Au mois de juin, à l’occasion de la Saint-Jean, une créature étrange sort de sa tanière dans la ville de Cournonterral, dans le sud de la France. C’est le loup à trois têtes, le Tribus Lupis.

Au mois de juin, à l’occasion de la Saint-Jean, une créature étrange sort de sa tanière dans la ville de Cournonterral, dans le sud de la France. C’est le loup à trois têtes, le Tribus Lupis.

La fête du Tribus Lupis appartient aux fêtes à animaux-totems du sud de la France. Le Loup arpente les rues pour rappeler à l’ordre tous ceux qui bafouent les droits durement acquis par les Cornalencs, habitants de Cournonterral en occitan, qu’il protège.

La fête du Tribus Lupis est portée par l’association Chevalet de Cournonterral, qui répond chaque année à l’appel à projets du conseil régional de Languedoc-Roussillon. Le projet Total Festum a pour objet d’encourager la promotion des cultures occitane et catalane. Le conseil régional de Languedoc Roussillon soutient les projets développés autour des feux de la Saint-Jean et de la sensibilisation du public aux cultures régionales. Cournonterral, en répondant à cet appel à projets, a choisi de mettre au centre de ses projets culturels son animal emblématique.

L’association Chevalet de Cournonterral et ses hautbois sont très soucieux de la valorisation de l’animal emblématique de la ville. L’association participe avec intérêt à toute action ayant pour but la mise en valeur ou la promotion du Loup à trois têtes.

La commune de Cournonterral attribue une subvention annuelle pour l’ensemble des activités de l’association Chevalet de Cournonterral. Durant la manifestation, les élus sont présents pour l’apéritif officiel. La commune prête également le lieu où le four banal a été reconstruit.

Les spectateurs sont au rendez-vous le jour de la sortie du Loup. Le public accompagne le Tribus Lupis en profitant des animations proposées. L’animal semble rentrer doucement dans l’esprit des habitants et trouve ainsi une place dans le paysage patrimonial local.

Le Tribus Lupis est porté par huit hommes et guidé par son meneur, appelé les Yeux du loup. Le meneur, appelé aussi la Fillasse, est actuellement (2014) Laurent Régis. « On a essayé de choisir quelqu’un qui est apprécié. Il fait partie des gens qui avaient envie de créer un animal totémique », explique Jacques Teilhard.

La bête se fait accompagner par trois figures de l’histoire locale : Erméniars, la sœur de Guillaume Bernard de Trois-Loups ; Pierre de Cournon, le seigneur du bourg, et le sénéchal de Beaucaire. Les confréries de Saint-Photin-de-Varages et des Pastaïres et Tastaïres du Pays d’oc font aussi partie du cortège.

Les musiciens, environ une vingtaine, portent tous une tunique avec un pantalon, qui crée un effet d'unité du groupe. Chaque costume est toutefois personnalisé.

Lieu(x) de la pratique en France

La fête du Tribus Lupis a lieu à Cournonterral (Cornonterralh, en occitan) (Hérault), en région Occitanie, à 15 km de Montpellier, à 20 km de Sète et à 12 km de la plage des Aresquiers, dans un site géographique privilégié de 2864 ha. Le Coulazou, rivière au cours irrégulier, longe ce village viticole de 5946 habitants. Cournonterral fait partie du canton de Pignan et de l'agglomération de Montpellier, qui regroupe 31 communes. Entre vignes et garrigues, ce village est attaché à ses traditions festives et carnavalesques. La fête du Tribus Lupis se déroule dans l’enceinte de la vieille ville, entre la place du village, le four de la ville, les remparts et l’esplanade.

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Dans le sud de la France, plus particulièrement dans l’Hérault, les habitants ont pour habitude de faire défiler des animaux de toile dans les rues dans un moment de joie et d'enthousiasme. Cette ancienne tradition voit naître aujourd’hui encore de nouveaux animaux-totems.

En 2010, à Cournonterral, est né le Loup à trois têtes, nommé Tribus Lupis. Dans cette ville où la tradition populaire est très présente grâce, entre autres, au carnaval des Paillasses, un groupe d’amis s’est constitué autour d'une forte envie : construire un animal-totem. « Cela faisait des années qu’ils en avaient envie. C’est un village festif ici, mais il fallait avoir l'impulsion… Comment expliquer ? Il fallait une personne qui lance. Alors je l’ai fait, j’ai dit : "On y va !" », raconte Nadège Guilhaumon, présidente de l’association Chevalet de Cournonterral.

