Comptant parmi les géants, les animaux fantastiques et les dragons processionnels placés au cœur des pratiques festives, le Bœuf de Mèze est l’un des animaux-totems des fêtes du sud de France. Il est bien connu et apprécié des habitants de l'Hérault, en particulier de ceux de Mèze.

Comptant parmi les géants, les animaux fantastiques et les dragons processionnels placés au cœur des pratiques festives, le Bœuf de Mèze est l’un des animaux-totems des fêtes du sud de France. Il est bien connu et apprécié des habitants de l'Hérault, en particulier de ceux de Mèze. Si le Bœuf prend part à de nombreux événements locaux (tournois de joutes, élections municipales ou enterrements), c'est surtout autour du 19 août, pour les trois journées de la fête de Mèze que l'on peut l’apercevoir ; la mise à mort symbolique du Bœuf a lieu pour célébrer la Saint-Hilaire, fête patronale à laquelle assistent la population locale et de nombreux touristes. Le Bœuf renaît au moment du corso fleuri des 1er et 8 Mai de l’année suivante. Le Bœuf est l'un des animaux les plus impressionnants du bestiaire languedocien. Puissant et imprévisible, il surprend et poursuit tous ceux qui se mettent sur son chemin.

Les fêtes incluant le Bœuf de Mèze sont majoritairement organisées par la municipalité de Mèze, en partenariat avec les associations locales et les commerçants.

Répétitions, réunions, rendez-vous, apéritifs et repas sont l’occasion de souder les liens entre les habitants qui souhaitent faire vivre la tradition autour de l’animal emblématique et honorer les manifestations autour de la fête de Mèze. Sans compter les porteurs (une vingtaine de personnes, auxquelles s’ajoutent les membres de leurs familles respectives), le Bœuf réunit autour de lui de nombreuses associations et commerçants. Durant la fête de Mèze, l’animal-totem fait le lien entre la population et la municipalité, les associations et toutes les structures représentant le village.

Le Bœuf est manœuvré par huit hommes, quatre de chaque côté. Place dans la structure, un homme est chargé de faire mouvoir la tête et les mâchoires au moyen d'une gaule ; autrefois, un autre homme, tenant entre ses mains un baril recouvert d'une peau d'âne tendue, traversée au milieu par une corde goudronnée, imitait, en faisant glisser cette corde entre l'index et le pouce, un mugissement assez semblable à ceux des bœufs. À côté de l’animal, un meneur appelé lo Cornac, armé d'une lance de jouteur en guise d'aiguillon, commande les évolutions de la bête. Habillé d'un costume blanc souligné d’un liseré rouge et coiffé du bonnet des bouchers d'autrefois, le Cornac semble danser avec la bête. Avec son aiguillon, il la dirige selon ses souhaits et lui seul peut se permettre de la chevaucher. Des jeunes filles accompagnent l'équipe et assurent la quête, la sécurité du public et parfois la gestion des enfants lors de l'initiation. Durant les trois journées de la fête de Mèze, l'équipe du Bœuf prend en charge l'animal, le cachant dans un endroit tenu secret. Certains jeunes dorment avec lui.

Attachée à la valorisation de l’animal-totem, la municipalité soutient avec intérêt toute initiative qui met en avant le Bœuf de Mèze. Cependant, le fait que les jeunes ne soient pas regroupés en association autour du Bœuf de Mèze semble parfois problématique. En effet, la très forte présence de la municipalité, bien qu’elle soutienne les initiatives de l'équipe du Bœuf, ne permet pas toujours à celle-ci d'être libre de l'organisation de ses rencontres ou de ses projets ; l'implication politique, bien que nécessaire et souhaitable, pourrait aussi s’avérer compliquée en cas de tensions entre la municipalité et l'équipe du Bœuf. Plusieurs membres de l'équipe du Bœuf ont fait part de leur souhait de se regrouper en association, ce qui n'est pas encore réalisé à ce jour [2014].

 

Lieu(x) de la pratique en France

Mèze (Hérault), en région Occitanie. La mise à mort du Bœuf a traditionnellement lieu sur l'esplanade du centre-ville de Mèze. La déambulation se déroule dans les rues et ruelles de la ville.

