La fête des conscrits de Villefranche-sur-Saône est née sous la Troisième République
La fête des conscrits de Villefranche-sur-Saône est née sous la Troisième République à partir du conseil de révision et du tirage au sort qui désignait les jeunes Français âgés de 20 ans (21 ans jusqu’en 1913), qui seraient appelés pour un service militaire. La fête des conscrits de Villefranche-sur-Saône a progressivement associé les aînés des conscrits qui fêtaient les 10 ans, 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans (...) de leur propre conscription.
La fête des conscrits de Villefranche-sur-Saône est née sous la Troisième République à partir du conseil de révision et du tirage au sort qui désignait les jeunes Français âgés de 20 ans (21 ans jusqu’en 1913), qui seraient appelés pour un service militaire.
La fête des conscrits de Villefranche-sur-Saône a progressivement associé les aînés des conscrits qui fêtaient les 10 ans, 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans (...) de leur propre conscription.
Figeant certains éléments, évoluant sur d’autres aspects, la fête « militaire » est devenue au fil des années la fête de la ville, et plus largement celle du bassin de vie, en se transformant en élément de socialisation locale.
Aujourd’hui, la fête est devenue le point d’orgue de la « vie conscrite » et le point de régénération de « l’esprit conscrit ». La communauté des conscrits constitue un réseau original de solidarités emboîtées, en ce sens qu’il ne repose sur aucune des catégories sociologiques classiques (classe sociale, origine ethnique, religion, convictions politiques...), mais seulement sur le critère de l’année pendant laquelle le conscrit ou futur conscrit a fêté ses 20 ans. En ce XXIe siècle naissant, cette culture locale est menacée par la mobilité des populations qui ne passent plus toute leur vie sur place, mais constitue aussi un formidable outil d’affirmation de l’identité locale et d’assimilation des nouveaux habitants, alors même que la ville se trouve de plus en plus dans l’orbite de la métropole lyonnaise, située à ses portes.
La communauté des conscrit(e)s
Au sens strict de la fête, les conscrit(e)s sont les personnes qui participent comme acteurs à la fête des Conscrits de l’année. Mais, par extension, les conscrit(e)s représentent tous ceux qui se préparent à participer à la fête ou qui y ont déjà participé. Dans le cadre de cette communauté se construisent, en cercles d’appartenances concentriques, le système relationnel et le système de solidarité particulier à la pratique :
• ceux de « ma classe », qui sont nés « la même année que moi » : « Je suis de la classe 77, si j’ai fêté mes 20 ans en 1977 » ;
• ceux de « ma décade », qui sont nés une année se terminant par 1, si « mon année de naissance se termine par 1 » : « Si je suis né en 1951, je suis de la classe 71 et je fais partie des classes en 1 » ;
• et, globalement, tous ceux qui ont vécu l’expérience de la fête et en partagent l’esprit.
Dans les deux premiers cas, la relation entre les individus se crée dans le partage de l’organisation de la fête et des temps forts vécus en commun pendant la fête, sur la seule base d’avoir eu 20 ans la même année ou d’appartenir à la même décade, indépendamment des catégories sociales/sociétales classiques. La fête des Conscrits a hérité du service militaire cette capacité à lier des personnes qui n’auraient aucune raison de se rencontrer dans la vie quotidienne. Dans le troisième cas, l’expérience commune d’avoir participé à ce rituel, même si ce n’est pas au cours de la même année, crée entre ceux qui partagent les valeurs conscrites (amitiés, solidarités...) ce lien particulier qui leur permet de faire communauté. Cette même expérience commune permet à la communauté de rester cimentée, y compris lorsque des tensions internes la traversent.
Cette communauté vit toute l’année, indépendamment de la fête, dans un entrelacs :
• de relations et d’activités informelles au sein de groupes ou sous-groupes affinitaires ; • d’activités propres aux différentes entités (classes ou comité interclasse) ;
• d’activités institutionnelles qui fédèrent le monde conscrit, dont le plus important est le concours de boules lyonnaises de l’Interclasse générale, qui réunit près de 600 personnes.
Dans ce cadre, la fête-même est l’élément initiateur, fédérateur et régénérateur de cette communauté. La vie conscrite est avant tout une expérience humaine.
Le monde conscrit
Le monde conscrit constitue une communauté plus large que les seul(e)s conscrit(e)s «pratiquant(e)s», puisque s’y ajoutent les familles, les amis et les sympathisants, qui se retrouvent dans une part des valeurs conscrites, même s’ils ne participent pas eux-mêmes à la fête comme conscrit ou conscrite.
Les classes
En 2019, il existe environ 70 classes actives, qui sont les unités de base de la vie conscrite.
Une association loi 1901 nommée « amicale classe » existe par année civile. Le nom de chaque amicale classe est complété par l’année, qui correspond aux 20 ans des conscrits qui la composent. Ainsi, les conscrits nés en 1963 sont membres de « l’Amicale Classe 83 », familièrement nommée « Classe 83 ». Les conscrits nés en 1999 sont membres de « l’Amicale Classe 2019 » (« Classe 2019 »). La classe est créée juridiquement l’année des 19 ans des conscrits, dans la perspective de préparer la fête de l’année suivante. Elle subsiste jusqu’au décès du dernier conscrit.
Formellement, seuls les conscrits (hommes) sont membres de l’association et donc occupent les fonctions d’administration, mais de plus en plus souvent, notamment dans les jeunes classes, des conscrites sont associées à plusieurs réunions annuelles et aux différentes activités organisées par la classe. Chaque classe a pour rôle d’organiser tous les dix ans la fête des Conscrits pour ses membres, en collaboration avec le Comité Interclasse de la décade pour les parties communes. Elle décide du montant des cotisations des membres et fixe pour partie le contenu de la fête (conception et construction du char de la retraite aux flambeaux, choix des costumes pour la retraite aux flambeaux en accord avec le thème décidé par l’interclasse de la décade, organisation de la journée du samedi, organisation du banquet et du bal du dimanche, organisation des journées du lundi et du mardi).
Comme association indépendante, chaque classe a sa vie propre et prépare différents événements, soit pour maintenir le lien entre ses membres, soit pour collecter de l’argent afin d’organiser la fête des Conscrits. La classe maintient le lien entre conscrits et conscrites tout au long de la décade. Elle se réunit de cinq à dix fois par an à son siège, généralement un café ou un restaurant qui dispose d’une salle isolée permettant de tenir une réunion... et offrant la possibilité de « casser une croûte » après la réunion et de la prolonger tard dans l’après-midi ou dans la soirée. Les classes anciennes se réunissent plutôt en fin de matinée, mangent ensemble à midi et passent l’après-midi ensemble. Les classes dont les conscrits sont encore en activité se réunissent généralement le vendredi soir.
Les comités Interclasse
Chaque amicale de conscrits est une association indépendante, avec son bureau et son budget, mais l’organisation de la fête implique une coordination entre toutes les classes d’une même décade (toutes les classes en 0 – conscrits nés une année se terminant par 0 / toutes les classes en 1, conscrits nés une année se terminant par 1, etc.).
Pour cela, dix comités Interclasse correspondent à chacune des décades (Interclasse en 1, pour toutes les classes dont l’année se termine par 1 : classe 2011, classe 2001, classe 91, classe 81, classe 71, classe 61, classe 51, classe 41...).
Les comités Interclasse regroupent des membres des classes concernées pour organiser l’ensemble des parties communes de la fête (défilés, musique pour la « vague », banquet intergénérationnel, affichettes, programmes...) et les parties nécessitant éventuellement un arbitrage (répartition des
salles pour les banquets...). Au sein de l’interclasse de l’année, on dessine l’affichette, on choisit le thème de la retraite aux flambeaux et on organise les visites dans les établissements pour personnes âgées ou handicapées. Ces comités Interclasse jouent le rôle d’animation intergénérationnelle. Ils génèrent, par leurs activités sur la décade, le budget des parties communes de la fête, notamment les musiques de la « vague » et le banquet intergénérationnel.
L’Interclasse générale
L’Interclasse générale fédère l’ensemble des classes, dont elle réunit les présidents deux fois par an. Elle se compose d’un président et de quinze membres élus parmi les conscrits, auxquels s’ajoutent les dix présidents de comités Interclasse, membres de droit.
L’Interclasse générale joue un quintuple rôle au sein du monde conscrit :
• elle offre ses services aux interclasses pour l’organisation de la fête : check-list des démarches à effectuer, modèles de document, prise en charge et accueil des musiques, fourniture du service d’ordre des défilés, contrôle des « voitures vertes » (cf. la partie « Outils, matériels et supports » infra).
• gardienne de la tradition, elle permet la transmission des savoir-faire d’une interclasse à l’autre et tient la liste des us et coutumes associés à la fête, sans véritable pouvoir normatif toutefois : les classes et interclasse de l’année restent maîtres de proposer des évolutions, qui seront ou non reprises par les classes et interclasses suivantes.
• elle assure une cohésion des classes par l’organisation des deux réunions annuelles, par l’organisation du « banquet des présidents » et de quelques manifestations annuelles, dont le concours de boules lyonnaises, qui mobilise chaque année près de 600 conscrits.
• elle représente, par le biais de son conseil d’administration, le monde conscrit dans les relations avec les tiers, lorsqu’il s’agit de parler au nom de toutes les classes et interclasses.
• elle assure de plus en plus la communication institutionnelle du monde conscrit vers l’extérieur (site internet, documents de présentation ; liens avec la municipalité, les instances viticoles du Beaujolais, le marathon du Beaujolais, etc.) et la coordination des actions de protection ou de sauvegarde de la fête et de son esprit (charte, dépôt de marques, démarche d’inscription au PCI, etc.).
La Ville de Villefranche-sur-Saône
L’organisation de la fête des Conscrits est une organisation « privée » et « autofinancée » par les Classes et les comités Interclasse. Elle est pourtant triplement indissociable de la ville de Villefranche-sur-Saône :
• par la topographie urbaine même : la fête existerait-elle toujours si elle ne disposait pas de « l’écrin » de la rue Nationale, artère d’un peu plus d’un km de long en ligne droite, dont la partie centrale constitue un creux donnant une perspective particulière sur le défilé ?
• par le soutien logistique de la Ville à l’organisation de la fête (d’un montant de 50 000 € par an environ) : barriérage, sécurité assurée par la police municipale, nettoyage des rues, mise à disposition de salles tout au long de l’année pour les manifestations des différentes classes ou comités interclasse, etc. Il n’est pratiquement pas une semaine sans que soit organisée une manifestation conscrite dans la ville.
• parce que l’identité conscrite constitue une part importante de l’identité de la ville, même si elle ne concerne qu’une partie de la population et si les conscrits viennent de l’ensemble du bassin de vie et pas seulement de la commune même. Ce lien est au cœur de la fête, avec la remise par le maire des clés de la ville au président des « 20 ans », le vendredi soir. Il se retrouve dans la sauvegarde de la fête, avec l’organisation par la commune de la « boum » des dix ans, pour sensibiliser les jeunes filles et garçons de la ville à la tradition, et de la soirée des « nés en », suivi de l’unité de l’année en cours (celle des « nés en 9 » en 2018, par exemple), qui vise à sensibiliser les nouveaux Caladois (habitants de Villefranche-sur-Saône) à cette tradition locale.
Lieu(x) de la pratique en France
La fête est, dans ses manifestations grand-public (défilés, réceptions officielles), localisée sur le territoire de la ville de Villefranche-sur-Saône, mais elle associe aussi tout le bassin de vie alentour (bouquets aux conscrites, lieux des banquets et bals, restaurants pour les « retintons » et « super- retintons »...). La vie conscrite, en dehors de la fête, s’inscrit dans tout le bassin de vie de Villefranche-sur-Saône.