La date de sa sortie est fixée au mois de juin : « Il y aura toujours une sortie du Loup au mois de juin, au solstice d’été, parce qu’on associe au loup l’eau, le feu et la flamme de Canigou [Cournonterral est une ville-relais pour la flamme de Canigou]. Et, en plus de ça, il y a chez nous cette histoire du four, du feu, du pain. Le seul événement où le loup a vraiment sa place, c’est le mois de juin » (entretien avec Nadège Guilhaumon).

Malgré le caractère récent de la création de l'animal-totem, l’équipe qui porte le projet a su mettre en place une forme de rituel récurrent, avec des éléments qui reviennent lors de chaque sortie.

 

 

En amont de la fête

 

Des cours d’instruments traditionnels sont organisés au conservatoire de Cournonterral. Les musiciens se réunissent toutes les deux semaines pour jouer ensemble et préparer la sortie de leur animal-totem.

 

 

Pendant la Saint-Jean d'été

 

- Cuisson du pain Tribus Lupis dans le four banal

Le jour de la Saint-Jean, la journée commence vers 9 h par la mise en route du four banal. Le boulanger, Alexandre Vanruymbeke, accompagné par Jacques Teilhard, lui-même fils de boulanger, commencent la fabrication du pain Tribus Lupis. L’élaboration de la recette a commencé quelques mois avant la sortie du Loup. Pierre Pic, grand-maître de la confrérie des Pastaïres et Tastaïres du Pays d'oc, Didier Peitebi, Alexandre Vanruymbeke et Jacques Teilhard ont mis en place un cahier des charges pour cette recette, qui fait écho à l’origine du totem local. Jacques Teilhard explique : « Le pain Tribus Lupis se compose de trois boules, aux trois goûts différents. La première boule correspond à l’entrée ; elle est au thym, la deuxième au plat de résistance ; elle est à l’olive noire, et la troisième est servie au moment du dessert ; elle est aux figues. À partir de maintenant, la fabrication du pain va avoir lieu à chaque fois au mois de juin, à l’occasion de la sortie du loup, mais aussi à chaque fois que les gens feront la demande pour une occasion importante ».

- L’escalette

Sous les Halles, les spectateurs peuvent déguster la traditionnelle escalette et admirer le savoir-faire de la fabrication en ce jour de fête. En 2014, les organisateurs ont décidé d’éditer une carte postale avec la recette de cette gaufre typique.

 

 

- La danse du Chivalet

 

À la sortie des halles, les visiteurs sont appelés par la musique qui annonce la danse du Chivalet. « Autour du cheval, quatre personnages dansent : un à l’avant, qui est le donneur d’avoine, un second à droite, chargé du chasse-mouche qui excite l’animal. Le danseur de gauche porte l’étrille et la brosse. Enfin le quatrième, à l’arrière, représente le maréchal-ferrant équipé de tenailles et d'un marteau ». La danse du Chivalet, considérée par Claude Achard comme une danse d’ouverture [Bêtes fantastiques de toile et chivalet dans l'Hérault, Tintinmarre, 1981] a cependant une particularité en 2014 à Cournonterral : elle est dansée par cinq jeunes filles.

D’autres animations rythment la fin de la matinée : danse des Treilles, expositions, stands d’artisans locaux, etc. En guise de clôture, un apéritif convivial est servi au public qui goûte alors le pain Tribus Lupis.

 

 

- La sortie du Tribus Lupis

 

Pendant ce temps-là, l’animal totémique attend sa sortie imminente. Logé au domicile de la présidente de l’association Chevalet de Cournonterral, le Tribus Lupis voit arriver une joyeuse troupe qui, pendant quelques heures, va s’apprêter pour l'événement. Les tâches sont diverses : habillage des musiciens, porteurs et meneur, préparation de l'animal totémique et dernière répétition pour les musiciens.

Aux alentours de 16 h, le cortège pousse les portes et envahit la rue. Le Loup à trois têtes sort de sa tanière. Il a rendez-vous avec la population sur l’esplanade. Sur le chemin, nombreux sont ceux qui se joignent à lui pour l’accompagner et être au premier rang. Sur l’esplanade cournonterralaise, l'animal-totem est attendu par d’autres acteurs de la fête : la confrérie Saint-Photin-de-Varages, la confrérie des Pastaïres et Tastaïres du Pays d’oc et les trois personnages historiques (Erméniars, Pierre de Cournonterral et le sénéchal de Beaucaire) l’accueillent.

