 1984, p. 453).
Au tournant du XIXe et du XXe siècle, ces parades choquaient toutefois de plus en plus les mentalités et durent s’adoucir fortement dans leur forme, pour se raréfier brusquement après la première guerre mondiale. La dernière fut donnée à Irissarry en 1937.
Pour en conserver certains aspects, d’autres tentatives furent lancées, dont celle de mettre l’accent sur la danse et le cortège. Telle semble être l’origine des cavalcades sans sujet des environs de Saint-Jean-Pied-de-Port, dont le succès fut largement redevable à la personnalité de Faustin Bentaberry (1869-1936), musicien, maître de danse, organisateur de fêtes, exerçant son activité à Ispoure à la fin du XIXe siècle (cf. partie II.2). « Le but des Bentaberry n’était pas tant d’éviter les blessures et règlements de compte que pouvaient occasionner les cavalcades avec sujet que de pérenniser une manifestation annuelle qui permette de mettre en avant un groupe de volants de très bon niveau qui s’entraînerait sur le long terme et non pas ponctuellement » (témoignage de Michel Aurnague, entretien du 24 avril 2020). Cette formule a certes réjoui la population et mobilisé les énergies, notamment autour de l’apprentissage de la danse, mais n’a peut-être pas passionné autant que la transposition sur scène d’un événement réel.
Un libertimendu eut lieu à Jaxu en 1947, mais la tradition de Santibate et Libertimendua s’est ainsi affaiblie après les années 1950 pour renaître dans les années 2000.
Dans ce laps de temps, les bohémiens se seraient appropriés Santibate. Arnold Van Gennep écrit dès le début des années 1940 qu’« en Basse-Navarre, seuls les tziganes osent réclamer du lard au nom de Santibal, personnification mythique du Carnaval » (Van Gennep, 1943, t. I, partie III, p. 886). Certains témoignages oraux vont également en ce sens :
« Ez nuen sekulan entzuna Santibate bazela Garaziko lizeoan sartu aitzin 2011an, 15 urtetan. Haatik, kantuak Antton Lukurekin ikasi ondoren, Amatxik, 1932an sortuak, entzun ninduen egun batez kantatzen eta enekin hasi zen kantatzen. Esplikatu zautan 30-35 urte zituelarik (1960 urteetan), pasatzen zela emazte bat, haur batekin, etxez etxe, Urepele osoan, kantu horren kantatzera. Eta kutsari zerbait emaiten zitzaion. Amatxiren erranetarik, biziki untsa kantatzen omen zuen » (Je n’ai jamais entendu parler de Santibate avant d’entrer au lycée de Navarre [à Saint-Jean-Pied-de-Port)] en 2011, à 15 ans. Une fois avoir appris les chants avec Antton Luku, je les entonnais un jour à ma grand-mère qui est née en 1932. Elle disait n’avoir jamais elle-même connu Santibate, mais elle se mit à chanter avec moi. Elle m’expliqua alors que quand elle avait 30-35 ans [dans les années 1960], une femme d’une quarantaine d’années passait à Urepel de maison en maison, accompagnée d’un enfant, et qu’elle donnait ce chant, et on lui faisait des offrandes. Elle chantait, paraît-il, très bien) (témoignage d’Elena Casiriain, née en 1995, Santibate de Saint-Jean-Pied-de-Port et Ossès, février 2020).
Quant à Libertimendua, selon Michel Aurnague (cf. partie II.2), dès les années 1970, des groupes de danse tels Garaztarrak à Saint-Jean-Pied-de-Port ou Arrola à Saint-Étienne-de-Baïgorry, ont réintroduit, en période de carnaval ou non, la tradition de la cavalcade sans sujet (Donibane Garazi) ou avec sujet (Baigorri), ouvrant ainsi petit à petit la voie au Libertimendu carnavalesque actuel (avec théâtre charivarique).
L’évolution de Santibate et de Libertimenduaest liée à celle des habitudes sociales et des mentalités.
La quête de Santibate est, à quelques exceptions près, devenue une tournée des bars du village : la réception du groupe de jeunes dans les maisons supposait, de la part des accueillants, un important travail d’intendance. La tradition de la broche de victuailles a, par la même occasion, disparu. Santibate s’est donc réduit dans le temps (une seule soirée) et dans l’espace, mais la désormais traditionnelle tournée des bars connaît un succès grandissant.