Cela se retrouve dans la provenance des conscrits, selon l’enquête de l’Interclasse générale (2016) : 25 % habitent la ville de Villefranche ; 18 %, l’agglomération hors Villefranche ; 30 %, le reste du département du Rhône ; 15 %, le département de l’Ain ; enfin, 12 %, hors de ces deux départements, y compris à l’étranger. Dans le reste du département du Rhône et dans celui de l’Ain, la majorité des participants a une relative proximité géographique avec Villefranche : l’agglomération de Villefranche est relativement réduite et la rive gauche de la Saône, située dans l’Ain, appartient au bassin de vie de Villefranche. Les personnes géographiquement éloignées qui participent à la fête ont généralement des racines dans le bassin de vie caladois ou y ont passé une partie de leur vie.
Pratique similaire en France et/ou à l’étranger
Une pratique en déclin en France, mais qui subsiste dans certaines zones géographiques
La conscription, en ce qu’elle pouvait constituer un rite de passage vers l’âge adulte, et particulièrement le tirage au sort, qui réunissait les jeunes d’un même âge au même lieu et au même moment, s’est traduite par l’émergence de nombreuses fêtes dans les villes et les villages de France. La fin du tirage au sort et plus récemment la fin du service militaire ont largement réduit la pratique. Malgré cela, la tradition persiste dans plusieurs villages, notamment en Alsace, en Bourgogne ou dans la vallée du Rhône de façon plus ou moins importante. La tradition se structure autour de deux modèles :
• une fête regroupant les 19 et 20 ans, ou les 18, 19 et 20 ans (dans certains cas, même les 17 ans) ;
• une fête regroupant les personnes par décade : 10 ans, 20 ans, 30 ans...
Dans certains cas, les deux systèmes sont mêlés, généralement du fait d’un faible nombre de personnes âgées de 20 ans. Dans la grande majorité des cas, la fête, initialement masculine, est devenue mixte, hommes et femmes ayant le même rôle.
Une variante existe dans le Nord, notamment à Linselles, où les classes se créent l’année des 50 ans des conscrits, âge auquel les hommes, dégagés de leur obligation militaire, se rendaient au chef- lieu de canton avec leur livret militaire pour se faire rayer des cadres.
La particularité des conscrits de Villefranche-sur-Saône
Au sein de ces multiples fêtes, celle de Villefranche-sur-Saône a gardé la plus grande ampleur. Elle reste « traditionnelle », en n’associant que les conscrits de la décade, à partir des 20 ans. La fête de Villefranche-sur-Saône et de son bassin fait partie des quelques fêtes qui ont conservé un rôle complémentaire entre les femmes et les hommes. Les fêtes de Conscrits sont en outre une pratique associée à des villages, ou exceptionnellement des quartiers ; Villefranche-sur-Saône est la seule ville dans laquelle cette pratique subsiste.
Mais son point le plus singulier est l’essor d’une communauté humaine qui a développé autour des « valeurs conscrites » un système relationnel et un système de solidarité entre ses membres. Cette communauté résulte historiquement de la fête, comme une communauté peut se constituer autour d’une activité sportive, culturelle ou caritative. Mais on peut considérer qu’il y a aujourd’hui un retournement de perspective. La communauté existe en dehors de la fête, elle vit au quotidien et s’inscrit dans les pratiques sociales de la ville. Son vocabulaire spécifique est ainsi souvent repris par des « non pratiquants ». Dans ce cadre, on peut considérer la fête comme le rituel central à travers lequel la communauté fait corps et se régénère par la répétition du rite initiatique et initie ses nouveaux membres : les 20 ans évidemment, mais de plus en plus également des personnes de tous les âges. En 2019, un « 100 ans », qui n’avait avant jamais fait ses conscrits, a défilé pour la première fois de sa vie !
Les fêtes de Conscrits du bassin de vie de Villefranche-sur-Saône
Du fait de la proximité de Villefranche peut-être, de nombreux villages du Beaujolais et de la rive gauche de la Saône (Ain) ont conservé des fêtes de conscrits. Les discours reflètent une forme de compétition cocardière entre les fêtes de villages et la fête de Villefranche-sur-Saône, qui est la fête de la ville : les Caladois opposent les « fêtes des classes », qui se font dans les villages, à la fête des conscrits de Villefranche. Ces oppositions rappellent qu’historiquement les conscrits des villages venaient au chef-lieu de canton pour le tirage au sort et qu’il n’était pas rare que les différentes délégations ne s’opposent « virilement ».
Dans les faits, les fêtes des villages coexistent sans difficulté avec la fête de la ville. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’un habitant d’un village du Beaujolais fête les conscrits à la fois à Villefranche et dans son village, ou dans deux villages, voire davantage. Selon l’enquête de l’Interclasse générale (2016), seul un conscrit de Villefranche-sur-Saône sur quatre habite effectivement la ville. La fête de Villefranche est la fête de tout son bassin de vie. De même, les fêtes des villages associent ceux qui s’y sentent des affinités, sans nécessairement habiter ce village. Le découpage géographique par ville ou village cache dans les faits une grande perméabilité.
Les fêtes des villages ont majoritairement intégré les femmes, - historiquement davantage du fait du faible nombre de conscrits que d’une volonté de parité. Certaines intègrent les 10 ans, ou les 19 ans..., avec une grande diversité de pratiques.
Mais ces fêtes reprennent aussi des éléments de la fête caladoise (organisation, tenue...) de façon plus ou moins précise (tenue moins stricte, autre type de chapeau...). Les évolutions de la fête à Villefranche sont souvent reprises très rapidement dans les fêtes des villages. Ce fut ainsi le cas, lors de la création du ruban couleur « prune » pour les 80 ans, introduit en 2009, pour tenir compte de l’allongement de la durée de vie.
Ces dernières années, les fêtes de villages semblent globalement en perte de vitesse et peinent à recruter des conscrits.
Les fêtes à l’étranger
Une pratique voisine existe dans la vallée d’Aoste en Italie. On y retrouve la pratique, apparue à Villefranche dans les années 1980, de voitures décorées pour l’occasion et couvertes de phrases humoristiques, souvent grivoises et parfois grossières. Cette pratique concerne les villages de la vallée d’Aoste, mais pas la ville d’Aoste elle-même.
La fête des conscrits constitue le point d’orgue annuel de la vie conscrite et, pour les conscrit(e)s, le point d’orgue d’une période de 10 ans). Avec une moindre intensité, les conscrits constituent une communauté qui anime la vie locale tout au long de l’année, au point de représenter un élément important de l’identité de la ville de Villefranche-sur-Saône, alors même qu’elle touche une minorité de ses habitants et que les conscrit(e)s viennent de tout le bassin de vie de la commune. Au-delà des animations organisées tout au long de l’année par les différentes classes et comités Interclasse, la communauté conscrite structure une partie des relations sociales au sein du bassin de vie et constitue un réseau d’intégration à la vie locale.
Six jours de fête comme point d’orgue rituel de la vie conscrite
La fête des conscrits se déroule sur six jours, du vendredi au mercredi suivant, à cheval sur le dernier dimanche de janvier, selon un planning traditionnel.
Elle concerne, en premier lieu, tous les hommes nés une année se terminant par le nombre de l’année en cours (en 2019 sont concernés les hommes de 20 ans et plus, nés une année se terminant par 9) et, en second lieu, les femmes remplissant les mêmes conditions. Hommes (conscrits) et femmes (conscrites) ont des rôles distincts au sein de la fête.
La première séquence de la fête (du vendredi au dimanche soir) est essentiellement publique ; elle associe largement la population ou une partie d’entre elle, soit comme spectateurs, soit comme participants. La seconde partie de la fête (du lundi au mercredi) est plus discrète et plus privée et concerne essentiellement les seuls conscrits.
● L’entrée des 20 ans dans la communauté conscrite : comme un avant-goût de la fête à venir
Entre un an et deux ans avant la fête, l’Amicale Classe (association loi 1901) des futurs 20 ans a été créée. Son bureau, accompagné par l’interclasse de la décade, a préparé la fête (cf. partie « Apprentissage et transmission » infra). L’entrée officielle de la nouvelle classe dans le monde conscrit est symbolisée par la remise par le président de l’interclasse de la décade du drapeau de la nouvelle classe à son président (cf. « Éléments matériels liés à la pratique » infra), lors d’une cérémonie qui se déroule le dimanche précédant la fête.
Cette remise se fait sur le parvis de la mairie en présence des élus (maire, député) et de tous les drapeaux des différentes classes. Cette cérémonie de remise du drapeau est suivie par une messe à la collégiale de la ville, durant laquelle ce drapeau est béni et un hommage est rendu aux conscrits disparus aux cours des dix dernières années. Dans cette cérémonie, le caractère traditionnel et la dimension d’hommage prend le pas sur le caractère religieux : les conscrits participent à cette cérémonie, quelle que soit leur croyance ou appartenance.
Après la cérémonie religieuse se déroule un apéritif regroupant tous les conscrits des classes de l’année, auquel sont conviés les conscrits de toutes les autres classes. Lors de cet apéritif, les classes de l’année présentent chacune à leur tour leur « chanson ». Après l’apéritif, beaucoup de conscrits de l’année ou pas continuent la fête dans les bars et restaurants de la ville jusqu’à la fin de la journée.
● Associés à la fête : les aîné(e)s et les personnes handicapées [vendredi après-midi et samedi matin]
Le premier acte des conscrits, une fois le smoking revêtu, est de rendre visite aux conscrit(e)s qui ne peuvent pas se déplacer du fait de leur âge ou de leur handicap. En groupe intergénérationnel de dix à quinze conscrits, ils se rendent dans les maisons de retraite, EHPAD et établissements spécialisés de la ville pour apporter aux résidents qui fêtent leurs conscrits un bouquet de fleurs et passer un moment à leur côté. Les établissements organisent généralement une réception afin d’accueillir tous leurs résidents, conscrit(e)s ou non, et souvent leurs familles pour faire de cette visite un temps d’animation, de fête et de partage.
● La retraite aux flambeaux : quand la fête devient carnaval [vendredi soir]
La retraite aux flambeaux est le seul moment de la fête, où les conscrits délaissent leur tenue traditionnelle. Elle est ouverte par une fanfare et un défilé des jeunes sapeurs-pompiers de Villefranche-sur Saône, qui portent les flambeaux.
Derrière eux, chaque classe (les 20 ans, les 30 ans...) défile dans un joyeux désordre autour d’un char qu’elle a construit, déguisée selon un thème défini par l’interclasse de la décade, sous les applaudissements des spectateurs. Le défilé parcourt la rue Nationale du sud au nord sur toute sa longueur, puis du nord au sud jusqu’à sa moitié, avant de tourner vers l’ouest pour gagner le perron de l’hôtel de ville. Les spectateurs les moins frigorifiés convergent également vers le perron de l’hôtel de ville. Chaque classe prend alors place sur le perron, en commençant par les plus anciens, pour chanter sa chanson. Les « 20 ans » terminent le spectacle.
Avant que les 20 ans ne s’approprient les escaliers pour chanter leur chanson, leur président monte seul les marches pour remettre un bouquet à la femme du maire
– Villefranche n’a encore jamais eu de mairesse - et recevoir de ce dernier les clés de la ville, symbole qui fait des « 20 ans » les véritables rois de la ville. Après ce moment de liesse, les conscrits de chaque classe, rejoints par leurs conscrites, et souvent aujourd’hui par les conjoints et conjointes des conscrites et conscrits, se retrouvent pour dîner, boire, chanter et danser jusque tard dans la nuit.