La première danse commence et, avec elle, se fait ressentir une certaine excitation : si cet animal de toile a une importance pour la communauté, c’est qu’il porte en lui la revendication du peuple. En effet, selon sa légende, il défend le droit, l'égalité et la justice pour les villageois. Après la danse de bienvenue, le Tribus Lupis entame une longue déambulation à travers la ville, ponctuée de haltes en plusieurs lieux pour des actions bien définies :

 

 

- Reconstitution historique de la lecture de l’arrêté du roi Philippe le Bel

 

Arrivé place Pierre-Viala devant les halles, le Tribus Lupis assiste à la reconstitution de l’événement historique, sur lequel s'est fondée l'équipe de l'animal totémique pour créer sa légende. Sous les yeux des spectateurs se rejouent les faits de 1299. Le sénéchal de Beaucaire déroule un parchemin pour annoncer aux villageois l’ordonnance du roi Philippe le Bel exigeant la réparation des méfaits causés par le seigneur Pierre de Cournon. Le dénommé Pierre de Cournon, « voulant s’enrichir et affamer les habitants, fit restreindre l’accès au four banal et commanda la destruction du foyer communal afin que les gens lui payent une taxe pour faire cuire leur pain », selon le récit légendaire. Erméniars, sœur de Guillaume Bernard des Trois-Loups, suit la lecture. La confrérie Saint-Photin-de-Varages, représentant les soldats-mandataires du Roi, accompagne la lecture par des salves des tromblons.

 

 

- Restitution de la clef du four banal

 

Après la lecture de l’édit royal vient le moment de la restitution symbolique de la clef du four banal. La mise en valeur du four et l’importance du pain Tribus Lupis est appuyée par la présence de la confrérie des Pastaïres et Tastaïres du Pays d’oc, qui fait partie intégrante de l’événement. Ce groupe, représentant le corps des boulangers, dirigé par le grand-maître Pierre Pic, préside ce moment important. La confrérie accompagne le Tribus Lupis au pied de la tour sarrasine où se trouve le four banal. L’animal-totem rentre dans la petite cour, où la clef du four lui est restituée. C’est aussi l’occasion de la dégustation officielle du pain, accompagné de vin local.

 

 

- Enfermement des enfants sous la carcasse du Tripus Lupis

 

Le public vient en nombre lors de la sortie du Loup. Les enfants apprécient tout particulièrement la fête, car la bête leur réserve une surprise : le meneur, lors d'un arrêt de l’animal, propose aux plus jeunes de rentrer sous la carcasse du Loup. D’autres animaux, comme le Bœuf de Mèze ou le Pélican de Puisserguier, avalent les enfants lors de leur défilé, mais la sortie se fait le plus souvent par le derrière de la bête. Cournonterral a souhaité marquer sa différence : « On a fait une ouverture devant, dans le loup. Les enfants rentrent dedans, mais ils ne sortent pas par le derrière du loup, il ne les cague pas, il les régurgite » (entretien avec Nadège Guilhaumon).

 

 

Les représentations culturelles des animaux totémiques

 

Les animaux totémiques sont de forme, de taille et de poids variés, selon leur mode de fabrication, de transport et de manipulation. La reproduction à peu près fidèle, quoique stylisée, de l’animal peut évoluer jusqu’à une invention libre, soit par hybridation comme le Bœuf volant (Buou-Volaire) de Saint-Ambroix (Gard) ou le Tamarou (lo Tamaró) de Vendargues (Hérault) (tête de lapin, corps de hérisson, ailes de cigale), soit par extraction d’un élément comme le Cocairòs de Saussan (Hérault), nommé d’après sa coa (queue).

Placés au sein de la structure, les porteurs, assez souvent masculins et issus de l’équipe de rugby locale, font avancer l’animal lors des déambulations. Ces bêtes mythiques possèdent en général une tête mobile qui s'allonge et se rétracte, animée par l’un des porteurs. La gueule est souvent mobile elle aussi, permettant le claquement de la mâchoire, la « gnaque ». Tous entretiennent une mobilité codée, « objet simultané de la peur et de la dévotion ». Ces animaux-totems sont précédés d’un meneur et accompagnés par des groupes de musiciens qui jouent une mélodie répétitive, propre à l’animal. Le nombre de porteurs dépend de la taille de la construction, dont le maniement mobilise des savoir-faire spécifiques.