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Non renseigné

Au gré du calendrier officiel des fêtes et des envies de l'équipe des porteurs, le Bœuf de Mèze, souvent accompagné du Cheval-jupon, dit chivalet (prononcer « tchibalet »), est de sortie régulièrement dans la ville, apparaissant et disparaissant aux coins des rues. Le son du tambour qui l'accompagne et le claquement de sa mâchoire annoncent son arrivée. Parfois, il se met à courir à travers les rues, faisant fuir les plus hardis.

Aux alentours du 19 août, lors de la fête de Mèze, la foule est immense pour assister à la mise à mort symbolique du Bœuf sur l'esplanade. Les festivités débutent dès le samedi pour durer jusqu'au mardi suivant, et donnent lieu à de nombreuses animations : bals, concerts, mais aussi rencontres sportives (tournoi de tennis, de pétanque et de tambourin, jeux nautiques, etc.). Le Bœuf renaît de ses cendres lors du corso de Mèze, au mois de mai suivant.

 

Les samedis et dimanches de la fête de Mèze

Le samedi a lieu le grand tournoi régional des joutes languedociennes, suivi d'un défilé des jouteurs accompagné par les musiciens de La Peňa del Sol, qui se rend au château de Girard, où se tient la remise des récompenses. Les jouteurs défilent également le dimanche après-midi. Les traditionnelles joutes, fortement ancrées à Mèze et organisées par l’association La Nouvelle Lance mézoise, attirent un public important.

Le Bœuf est régulièrement associé aux tournois de joutes : il n'est pas rare que ce dernier soit de sortie pour célébrer un des vainqueurs.

Le Bœuf de Mèze, accompagné du Chivalet, est sorti les samedi et dimanche à 9h dans les rues de la ville. La course du Bœuf y est imprévisible : il apparaît et disparaît au gré des envies de l'équipe, se rend parfois sur le port, d'autres fois sur la plage…

Les mouvements même du Bœuf ne semblent pas maîtrisés : il s'élance dans les rues de la ville, secoué de ruades et de trémoussements ; il se lève, bascule, court et éloigne les plus hardis avec ses larges cornes. Le Bœuf impressionne par sa taille et par sa capacité à se mouvoir, à courir, à vaciller, à se lever. Il surprend tous ceux qui se trouvent sur son chemin. Il semble muni de sa propre vitalité, au plus grand bonheur de ceux qui sont venus le voir. Si on le presse, il fonce ou recule, provoquant cris et bousculades.

Le Bœuf, comme de nombreux autres animaux présents dans les fêtes de l'Hérault, fait la quête, se dressant et étirant son cou pour approcher sa gueule des badauds aux balcons des maisons. Il claque des mâchoires afin de recevoir quelques pièces qui permettront à l'équipe de boire un verre après la fête. Des jeunes filles membres de l'équipe ont la charge de récolter les pièces durant la déambulation du Bœuf.

 

Le lundi de la fête, le récital du Chivalet et la mise à mort du Bœuf

Quelques minutes avant l'arrivée du Bœuf a lieu le récital du Chivalet sur le kiosque de l'esplanade. Ce dernier, accompagné de danseurs et de musiciens, fait une démonstration de sa danse au son des tambours et des hautbois.

Peu après la danse du Chivalet, le Bœuf se prépare à rentrer dans l’arène. Il apparaît à l'autre bout de la place, vers 18h30. Accompagné par lo Cornac (le meneur du Bœuf), un musicien au tambour et les jeunes filles en charge de la quête qui mettent en sécurité le public, le Bœuf se dresse au milieu des manèges de la fête foraine et des passants. Tous attendent l'événement et l’excitation est palpable.

Après avoir traversé la place, le Bœuf grimpe dans le kiosque municipal, où il se lance dans une danse « nuptiale » avec le Chivalet. Il fait ensuite entrer les enfants dans sa gueule, pour une mort symbolique. Les enfants sont nombreux, en file sur les marches du kiosque, à attendre d’être engloutis par la bête. Après quelques instants passés dans le ventre de la bête, ils en ressortent tous en même temps, heureux d'avoir vécu cette expérience initiatique.

Une fois les enfants délivrés, le Bœuf descend sur la place et s'amuse à faire exploser avec sa gueule les ballons disposés en guirlande, coutume qui semble avoir été adoptée au fil du temps.