● Se souvenir des conscrits décédés [samedi matin]
Le samedi matin permet d’achever la visite aux aîné(e)s et aux personnes handicapées, mais souvent aussi à rendre hommage aux conscrits décédés. La matinée sert souvent aussi à la prise de vue des conscrits de chacune des classes par leur photographe officiel et éventuellement à la prise d’un portrait de groupe de tous les conscrits de l’année. La photographie des conscrits de chaque classe sera généralement encadrée et accrochée au mur du siège de chacune des classes.
● La remise du bouquet : les conscrites à l’honneur [samedi après-midi et samedi soir]
Le samedi après-midi et le samedi soir constituent la séquence pendant laquelle les conscrites sont au cœur de la fête. Chacune d’elles, seule ou en se regroupant à plusieurs, organise une fête, où elles invitent famille et amis à partager la journée, autour d’un goûter l’après-midi ou d’un repas le soir, et de la musique pour danser. Les conscrites seront les « reines » de ces fêtes, recevant bouquets et cadeaux. Ces fêtes se déroulent, selon le nombre d’invités et les moyens de la conscrite, à son domicile, dans un café, un restaurant ou dans une salle des fêtes, dans un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour de Villefranche.
Le clou de cette fête est la réception d’un groupe de conscrits, qui lui remet un bouquet et une cocarde, lui chante la chanson de la classe et fait l’animation de la soirée durant une heure à une heure trente. Pour cela, les conscrits de chaque classe sont divisés en groupes d’environ huit personnes, soit deux voitures vertes pour les 20 ans ou un minibus pour les autres classes. Voitures et minibus sont conduits par un chauffeur d’une autre classe pour sécuriser les déplacements, notamment vis-à-vis de la consommation d’alcool. Chaque groupe se voit affecter par le bureau de la classe, et selon les demandes des conscrites, qui souhaitent de préférence recevoir tel ou tel de leurs conscrits, un planning de visites, qui s’échelonnent entre l’après-midi et la soirée. Le chauffeur a aussi pour mission de veiller à ce que le groupe respecte autant que possible les horaires.
Chaque conscrite reçoit au minimum un groupe de conscrits - celui qui est chargé de lui remettre la cocarde et le bouquet -, mais il est fréquent que d’autres groupes fassent un passage. Dans les familles très conscrites, il est également possible que plusieurs femmes d’âges différents organisent ensemble la réception. Chacune d’elles recevra alors au minimum un groupe de conscrits, ce qui rythme l’après-midi ou la soirée de fête.
Les conscrites organisant des soirées souhaitent généralement que les conscrits passent le plus tard possible. Si elles sont la dernière conscrite du planning, les conscrits restent généralement chez elles pour finir la soirée tard dans la nuit, ou tôt le matin.
Ces après-midi et soirées n’existent pas dans les fêtes qui ont adopté la « mixité », puisque tous, conscrits et conscrites, sont ensemble. Ces réceptions ont un rôle très important pour la diffusion de la culture conscrite : elles mettent en contact, grâce à la « médiation » assurée par les conscrites, les conscrits avec les familles et amis pas nécessairement « initiés ». Ce travail de « médiation » est très important dans la transmission de la culture et des valeurs de la communauté conscrite vers ce que nous avons appelé plus haut le « monde conscrit ».
● Les conscrits dans la ville
Revêtus de la tenue traditionnelle (smoking, chemise blanche, nœud papillon noir, écharpe blanche, chaussures et chaussettes noires, gants blancs, cocarde tricolore avec deux glands or sur la poche de la veste et gibus noir cerclé d’un ruban de couleur correspondant à son âge), les conscrits parcourent la ville en groupes pendant toute la durée de la fête. Ils n’abandonnent la tenue de conscrit que pour la retraite aux flambeaux.
Les plus visibles et généralement les plus bruyants sont les 20 ans, qui sillonnent la ville en klaxonnant dans leurs voitures peintes en vert et couvertes de slogans souvent grivois. Lors des arrêts fréquents, notamment rue Nationale, ils sont immédiatement repérables par leurs sifflets et leurs cornes de brume.
Mais les classes plus âgées parcourent également la ville et surtout la rue Nationale par grappes, visitant les bars ou les boutiques des commerçants pour se faire offrir un verre de champagne, chantant leur chanson, interrompant la circulation et interpellant les passants... Le samedi, la présence des conscrits est la plus dense dans la ville : ils parcourent le territoire pour visiter leurs conscrites, occasion de passages fréquents en centre-ville. Dans ce cadre, la mobilité et le renouvellement des populations apparaissent le plus clairement. Il y a encore vingt-cinq ans, les conscrits évoluaient en ville au milieu d’une population majoritairement « initiée ». Les conscrits pouvaient alors plus ou moins tout se permettre, sous le regard amusé et compréhensif (voire complice) de la population. De nos jours, une partie de la population et/ou des chalands du samedi regardent avec surprise, souvent sans en connaître les codes, et parfois agacement, les pratiques de ces drôles de gens en smoking et gibus. Cela souligne d’autant le besoin de médiation vis-à-vis de la population nouvellement implantée dans le bassin de vie caladois.
● Animer la ville [samedi après-midi]
Partiellement pour répondre à cette problématique, ces dernières années, les comités Interclasse ont eu à cœur de faire davantage participer les habitants et visiteurs de la rue Nationale à la fête le samedi après-midi, en faisant défiler et jouer, en différents lieux de la rue ou alentour, une partie des fanfares qui défileront le lendemain, généralement les plus belles, qui viennent de loin et arrivent donc dès le samedi. Ces différents concerts et défilés se terminent par une réception des musiques et des conscrits présents en centre-ville à la mairie.
● Le réveil des présidents [dimanche matin]
La tradition veut que le président de chaque classe soit réveillé le matin, entre 6 h et 9 h, par des cors de chasse, avec des variantes selon les années. Le président convie ses conscrits à ce moment - ceux qui auront pu se lever pour y assister - pour un petit mâchon (cf. partie « Vocabulaire » infra) pour bien commencer la journée. À l’issue de ce mâchon, les conscrits convergent rue Nationale pour se mettre en place pour la « vague ».
● Le point d’orgue de la fête : la « vague »
La « vague » est le traditionnel défilé aller-retour des conscrits entre la rue d’Anse, au sud, et la rue de Belleville, au nord, en parcourant sur toute sa longueur la rue Nationale, longue d’un kilomètre. Précédé par le drapeau de l’Interclasse générale, le défilé alterne une fanfare et une classe, en commençant par les 20 ans, et se termine par une fanfare.
Le défilé rassemble de 300 à 400 conscrits, toutes classes confondues, âgés de 20 ans à 90 ou 100 ans et neuf ou dix fanfares. Il commence à 11 h précises, pour se terminer entre 13 h et 13 h 30. Chaque conscrit porte à la main un petit bouquet rond d’œillets rouges et de mimosa fermé dans une collerette blanche à laquelle est noué un ruban de la couleur de la classe concernée, ce qui ajoute une touche de couleur au noir et blanc de la tenue des conscrits.
En général, deux fanfares au moins ont des tenues spectaculaires, ce qui ajoute encore au spectacle.
Selon les années (nombre de conscrits / météo), de 10 000 à 20 000 personnes se massent le long de la rue Nationale pour assister au défilé, essentiellement issues de Villefranche et des environs.
Lors du défilé, les conscrits de chaque classe sont organisés en rangs de cinq personnes qui se tiennent bras dessus, bras dessous et qui avancent en déambulant d’un trottoir à l’autre, formant, vue de loin, une vague (d’où le nom du défilé). Chaque classe est précédée par son drapeau, porté par un conscrit. Dans les classes les plus âgées, les conscrits connaissant des difficultés pour se mouvoir sont installés dans des voitures défilant derrière chaque classe.
Lors du défilé, les spectateurs essaient de repérer ‘’leurs conscrits’’. Les 20 ans, rois de la fête, sont particulièrement applaudis. Les plus anciens, surtout s’ils marchent, sont ovationnés et encouragés tout au long du parcours.
Lors de la « vague », la « calade » vient regarder défiler les siens. Pour spectaculaire qu’elle soit, la « vague » n’est pas une attraction touristique susceptible de faire venir des cars de touristes de toute la région. Elle demeure essentiellement un événement rituel, où se retrouve le monde conscrit, dans le défilé comme sur les trottoirs, ainsi que la famille et les amis. C’est ce qui confère au moment le plus spectaculaire de la fête sa force émotionnelle.
Lors de l’aller, les conscrits ont à cœur d’offrir à la population une « belle vague ». En revanche, pour le retour, il est de tradition que les conscrits quittent momentanément le défilé pour embrasser leur famille ou des conscrites massées sur les trottoirs. À l’issue de la « vague, chaque conscrit rejoint généralement sa famille et ses amis pour partager un apéritif, avant de partir avec ses invités pour le banquet de sa classe.
● Le banquet
Chaque classe organise son propre banquet, sauf les 80 ans, les 90 ans et, le cas échéant, le(s) 100 ans, qui se regroupent parfois. Le banquet des 20 ans ne rassemble que les conscrits. Dans celui des autres classes, chaque conscrit invite, selon son âge, son père, son ou ses fils et quelques amis ou membres de sa famille (seulement des hommes), de telle sorte que les banquets peuvent regrouper jusqu’à 500 personnes, ce qui implique de mobiliser les plus grandes salles du territoire. Le banquet commence vers 14 h 30/15 h pour se terminer vers 19 h 30/20 h. Servis par un traiteur, les banquets ne sont plus les repas gargantuesques d’antan avec une dizaine de plats, mais restent des repas fins servis avec de bons vins. Une animation est généralement prévue et, si l’ambiance est au rendez-vous, les conscrits et leurs invités passent plus de temps à chanter et danser, généralement debout sur les chaises, qu’à manger.
À la fin du banquet, se déroule la tradition des « chanons » : un tirage au sort, simulant le tirage au sort de la conscription du XIXe siècle. Les conscrits distribuent à leurs invités, contre une obole, un cigare – telle était la tradition avant l’interdiction de fumer dans les lieux publics -, un chocolat, ou une mignonette d’alcool, entouré d’un ticket portant un numéro. Le tirage au sort permet au gagnant de repartir avec un panier gourmand symbolique. La recette des chanons est reversée par l’interclasse de la décade à des œuvres sociales de la ville.
Le banquet n’étant ouvert qu’aux hommes, les épouses ou compagnes s’occupent généralement des femmes ou compagnes des invités de « leurs hommes », soit en les invitant chez elles, soit en les conviant au restaurant. Il est difficile de trouver une table dans un restaurant de la région au dernier moment, le dernier dimanche de janvier !
À l’issue du banquet, les conscrits rejoignent leurs femmes, familles et amis, avant de partir au grand bal de clôture de la journée.
● Le bal
Chaque classe, sauf les 20 ans, organise son bal. Dans les salles les plus grandes, il arrive que les classes se regroupent à plusieurs pour organiser un même bal.
L’accès aux bals se fait sur invitation, remise par les conscrit(e)s à leurs familles et amis. Ceux qui ont plusieurs amis ou des ami(e)s conscrit(e)s doivent choisir à quel bal se rendre, - ou ne pas choisir et visiter chacun d’entre eux. Les 20 ans, qui n’organisent pas de bal, font la tournée des bals de leurs aînés.
Vers minuit, la ou les classes organisatrices se rassemblent près de la sono ou de l’orchestre pour chanter la chanson de la classe, sonnant généralement l’heure du départ pour les invités qui travaillent le lendemain. Autrefois, les entreprises de Villefranche offraient un jour de congé le lundi des conscrits, permettant à chacun de profiter du bal jusqu’au bout de la nuit. De nos jours, beaucoup ne travaillent plus dans Villefranche. Les plus courageux continuent la fête jusque tard dans la nuit.