Les figures des animaux totémiques, parfois gigantesques, constituent les acteurs principaux de grandes fêtes populaires, préparées avec la participation active des habitants pour lesquels elles conservent une importante valeur symbolique. Les processions diffèrent d’un lieu à l’autre, mais chacune obéit à un rituel précis. Ces manifestations témoignent encore et toujours d'un dynamisme remarquable. D’autres animaux totems sont adjoints à certaines de ces manifestations. Parmi eux, le plus courant est le Chevalet (lo chivalet), sorte de monture maintenue à la taille du danseur. Les autres danseurs (cibadier, fabre, desmoscaire) miment la domestication du cheval-esprit-sauvage.

 

 

L'âme collective des animaux totémiques

 

Tous les animaux totémiques animent les fêtes saisonnières (carnavalesques, religieuses ou votives) à travers des rituels liés aux légendes (mythologiques ou contemporaines) qui fondent leurs origines.

Les cérémonies qui motivent la sortie du totem ont une fonction initiatique, soit parce que c’est une forme d’exploit pour les jeunes gens que de les porter ou de les affronter, soit parce que la force symbolique permet de jouer à exorciser les maux de la Cité et d’en réconcilier les habitants, toutes classes sociales confondues.

S'ils ont perdu leur caractère religieux, les animaux totémiques continuent de représenter la mémoire collective, l'identité locale ainsi que l’invention constante des communautés. Ils sont les symboles de la création collective, qui prend racine dans l'histoire, les mythes, les contes et les légendes locaux. Ils s'adaptent aussi aux changements qui interviennent dans la communauté. Ainsi le Poulain de Pézenas voit ses sorties s’accroître en fonction des fêtes organisées à travers les rues. Il participe au mois de novembre à « Martror, la fête des morts », fête spectaculaire créée à initiative d'un collectif d'artistes-chercheurs souhaitant restaurer des rituels saisonniers, ou à Noël, à l’initiative de la municipalité, où il endosse alors une nouvelle toile rouge.

Les animaux totémiques animent les rues, créant frayeur, joie, bonheur chez les participants. Ils participent des « charivaris », espace de la fête et lieu de sociabilité. À chaque animal correspond son rituel, sa fête et son jeu, sa relation à la communauté, aux porteurs, aux musiciens et au meneur.

Certains animaux totémiques mangent symboliquement les enfants, à l'image du Bœuf de Mèze ; d'autres poursuivent les jeunes filles, comme la Tarasque de Tarascon ; d'autres encore meurent symboliquement pour mieux renaître un an plus tard.

Ils sont à l'image de la fondation, de la conservation ou de la transformation de la Cité.

 

 

Les animaux totémiques, identités de la fête

 

L’élément qui rassemble dans une même grande famille les géants, les dragons processionnels et les animaux totémiques est la fête. Tous jouent à travers rues au gré des sorties carnavalesques ou autres manifestations calendaires. La fête donne un sens à l'animal totémique, tout comme l'animal totémique donne un sens à la fête. Ils sont indissociables. Ils sont les représentants de « l’exhibition collective au moment où la société proclame ce qui la fonde ».

Français et occitan

Patrimoine bâti

 

Sans objet

 

 

Objets, outils, matériaux supports

 

Le Tribus Lupis est un animal intégralement noir, avec quelques détails en couleurs qui lui donnent du relief. Il a été conçu pour être plus haut devant, comme s’il était prêt à bondir. Sur la toile noire du loup figurent les armoiries de Cournonterral et une bande bleue en bas.

Sa carcasse est une armature en fer recouverte d’un tissu noir synthétique (imitation fourrure). Avec 3,90 m de longueur, 1,70 m de largeur et 2 m de hauteur, le Loup est une copie exacte de la structure de l’animal voisin, le Poulain de Pézenas. Les trois têtes mesurent 1,20 m de largeur, 0,70 m de hauteur et 0,80 m de profondeur. Le constructeur de la tête de Loup, Georges Guilhaumon, explique comment il a procédé : « La tête a été faite en polystyrène. Ensuite, la sculpture a été collée sur une plaque de bois et le tout a été recouvert de bandelettes de fibres de verre et de résine. Après, comme le relief avait disparu, on l’a recréé avec de la pâte de papier mâché, comme par exemple les arcades, les naseaux, en mettant à la fin du verni ».

Les têtes sont montées sur un cardan de 2 CV, qui leur permet d’être mobiles. Une personne parmi les porteurs est chargée de faire bouger les têtes. Les crocs en buis, les yeux en terre émaillée, les dents et la langue en pâte Fimo confèrent à la bête un aspect réaliste.