Il est procédé ensuite à la mise à mort du Bœuf. Tout commence par une chanson, entonnée par quelques anciens, puis le tambour prend le relais. Dans le Bœuf était placé autrefois un brau, instrument de musique constitué d'un résonnateur, sur lequel est tendu une peau, elle-même nouée à un axe de frottement, qui imitait le beuglement de l'animal. Aujourd'hui, au son de sa mâchoire claquant de plus en plus rapidement, le Bœuf se lance dans une folle embardée, poursuivi par le Cornac qui tente de l'arrêter. Muni de banderilles (ou banderillas, en espagnol), bâtons terminés par un harpon, rappelant ceux que le matador ou les peones de sa cuadrilla plantent dans le garrot du taureau lors de la corrida, le Cornac porte plusieurs coups à l'animal. Il plante ensuite une épée de théâtre dans le cou du Bœuf. En donnant le coup fatal, le meneur de l'animal perce une poche, remplie autrefois de sang et aujourd'hui de vin, qui se déverse sur le sol et les pieds des spectateurs.

Le Bœuf se met alors à trembler et vaciller et finit sa course dans un dernier souffle au pied de la foule qui applaudit le Cornac.

Les porteurs sortent alors de la carcasse de la bête et, après des embrassades, vont boire un verre dans l'un des cafés de la place.

 

Les représentations culturelles des animaux totémiques

Les animaux totémiques sont de forme, de taille et de poids variés, selon leur mode de fabrication, de transport et de manipulation. La reproduction à peu près fidèle, quoique stylisée, de l’animal peut évoluer jusqu’à une invention libre, soit par hybridation comme le Bœuf volant (Buou-Volaire) de Saint-Ambroix (Gard) ou le Tamarou (lo Tamaró) de Vendargues (Hérault) (tête de lapin, corps de hérisson, ailes de cigale), soit par extraction d’un élément comme le Cocairòs de Saussan (Hérault), nommé d’après sa coa (queue).

Placés au sein de la structure, les porteurs, assez souvent masculins et issus de l’équipe de rugby locale, font avancer l’animal lors des déambulations. Ces bêtes mythiques possèdent en général une tête mobile qui s'allonge et se rétracte, animée par l’un des porteurs. La gueule est souvent mobile elle aussi, permettant le claquement de la mâchoire, la « gnaque ». Tous entretiennent une mobilité codée, « objet simultané de la peur et de la dévotion ». Ces animaux-totems sont précédés d’un meneur et accompagnés par des groupes de musiciens qui jouent une mélodie répétitive, propre à l’animal. Le nombre de porteurs dépend de la taille de la construction, dont le maniement mobilise des savoir-faire spécifiques.

Les figures des animaux totémiques, parfois gigantesques, constituent les acteurs principaux de grandes fêtes populaires, préparées avec la participation active des habitants pour lesquels elles conservent une importante valeur symbolique. Les processions diffèrent d’un lieu à l’autre, mais chacune obéit à un rituel précis. Ces manifestations témoignent encore et toujours d'un dynamisme remarquable. D’autres animaux totems sont adjoints à certaines de ces manifestations. Parmi eux, le plus courant est le Chevalet (lo chivalet), sorte de monture maintenue à la taille du danseur. Les autres danseurs (cibadier, fabre, desmoscaire) miment la domestication du cheval-esprit-sauvage.

 

L'âme collective des animaux totémiques

Tous les animaux totémiques animent les fêtes saisonnières (carnavalesques, religieuses ou votives) à travers des rituels liés aux légendes (mythologiques ou contemporaines) qui fondent leurs origines.

Les cérémonies qui motivent la sortie du totem ont une fonction initiatique, soit parce que c’est une forme d’exploit pour les jeunes gens que de les porter ou de les affronter, soit parce que la force symbolique permet de jouer à exorciser les maux de la Cité et d’en réconcilier les habitants, toutes classes sociales confondues.

S'ils ont perdu leur caractère religieux, les animaux totémiques continuent de représenter la mémoire collective, l'identité locale ainsi que l’invention constante des communautés. Ils sont les symboles de la création collective, qui prend racine dans l'histoire, les mythes, les contes et les légendes locaux. Ils s'adaptent aussi aux changements qui interviennent dans la communauté. Ainsi le Poulain de Pézenas voit ses sorties s’accroître en fonction des fêtes organisées à travers les rues. Il participe au mois de novembre à « Martror, la fête des morts », fête spectaculaire créée à initiative d'un collectif d'artistes-chercheurs souhaitant restaurer des rituels saisonniers, ou à Noël, à l’initiative de la municipalité, où il endosse alors une nouvelle toile rouge.