● Retinton et super retinton
Après le bal, la fête prend un tour plus privé et plus discret, même si des groupes de conscrits peuvent toujours être aperçus dans la ville et si les voitures des 20 ans continuent encore de vrombir dans la rue Nationale.
Le lundi matin et le mardi matin, les conscrits se retrouvent en fin de matinée au siège (cf. partie «Patrimoine bâti» infra) de leur classe, occasion de boire un premier apéritif avant le « retinton », banquet du lundi midi, et le « super retinton », banquet du mardi midi. Les plus courageux ont éventuellement commencé par un petit mâchon un peu plus tôt, histoire de pouvoir attendre le repas.
Du siège, les conscrits partent vers le restaurant choisi, - en car, si le restaurant est en dehors de Villefranche. Chaque classe organise son propre retinton et super retinton. De même, chaque classe choisit l’organisation des soirées du lundi et du mardi : restaurant ou soirée dansante, avec ou sans les conscrites, parfois avec les conjoints...
● L’enterrement de la classe
Le lundi soir, les 20 ans organisent en présence des autres classes et, des conscrites un « enterrement de la classe », qui consiste à descendre la rue Nationale, en portant un cercueil représentant la classe, de la place du Promenoir, au sud, à la place Claude-Bernard, au nord, pour brûler le cercueil sur cette dernière.
● Restitution des clés de la ville
Le mardi soir, le président des 20 ans et ses conscrits restituent au maire les clefs de la Ville, qu'ils détiennent depuis le vendredi, signifiant ainsi que la fin de la fête est proche.
● Le banquet intergénérationnel pour clore la fête officielle
Le mercredi midi, les conscrits de toutes les classes se retrouveront pour un dernier banquet, occasion de festoyer en mélangeant toutes les générations, avant de clore en fin d’après-midi la fête officielle. Certaines classes s’offrent quelques prolongations le mercredi soir, ou le jeudi, voire jusqu’au week-end suivant parfois, mais en dehors de la fête officielle, avec les conscrits qui le veulent et qui peuvent se libérer. Il est alors temps de clore définitivement la fête et de rendre les smokings.
Très vite, des occasions se présenteront pour se retrouver et évoquer les bons moments passés ensemble et en préparer d’autres. La fête ne s’arrête jamais vraiment : une semaine plus tard, le dimanche matin (premier dimanche de février), une réunion des 20 ans de l’année suivante est organisée, en vue de les recenser pour la création de leur « amicale classe » et du bureau de cette dernière...
Dix ans pour préparer une fête
Si, une fois tous les dix ans, la fête est le point d’orgue de la vie conscrite, celle-ci ne s’arrête jamais véritablement, parce que, au prétexte de préparer la prochaine fête, la vie de classe continue. Entre deux fêtes, tous les conscrits ne participent pas de la même façon à la vie de leur classe. Un noyau dur est présent assidûment à toutes les réunions et manifestations. Un second cercle participe aux temps forts annuels (assemblée générale, soirée dansante, apéritifs...) ou de la décade (voyage demi-décade). Les conscrites les plus assidues font partie de ce second cercle. Le dernier cercle, enfin, est constitué de personnes qui seront peu présentes pendant huit ans, mais qui se rapprocheront de la classe un à deux ans avant la fête.
Historiquement, dans un contexte de moindre mobilité professionnelle, on entrait à la classe pour ses 20 ans et on y restait toute sa vie, même s’il y a toujours eu des exceptions. Aujourd’hui, on entre au sein d’une classe à n’importe quel âge : il suffit de prendre contact avec un conscrit de sa classe et les affinités se créent lors des premières réunions et/ou manifestations.
Avec 70 classes actives environ, il n’y a pratiquement aucune semaine sans l’organisation d’une manifestation conscrite, sans compter les réunions, encore plus nombreuses. Les conscrits sont inscrits dans l’ADN de la vie locale caladoise.
Dans le quotidien, le lien entre les différentes classes se fait à travers :
les dix comités Interclasse, qui coordonnent l’organisation de la fête et assurent entre deux fêtes le lien entre classes d’une même décade, et par la même, le lien intergénérationnel.
l’Interclasse générale, qui assure le lien entre toutes les classes par les réunions des présidents, qui mettent en débat les problématiques liées à la vie conscrite, et par des événements festifs (tel le concours de boules lyonnaises), qui fédèrent l’ensemble des classes et des conscrits.
La vie conscrite au quotidien : les conscrit(e)s hors des classes
Avec près d’une centaine d’associations et environ 3500 conscrits, auxquels s’ajoutent les conscrites et les proches, le monde conscrit a un impact identitaire important sur le bassin de vie.
Où pourrait-on entendre deux personnes, parlant d’une troisième, dire :
− Ça lui fait quel âge, Simon ? 38 ans ?
− Non, 37, il est conscrit avec Bastien.
En dehors des activités conscrites, la fête construit un réseau relationnel et un système de solidarité local que l’on peut mobiliser : besoin d’un plombier, on appelle son conscrit...
Au sein des classes, se constituent des groupes d’ami(e)s, qui se voient et se reçoivent en dehors de toute activité conscrite, un peu comme une seconde famille, en associant les conjoints, les enfants, parfois des amis extérieurs.
Dans les entreprises implantées de longue date ou dans les associations de la ville, il est de tradition de fêter les conscrits de l’année, que ceux-ci fassent effectivement les conscrits ou non.
De même, de nombreuses personnes ne participant pas officiellement à la fête de janvier, fêtent leurs conscrits avec leur famille ou leurs proches. S’ils ne fêtent pas directement leurs conscrits, celles et ceux qui célèbrent leur anniversaire pour le passage dans une nouvelle décade adoptent souvent des éléments symboliques des conscrits, notamment le gibus et son ruban, qui indique l’âge de la personne concernée.
Les commerces ont depuis longtemps intégré la tradition, au point qu’elle constitue l’une des périodes fastes de l’année pour certains d’entre eux, tels les fleuristes, cavistes, voyagistes et, bien sûr, gérants de restaurateurs et de bars.
● Devenir conscrit(e)
Pour devenir conscrit(e), rien de plus simple et de moins discriminant : il suffit de contacter le président de sa classe - liée à son année de naissance - ou l’un de ses conscrits, ou de se rendre à l’une des réunions de cette classe. Le reste n’est plus qu’une question d’alchimie relationnelle. La greffe prend ou ne prend pas : les ambiances ou les pratiques peuvent être très variables d’une classe à l’autre, mais la seule chose qu’on ne peut pas choisir, c’est sa classe ! Derrière ses pratiques, rites et traditions, le monde conscrit paraît de l’extérieur extrêmement fermé. Dans la pratique, il est peu de communautés aussi ouvertes. Mais, comme le fait d’y appartenir est souvent une évidence pour ses membres, les classes ne communiquent pas suffisamment et pas bien vis-à-vis de l’extérieur.
Dans la culture conscrite, la convivialité est fortement associée à la table et au vin, ce qui peut constituer pour certaines personnes un obstacle. Cependant, il n’est pas nécessaire de boire de l’alcool pour être conscrit et l’on a aussi aujourd’hui des conscrits végétariens.
● Question de genre
Historiquement liés à la conscription, les conscrits ont d’abord été une affaire d’hommes. On peut encore associer à la culture masculine, les sièges de classe domiciliés dans des cafés, historiquement lieux de rencontre et de convivialité des hommes à l’extérieur du foyer. Les femmes ont d’abord été associées à la fête dans le cadre de la remise des bouquets. On retrouve dans cette pratique la division historique des rôles entre femme (au foyer) et homme (à l’extérieur), les conscrites organisant des fêtes dans un cadre privé (familles, amis), alors que les hommes organisent la fête publique.
Depuis la fin du XXe siècle, les femmes sont de plus en plus associées à la vie des classes. Juridiquement, elles n’adhèrent pas à l’association et ne cotisent pas, mais supportent le coût de leur réception, ce qui peut représenter des sommes plus importantes que la seule cotisation du conscrit. En revanche, elles sont de plus en plus présentes dans la fête, retrouvant les conscrits après la retraite aux flambeaux, ou le soir du lundi ou du mardi. Par ailleurs, dans certaines classes, les femmes commencent à se rassembler entre elles pour organiser des événements (banquets), symétriques à ceux des hommes.
Mais c’est dans la vie des classes, en dehors de la fête-même, que les femmes prennent de plus en plus de place. Elles sont présentes dans la majorité des activités organisées par les classes (bal, soirée, pique-nique, voyage...) et sont régulièrement invitées aux réunions. D’ailleurs, dans toutes ces manifestations, on ne retrouve pas les habituelles distributions de rôle entre femmes et hommes : ce sont généralement les hommes qui prennent en charge les tâches de préparation, de service ou de nettoyage et les femmes (conscrites ou épouses) se font servir.
Dans la fête, la distribution des rôles entre conscrites et conscrits a déjà été évoquée, notamment dans le cadre des cérémonies et rituels de remise de bouquets, le samedi après-midi et le samedi soir. Dans ce cadre, dans les réceptions organisées par les conscrites pour leurs proches, les conscrits sont attendus avec impatience, leur passage représentant le temps fort de ces festivités. Pendant leur visite, il leur appartient de faire le spectacle, pour distraire les convives et mettre l’ambiance, mais aussi de transformer leur hôtesse en reine de la fête, par le moment solennel de remise de la cocarde et du bouquet, par la chanson de la classe qui lui est dédiée et par les diverses attentions accordées.
De fait, la visite des conscrits à la conscrite - ou aux conscrites, si elles se sont regroupées - ressemble à un rite de séduction, dans lequel les conscrits se doivent d’honorer, voire de « courtiser » leur conscrite, en se relayant pour parader à ses côtés pendant tout le temps de leur présence. Ces réceptions jouent un rôle important dans la médiation entre « initiés » et « non-initiés » et pour la transmission de la culture conscrite : chacun peut alors ressentir ce que cela représente d’être conscrit(e).
Les transformations et les adaptations des rites conscrits aux évolutions des mœurs et de la société sont lentes, parce que le système n’est pas piloté par un « législateur », apte à imposer ces changements. Mais elles sont progressives. Les femmes ont aujourd’hui trouvé une place dans le monde conscrit, et en partie dans la fête. Des évolutions restent possibles. Mais la très grande majorité des conscrites ne souhaitent pas en venir à la mixité totale de la fête, qui ferait disparaître les cérémonies du samedi après-midi, et, de ce fait, conçoivent très bien que la « vague » soit et reste réservée aux hommes.
Français
Lexique de la fête des Conscrits de Villefranche-sur-Saône
• Amicale classe : voir partie I.3. « Communauté(s), groupe(s) associé(s) »
• Calade (Caladois / Caladoise) : les habitants de Villefranche-sur-Saône se nomment Caladois et
Caladoises ; par extension, la « calade » désigne la ville de Villefranche-sur-Saône.
• Chanons : tombola organisée pendant le banquet du dimanche midi, qui simule le tirage au sort à l’origine de la fête. Les billets de tombola étaient historiquement enroulés autour d’un cigare. Désormais, c’est généralement autour d’un chocolat (en forme de cigare) ou d’un tube d’eau-de-vie que les billets sont fixés. Les invités achètent ces billets pour participer au tirage au sort. La recette de cette vente est remise à des œuvres sociales de la ville.
• Classe : ensemble des personnes nées la même année. Dans la fête des conscrits, l’année associée à la classe n’est pas l’année de naissance, mais l’année des 20 ans. Une personne née en 1960 appartient à la classe « 80 ».