 

Danses et musiques

La danse, comme la musique du Loup, comporte deux temps. Pendant la marche, le meneur muni d’un tambourin fait balancer le Loup. Au moment de la farandole, les porteurs accompagnent la rythmique en faisant sauter l’animal. Le meneur incite le public à participer. La danse est effectuée sur des places, à des moments stratégiques ou tout simplement quand l’équipe en ressent l'envie. Quelques coups de tambours suffisent pour que tous se mettent en branle.

À la demande du groupe constitué autour du Tripus Lupis, Eric Livolsy a composé la partition de la marche. Seul le prélude fut écrit à temps pour la première sortie du Loup. La composition de la première partie est une partie lente. Le compositeur explique : « L’inspiration pour l’écriture de ce morceau, je l'ai trouvée dans la légende elle-même. Et dans la deuxième partie plus festive, vu que je n’ai pas eu le temps de finir, j’ai pris La Poulaillère (« La Poulalhera » en occitan est un air traditionnel d’origine piémontaise). Le prélude n'étant pas facile (…), La Poulaillère a permis aux musiciens d’intégrer plus rapidement le morceau entier. Aujourd’hui, le morceau est en place, même s’il n’est pas facile. La marche est jouée par les hautbois et La Poulaillère par les fifres, ce qui permet aux musiciens de se reposer entre les deux parties ».

Les musiciens se préparent tout au long de l’année. Les cours de musique se déroulent au conservatoire et sont ouverts à tous. Tous les quinze jours a lieu une répétition entre tous les groupes d’instruments où se joue, entres autres, la musique du Tribus Lupis.

Dans les écoles du village, chaque année, l’association Chevalet de Cournonterral intervient en proposant des ateliers de sensibilisation autour du Tribus Lupis. « Cette année, nous avons travaillé avec les enfants en leur faisant faire leur totem, où ils ont accroché des messages de revendications. Le totem s’est fait lors d'ateliers menés en amont dans les écoles primaires », témoigne la présidente de l'association.

Le groupe de porteurs réuni autour du meneur Laurent Régis se regroupe à l’improviste en amont de la manifestation. Ce groupe d’amis prend plaisir à porter le loup, engagé par ailleurs dans de nombreux tournois sportifs au mois de juin. L’association souhaite à l’avenir constituer un collectif de porteurs attitrés.

La transmission de la légende du Tribus Lupis, outre les supports multimédias, a lieu lors de la sortie de l’animal. Une des haltes lui est entièrement consacrée. L’équipe de Cournonterral place la légende au centre du rituel du Tribus Lupis : son défilé se réfère sans cesse aux faits historiques relatés.

L’association Chevalet de Cournonterral prend en charge la transmission autour du loup à trois Têtes.

La place des animaux totémiques, tel le Tribus Lupis de Cournonterral, est dans la rue, où ils symbolisent l'appartenance à une communauté et à un lieu. Mais la rue offre parfois des contraintes auxquelles il est difficile de s'adapter. L'évolution des contraintes urbaines, les législations en vigueur (pour les cafés, les associations...) mais aussi les migrations de populations obligent à procéder à des ajustements dans l'organisation des fêtes.

La vitalité de ces fêtes est encore très fondée sur la capacité d'« organisation populaire ». Ces manifestations sont parfois soumises à des injonctions municipales soucieuses de prestige, ce qui en affaiblit la portée. Mais le soutien des collectivités peut être aussi vecteur de sauvegarde et de transmission quand ces politiques territoriales permettent aux communautés de stimuler l'invention collective et d'en assurer les filiations.

Les animaux totémiques sont mortels, selon Daniel Fabre : « ils disparaissent dès que la jeunesse les abandonne ». Pour Claude Alranq, « les Totems sont comme nous, ils passent et ils trépassent. Là où ils sont apparus, ils n'ont jamais complètement disparu […]. Là où ils furent nombreux, plus grandes sont les chances d'une contagion […]. Là où ils sont isolés, moins nombreuses sont les chances d'un "éternel retour" ». Mais chaque année, il y a encore et toujours des nouveaux venus. À l'origine de la naissance d'un nouvel animal, il y a le rêve, la volonté d'un groupe de personnes, d'associations, d'élus... Partout des formes de transmission voient le jour, par mimétisme de meneur en meneur ou de porteur en porteur, par apprentissage pour les musiciens. Chaque groupe crée sa façon de transmettre ce patrimoine vivant pour le plus grand intérêt des plus anciens.

Ces animaux totémiques sont les signes unanimes, aux yeux des citoyens, de l’« identité de fête ».