Les animaux totémiques animent les rues, créant frayeur, joie, bonheur chez les participants. Ils participent des « charivaris », espace de la fête et lieu de sociabilité. À chaque animal correspond son rituel, sa fête et son jeu, sa relation à la communauté, aux porteurs, aux musiciens et au meneur.

Certains animaux totémiques mangent symboliquement les enfants, à l'image du Bœuf de Mèze ; d'autres poursuivent les jeunes filles, comme la Tarasque de Tarascon ; d'autres encore meurent symboliquement pour mieux renaître un an plus tard.

Ils sont à l'image de la fondation, de la conservation ou de la transformation de la Cité.

 

Les animaux totémiques, identités de la fête

L’élément qui rassemble dans une même grande famille les géants, les dragons processionnels et les animaux totémiques est la fête. Tous jouent à travers rues au gré des sorties carnavalesques ou autres manifestations calendaires. La fête donne un sens à l'animal totémique, tout comme l'animal totémique donne un sens à la fête. Ils sont indissociables. Ils sont les représentants de « l’exhibition collective au moment où la société proclame ce qui la fonde ».

Français et occitan

Patrimoine bâti

Sans objet

 

Objets, outils, matériaux supports

La structure du Bœuf était à l'origine en bois (pin et châtaignier), recouverte d'une grande toile brune qui descendait jusqu'à terre. Les hommes qui le portaient étaient alors harnachés. Selon Claude Achard, le Bœuf fut mis sur roulettes vers 1972-1974 et sa structure fut modifiée. Elle est aujourd'hui en aluminium, ce qui la rend plus maniable. L'armature mesure 4 m de long, 2,5 m de large et 2,5 m de haut. « La toison est brune, les yeux sont tricolores, les cornes plus larges que le poitrail » [Alranq et Roussillat, Les Animaux de la fête occitane, 2012]. Importées d'Afrique par un Mézois qui en fit cadeau à la ville à la fin du xixe siècle, ces cornes authentiques sont surmontées d'une cocarde « qui les coiffe comme un troisième œil » [ibid.]. Sa mâchoire amovible permet la « gnaque » (nhaca en occitan), bruit de claquement des mâchoires mimant la mastication, qui lui donne un rythme spécifique.

Le rituel et les codes liés à la manipulation de l'animal se transmettent de manière informelle au sein de l'équipe du Bœuf. Sans être organisés en association, ses membres se retrouvent régulièrement dans un des cafés de la ville.

Les membres de l'équipe du Bœuf sont âgés de 17 à 23 ans. La transmission se fait par une sorte de cooptation informelle. Un futur membre de l'équipe témoigne : « J’attends ça depuis longtemps, j’attends qu'il y en ait un qui laisse sa place. Je sais qu'un jour ce sera à moi et que moi, comme les autres, je devrai ensuite ma place à un autre. Voilà, ça se fait comme ça. Il suffit de montrer qu'on aime le Bœuf et que ça nous est vital de le porter ».

 

Devoir laisser sa place suscite une vraie émotion. Le soir de la mise à mort du Bœuf, des jeunes se prennent dans les bras, certains ont les larmes aux yeux. L'un d'entre eux explique : « C'était ma dernière mise à mort. Je dois partir faire mes études ailleurs et donc je laisse ma place. Je m'en souviendrai toujours ! ». Les plus anciens les entourent, tout aussi émus que les plus jeunes, et les couvent d'un sourire compréhensif et affectueux.

La Ville de Mèze se charge de l'entretien du Bœuf et organise toutes les manifestations liées à la sortie de l'animal. Certains membres de l'équipe municipale sont très impliqués dans la gestion des événements et accompagnent les « jeunes » qui font vivre le Bœuf dans les rues de la ville. Ils organisent aussi toutes les sorties de l'animal en dehors de la ville pour les rassemblements d'animaux totémiques.

La place des animaux totémiques, tel le Bœuf de Mèze, est dans la rue, où ils symbolisent l'appartenance à une communauté et à un lieu. Mais la rue offre parfois des contraintes auxquelles il est difficile de s'adapter. L'évolution des contraintes urbaines, les législations en vigueur (pour les cafés, les associations...) mais aussi les migrations de populations obligent à procéder à des ajustements dans l'organisation des fêtes.