Libertimendua s’est également réduit dans le temps (le départ, le dimanche après-midi, des jeunes étudiants vers les villes universitaires oblige à concentrer l’événement dans la matinée) et dans l’espace (le cortège ne prend plus le temps de parcourir tout le village), ce qui n’enlève rien à l’intensité de l’événement.
Les pratiques dansées sont désormais mixtes. À Urepel, filles et garçons portent un costume identique.
Santibate et Libertimendua connaissent ces dernières années un regain et un succès incontestés pour plusieurs raisons. Dans une société de plus en plus individualiste, ils répondent au besoin de se regrouper autour d’un projet fédérateur et identitaire. Les répétitions de chant, de danse et de théâtre imposent de se rassembler ; les jours de représentation sont également très attendus par la population : « Libertimendua herritarren kohesiorako egun inportanta da. » (Libertimendua est un jour de cohésion très important.) (témoignage de Mattin Etxeberri, porte-drapeau, Libertimendua de Saint-Jean-Pied-de-Port, 7 février 2016, reportage Dantzan.eus).
Dans un quotidien où la langue française est dominante, les lieux hégémoniques d’expression en langue basque sont très recherchés par les bascophones, et notamment par les jeunes : « Memento bat da, eta ez dira ainitz, non euskarak bere toki osoa baduen Donibane-Garazin. » (C’est un moment, et il n’y en a guère beaucoup, où la langue basque a sa place entière à Saint-Jean-Pied-de-Port.) (témoignage de Bixente, auteur et acteur, Libertimendua de Saint-Jean-Pied-de-Port, janvier 2019). Restituer à la langue basque sa légitimité est pour eux fondamental. Ce besoin est à relier à la montée d’une conscientisation identitaire.
Plus que des techniques de chant, de danse ou de théâtre à maîtriser, Santibate et Libertimendua c’est « un monde basque », avec toutes ses nuances :
« Guk ez dugu dantza maite ukan bakarrik teknikarengatik. Maite ukan ditut dantzan ari ziren jendeak, haien euskara, haien bizitzeko moldea, irri egiteko moldea, plazan izateko moldea. Maite ukan ditut zaharrak ere, utzi zuten dantza eta hori guztia begiak ixten ditudalarik entzuten dut euskara, eta entseatu dut euskara hori ekartzen, bere inperfekzio guztiekin, bere haustura guztiekin, eta bere galdezkako puntu guztiekin (…). Jendeek badakite badela mundu bat dantzaren inguruan, badirela ankdotak, badela abentura bat plazaz plaza ibiltze horretan, formakuntza bat horren gibelean, badela musika... Uste dut jendeek badakitela biziki konplexua dela. »
(Je n’ai jamais aimé la danse uniquement pour sa technique. J’ai aimé les gens qui dansaient, leur langue, leur façon de vivre, de rire, de se comporter sur la place. J’ai aimé les plus âgés, les danses qu’ils nous ont laissées, en fermant les yeux j’y entends l’euskara, j’ai essayé de transposer cette langue, avec toutes ses imperfections, ses ruptures, ses interrogations (…). Les gens savent qu’il y a un monde autour de la danse, des anecdotes, une aventure, une formation, de la musique. Les gens savent que c’est un monde complexe.) (Antton Luku, février 2014, revue Argia).
Enfin, Libertimendua c’est aussi un monde libre. Les acteurs et spectateurs ont plaisir à se jouer de la norme et à tourner en dérision l’actualité et les protagonistes locaux. Dans une société qui demeure somme toute encore assez convenue, beaucoup ont besoin de cet espace anti-conventionnel, anti-tabou, fonctionnant exclusivement en langue basque :
« Eni inportanta iduritzen zaut neguaren bukaera ta primadera hastapenaren ospatzea. Gure manera libertimenduen ta santibateren bidez da. Zirtzil eta bolant arteko rivalitatea interesgarria iduritzen zaut, karrikako jendea eta jende zibilizatua, negua eta primadera… Plaza jokoa ere maite dut, biziki « herritarra » iduritzen zaut, manera guttirekin antolatua, plazaren erdian. Ta balantzatu nahi ditugun gaien inguruan oihu egin, irri egin ta beste zerbaitetara pasatzeko moldea baita ere. Ta gainera euskaraz, bistan dena. »
(Pour moi, cela a un sens de célébrer le passage de l’hiver au printemps. Notre manière à nous, c’est Santibate et Libertimendua. La rivalité entre Zirtzil et Volants, entre gens simples et civilisés... J’aime également beaucoup le jeu de scène très « populaire », organisé avec peu de moyens, au milieu de la place. On peut « balancer » sur les sujets qui nous plaisent, rire et crier, c’est un bon moyen pour passer à autre chose. En plus, en euskara, bien sûr.) (témoignage de Jon, comédien, Libertimendu de Saint-Jean-Pied-de-Port, janvier 2019).