La famille des animaux totémiques

 

Les animaux totémiques les plus anciens ont été créés à partir du xvie siècle, tels la Tarasque de Tarascon (Bouches-du-Rhône), le Chameau (lo Camèl) de Béziers (Hérault), puis l’Âne (l’Ase Martin) de Gignac (Hérault) et le Poulain (lo Polin) de Pézenas (Hérault). Les processions les plus anciennes se sont transmises au fil des générations depuis plusieurs siècles, avec parfois quelques interruptions : le Chameau de Béziers fut brûlé à la Révolution puis détruit à deux reprises au xixe siècle, avant de renaître définitivement en 1895 par la volonté des habitants. Mais de nouvelles effigies apparaissent ou réapparaissent chaque année, en référence à des épisodes de l'histoire ou de la mythologie locale, à l'instar du Pélican de Puisserguier (Hérault) en 2012.

Entre les géants du Nord et de Belgique et le bestiaire fantastique de Catalogne se situe un bassin très représentatif des coutumes locales, donnant vie à ce qui est communément appelé les « animaux totémiques », appellation récente et controversée utilisée pour désigner les « bêtes de toile », « dragons processionnels » ou « animaux-jupons » associés à des pratiques festives identitaires.

On dénombre de 60 à 70 animaux totémiques dans le sud de la France, particulièrement représentés dans le département de l'Hérault, qui en compte une cinquantaine. Il est difficile de dénombrer précisément ces animaux totémiques, ces derniers naissant, renaissant, disparaissant au gré des groupes, des associations, des élus et des transmissions, qui leur permettent de trouver place et fonction au sein de la Cité. En cela, ils sont particulièrement représentatifs du patrimoine vivant : les animaux-totems sont soumis à l'énergie des groupes, des fêtes, des réalités socio-politiques des lieux où ils ont élu domicile.

Les animaux totémiques voient l'apparition de nouvelles générations depuis une vingtaine d'années et de nouvelles pratiques se développent afin d'intégrer les nouveaux-venus dans la grande famille des totems. Des baptêmes (batejadas) sont organisés afin que la naissance d'un nouvel animal puisse intégrer le rite collectif et la communauté. Ainsi, les animaux totémiques plus anciens sont invités pour parrainer un nouveau venu, et la famille des animaux totémiques s’agrandit dans un esprit de partage et d'échanges entre les villes et villages. De nombreux rassemblements d'animaux totémiques fleurissent au printemps et se développent de manière croissante d'année en année.

 

 

L’historique du Tribus Lupis

 

Pour Claude Alranq, « les terroirs du Sud de la France ajoutent au plaisir de la table la furia festive d’un animal symbolique qui résume par ses danses et ses rituels ''l’esprit du lieu''. Les origines de ces totems sont aussi diverses que les légendes qui les authentifient. Ils n’en finissent pas de réveiller ''une sacrée nature'' au cœur de la cité » [Les Animaux de la fête occitane]. Ainsi, les Cournonterralais, à la réputation de reborsièrs (« contrariants », en occitan) ou rouspéteurs, ont choisi le loup pour représenter l’âme du village.

Le Tribus Lupis a rejoint le bestiaire fantastique languedocien assez récemment. L’équipe porteuse, fêtant le carnaval des Paillasses en 2010, a eu l’idée d’enrichir encore plus les traditions locales. Un comité animé par la verve populaire a commencé un long cycle de rendez-vous et de réunions. La première action du groupe fut de faire revivre la danse du Chevalet de Cournonterral. Le moment de la naissance de l’animal emblématique est venu ensuite.

Au même moment, le village voisin, Cournonsec, a choisi pour se représenter l’Eléphant. Nadège Guilhaumon explique ce choix : « Pour nous, c’était une évidence de créer un éléphant comme animal totémique, en rapport à la légende de Hannibal ». À Cournonterral, Hannibal et ses éléphants firent une halte à la fontaine du Théron, afin de ravitailler son armée sur le chemin de la conquête de Rome. La collaboration avec le Groupe de recherche des Archives de Cournonterral (GRAC) les a amenés sur la piste de Guillaume Bernard des Trois-Loups, bourgois au rôle important dans l’histoire de Cournon lors de la création en 1299 des Syndics de Cournon. À cette même époque, alors que de nombreuses querelles opposent la population et les seigneurs, un nouveau conflit éclate : « l’affaire du four banal ». Les porteurs du projet ont choisi cet événement historique pour bâtir la légende du Loup à trois têtes. Elle représente la force du peuple face à l’injustice et à l’abus des dirigeants.