La vitalité de ces fêtes est encore très fondée sur la capacité d'« organisation populaire ». Ces manifestations sont parfois soumises à des injonctions municipales soucieuses de prestige, ce qui en affaiblit la portée. Mais le soutien des collectivités peut être aussi vecteur de sauvegarde et de transmission quand ces politiques territoriales permettent aux communautés de stimuler l'invention collective et d'en assurer les filiations.

Les animaux totémiques sont mortels, selon Daniel Fabre : « ils disparaissent dès que la jeunesse les abandonne ». Pour Claude Alranq, « les Totems sont comme nous, ils passent et ils trépassent. Là où ils sont apparus, ils n'ont jamais complètement disparu […]. Là où ils furent nombreux, plus grandes sont les chances d'une contagion […]. Là où ils sont isolés, moins nombreuses sont les chances d'un "éternel retour" ». Mais chaque année, il y a encore et toujours des nouveaux venus. À l'origine de la naissance d'un nouvel animal, il y a le rêve, la volonté d'un groupe de personnes, d'associations, d'élus... Partout des formes de transmission voient le jour, par mimétisme de meneur en meneur ou de porteur en porteur, par apprentissage pour les musiciens. Chaque groupe crée sa façon de transmettre ce patrimoine vivant pour le plus grand intérêt des plus anciens.

Ces animaux totémiques sont les signes unanimes, aux yeux des citoyens, de l’« identité de fête ».

La famille des animaux totémiques

Les animaux totémiques les plus anciens ont été créés à partir du xvie siècle, tels la Tarasque de Tarascon (Bouches-du-Rhône), le Chameau (lo Camèl) de Béziers (Hérault), puis l’Âne (l’Ase Martin) de Gignac (Hérault) et le Poulain (lo Polin) de Pézenas (Hérault). Les processions les plus anciennes se sont transmises au fil des générations depuis plusieurs siècles, avec parfois quelques interruptions : le Chameau de Béziers fut brûlé à la Révolution puis détruit à deux reprises au xixe siècle, avant de renaître définitivement en 1895 par la volonté des habitants. Mais de nouvelles effigies apparaissent ou réapparaissent chaque année, en référence à des épisodes de l'histoire ou de la mythologie locale, à l'instar du Pélican de Puisserguier (Hérault) en 2012.

Entre les géants du Nord et de Belgique et le bestiaire fantastique de Catalogne se situe un bassin très représentatif des coutumes locales, donnant vie à ce qui est communément appelé les « animaux totémiques », appellation récente et controversée utilisée pour désigner les « bêtes de toile », « dragons processionnels » ou « animaux-jupons » associés à des pratiques festives identitaires.

On dénombre de 60 à 70 animaux totémiques dans le sud de la France, particulièrement représentés dans le département de l'Hérault, qui en compte une cinquantaine. Il est difficile de dénombrer précisément ces animaux totémiques, ces derniers naissant, renaissant, disparaissant au gré des groupes, des associations, des élus et des transmissions, qui leur permettent de trouver place et fonction au sein de la Cité. En cela, ils sont particulièrement représentatifs du patrimoine vivant : les animaux-totems sont soumis à l'énergie des groupes, des fêtes, des réalités socio-politiques des lieux où ils ont élu domicile.

Les animaux totémiques voient l'apparition de nouvelles générations depuis une vingtaine d'années et de nouvelles pratiques se développent afin d'intégrer les nouveaux-venus dans la grande famille des totems. Des baptêmes (batejadas) sont organisés afin que la naissance d'un nouvel animal puisse intégrer le rite collectif et la communauté. Ainsi, les animaux totémiques plus anciens sont invités pour parrainer un nouveau venu, et la famille des animaux totémiques s’agrandit dans un esprit de partage et d'échanges entre les villes et villages. De nombreux rassemblements d'animaux totémiques fleurissent au printemps et se développent de manière croissante d'année en année.

 

L’historique du Bœuf de Mèze

Malgré les légendes, qui en font remonter l’apparition au Ier siècle après Jésus-Christ (cfr. partie III.2 infra), au plan documentaire, la première mention informelle du Bœuf est relevée dans un document daté de 1701 évoquant une fête en l'honneur des ducs de Berry et de Bourgogne, de passage à Mèze.