Si le désir de réappropriation de la langue basque contribue au maintien de Santibate et Libertimendua, l’avenir de ces traditions reste conditionné par la compétence linguistique des jeunes. La dernière enquête sociolinguistique (2016) montre que pour la première fois, les jeunes générations ayant appris le basque à l’école ainsi que les nouveaux apprenants viennent compenser les pertes dues au vieillissement de la population. Toutefois, le pourcentage de bilingues chez les 16-24 ans reste assez bas (19%) et ne permet pas encore de garantir la survie du basque. Par ailleurs, ces jeunes locuteurs possèdent, comparativement aux autres classes d’âge, une compétence linguistique relative moindre et par voie de conséquence une aisance et une capacité à s’exprimer en langue basque plus fragile. La possibilité de pratiquer la langue en dehors du cadre scolaire constitue un enjeu stratégique important. Le maintien de ces traditions y contribue.
La communication passe généralement par des affiches diffusées dans les commerces locaux et sur les réseaux sociaux ainsi que par des annonces sur les radios et journaux d’expression basque.
Les deux célébrations sont évoquées par de nombreux articles et reportages dans la presse locale (journaux, radios, télévisions) et de nombreux livres et articles traitent de cette thématique (cf. bibliographie).
Depuis les années 2000, différentes initiatives ont vu le jour. Les radios associatives en langue basque et les télévisions locales amassent de nombreux témoignages audio/vidéo, qui constituent une réelle ressource, tandis que l’Institut culturel basque, à Ustaritz, à travers son programme Eleketa, et l’association Badihardugu, à travers son programme Iparraldeko ahotsak, recueillent des témoignages sur ces traditions.
La web télévision participative Kanaldude, en Basse-Navarre, réalise des reportages plus ou moins partiels des Libertimendu, donnant ensuite à chacun la possibilité de les visionner.
Santibate et Libertimendua reçoivent un soutien financier et/ou logistique des communes où elles se déroulent.
Sans objet
[« Arnéguy », Euskalduna, 26 février 1904, source : portail des fonds basques Bilketa]
« Laborariaren aspaldiko kantua da urte txarrak direla. Nahi bada zorrik egin gabe bizi, zernahi ikusi behar dela. Eta bizkitartean, nehun balinbada zerbeit pesta, bada sos orduan burrustaka. Herri hortan Santibathe deitzen duten josteta bat egin dute ihauteriako igande batez. Arimako eta gorputzeko deus onik ez du josteta horrek. Pesta ergel hori ez ote litake bazterrerat utzi behar bederen oraiko egun lazgarrietan.
Les paysans se plaignent continuellement que les temps sont durs. Que parvenir à vivre sans s’endetter, c’est terriblement difficile. Et pourtant, à la moindre fête où qu’elle soit, l’argent coule à flots. Dans ce village, ils ont fait un jeu qu’ils appellent Santibate, un dimanche du carnaval. Ce jeu n’apporte rien de bon, ni au corps ni à l’âme. Ne faudrait-il pas renoncer à cette fête inconséquente, au moins en ces temps difficiles ».