• Comité Interclasse : voir la partie I.3. « Communauté(s), groupe(s) associé(s) »
• Conscrit : jeune homme appelé pour effectuer son service militaire. Par extension, le mot désigne des personnes nées la même année (être conscrit(e) avec...).
Dans la fête des conscrits de Villefranche en Beaujolais sont conscrits les hommes nés la même année qui adhèrent à leur « Amicale Classe », et conscrites les femmes du même âge qui participeront à la fête de l’Amicale Classe de leur année de naissance. Plus généralement, sont désignés par conscrites et conscrits l’ensemble des femmes et hommes qui participent à la fête des conscrits.
• Décade : période de dix ans qui sépare deux fêtes pour une même classe. Par extension, dans la fête des conscrits de Villefranche en Beaujolais, ensemble des classes dont l’année se termine par le même chiffre.
• Interclasse générale : voir la partie I.3. « Communauté(s), groupe(s) associé(s) »
• Mâchon : tradition gastronomique lyonnaise composée de cochonnaille ou de trippes arrosées de pot de Beaujolais ou de Mâconnais et servies à des heures matinales. Par extension, il désigne un repas simple et roboratif.
• Remise du bouquet : cérémonie pendant laquelle un groupe de conscrits (généralement huit personnes) rend visite à une conscrite, dans l’après-midi ou la soirée du samedi de la fête, pour lui remettre un bouquet et une cocarde. Pour ce moment, la conscrite a rassemblé ses proches ou sa famille, de quelques personnes à plus d’une centaine. Durant la visite, les conscrits chantent la chanson de la classe (entre autres) et animent la réception autour de la conscrite, « vedette » de ce moment.
• Retinton : banquet regroupant les conscrits d’une même Amicale Classe le lundi de la fête.
• Super-retinton : banquet regroupant les conscrits d’une même Amicale Classe le mardi de la fête (voir « Retinton »).
• Vague : nom du défilé des conscrits rue Nationale le dernier dimanche du mois de janvier. Ce nom provient de l’effet graphique des groupes de conscrits, qui se déplacent de droite à gauche et de gauche à droite lors du défilé.
Patrimoine bâti
La rue Nationale
La rue Nationale est l’artère centrale et commerciale de la ville de Villefranche, longue d’un peu plus d’un kilomètre en ligne droite en forme de cuvette. Les deux extrémités sont plus hautes que le centre. Elle est prolongée en ligne droite au sud par la rue d’Anse et au nord par la rue de Belleville. Cette rue est indissociable de la fête des conscrits par le caractère grandiose qu’elle donne au défilé, du fait de la ligne droite et de la perspective que procure sa forme, qui permet d’admirer les « vagues » que font les conscrits, vagues qui ont donné leur nom au défilé du dimanche. La « rue Nat’ » est à la fois le point de convergence des conscrits lors de la fête et le décor des défilés de la fête.
La mairie et son perron
L’origine militaire et patriotique de la fête et son lien avec la République associent naturellement la fête des conscrits avec la mairie. Sa situation particulière, à une centaine de mètres de la rue Nationale, au bout d’une rue perpendiculaire et pratiquement en son centre, et son architecture Art déco - construite en 1928, la mairie dispose d’un perron surélevé accessible par une large volée de marches - constituent un amphithéâtre de choix pour les portraits de groupe des conscrits, pour la remise du drapeau aux 20 ans, pour la chanson des classes à l’issue de la retraite aux flambeaux et bien sûr pour la remise des clés de la ville au président des 20 ans par le maire.
Les sièges de classe
Les Amicales Classes domicilient leur association dans des cafés ou des restaurants de la ville qui disposent idéalement d’une arrière-salle, où l’on peut tenir réunion avec plusieurs dizaines de personnes, et si possible qui soient aptes à nourrir ces personnes après les réunions. Les sièges traditionnels sont reconnaissables aux murs largement couverts de portraits de groupe des différentes classes. Ils sont des hauts lieux de la vie des classes, tant pendant la fête, comme lieu de rassemblement, qu’entre deux fêtes : les classes organisent généralement entre une réunion par mois et une tous les deux mois.
La maison des Conscrits
La maison des Conscrits est un local, de type « pas-de-porte », mis à la disposition des différentes classes par la Ville de Villefranche-sur-Saône et dont l’Interclasse générale assure la gestion. Sa signalétique donne une visibilité au monde conscrit auprès du public. La salle accueille des réunions de bureau des classes et interclasses qui le souhaitent. Elle se substitue partiellement aux sièges de classe, qui ne disposent pas tous d’une arrière-salle pour tenir des réunions au calme. Pour éviter une substitution totale, l’Interclasse ne permet pas aux classes ou interclasses d’y établir leur siège juridique.
Objets, outils, matériaux supports
Affichettes
Les affichettes sont conçues pour chaque fête par le comité interclasse de l’année. Elles sont vendues à son profit par les conscrits, aux commerçants de la ville qui en pavoisent leur vitrine à l’approche de la fête. Les affiches reprennent généralement les dominantes rouge et verte, couleurs de la ville, et contiennent, selon les années, un ou des conscrits, un attribut de la tenue (gibus), la déclinaison de couleurs des rubans et souvent la flèche de la collégiale Notre-Dame des Marais pour caractériser la ville de Villefranche. Les conscrits et conscrites de l’année en achètent également pour décorer les différents lieux de réception. Depuis quelques années, on peut également acheter ces affiches à l’office de tourisme. En 2019, la Mairie et le comité interclasse en 9 ont inauguré un « mur des affichettes » à la salle de l’Atelier, haut lieu des soirées conscrites tout au long de l’année, qui reprend les affichettes de 1958 à nos jours. Mais le développement des commerces franchisés, avec les conventions les liant à la franchise sur la décoration des vitrines, diminue le nombre d’affiches visibles dans les commerces.
Bouquets
Les bouquets d’œillets rouges et de mimosa sont consubstantiels de la fête des Conscrits. Ils sont portés par les conscrits lors de la « vague ». Le bouquet rond est composé de 7 œillets rouges « tigés » et de deux brassées de mimosa, dont les queues sont entourées d’une collerette blanche. Un bouquet des mêmes fleurs, mais plus garni, est offert aux conscrites le samedi.
Cocarde
Survivance de l’origine militaire de la fête, la cocarde tricolore avec deux glands or agrémente la poche poitrine du smoking du conscrit. Une cocarde est remise à chaque conscrite, lorsque le groupe lui « porte le bouquet » le samedi après-midi de la fête. Les invités aux banquets du dimanche se voient aussi remettre une cocarde simple après la vague, par le conscrit qui les invite.
Drapeau
Le drapeau est l’emblème de la Classe. Il est porté par un conscrit lors de la « vague » pour précéder les autres membres de la Classe, soit par un « porte drapeau », selon la tradition historique, soit en relais, par les membres du bureau de la classe, ce qui tend à se substituer à la tradition du porte-drapeau. Pour les classes les plus anciennes, le drapeau peut être porté par un membre de l’Interclasse générale. Les drapeaux de toutes les classes sont présents en juin lors de la cérémonie du souvenir qui précède le « banquet des présidents » et lors de la remise du drapeau aux 20 ans le dimanche précédant la fête. Le drapeau de la Classe est aussi présent lors de la cérémonie du décès d’un de ses membres. Après le décès du dernier membre, il est conservé par l’Interclasse générale.
Gibus (et rubans)
Le gibus noir est un des symboles du conscrit de Villefranche, avec son ruban de couleur d’1,80 m de long et d’1,5 cm de large, placé à 1,5 cm du haut du chapeau. Chaque classe d’une décade a un ruban d’une couleur différente en fonction de son âge : vert pour les 20 ans, jaune pour les 30 ans, orange pour les 40 ans, rouge pour les 50 ans, bleu pour les 60 ans, violet pour les 70 ans, prune pour les 80 ans, bleu blanc rouge pour les 90 ans, et bleu blanc rouge avec un liseré or au-delà.
Portraits de classe
Point commun à la majorité des fêtes des classes, la tradition du portrait photographique de classe remonte à l’origine des conscrits. À Villefranche, il est d’usage aujourd’hui que chaque conscrit reçoive un portrait de groupe grand format de sa classe, réalisé lors de la fête, une photographie de son groupe (ceux avec qui il porte le bouquet aux conscrites) et un portrait individuel. Un exemplaire de la photographie de la Classe, encadré, est remis au siège de la Classe pour affichage. Depuis 2017, une nouvelle photographie, prise le samedi matin de la fête sur le perron de la mairie, avec l’intégralité des conscrits des classes de la décade, vient compléter la photographie traditionnelle.
Smoking (tenue)
La tenue du conscrit est sans doute l’élément le plus normé de la fête, elle comprend le smoking noir avec la cocarde décrite plus haut, une chemise blanche, un nœud papillon noir, une écharpe blanche, des chaussures et des chaussettes noires, des gants blancs et, bien sûr, le gibus et son ruban. Le caractère strict et uniforme de la tenue - tous les conscrits sont égaux - joue un rôle important dans l’aspect de la fête.
Sonnet
Chaque année, les 20 ans réalisent avant la fête un petit livret, de format A5 à l’italienne, de couleur dominante verte, couleur des 20 ans, qui contient un mot du président, les paroles de la chanson de la classe, le programme de la fête des 20 ans, la composition et la photographie du bureau, en smoking, mais sans gibus, la liste et la photographie en tenue de ville des conscrits, d’une part, et des conscrites, d’autre part, et enfin des poèmes - d’où le nom de « sonnet » - en l’honneur des conscrites, du drapeau et des anciens. Ce « sonnet » est vendu par les 20 ans, ce qui constitue l’une de leurs principales recettes, hors cotisations, pour l’organisation de la fête. Les classes plus âgées réalisent parfois, à usage interne, l’équivalent d’un « sonnet », mais de forme et de contenu plus libres.
Voitures vertes
Ces voitures se sont imposées au cours des années 1980 et constituent un des attributs de la visibilité des 20 ans, malgré les difficultés liées à la réglementation et à la sécurité, qui sont des menaces sur la survivance de cette pratique. Les 20 ans achètent une vieille voiture, conforme à la réglementation, pour la peindre en vert et la couvrir de phrases humoristiques, souvent grivoises et parfois grossières. Sauter sur ces voitures est l’un des plaisirs des 20 ans pendant les cinq premiers jours de fête. Le cinquième jour (le mardi soir), les voitures vertes sont regroupées pour être envoyées à la casse. De nos jours, pour assurer la sécurité, l’Interclasse générale agrée des
chauffeurs pour chaque voiture et organise un contrôle quotidien de l’état des véhicules. Les chauffeurs ne sont pas des conscrits de l’année ; leur agrément peut être retiré en cas de comportement dangereux.
La tradition implique deux niveaux de transmission : la transmission individuelle des « rites » et des « mythes » conscrits et la transmission collective des modes opératoires de fonctionnement des classes et de l’organisation de la fête.
Familles
Les familles sont le premier creuset de transmission de la vie conscrite, à travers :
les récits maintes et maintes fois répétés des fêtes passées : les plus jeunes ont reçu de leur père ou grand-père l’histoire de la fête, ses bases traditionnelles, qui entretiennent les « mythes » conscrits ;
l’observation directe des défilés (retraites aux flambeaux, « vagues ») ou des conscrits qui font la fête dans la ville, et notamment les 20 ans avec leurs « voitures vertes », leurs sifflets et leurs cornes de brume ;
la participation aux fêtes de familles ou d’amis organisées le samedi par les conscrites pour la remise des bouquets et des cocardes ;
et les différentes fêtes informelles qui réunissent les conscrits toute l’année.
L’expérience conscrite accumulée par les jeunes issus de familles conscrites font d’eux des candidats idéaux aux postes du bureau de leur future classe, puisqu’ils connaissent déjà les « rites » et qu’ils ont autour d’eux des personnes pour les conseiller. Il existe ainsi des dynasties de présidents de classe.