En effet, aucune des références citées par Albert Fabre dans son Histoire populaire des communes du département de l'Hérault, n’est étayée de sources documentaires : « Thédise, évêque d'Agde, après avoir reçu en don du fils de Montfort, Amaury, la seigneurerie de Mèze, se rendit dans sa baronnerie, et le Bœuf vint lui faire acte de soumission, à la tête des consuls de la ville. En 1562, il figura dans le cortège du prince de Condé, passant à Mèze ; en 1581, dans celui des seigneurs de Montpellier, Agde et Mèze ; lors de l'écroulement de la chapelle des Pénitents ; en 1701, au passage des princes de Bourgogne et de Berry et des rois et des reines qui traversaient la ville. Il a dansé le « Ça ira », « La reine Hortense », « Le Roi vaillant », « La Marseillaise » ; aussi tout le monde aime et chérit à Mèze un Bœuf si accommodant ». « Chaque communauté ayant renchéri sur l'antiquité de son animal » [Claude Achard, ibid.], il est difficile de savoir si ces sources sont fiables.

Au cours des âges, le bœuf a donné lieu à de multitudes manifestations civiles et religieuses, la plus lointaine étant le sacrifice du taureau dans l’arène, réminiscence du culte de Mithra, culte ayant été importé en Espagne par les légions romaines lors de la conquête de la Péninsule ibérique. Selon la légende, Mithra avait dompté puis sacrifié un taureau, du sang duquel était nées toutes les créatures vivantes. C'est pourquoi l'initiation aux mystères mithraïques consistait à égorger un taureau dont le sang retombait sur le postulant qui était alors considéré être « né pour la seconde fois ». Sans vouloir associer trop hâtivement les rites et les cultes antiques associés au taureau et le rituel mézois de la mise à mort du Bœuf, force est de constater que le rituel autour du Bœuf de Mèze, tout comme l'initiation des enfants à la « mort symbolique », sont des manifestations qui semblent issues d'une « réappropriation de cultes anciens et qu'ils sont vécus comme tels par la communauté », comme l'affirme Alain Cambon, historien local.

Au Moyen Âge, les cérémonies du Bœuf gras étaient présentes dans plusieurs villes de France lors des festivités de carnaval. Au xve siècle, ces fêtes sont prises en charge par la corporation des Bouchers. L'église de Bar-sur-Seine (Aube) possède un vitrail datant de 1512-1522 (d'après M. Payen, conservateur de la bibliothèque de Troyes) ou 1522-1542 (d'après Maurice Robert), qui représente la promenade du Bœuf gras.

Les légendes associées au Bœuf de Mèze

Selon Claude Achard, les légendes associées aux animaux héraultais seraient des justifications apparues a posteriori, faites de récits puisant plus volontiers dans l'histoire que dans le domaine des croyances et conçues et divulguées plutôt par des érudits locaux. Cependant, les populations locales ont donné vie et consistance à ces usages et, par la culture populaire, ces pratiques se sont transmises et ont acquis leur audience et leur pérennité festive.

Il existe différentes versions de la légende du Bœuf de Mèze. Toutes semblent s'accorder sur la date de l'apparition du bœuf, en l'an 59 de notre ère, sous le règne de Néron. La version la plus répandue est la suivante [Dossier « Totems d'Oc, l'extraordinaire transhumance », Cahiers du musée du Biterrois, n° 4, 2011] :

« Une pauvre famille, venue des environs de Béziers, vint s'établir sur les bords de l’étang de Thau et se mit à défricher la plaine, à l'endroit appelé Las Mourgas. Elle y vécut du produit de son travail et de la pêche très abondante à cette époque. Une solide paire de bœufs l'aida bientôt dans sa tâche. Avec le labeur acharné vint l'aisance, puis la richesse. Une agglomération naquit parmi les épis jaunissants : ce fut le berceau de Mèze. Le premier bœuf mourut, puis le second. On conserva la peau de ce dernier, le plus beau, l'ami de la famille, comme une relique étalée sur un mannequin de bois. On le promena chaque année pour les grandes occasions. Il semblait revivre. Plus tard, quand cette peau fut usée, on construisit un bœuf plus grand que nature, recouvert d'une toile brune ».

D'autres versions précisent : « C'est un légionnaire romain qui vint s'installer au lieu-dit de Las Mourgas avec un bœuf colossal qu'il n'hésita pas à sacrifier pour épargner au village la famine. » [Claude Achard, Poulains et bestiaires magiques, Tintamarre, 2011].