[Bertsu intitulé « Lecumberry », Euskalduna, n° 22, 3 juin 1904, source : portail documentaire des fonds basques Bilketa]
1. Lecumberry derizan, herri ederrean
Besta handi zuten, gan den igandean
Santibate jaunari, behar den airean
Ohore bihurtzeko modu zaharrean
2. Ikusliarra frango, famak aditurik
Horrat ethorri dire, bazter orotarik
Ahatsa, Behorlegi, Mendibe zokotik
Plaza guzia zagon jendez hanpaturik
3. Zaldidunak, bolantak berdin xoragarri
lerroan heldu dira, printzeak iduri
Bergnat Zacuteguy da Senton aintzindari
Sebastian Guillaumet astoen gidari
4. Denek miretsi dugu Martin borthuarra
Aker buztanez dauka betherik bizkarra.
Urrunik iduri du giz-otso meharra
Jostatzeko ginuen jaun horren beharra.
5. Ez dugu ahantziko Piarre Catorze
Xapela du largoa, jaketia luze
Atzo laztatu ditu Latarza, Janize
Bai eta horrek bildu xingar eta arroltze.
6. Aiphatu behar dugu guziz Antonena
Zapata ferratzeko hau da hoberena
Eskuan badabila marteilu burdina
Nardarazten badaki sosik ez duena.
7. Asto gaizoak ongi ibiltzen badaki.
Agur emaiten dauku guzier pulliki
Betbetaz botatzen du nausia malzurki
Lurretik xutitzeko badu lanik aski.
8. Neskatxek ere dute kobla bat merezi
Arhinenak dituzte tranpan dantzarazi
Oraino holakorik ez nuen ikusi
Neska gazteak tranpan, oi zoin den itsusi.
9. Aizinaturik asko bada Lekunberrin
jende lausengatzeko dakite zer egin.
Ostalerrek ez dute deus galdu gurekin
Gu ontsa xurgaturik dukete atsegin.
10. Hemengo bestak dire laster ezabatzen
Deskantsu guti dute bihotzean uzten.
Bainan sobera berant gizoner dolutzen,
Etxean egon denak du irri egiten.
1. Dans le beau village appelé Lecumberry
Il y avait grande fête dimanche dernier
Pour rendre hommage à Monsieur Santibate,
Comme il faut, à l’ancienne mode.
2. Beaucoup de spectateurs, attirés par la rumeur,
Sont venus, de tous les coins
Du fin fond d’Ahaxe, Béhorléguy, Mendive
La place tout entière était remplie de gens.
3. Cavaliers, volants également admirables
arrivent en rang, tels des princes
Bergnat Zacuteguy est Senton l’officier
Sebastian Guillaumet mène les ânes.
4. Tout le monde a admiré Martin le montagnard
Son dos est couvert de queues de bouc
De loin il semble un homme-loup efflanqué
Il est là pour nous amuser.
5. N’oublions pas Piarre Catorze
Avec son large chapeau, sa longue jaquette
Hier il a effrayé tout Latarza, Janize
Oui mais il a rapporté jambons et œufs
6. Il faut absolument évoquer Anton
Pour ferrer les chaussures c’est le meilleur
Il a à la main le marteau en métal
Il sait comment tourmenter les « sans-le-sou ».
7. Le pauvre âne sait comment se tenir
Il salue chacun bien joliment
En même temps il renverse son maître perfidement
Celui-ci peine à se relever
8. Les jeunes filles méritent aussi un couplet
Ils ont fait danser les plus légères
Je n’avais encore jamais vu cela,
Les jeunes filles sur l’estrade, ô comme c’est déplacé.
9. Il y a beaucoup d’oisifs à Lecumberry
Ici on sait flatter les gens
Les aubergistes n’ont rien perdu avec nous
Après nous avoir dépouillés, ils doivent bien se réjouir.
10. Ces fêtes ne laisseront pas grande trace
Et peu d’apaisement dans les cœurs
Mais les hommes se repentent trop tard
Celui qui est resté à la maison en rit encore.