Conscrits
Les liens amicaux constituent par ailleurs la seconde grande modalité de transmission, notamment pour les jeunes issus de familles « non pratiquantes » ou celles qui n’ont pas « fait leurs 20 ans », ou les fêtes suivantes en fonction de leur âge, parce qu’ils sont « nouveaux arrivants » en calade. Ainsi, une personne qui intègre une classe sera progressivement acculturée aux traditions par capillarité.
Organisations traditionnelles impliquées dans la transmission
● La classe de l’année précédente
Historiquement, la classe qui venait de « faire ses 20 ans » devait réunir, accompagner les créations de la classe de l’année suivante et lui transmettre le mode opératoire de l’organisation. Avec la diminution du nombre de « 20 ans », ce rôle a fortement diminué avec le temps, au profit du comité interclasse de la décade.
● Le comité interclasse de la décade
Le comité interclasse de la décade organise les parties de la fête qui concernent toutes les classes de l’année. En rassemblant des représentants de chaque classe, il est aussi un outil intergénérationnel de transmission de la tradition. Progressivement, le comité interclasse de la décade s’est impliqué dans l’accompagnement du recrutement, la création et la mise en place de la classe des 20 ans et de l’accompagnement de cette classe dans l’organisation de sa première fête.
● L’Interclasse générale comme garante de la tradition... et de ses évolutions
L’Interclasse générale est tout à la fois prestataire de services dans le déroulement de la fête (mise en place et service d'ordre des défilés, accueil des musiques...), garante de la transmission du savoir-faire de l’organisation de la fête, et garante de la tradition... et de ses évolutions. L’assemblée générale de l’Interclasse générale, qui réunit tous les présidents de classes et de comités interclasses, porte un regard critique, ou positif, sur les évolutions, influant par là même sur l’intégration ou l’abandon de ces évolutions lors des fêtes suivantes, - influant seulement, parce que chaque Comité Interclasse reste maître de l’organisation de « sa » fête.
Nouvelles entités impliquées dans la transmission
● L’Interclasse générale comme vecteur de communication et de promotion des valeurs conscrites
Progressivement, avec la diminution du nombre de conscrits, l’Interclasse générale s’est emparée de la problématique de la protection de la fête et de la communication institutionnelle autour de la fête et s’est érigée en représentant et ambassadeur du monde conscrit et de ses valeurs. Elle a notamment effectué des dépôts de marque auprès de l’INPI pour lutter contre l’utilisation et le détournement de la tradition à des fins commerciales, rédigé une charte des conscrits, mis en place un site internet et lancer la démarche d’inscription au PCI.
● La ville avec la patrimonialisation progressive de la fête
Si la fête des Conscrits et toutes les manifestations associées durant l’année existent depuis pratiquement un siècle et demi, elles n’ont pas été revendiquées comme un marqueur culturel local, tant elles en faisaient intrinsèquement partie. L’émergence progressive de la Métropole de Lyon, et l’extension de sa zone d’influence au-delà de ses contours administratifs ont aujourd’hui un impact fort sur la ville, qui regarde de plus en plus vers le sud : beaucoup d’habitants du bassin de vie caladois travaillent sur le territoire de la métropole et beaucoup des nouveaux habitants du bassin de vie de Villefranche viennent de la métropole ou sont venus s’installer sur le territoire caladois du fait de leur travail sur la métropole. Dans ce contexte, la tradition des conscrits constitue un marqueur d’identité et de différenciation pour la ville et l’agglomération de Villefranche et un vecteur potentiel d’assimilation des nouveaux habitants (cf. la partie « Évolutions / adaptations »).
● Le musée des Conscrits
Créé en 2000, initialement comme « musée des Conscrits et de la conscription », il a été détruit par un incendie en 2006. Après une année de fermeture, il a rouvert en se recentrant sur la thématique des traditions de festivités conscrites et en particulier sur la très originale fête de Villefranche-sur-Saône, sans faire abstraction de son origine, indissociable de la conscription. Ce musée de société constitue un moyen pour les visiteurs de Villefranche de comprendre la tradition conscrite et ses ressorts locaux.
La charte
Créée dans les années 1990, la charte en est aujourd’hui à sa seconde version et bientôt les travaux d’une troisième vont commencer. Elle a été rédigée lorsque le nombre de conscrits a commencé à diminuer, et que des signes de perte de la transmission naturelle sont apparus. Elle a vocation à encadrer les principaux éléments matériels de la fête, telle que la tenue, et à rappeler à chaque conscrit l’esprit de la fête et les comportements attendus. Elle est remise chaque année aux 20 ans et aux nouveaux conscrits. Par quelques rappels sur l’origine de la fête, elle constitue un premier élément de communication vis-à-vis des personnes extérieures à Villefranche et au monde conscrit.
Le bal des 10 ans
Créé à l’initiative de la ville et organisé par ses services, ce bal invite toutes les filles et les garçons de 10 ans scolarisé(e)s dans la commune, un samedi après-midi, peu après la fête, pour sensibiliser à la tradition de la fête ces jeunes gens et leur donner envie d’y participer plus tard.
La soirée des « né(e)s en » et l’accueil des nouveaux habitants
Dans le même esprit que le bal des 10 ans, la soirée des « né(e)s en », l’année suivant l’année en cours, vise à sensibiliser les habitants de la ville à cette tradition et à leur donner envie de rejoindre « leur » Classe. Elle est organisée par la municipalité, avec la participation de l’Interclasse fénérale. Lors de la soirée des nouveaux habitants organisée par la commune, l’Interclasse générale tient aussi un stand présentant les conscrits, aux côtés des différentes associations de la ville.
Site et plaquette
Une ébauche d’outils de communication institutionnelle, un site et une plaquette ont été élaborés par l’Interclasse générale. Ces outils sont en cours de refonte.
Maison des Conscrits et musée des Conscrits
Déjà cités.
Les textes de ce chapitre sont extraits de l’exposition permanente du musée des Conscrits de Villefranche-sur-Saône.
Conscription et fêtes des conscrits
Le 19 fructidor an VI (1798), la loi du général Jourdan institue la conscription obligatoire : tout Français de 20 à 25 ans est soumis au service militaire et est tenu de se faire inscrire sur les tableaux de recrutement de l’armée, sur lesquels tous les hommes nés une même année sont répartis en cinq classes. Tout Français est soldat de la patrie.
Très vite, les besoins de l’armée sont inférieurs aux effectifs des classes d’âge. Deux modifications sont apportées à la loi Jourdan : en 1802 est instaurée la possibilité de se faire remplacer, et en 1804, le tirage au sort. Dès lors, tous les hommes doivent se soumettre aux opérations du tirage au sort et se présenter devant le conseil de révision.
La loi de 1872 décrète l’obligation du service universel pour tous. Le tirage au sort continue pourtant à départager les futurs soldats selon les corps d’affectation, car ils accomplissent des durées de services différentes. Si la loi de 1889 fixe uniformément la durée de service à trois ans, le tirage au sort continue d’avoir lieu symboliquement jusqu’en 1905. Dès la fin du XIXe siècle, les traditions festives à l’occasion du tirage au sort militaire sont bien ancrées en France. Si la classe d’un conscrit correspondait à l’année de ses 20 ans, les jeunes étaient appelés pour le service militaire à l’âge de 21 ans, jusqu’en 1913. Ainsi, jusqu’à cette date, les fêtes des conscrits se déroulaient l’année des 21 ans des jeunes hommes. La fin du conseil de révision, qui laisse place aux « trois jours » en 1950, entraîne la fin de beaucoup de fêtes de conscrits en France.
Dans le Beaujolais et dans les régions environnantes, la tradition se maintient et même se renforce grâce à la renommée et la vitalité des festivités de Villefranche. La fête perd peu à peu toute connotation militaire pour devenir la célébration des âges de la vie. Les communes finissent par adopter les mêmes codes et le même protocole que Villefranche, allant même plus loin en intégrant aux festivités les 19 et/ou les 18 ans, les 10 ans et surtout les femmes. C’est devenu la « fête des Classes ».
La fête des conscrits à Villefranche et dans son bassin de vie
Sur l’origine de la fête des conscrits de Villefranche, les faits authentiques sont rares et minces. Dès la fin du XIXe siècle, la presse fait état d’une tradition festive déjà bien ancrée en France, à l’occasion du tirage au sort militaire imposé aux jeunes de 20 ans. Villefranche se singularise par la célébration du « renouvellement » de ce tirage au sort, à chaque décade de la vie.
Deux épisodes constituent la légende de la fête. Il y eut d’abord ces deux appelés de 20 ans qui, par forfanterie ou démonstration solennelle, se présentèrent le matin du tirage au sort dans leurs plus beaux atours, en complet noir et chapeau haut-de-forme. Peut-être n’avaient-ils pas pris le temps de se changer après une nuit de fête... L’année suivante, modèle fut pris et tous les 20 ans se présentèrent aussi à la mairie en chapeau haut-de-forme et costume noir. L’habit du conscrit était né.
Plus tard, en 1880, sur l’idée d’un certain Charles Hugand, quelques quadragénaires désireux de revivre et «renouveler» leur tirage au sort, banquetèrent et festoyèrent ensemble. La communion intergénérationnelle s’amorçait. Les 60 ans les rejoignent en 1884.
Rapidement, une stricte organisation des célébrations se mit en place. La semaine qui précédait le tirage au sort, futurs et anciens conscrits se retrouvaient pour un défilé plus martial que festif. Le soir, au contraire, suivait une déambulation décontractée, à laquelle se joignirent femmes, famille et amis.
Bien vite deux jours de fête ne suffisent plus. En 1879, vient s’ajouter le samedi soir une parade carnavalesque, la retraite aux flambeaux.
En 1887, un conscrit de 30 ans gravement malade et craignant de ne pas atteindre ses 40 ans, participe à la fête. Cette même année un premier centenaire fête son 5ème renouvellement.
En 1894, à la sortie d’un banquet sans doute très animé, M. Malatier saisit d’un bras le préfet Bonini et de l’autre le maire Delille, et s’élance pour un défilé digestif, naviguant d’un trottoir à l’autre dans une figure vite imitée, et dès lors appelée ‘’vague’’.
En 1906, le lendemain de la fête, les 21 ans organisèrent un tirage fictif, dont les gagnants eurent le privilège de conserver chez eux le drapeau et la canne enrubannée. De nos jours, des numéros sont proposés aux convives à l’issue du banquet, en échange d’un don pour les œuvres sociales de la Ville.
À partir de 1910 sont créées les premières amicales de classe.
En 1913, l’armée ayant décidé d’appeler les jeunes à 20 ans au lieu de 21 ans, deux fêtes eurent lieu cette année-là, en janvier pour les 21 ans et en octobre pour les 20 ans. Après 1920, les rubans de couleur se généralisèrent. En 1921, le défilé du matin perdit son caractère martial pour devenir la « vague », analogue à celle du soir, plus organisée, plus structurée. Les 20 ans portèrent désormais un bouquet aux conscrites.
À partir de 1946, toutes les classes portaient le bouquet aux conscrites et les couleurs des rubans furent désormais fixées. En 1947 fut créée l’Interclasse générale.
En 1953, la retraite aux flambeaux fut avancée au vendredi soir, pour permettre aux conscrites recevant le bouquet le samedi de profiter plus longuement de leurs chevaliers-servants. Cette année-là vit également se multiplier les fanfares, chaque classe étant maintenant précédée de son harmonie. L’affichette fit son apparition en 1958, sous l’impulsion d’Antoine Lamarsalle, président de la 18.