Claude Achard présente également une version très éloignée des précédentes : « Un taureau extrêmement puissant surgit des eaux lorsque la ville de Thau fut submergée par une crue exceptionnelle de l'étang, une sorte de déluge local. Il sauva sur son dos tous les survivants » [Achard, ibid.].

Tous ces récits s'accordent sur un point essentiel : le Bœuf de Mèze consacre l'union, extrêmement ancienne, entre les agriculteurs et les pêcheurs. Comme pour les autres légendes des animaux totémiques, la légende du Bœuf de Mèze est « associé[e] à la

fondation, la conservation ou à la transformation de la Cité » [Daniel Fabre, La Fête en Languedoc, Privat, 1977]. Claude Alranq apporte une lecture complémentaire : « En perpétuant l'acte de sacrifice et de résurrection, les hommes offrent au ciel le bœuf pour augurer des jours fertiles » [Claude Alranq, Les Animaux de la fête occitane, Éditions du Mont, 2012].

Sur le plan toponymique, signalons que l'étang de Thau porte le nom de Taurum Paludem (littéralement, « l'étang du Taureau », du latin palus, eau stagnante, étang). En occitan, lo buòu désigne aussi bien un bœuf qu'un taureau.

 

Le chant du Bœuf de Mèze

Le chant du Bœuf de Mèze est connu des plus « pratiquants », mais semble avoir peu à peu disparu des pratiques en vigueur. La méconnaissance de la langue occitane peut expliquer le phénomène

De nombreuses initiatives locales voient le jour régulièrement, contribuant à la sauvegarde et à la reconnaissance de ce patrimoine. Cependant, d'une manière générale, les communautés signalent un manque de moyens humains, financiers et d'espaces de transmission, qui pèse sur les conditions de réalisation du rituel festif et ne permet pas toujours son actualisation. Certains témoins signalent aussi le manque de soutien des collectivités territoriales.

La difficile transmission de la langue occitane peut également entraver la mémoire, la perpétuation et donc la recréation des chants liés à certaines pratiques.

Les témoins rencontrés n'expriment pas tous les mêmes demandes quant à la reconnaissance institutionnelle. Quand certains espèrent plus de moyens financiers et humains pour perpétuer la fête, d'autres imaginent des retombées économiques sur toute la ville et ses habitants grâce à un label culturel. Il émerge aussi des réticences quant au processus de patrimonialisation de la fête et/ou de l'animal, considéré comme un risque de fixation du rituel.

Modes de sauvegarde et de valorisation

Depuis 2006, le conseil régional du Languedoc-Roussillon (auj. Occitanie) encourage la promotion des cultures occitanes et catalanes dans le cadre de l'appel à projets Total Festum, lancé tous les ans au mois de juin. Ce dispositif, ouvert à tous, a pris en compte la question de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel depuis 2013, en ajoutant un article valorisant les projets prenant en compte les spécificités du patrimoine vivant : « La Région attire […] l'attention des porteurs de projets sur l'intérêt à développer des actions autour du patrimoine culturel immatériel tel que le définit l'Unesco ». Cet appel à projets a déjà permis de créer des animaux totémiques, tel le Tribus Lupis de Cournonterral (Hérault), ou d'aider au financement de rencontres d'animaux totémiques. Cependant, le délai très court entre la date de soumission du dossier (mois de juin) et la saison festive ne permet pas à tous les acteurs de se saisir de cette opportunité. Ce principe de festival ne permet pas non plus d'inscrire des actions durables et quotidiennes. Certaines communautés signalent aussi le besoin d'être accompagnées pour la réalisation et la conception des dossiers administratifs. De fait, comme l'Unesco le préconise, « sauvegarder signifie assurer la viabilité du PCI, c’est-à-dire assurer sa recréation et sa transmission permanentes ; sauvegarder le PCI, c’est transmettre du savoir, du savoir-faire et du sens » ; il est donc important que les communautés puissent proposer et se saisir d'outils techniques, financiers et humains qui leur permettront de créer pour elles-mêmes les bonnes conditions de réalisation et d'actualisation de leurs pratiques et d'y être accompagnées.

Le Centre Interrégional de Développement Occitan (CIRDOC) développe depuis quelques années des actions de valorisation de ce patrimoine par le biais d'expositions, de collectages, de projets numériques ( www.occitanica.eu ) et de rencontres.