[« Les Bohémiens d’Antchicharburu », Euskalduna, 6 janvier 1905, source : portail des fonds basques Bilketa]
« Une fête encore, ou pour mieux dire, une quête (toutes les fêtes ne finissent-elles pas par-là ?), une quête, dis-je, qui a prescrit parmi nous en faveur des Bohémiens d’Antchicharburu, c’est ce qu’on est [tenu ?] d’appeler leur Santibate. Au carnaval, un groupe de bohémiens, de bohémiennes surtout, plus ou moins bien attifées, se réunit pour sillonner le pays dans tous les sens. Ce jour-là, il faut tout supporter d’eux, et c’est un peu comme dans les anciennes Saturnales : les maîtres de la rue, ce sont les Bohémiens. Et ils le savent bien, allez ; aussi, avec quelle intrépidité ils vous brandissent la broche enrubannée qui a déjà enfilé pas mal de tranches de jambon, et pas mal non plus de belles saucisses ! Avec un enthousiasme qui ne tombera qu’avec le jour, ils vous débitent incessamment leur chant de circonstance, que vous connaissez tous :
Santibatek, andere,
aurthen bezala, gero’re
Santibatek igortzen gaitu, xingar keta, gu ere! ».
[Antton Luku, Libertitzeaz, 2014
Antton Luku utilise la métaphore de herensuge, serpent gigantesque de la mythologie basque, pour décrire le cortège de Libertimendua : chaque danseur est, selon lui, la pièce articulée d’un tout. Il rapporte une légende recueillie à Béhorléguy par Xarles Videgain dans le cadre de son atlas ethnolinguistique (Atlas linguistique du Pays basque-Euskararen Herri Hizkeren Atlasa, Académie de la langue basque, depuis 2008). Le témoin raconte qu’un jour de printemps orageux, tandis qu’il montait par le col d’<em<Apanize, à quelques mètres de Tinia, il vit la foudre tomber sur la crête. Il sentit à ce moment-là un grand corps frémir sous ses pieds, comme les vaches qui frémissent lorsqu’elles s’enlèvent les mouches. Il sentit, comme un tremblement de terre, une vague dévaler la pente, et il vit la queue de ce corps. Il assura que c’était Herensuge et que la montagne était bien vivante. Il restait là comme pétrifié par la foudre, ne sachant que faire, comme un pou accroché au dos de la bête. Il lui semblait être piqué par le tonnerre, comme les taons piquent les vaches. La maîtresse de maison entra à ce moment-là dans la cuisine et le témoin se tût.
« Quand la cavalcade déambule dans les rues de Saint-Jean-Pied-de-Port, c’est ce serpent que constituent, tous ensemble, de manière symbolique les danseurs » (Luku, 2014, p. 115). Il constate toutefois qu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, les cavalcades de l’entre-deux guerres ont fait perdre aux danseurs la conscience qu’ils forment la colonne vertébrale du serpent. La fierté de l’époque était que la cavalcade (partie dansée) soit longue et spectaculaire, on y introduisit par conséquent des chars, des enfants, on enleva les zirtzil, la dénuant ainsi d’une partie de son sens.
[Antton Luku, Libertitzeaz, 2014
Libertimendua dessine très clairement, selon Antton Luku, un espace à la fois géographique et socio-politique avec la montagne d’un côté, la plaine de l’autre. Aucun village avoisinant, organisateur de Libertimendua, ne peut faire l’impasse de venir jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port.
C’est une fierté de venir à la ville, ainsi que le montre cet extrait de la poésie Santibate Garazin écrite par Piarres Hegitoa alias Pierre Duny-Pétré (cf. sitographie infra) : « Urtzen delarik elurra, ihautiriko denbora, Garazin dute beharra. Utziz geroko barura, ase ta joaiten dira Santibateko dantzara. Mutikoak harengatik, irrintzina botaturik, haize hegoan goizetik, heldu dira apaindurik, mendi bazter orotarik, Donibanerat gogotik. » (À la fonte des neiges, Garazi a besoin de la période de Carnaval. Laissant le jeûne à plus tard, les jeunes garçons vont, Une fois repus, danser à Santibate. Après avoir poussé l’irrintzina, au gré du vent du sud, ils viennent costumés à Saint-Jean- Pied-de-Port, de tous les coins de montagne.)
Le monde de la montagne est un monde à part. Mendive, Esterençuby sont des villages de montagne. Dans Libertimendua, symboliquement les montagnards s’opposent aux agriculteurs de la plaine. « Celui qui n’a jamais vécu proche de la montagne croit que le berger et l’agriculteur sont identiques. Alors qu’ils s’opposent. Le rythme des saisons renvoie au pastoralisme, celui des mois à l’agriculture. Les terres de la montagne appartiennent aux maisons de la plaine, ceux de la montagne nourrissent pourtant toujours un désir d’émancipation. C’est dans cette alliance/méfiance que prend racine Libertimendua. La montagne c’est là où s’achève l’état de droit, là où cesse « le contrat politique » qui régit la plaine. La notion de frontière est indispensable pour la compréhension de Libertimendua » (Luku, 2014, p. 112).