Dans les années 1980 apparaissent les « voitures vertes » des 20 ans. En 1994 est rédigée une première charte des Conscrits. En 2009, une nouvelle couleur de ruban apparaît : la couleur prune pour les 80 ans.
Vitalité
Même si les effectifs de conscrits ont diminué et si la démographie s’est inversée, la fête reste fermement installée. Environ 300 conscrits défilent chaque année (400 pour les classes en 7, en 2017). L’articulation Classes, Interclasses et Interclasse générale est parfaitement rodée et permet de produire pour la partie publique, des fêtes de qualité. Les interclasses s’attachent de plus en plus à prendre en compte un public plus diversifié et moins acculturé à la tradition, en offrant notamment le samedi après-midi un spectacle faisant défiler rue Nationale les plus belles fanfares qui accompagneront les vagues le lendemain matin.
Hors de la fête, les événements conscrits continuent de rythmer l’année et les liens traditionnels entre conscrits restent forts. D’ailleurs, les classes recrutent de plus en plus de conscrits tout au long de la vie, notamment auprès de personnes qui se sont installées récemment dans le bassin de vie caladois... Ces nouveaux venus ne diluent pas ou ne dénaturent pas les traditions. Dans leur comportement, ils deviennent parfois « plus conscrits » que les conscrits « historiques ». Peut-être se rendent-ils mieux compte de la richesse relationnelle liée à cette tradition que ceux qui l’ont toujours connue ?
Menaces et risques
● Changement dans la démographie des classes
La logique démographique des classes a longtemps été celle de la population, les 20 ans étaient les plus nombreux, et les conscrits des décades suivantes étaient de moins en moins nombreux. Cette logique s’est aujourd’hui inversée, les classes de 20 ans peinent à recruter des conscrits, alors que, du fait de l’augmentation de la durée de vie, et de la relative stabilité géographique des personnes, les classes de soixante ans et plus ont un nombre de plus en plus important de conscrits.
● Difficultés de recrutement des 20 ans
Si, voilà cinquante ans, la majorité des conscrits de 20 ans étaient déjà entrés dans la vie professionnelle, ce n’est plus le cas des générations suivantes qui, de plus en plus souvent, suivent des études supérieures, à Lyon ou plus loin encore. De fait, les « copains » de lycée, de quartier, de sport sont disséminés et les jeunes ont commencé à se faire de nouveaux amis ailleurs, ce qui diminue l’attrait de la fête des Conscrits : il est plus motivant pour les jeunes de venir en groupe que seul.
L’étalement urbain - seulement 25 % des conscrits habitent Villefranche même - fait également que les enfants de conscrits sont plus dispersés et ne se connaissent pas aussi naturellement qu’autrefois, ce qui diminue l’impact de la transmission entre générations.
Le fait de partir de Villefranche à 18 ou 19 ans coupe les jeunes gens des traditions locales, et beaucoup d’entre eux renoncent à faire ensuite les conscrits. Pendant quelques années, on ne comptait dans les 20 ans que très peu d’étudiants, en proportion de leur pourcentage dans une classe d’âge.
Parallèlement, la persistance de nombreux symboles militaires dans la fête a pu pendant quelques décennies desservir la fête du fait d’une image « ringarde » ou « nationaliste ». Il semble que l’impact des attentats, en signant un retour en grâce de l’institution militaire et la réappropriation par toute la population de symboles, tels que le drapeau, autrefois fortement connotés politiquement, aient atténué cette image « ringarde ».
Dans les classes de 20 ans récentes, le nombre d’étudiants a commencé à augmenter. Mais le recrutement reste difficile et le nombre de conscrits de 20 ans, s’il a augmenté, reste encore faible : moins de 50 % de ce qu’il était il y a trente ans.
● Une difficulté qui se reporte sur les 30 ans et partiellement sur les 40 ans.
Moins de conscrits à 20 ans, c’est mécaniquement moins de conscrits à 30 ans, sauf à recruter des trentenaires qui n’ont pas fait leur « 20 ans » (pas de culture familiale conscrite ou n’habitant pas à Villefranche à ce moment-là). Cet impact est encore accentué par la mobilité professionnelle. Les conscrits qui ont fait leurs « 20 ans » peuvent travailler loin, en France ou à l’étranger. Leur retour pour les 30 ans dépend des liens qu’ils auront gardés avec leurs conscrits, ou avec leur ville d’origine.
Trente ans, c’est aussi souvent un moment délicat en terme financier : carrière professionnelle à ses débuts, enfants en bas âge, parfois acquisition immobilière qui limite leur capacité financière... La diminution progressive du nombre des 20 ans et des 30 ans a un impact progressif sur les classes suivantes, même si le recrutement de conscrits « tout au long de la vie » vient en partie corriger cet impact.
● Impact de la sécurité sur le coût de la fête
Plus récemment, à la suite des attentats, les frais associés à la sécurité ont été multipliés par cinq pour le comité interclasse, ce qui constitue une difficulté supplémentaire dans la construction du budget de la fête, même si le fait que cela soit prévisible pour les prochaines années en diminue l’impact sur la viabilité et l’indépendance de la fête.
● Diminution du nombre d’établissements susceptibles d’être un siège de classe
De moins en moins de bars ou restaurants répondent aux conditions nécessaires pour être un siège de classe, du fait de la diminution de leur nombre et du développement d’établissements à thème ou à concept. Sans être un facteur de risque d’extinction de la tradition, cette diminution peut progressivement diminuer la visibilité de la fête dans les espaces publics, et modifier les pratiques de convivialité associées aux réunions.
Différentes actions de sauvegarde ont déjà été entreprises sans nécessairement être coordonnées jusqu’alors. Elles émanent de trois sources : l’Interclasse Générale, les Comités Interclasse et la municipalité.
● L’Interclasse générale
Par la continuité qu’elle assure dans le temps sur le suivi et l’accompagnement des organisateurs de la fête, l’Interclasse générale a sans doute été la première à appréhender la problématique du risque de déclin de la fête, ce qui l’a conduite à agir à la fois à l’externe, pour protéger la tradition de toute tentative de captation commerciale et pour représenter le monde conscrit face aux différents interlocuteurs; et en interne, dans la compréhension de la problématique et la construction d’outils pour y répondre.
Pour la protection externe, le dépôt des marques : « Conscrits », « Fête des conscrits », « Conscrits de Villefranche », « Conscrits de Villefranche-sur-Saône », « Conscrits de Villefranche en Beaujolais » auprès de l’INPI permet de prévenir les tentatives de captation commerciales de certains éléments liés à la fête. Dans son rôle de représentation, l’Interclasse générale est l’interlocuteur privilégié de la ville sur les problématiques liées aux « conscrits » et a noué des partenariats avec le monde viticole et le Marathon du Beaujolais. Dans tous les cas, il s’agit d’affirmer la tradition conscrite comme un élément de l’identité du territoire et d’en produire une image positive susceptible d’attirer, notamment, les populations nouvelles.
Pour disposer d’un état des lieux, une commission de l’Interclasse générale a réalisé en 2016 une grande enquête auprès des conscrits, permettant de cerner mieux géographiquement et sociologiquement les conscrits, et d’appréhender les modes d’initiation des conscrits. Cette enquête demande à être complétée par une enquête auprès de la population générale, hors monde conscrit, sur sa perception de la fête. L’Interclasse générale gère enfin la communication externe des conscrits et va renouveler sa documentation (charte, plaquette de présentation...) et sa présence numérique.
● Les Comités Interclasse
Comme organisateurs de la fête, les Comités Interclasse se sont rapidement intéressés aux différents moyens de capter l’attention des jeunes et de la conserver jusqu’aux 20 ans, pour enrayer la chute des effectifs, - avec pour l’instant un succès mitigé. Ils se sont aussi en grande partie substitués aux classes précédentes (ceux qui ont fait les conscrits l’année précédente) dans l’accompagnement des classes nouvellement constituées, et dans la transmission des éléments importants de la tradition.
● La municipalité
La Ville a progressivement saisi l’enjeu en termes d’identité de la fête des Conscrits et a instauré plusieurs actions de promotion de la fête : soirée des « nés en... », stand des conscrits lors de la soirée d’accueil des nouveaux habitants, musée de la Conscription, puis des Conscrits, boum des 10 ans. Elle assure un lien fort avec les classes, à travers la présentation du « sonnet des 20 ans » lors d’une réception à la mairie ou en organisant une réception des musiques le samedi après-midi de la fête des conscrits. Elle met à disposition de l’Interclasse générale et des classes la « maison des Conscrits» et facilite l’accès des conscrits aux salles municipales pour l’organisation des différentes manifestations des Classes et Comités Interclasse.
Actions de valorisation à signaler
● Partenariats avec le monde viticole (« Inter-Beaujolais » et Compagnons du Beaujolais)
● Partenariats avec les « Beaujolais Runners » et le « Marathon du Beaujolais »
● Aménagement du «Rond-Point des Conscrits», avec une sculpture de Mick Micheyl représentant la Vague.
Modes de reconnaissance publique
Sans objet
● Étude anthropologique
L’un des enseignements de la construction du présent dossier est notre faible connaissance de la structure sociologique du monde conscrit et de la façon dont il s’inscrit dans la population du bassin de vie. Plus encore se pose la question des personnes externes au monde conscrit, de leur vision sur ce monde, qui permettrait de comprendre pourquoi ils ne s’y intègrent pas : absence d’appétence, rejet de certains aspects, image négative, sentiment de ne pas y avoir sa place, ou tout simplement ignorance de la pratique hors la fête fin janvier... Ainsi la vie conscrite, la fête des Conscrits et les fêtes de Classes constituent un objet d’études potentiel pour les sciences humaines et sociales, un terrain à revisiter près de cinquante ans après la magistrale étude du sociologue Michel Bozon.
● Amélioration et rajeunissement de la communication conscrite
La communication du monde conscrit est pour l’heure faible en volume et en qualité. Elle est essentiellement tournée vers elle-même: on communique des informations conscrites aux conscrits. Un chantier important en matière de communication, numérique notamment, est envisagé pour montrer le monde conscrit et la vie conscrite aux non pratiquants et plus largement à l’extérieur.
● Prise en compte par la Ville comme un élément de l’identité locale
Cet aspect échappe partiellement aux classes, mais il est évident que la croissance de la métropole de Lyon, dont Villefranche appartient à la zone d’influence, tend à faire de la ville une périphérie. Dans ce cadre, la tradition conscrite est un vrai élément d’identité locale, que les municipalités futures ne manqueront pas d’utiliser et de valoriser.
Récits liés à la pratique et à la tradition
De père en fils !
« Lorsque l’on m’a demandé d’apporter mon témoignage sur ce qu’est la fête des Conscrits pour moi, je me suis dit : quoi de plus facile. Étant descendant d’une famille très investie dans les conscrits, je ne voyais pas de difficultés à cela. Néanmoins, en posant par écrit mes idées, je me suis dit que j’étais vraiment chanceux. En effet, j’ai eu la chance de partager ce moment de fête avec mon grand-père, mon père, mes oncles et mes cousins pour le côté officiel de cette tradition, mais également avec mes grands-mères, ma mère, ma belle-mère, mon épouse et des amis. Cette fête des conscrits nous permet de nous rassembler, d’échanger et de partager tant de choses ensemble. Au-delà des liens familiaux, cette fibre conscrite nous rassemble dans des moments autres que les fêtes traditionnelles ou des anniversaires. Et puis quelle fierté de défiler avec des membres de sa famille !!!