La légende du Tribus Lupis résulte d'une coécriture de Nadège Guilhaumon et Richard Escobossa : « Sous le règne de Philippe Le Bel, les loups hantaient nos campagnes, leurs voix se faisaient entendre dans nos bois et garrigues […]. À cette époque vivait un personnage qui a marqué les mémoires : Guillaume-Bernard de Trois-Loups. Son tempérament de justicier l’a amené à monter une expédition punitive contre Rascousses, à qui les seigneurs de Cournon avaient donné le droit de paissance sur les terres communales et en cette période de pénurie, il ne faisait pas bon d’empiéter sur les voisins.

Guillaume-Bernard n’était pas seul, deux autres personnes l’accompagnaient : une harpie, rombière acariâtre, meneuse de troupe et forte en gueule qui n’hésitait pas à jouer des mains au besoin, une querelleuse du nom d’Erméniars ; et Hugues Cristine, défenseur des libertés et des droits acquis.

Dans ces temps de conflits, la Bête […] resurgit d’outre-tombe pour montrer le chemin de la résistance aux gens, tous unis contre l’adversité et les charges abusives de leurs seigneurs […].

Pierre, seigneur du bourg, voulant s’enrichir et affamer les habitants, fit restreindre l’accès au four banal et commanda la destruction du foyer communal afin que les gens lui payent une taxe pour faire cuire leur pain. La tache lui fut aisée grâce aux dissensions et à la division de la population.

Pourtant, dans le village, sommeillait Tribus Lupis, non seulement guerrier effrayant mais aussi fédérateur de la populace ; le même animal qui avait plié les genoux du seigneur Raymond Vassadel, quelques temps auparavant. Sorti de son antre, de l’endroit même où sont enterrés les combattants d’une lutte d’avec des voisins belliqueux, Sainte-Cécile-des-Trois-Loups, l’animal, de par sa présence et sa force, donna aux Cornalencs la volonté de résister et obligea Pierre de Cournon à libérer l’accès au four et reconstruire le foyer qu’il avait fait détruire […].

Il est dit qu’à chaque période trouble les loups arpenteront les rues du village pour rappeler à tous ceux qui menacent les droits durement acquis par les Cournonterralais, qu’ils seront toujours là à veiller. »

De nombreuses initiatives locales voient le jour régulièrement, contribuant à la sauvegarde et à la reconnaissance de ce patrimoine. Cependant, d'une manière générale, les communautés signalent un manque de moyens humains, financiers et d'espaces de transmission, qui pèse sur les conditions de réalisation du rituel festif et ne permet pas toujours son actualisation. Certains témoins signalent aussi le manque de soutien des collectivités territoriales.

La difficile transmission de la langue occitane peut également entraver la mémoire, la perpétuation et donc la recréation des chants liés à certaines pratiques.

Les témoins rencontrés n'expriment pas tous les mêmes demandes quant à la reconnaissance institutionnelle. Quand certains espèrent plus de moyens financiers et humains pour perpétuer la fête, d'autres imaginent des retombées économiques sur toute la ville et ses habitants grâce à un label culturel. Il émerge aussi des réticences quant au processus de patrimonialisation de la fête et/ou de l'animal, considéré comme un risque de fixation du rituel.

Modes de sauvegarde et de valorisation

 

Depuis 2006, le conseil régional du Languedoc-Roussillon (auj. Occitanie) encourage la promotion des cultures occitanes et catalanes dans le cadre de l'appel à projets Total Festum, lancé tous les ans au mois de juin. Ce dispositif, ouvert à tous, a pris en compte la question de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel depuis 2013, en ajoutant un article valorisant les projets prenant en compte les spécificités du patrimoine vivant : « La Région attire […] l'attention des porteurs de projets sur l'intérêt à développer des actions autour du patrimoine culturel immatériel tel que le définit l'Unesco ». Cet appel à projets a déjà permis de créer des animaux totémiques, tel le Tribus Lupis de Cournonterral (Hérault), ou d'aider au financement de rencontres d'animaux totémiques. Cependant, le délai très court entre la date de soumission du dossier (mois de juin) et la saison festive ne permet pas à tous les acteurs de se saisir de cette opportunité. Ce principe de festival ne permet pas non plus d'inscrire des actions durables et quotidiennes. Certaines communautés signalent aussi le besoin d'être accompagnées pour la réalisation et la conception des dossiers administratifs. De fait, comme l'Unesco le préconise, « sauvegarder signifie assurer la viabilité du PCI, c’est-à-dire assurer sa recréation et sa transmission permanentes ; sauvegarder le PCI, c’est transmettre du savoir, du savoir-faire et du sens » ; il est donc important que les communautés puissent proposer et se saisir d'outils techniques, financiers et humains qui leur permettront de créer pour elles-mêmes les bonnes conditions de réalisation et d'actualisation de leurs pratiques et d'y être accompagnées.