Cette notion de frontière est toujours présente dans la représentation actuelle de Santibate et Libertimendua. La dualité entre nuit et jour, obscurité et soleil, hiver et printemps, gens « simples » et « civilisés », écart et norme, extrêmes à la fois opposés et complémentaires, est perçue comme inhérente à la vie et à un comportement social sain :
« Negua ospatzen da Santibatez. Ekartzen du bizi zerbait, positibo zerbait herriari : kantatzera heldu gira, nahiz eta hotz izan, ilun izan negua. Airosten du zerbait. Bazterrak inarrosten ere. Ihauteriarekin gizartea berriz sortzen da, horrek du egiten gizartea den hori dela. Gaizki beztituz, edozein eginez, maskatua izanez, sakreka arituz emaiten ez duenari, mugak apurtuz norma mailan, orroitarazten dugu gizarteari normak nun diren. Santibate, zirtzilaren besta baldin bada, neguarena hots, eta bazterren inarrostearena, Libertimendua da ihauteri « ederra »: Zirtzilek istorioak ateraz plazara, purgatzen dute gizartea behin betiko eta Bolantek, dantzariek, beren xilintxekin, eder beztiturik, hartzen dute plaza ! Ordrea hor da, Udaberria jinen da, urtea hasten da, energiak berriturik. Hortako, Santibatek ez du zentzurik Libertimendua gabe, eta kontrarioak ere ez. »
(Santibate célèbre l’hiver, apporte de la vie, du positif au village : nous venons chanter malgré le froid et l’obscurité de l’hiver. Nous apportons la gaieté, remuons ciel et terre. Carnaval c’est la renaissance de la société, la condition qui lui permet d’être ce qu’elle est. En nous habillant n’importe comment, en faisant n’importe quoi, en nous masquant, en proférant des insanités à qui ne nous donne rien, en outrepassant les limites, nous rappelons à la société où se situent les normes. Si Santibate est la fête des Zirtzil, Libertimendua est le carnaval des « beaux » (les danseurs à volants). Les zirtzil ressortent ce jour- là toutes les histoires de l’année, ils purgent, une bonne fois pour toutes, le village puis les danseurs prennent possession de la place ! L’ordre est de retour, le printemps aussi, la nouvelle année peut recommencer, pleine de nouvelles énergies. Pour cette raison, Santibate n’a de sens qu’avec Libertimendua et vice-versa. La symbolique est très forte.) (témoignage d’Elena, Ossès, février 2020).
À cette dualité symbolique s’en ajoute une autre, politique :
« Enetzat, ihauteri garaiari zentzu baten emaitea Santibate eta Libertimenduaren praktikatzea da, eta ez ihauteri internazionala komertziala. Santibate eta Libertimendua koherenteago dira gure lekuko kulturarekin. Gure lurraren berezitasunaren markatzea da ihauteria ospatzea, euskaraz. Xiberuko maskarada edo Lapurdiko kaskarroten gisara. Zentzu politiko bat du enetzat: ihauteri berezi baten egiteko beharra, « vibratzen » duena gu girenarekin (…). Santibatek badu ere komunitatearen mugen plantatzearen boterea. Joanez etxe batera eta ez bestera, erraiten du nor den komunitatearen barne eta nor ez. »
(Pour moi, donner du sens à Carnaval c’est pratiquer Santibate et Libertimendua et non un Carnaval international et commercial. C’est une histoire de cohérence avec la culture locale. A l’image des mascarades de Soule ou des kaskarot du Labourd, c’est marquer la spécificité de notre territoire, qui plus est en langue basque. Cela a un sens politique : affirmer notre spécificité grâce à un carnaval qui vibre avec ce que nous sommes.) (témoignage d’Elena, Ossès, février 2020).