 

Actions de valorisation à signaler

Des actions mettant à l'honneur les animaux totémiques ont lieu de manière ponctuelle : publication d’articles de presse ou d’ouvrages, expositions, manifestations festives, rassemblement d’animaux totémiques, autant de formes de reconnaissance de ce patrimoine vivant, qui démontrent combien il est cher aux praticiens, aux érudits locaux et aux communautés. Parmi eux, les travaux de Claude Achard sur les animaux totémiques ont pu contribuer à la (re)connaissance de ce patrimoine. De nombreux artistes (plasticiens, dessinateurs, musiciens, écrivains) s'emparent aussi régulièrement de ce patrimoine, ce qui en démontre toute sa vivacité et contribue à sa valorisation. Pierre François, peintre de Sète, amoureux du Bœuf de Mèze, a célébré l'animal dans ses toiles à plusieurs reprises.

En 2014, à l’occasion de la festa major de Reus, en Catalogne espagnole, le tapis rouge a été déroulé pour accueillir le Bœuf de Mèze et une délégation d’anciens du Bœuf, conduite par le maire Henry Fricou. En retour, le Bœuf de Mèze a accueilli son « cousin » de Reus en 2015 lors du corso. En se consolidant grâce aux rencontres et à la mise en réseau, la grande famille des géants et dragons processionnels de France et d'Europe s'élargit et assure ainsi une valorisation et une fierté pour les populations locales

 

Modes de reconnaissance publique

L’inclusion de la présente fiche à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel en France constitue une reconnaissance publique de l’élément.

Inventaires réalisés liés à la pratique

Non renseigné

 

Bibliographie sommaire

ACHARD Claude, Poulains et bestiaires magiques, Maraussan, Atelier Tintamarre, 2011.

ALRANQ Claude, ill. de Vincent Roussillat, Les Animaux de la fête occitane, Éditions Du Mont (coll. « Légend' »), 2012.

BAUMEL Jean, Le « Masque-Cheval » et quelques autres animaux fantastiques. Étude de folklore, d'ethnographie et d'histoire, Paris, IEO, 1954.

FABRE Albert, Histoire populaire des communes du département de l'Hérault, Montpellier, Firmin et Cabirou, 1879-1882.

FABRE Daniel et CAMBEROQUE Charles, La Fête en Languedoc. Regards sur le carnaval aujourd'hui, Toulouse, Privat, 1977.

FABRE Daniel, « Le monde du carnaval (note critique) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 31e année, n° 2, 1976.

GAIGNEBET Claude, Le Carnaval : essais de mythologie populaire, Paris, Payot, 1974.

MASSAL Michel, La Voix domitienne, n° 16, 1991, p. 11-13.

VAN GENNEP Arnold, Le Folklore français. Tome 2 : Cycles de mai, de la Saint-Jean, de l'été et de l'automne, rééd. Paris, Éditions Robert-Laffont, 1999 (1937-1958).

 

Filmographie sommaire

Voir les ressources audiovisuelles d’Occitanica, la médiathèque encyclopédique occitane (CIRDÒC-Mediatèca occitana, Occitanica - Mediatèca Enciclopedica Occitana) :

http://www.purl.org/occitanica/12047

 

Sitographie sommaire

● Ville de Mèze

http://www.ville-meze.fr/histoire-de-meze/

● Groupe Facebook du Bœuf de Mèze

https://www.facebook.com/groups/37332179199/?fref=ts

Véronique BERNAL, conseillère municipale de la Ville de Mèze, en charge des festivités

Plusieurs membres de l'équipe du Bœuf, dont le meneur et deux porteurs

Non renseigné

Rédacteur de la fiche

Perrine ALRANQ, ethnologue

 

 

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé

Lisebeth SAUMADE, chargée du patrimoine et des archives à la Ville de Mèze

Alain CAMBON, historien local de Mèze

Claude ACHARD, historien

 

Lieux(x) et date/période de l’enquête

Mèze, juillet-août 2014

 

 

Données d’enregistrement

 

Date de remise de la fiche : Décembre 2014

Année d’inclusion à l’inventaire :2019

N° de la fiche : 2019_67717_INV_PCI_FRANCE_00422

Identifiant ARKH ark:/67717/nvhdhrrvswvk2mx

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf

Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Animaux_totémiques_de_l'Hérault

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