Le Centre Interrégional de Développement Occitan (CIRDOC) développe depuis quelques années des actions de valorisation de ce patrimoine par le biais d'expositions, de collectages, de projets numériques (www.occitanica.eu) et de rencontres.

 

 

Actions de valorisation à signaler

 

Outre la sortie officielle du mois juin, le Loup à trois têtes est souvent sollicité pour diverses manifestations, à commencer dans sa ville natale. Lors du carnaval local, le Tribus Lupis apparaît dans le défilé des chars. Les autres villes font appel à lui pour de multiples occasions : rassemblements, ouvertures de festivals (Mirandela dels Arts), foire languedocienne de Loupian… Le Loup de Cournonterral est devenu un animal prisé.

 

 

Modes de reconnaissance publique

 

L’inclusion de la présente fiche à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel en France constitue une reconnaissance publique de l’élément.

Inventaires réalisés liés à la pratique

 

Non renseigné

 

 

Bibliographie sommaire

 

Cartulaire de Maguelone, archives de Cournonterral.

Cournon’Mag, n° 1, janvier-mai 2014.

ALRANQ Claude, Les Animaux de la fête occitane, Éditions du Mont, 2008.

AVRIL Marie-France, Itinéraires d’Hannibal en Gaule, Éditions de Paris, 1996.

CLÉMENT Pierre-Albert, Les Chemins à travers les âges en Cévennes et bas-Languedoc, Presses du Languedoc, 2003.

GERMAIN Alexandre, Le Consulat de Cournonterral. Fragment de l'histoire du XIVe siècle, Éditions Lacour, 2008.

GIL Christiane, L’Universitas de Cournonterral : du syndicat au consulat d’après les parchemins de ses archives (XIIIe-XIVe siècles), 1972.

 

 

Filmographie sommaire

 

Cournon Totem Tribus Lupis

En ligne : http://cournontotem.canalblog.com/

 

 

Sitographie sommaire

 

● Groupe de Recherche des Archives de Cournon (GRAC)

www.cournongrac.org/accueil.html

● Centre interrégional de développement de l'occitan (CIRDÒC)

[Mediatèca occitana, Lo Chivalet de Montpelhièr, Occitanica - Mediatèca Enciclopedica Occitana/Médiathèque encyclopédique occitane)]

www.locirdoc.fr/E_loblog/?p=4449

● Site du Tribus Lupis

cournontotem.canalblog.com

● Ville de Cournonterral

www.ville-cournonterral.fr/

Georges GUILHAUMON, constructeur du Tribus Lupis

Nadège GUILHAUMON, présidente et co-fondatrice de l’association Chevalet de Cournonterral et ses hautbois, porteuse du projet

Eric LIVOLSY, musicien hautboïste, compositeur de la musique du Tribus Lupis et membre de l’association Chevalet de Cournonterral et ses hautbois

Laurent RÉGIS, meneur du Tribus Lupis

Jacques TEILHARD, membre du comité de recherche du GRAC, trésorier de l’association Cournon Terra d’Oc

Alexandre VANRUYMBEKE, boulanger, un des quatre boulangers travaillant à l’élaboration de la recette du pain Tribus Lupis

Association Cournon Terra d'Oc, 06.82.88.65.66

Confrérie des Pastaïres et Tastaïres du Pays d’oc

Confrérie Saint-Photin-de-Varages

Habitants, commerçants et spectateurs de Cournonterral

Non renseigné

Rédacteur de la fiche

 

Anna WASNIOWSKA, avec la collaboration de Perrine ALRANQ (CIRDOC-Mediatèca Occitana)

Enquêteur(s), chercheur(s) ou membre(s) du comité scientifique associé

Anna WASNIOWSKA

 

 

Lieux(x) et date/période de l’enquête

Cournonterral, 14 juin et 4 juillet 2014

 

Données d’enregistrement

 

Date de remise de la fiche: 27 novembre 2014

Année d’inclusion à l’inventaire: 2019

N° de la fiche: 2019_67717_INV_PCI_FRANCE_00424

Identifiant ARKH: ark:/67717/nvhdhrrvswvk2mb

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : https://www.pci-lab.fr/images/pdf/Tutoriel.pdf

Contribuer Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Animaux_totémiques_de_l'Hérault

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