Beaucoup d’acteurs culturels expriment ainsi le souhait de rester fidèles à cette essence de la tradition, qui répond à ses propres codes : l’inventorier, c’est, selon eux, l’intégrer dans des catégories instituées de l’administration française qui ne correspondent pas à son essence. Respecter une tradition, c’est d’abord la vivre dans le moment présent, sans chercher à la classifier ou à l’immortaliser. C’est ainsi que certains se la représentent.
Sans objet
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• Article « Libertimendua confirme son succès à Saint-Palais » : https://www.naiz.eus/fr/mediateca/image_gallery/libertimendua-confirme-son-succes-a-saint-palais (consulté le 25 février 2019)
• Poésies écrites en langue basque par Piarres Hegitoa alias Pierre Duny-Pétré (Saint-Jean-Pied-de-Port, 1914-2005), publiées dans des revues du Pays basque : http://piarreshegitoarenolerkiak.over-blog.com/article-lehen-43836782.html
• Entretien d’Antton Luku par Garbine Ubeda Goiketxea, revue Argia, 25 février 2014 :
https://www.argia.eus/albistea/antton-luku-antzerkia-entsegu-aretoetan-dagoen-giroa-da-eta-hor-diren-eztabaidak (consulté le 30 février 2019)
• Blog « Garaztarrak » : http://garaztarrak.free.fr/argazkiak/photoexposer.php?g=1
• Acteurs des Libertimendu de Macaye et d’Urepel (2019) et de Louhossoa (2020)
• Trois acteurs du Libertimendua de Saint-Jean-Pied-de-Port
• Participants au Santibate d’Irissarry (vendredi 1er février 2019) : Elena CASIRIAIN, membre active du Santibate organisé par trois villages réunis (Irissarry, Suhescun, Ossès)
• Participants au Santibate de Bussunarits (vendredi 8 février 2019) : Gorka TORRE, membre de l’association Irabia
• Michel AURNAGUE, de Uhart-Cize (64220), ancien musicien (joueur de txistu), danseur du groupe Garaztarrak (1975-1995) et chercheur de terrain, grâce aux liens de sa famille avec plusieurs grandes lignées de ménétriers, dont Faustin Bentaberry (enquête ethnographique sur les musiciens et maîtres à danser du Pays de Cize, les cavalcades et parades charivariques et les sauts basques, 1978-1983). Dans le cadre de son programme de collecte Eleketa, l’ICB a recueilli en 2014 le témoignage de Michel Aurnague et a conduit un entretien en avril 2020 (cf. bibliographie et filmographie).
Association Irabia, qui organise des activités sociales, économiques et culturelles dans les villages de la vallée d’Hergarai (Béhorléguy, Mendive, Lecumberry, Ahaxe)
Rédacteur(s) de la fiche
Thierry TRUFFAUT, anthropologue spécialiste des traditions festives et dansées en Pays Basque, membre des associations Lapurtarrak, Herri Soinu, Lauburu et Etniker Iparralde, Maison Bataille, Route de Saint-Germé, 32460 Le Houga, truffaut.thaxi@wanadoo.fr
Terexa LEKUMBERRI, anthropologue, chargée du patrimoine oral et immatériel à l’Institut culturel basque, Château Lota, 64480 Ustaritz, lekumberri@eke.eus
Mathilde BAQUÉ, chargée de mission à l’Institut culturel basque, Château Lota, 64480 Ustaritz, mathilde.baque@eke.eus
Enquêteur(s) ou chercheur(s) associés ou membre(s) de l’éventuel comité scientifique instauré
Thierry TRUFFAUT, anthropologue spécialiste des traditions festives et dansées en Pays basque, membre des associations Lapurtarrak, Herri Soinu, Lauburu et Etniker Iparralde
Terexa LEKUMBERRI, anthropologue, chargée du patrimoine oral et immatériel à l’Institut culturel basque
Lieux(x) et date/période de l’enquête
Santibate d’Irissarry (vendredi 1er février 2019) et de Bussunarits (vendredi 8 février 2019)
Libertimendua
de Macaye (dimanche 2 février 2019), d’Urepel (dimanche 17 mars 2019) et de Louhossoa (9 février 2020)
Données d’enregistrement
Date de remise de la fiche : 16 juin 2020
Année d’inclusion à l’inventaire : 2020
N° de la fiche : ark:/67717/nvhdhrrvswvksnw
Identifiant ARKH 2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00473
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carnavals_basques
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