D’un côté plus personnel, faire partie des conscrits était pour moi une évidence. Étant fils et petit- fils de conscrits, j’ai vu l’ambiance et la profonde amitié qui s’en dégageait. Lorsque ma classe fut enfin créée, j’avais 18 ans et il était évident que je ferais partie du bureau de ma classe, et, pourquoi pas président. À ce premier rassemblement, j’ai retrouvé quelques copains d’école primaire, perdus de vue depuis quelques temps. Il y avait également beaucoup d’inconnus, mais un point commun nous rassemblait : l’envie de faire vivre cette tradition centenaire et fouler à notre tour la « rue Nat’ » pour nos 20 ans. La classe créée, j’ai appris à découvrir des personnes que je ne connaissais pas et que je n’aurais pas eu l’opportunité de rencontrer car de milieux ou de secteurs d’activités différents du mien. Finalement, après tous les échanges que nous avons eus lors de nos réunions, rassemblements et organisations d’événements, nous nous sommes beaucoup rapprochés. Pour preuve, la plupart sont devenus des amis proches et font partie intégrante de ma famille proche. Ils sont présents à tous les évènements importants pour ma famille. Ayant beaucoup voyagé pour le travail dans plusieurs régions françaises, je ne vois pas de fêtes permettant de rassembler autant les gens d’une même ville. Les liens créés sont vraiment très importants et font vivre toute notre région. »
Intégration
« Je m'appelle Zoubir, plus connu à Villefranche sous le pseudo Zoubirdelasalsa, puisque je donne des cours de salsa. Je travaille comme éducateur sur les quartiers Politique de la ville. Je suis entré comme conscrit à l'âge de 36 ans au cours d'une réunion de la classe 93. J'avais été invité par mon ami de lycée, Pierre-Alain, à venir assister à une réunion. Pour ma part, c'était un grand mystère, pas de tradition familiale et peu de personnes de mon environnement étaient conscrites. Dès mon entrée dans ce bar de la rue Nationale (siège de la classe), on m'a salué avec bienveillance. Pierre- Alain m'a présenté Frédéric, en me disant que c'était le président de la classe 93. J'ai interrogé le président sur mes inquiétudes quant aux conscrits, ma « différence » [Note du rédacteur : les familles d’origine maghrébine et plus largement issues de l’immigration sont sous représentées dans les conscrits]. Fred (le président) m'a regardé dans les yeux et m'a posé une seule question : «- Tu es né en 1973?». Je lui ai répondu: «Oui». «Bienvenue dans la 93!». Pour moi, c'est devenu une seconde famille. Lorsqu'on n’est pas rentré chez les conscrits, on ne peut pas comprendre, surtout les joies et les peines parfois de cette bande de gars que la ville de Villefranche voit défiler en smoking noir et gibus sur la tête, le dernier week-end de janvier. Pour ma part, je participe du mieux que je peux à la vie de la classe 93 comme la plupart. Vivement 2023 ! »
Les femmes et les conscrits
1. Nathalie
« Nathalie et sa famille ne sont pas originaires de la région et rien ne les prédestinait à intégrer la tradition conscrite..., jusqu’à ce qu’ils fassent connaissance des parents de la petite amie d’un de leur fils. Le père de la petite amie était conscrit et président de sa classe... et il se trouve que le mari de Nathalie était né la même année que lui. C’est ainsi que le président a « embarqué » son mari à une réunion de classe. Dans les premiers temps, Nathalie voyait d’un très mauvais œil cette tradition où les hommes excluaient les femmes de leur réunion, et ce plus encore si elles ne sont pas nées la même année qu’eux. Puis elle a commencé à faire la connaissance des femmes des conscrits de son mari, à participer aux nombreuses occasions formelles, organisées par la classe, ou informelles, par un conscrit, hors de la fête et des manifestions des classes. Elle a vibré à voir défiler son mari et son fils dans la rue Nationale... puis elle a fini par rencontrer ses conscrits... Très vite, elle s’est intégrée dans sa classe, avec ses conscrites et conscrits à elle. Elle a fêté ses 50 ans en recevant le bouquet et, aujourd’hui, ne manque pas une occasion de participer aux festivités de sa classe ou de celles de son mari... Aujourd’hui, il n’est pas rare que le vendredi soir, le couple vienne à Villefranche et se sépare, chacun allant rejoindre ses propres conscrits. »
2. Rafaële
« Née dans une famille lyonnaise installée en Beaujolais, je n’ai pas été bercée toute petite par l’esprit « conscrits ». C’est en rencontrant mon futur époux au début des années 1990 que j’ai pris pleinement conscience de ce qu’est cette institution. Hervé, de pure souche caladoise, conscrit de père en fils, avait, comme il se doit, fait ses 10 ans (dans son village) et ses 20 ans (à Villefranche et dans son village). Les magnifiques photos plutôt cocasses chez ses parents en témoignaient alors. J’étais, au départ, assez peu encline à ce genre de manifestation uniquement masculine, en ce qui concerne Villefranche. J’ai ensuite suivi d’assez loin ses 30 ans, attendant alors un heureux événement. C’est au fil des années que j’ai commencé à apprécier cette fête, si importante pour lui et tous les participants, et qui réchauffe toute une ville en ces débuts d’années souvent rigoureux. J’ai commencé peu avant mes 40 ans à participer aux quelques réunions annuelles de ma classe, auxquelles nous convient nos conscrits, à savoir une ou deux l’an. J’y ai fait de nombreuses connaissances qui, au fil des ans, se sont transformées pour certaines en réelles amitiés. Toutes les classes sociales y sont réunies dans un véritable esprit fraternel. Cette année de mes 50 ans a été une vraie révélation. Les principaux intéressés y sont pour beaucoup, car, au cours de cette folle semaine de janvier, ils ont su nous ouvrir la porte en nous faisant partager des vrais moments d’amitié et de camaraderie. Ils nous ont laissé nous faire une petite place au cœur de la, de leur fête. Nous avons su créer une réelle osmose entre conscrites jusqu’à concocter secrètement une chanson en l’honneur de nos conscrits. Ils semblent en avoir été assez touchés. Je crois que tous étaient ravis de passer ces moments en notre compagnie, car finalement, sans les conscrites qui les reçoivent depuis toujours si bien le samedi, la fête serait moins folle ! Vive la 89 ! »
Comment la fête évolue
« En janvier 2011, nous faisions notre vague traditionnelle sous un soleil radieux. Nous avions alors 50 ans. Mais quelque chose changeait à l'arrivée, la vague ralentissait ! En fait, les 20 ans avaient pris l'initiative de finir leur trajet en se plaçant de part et d'autre de la rue Nationale, au lieu du grand final, et d'applaudir les autres âges qui arrivaient. Et chacune des classes a ensuite fait de même, ce qui a allongé un peu le parcours. Mais c'était si sympathique de voir les plus jeunes applaudir et rendre hommage à leurs aînés, qui eux-mêmes emboîtaient le pas pour les plus anciens qu'eux ! L'année d'après et les suivantes, l'initiative ayant tellement plu, l'habitude a été prise de faire de même. Et c'est ainsi qu'une tradition est née ! »
La « Vague » découverte par un Lyonnais
« Ce dimanche, pour la toute première fois, j'ai assisté à la vague des conscrits de Villefranche-sur- Saône. Ce genre de défilé n'était, a priori, pas ma tasse de thé. Je vais être franc, les défilés et les parades, ce n'est généralement pas mon truc. Je trouve ça long et surjoué. Kitsch et suranné. Pour autant, ce dimanche 27 janvier au petit matin, alors que je roule en direction de Villefranche-sur- Saône depuis Lyon, je me surprends à frétiller d'impatience. À avoir hâte de découvrir cette vague, dont on me parle tant depuis que j'ai débarqué en terres caladoises. Étrange sentiment Même le carnaval de Nice ou la fête du Citron de Menton ne m'avaient pas fait ça. À croire que la fête des conscrits porte un message qui résonne davantage en moi. Elle qui célèbre la vie qui passe. Mais zut, à trop parler, j'en oublierais presque l'heure. Déjà 10h50. Vite. Je m'engouffre dans le passage de l'ancienne mairie. En ressortant rue Nationale, quelle claque ! C'est noir de monde, du haut en bas de l'artère. Beaucoup plus impressionnant en vrai que sur les photos. Autour de moi, il y a tous les profils. Tous les âges. Je vois des petits bonhommes perchés sur les épaules de leurs parents.
J'aperçois des amoureux d'une vingtaine d'années, venus applaudir leurs amis de la classe 2019. Il y a aussi des grands-parents, qui attendent le passage de leur fils, qui perpétue la tradition. Joli tableau. Mais voilà déjà qu'au loin, des notes de cornemuses se font entendre. Ils sont là. Tout là- haut. Les 20 ans. C'est leur moment. Bras dessus, bras dessous, ils voguent de droite à gauche sur la rue Nat'. Je comprends enfin le terme de vague. Et, je dois l'admettre, c'est beau. Surtout qu'un rayon de soleil accompagne les premiers pas de ces jeunes conscrits. Après ces rubans verts, d'autres couleurs défilent sous mes yeux et mon appareil photo. Voilà les 30, les 40, les 50, les 60, les 70 ans. D'une classe à l'autre, les émotions se mêlent. Je ris en regardant les plus jeunes s'amuser et en essayant de deviner le nombre de verres qu'ils ont pu ingurgiter ces derniers jours. Je souris devant les sexagénaires qui font tournoyer leurs chapeaux. Et, bien sûr, comme tout le monde, je ne peux que m'émouvoir devant le centenaire, si digne, si fort, qui bat le pavé, sous les applaudissements. Je ne peux aussi qu'être bluffé par ce public qui ne cille pas, à midi, alors qu'une pluie battante commence à s'abattre sur Villefranche. À l'évidence, ce dimanche, rien n'est surjoué. Rien n'est kitsch. La vague caladoise a englouti mes préjugés. Et si d'aventure, je suis encore là dans quatre ans, je suis de la classe 2003. » [Pierre Comet, journaliste au Progrès].
Inventaires réalisés liés à la pratique
Sans objet
Bibliographie sommaire
Pignard, Jean-Jacques, Les Conscrits de Villefranche en Beaujolais (réédition du texte original), Éditions du Poutan, 2020, 204 pages.
Bozon, Michel, Les Conscrits, Paris/Nancy, Bibliothèque Berger-Levrault (coll. « Art et tradition populaire »), 1981, 156 pages
Branche, Philippe, Prost, Jean et Verchère, Julien, Les Conscrits de Villefranche, du Beaujolais et d’ailleurs, Éditions du Poutan, 2012, 32 pages
Filmographie sommaire
Documentaire en 2 parties sur la chaîne Youtube de PNE :
- partie 1 : https://www.youtube.com/watch?v=ooi-ygquCyg
- partie 2 : https://www.youtube.com/watch?v=ax6csNnSlm8
Sitographie sommaire
Blog de Claude Sonnery
Thomas RAVIER, maire de Villefranche
Bernard PERRUT, député de la 9e circonscription du Rhône (Villefranche et Beaujolais)
Christèle DEL CAMPO, responsable du musée des Conscrits
Laurent Sébastien FOURNIER, maître de conférences, Université Aix-Marseille
Michel ROUGIER, président de l’Académie de Villefranche et du Beaujolais
Rédacteur de la fiche
Denis CHAUMAT, responsable commission PCI de l’Interclasse générale, denis@chaumat.fr, 06 62 60 66 23
Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé
Laurent Sébastien FOURNIER, référent scientifique au sein du comité de pilotage PCI, maître de conférences de l’université Aix-Marseille
Lieux(x) et date/période de l’enquête
Villefranche-sur-Saône, janvier 2019
Données d’enregistrement
Date de remise de la fiche: 5 février 2020
Année d’inclusion à l’inventaire: 2020
N° de la fiche :2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00486
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf
Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Conscrit
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