L’alpinisme est né dans le Massif du Mont-Blanc au XVIIIème siècle. A cette époque, il s’apparentait aux ascensions des paysans-guides qui amenaient les « touristes » sur les sommets de leur vallée.
L’alpinisme est né dans le Massif du Mont-Blanc au XVIIIème siècle. A cette époque, il s’apparentait aux ascensions des paysans-guides qui amenaient les « touristes » sur les sommets de leur vallée. Aujourd’hui, on peut le définir comme l’art de gravir des sommets et des parois en haute montagne en terrain rocheux ou glaciaire avec des techniques adaptées et des valeurs partagées par la communauté des pratiquants.
Le savoir-faire de l’alpinisme – objet de ce document - est avant tout caractérisé par l’ouverture ou la répétition d’itinéraires, en tenant compte des propres limites, physiques et psychologiques des pratiquants, tout en veillant à utiliser des moyens techniques modestes afin de réaliser les ascensions de manière autonome et de cultiver une relation inclusive entre chaque alpiniste et l’environnement naturel, mais aussi entre les alpinistes eux-mêmes. Né dans les Alpes, l’alpinisme n’est pas limité à cette aire de pratique. Il s’est développé dans toute l’Europe dès le XIXème, et aujourd’hui sur toutes les montagnes du monde, preuve de l’universalité des valeurs qu’il promeut. Ce développement et cette pratique particulièrement intense dans les Alpes et dans la région du Mont- Blanc où l’alpinisme procure un fort sentiment d’identité et de continuité expliquent le rôle de Chamonix- Mont-Blanc comme porteur du projet d’inscription au patrimoine culturel immatériel de la France.
L’alpinisme est une pratique culturelle caractérisée par un certain type de savoir-faire, de rapports sociaux et à l’environnement naturel, et de valeurs fondatrices. Il est parfois présenté comme un « sport de nature », à l’instar de la marche, la randonnée, le vélo tout terrain ou encore le parapente. Toutes ensemble, ces pratiques se distinguent des sports dits urbains nécessitant des espaces artificialisés, des aires de pratiques normalisées et des règles codifiées. Par contraste, les sports dits de nature partagent la caractéristique de se déployer dans le milieu naturel et de développer des exercices sportifs avec les différents éléments naturels concernés (l’eau, l’air, la terre) sous des formes peu codifiées, ce qui d’ailleurs conduit certains spécialistes à ne pas y voir des sports au sens strict du terme. De ce point de vue, l’alpinisme désigne toutes les activités qui se réalisent dans le cadre de l’ascension d’une surface plus ou moins verticale en rocher, neige ou glace, et conduites en solitaire ou à plusieurs. Mais la caractérisation de l’alpinisme comme pratique sportive serait très réductrice. Les pratiquants y voient plutôt un savoir-faire, un style de vie, voire une éthique partagée du corps, de l’environnement et des relations entre pratiquants. Le savoir-faire de l’alpinisme est avant tout caractérisé par l’ouverture ou la répétition d’itinéraires, en tenant compte des limites propres, physiques et psychologiques, des pratiquants tout en veillant à utiliser des moyens techniques modestes afin de réaliser les ascensions de manière autonome et de cultiver une relation inclusive entre chaque alpiniste et l’environnement naturel, mais aussi entre les alpinistes eux-mêmes.
L’alpinisme est une pratique sociale avant tout collective. Elle s’inscrit dans le domaine des « pratiques sociales, rituels et évènements festifs », mais aussi celui des « connaissances et pratiques concernant la nature » : l’alpinisme requiert une connaissance approfondie de l’environnement, mais aussi une relation qualitative avec cet environnement qui implique l’être profond de chaque pratiquant, toutes deux héritées de traditions, connaissances et savoir-faire développés au fil du temps qui participent de la « culture de l’alpinisme ».
On peut décrire la population concernée par l’alpinisme de deux façons : en identifiant les adeptes de la pratique sur un mode quantitatif, et en identifiant les institutions qui structurent l’activité et se portent garantes des valeurs et traditions qui lui sont associées.
Les enquêtes et statistiques disponibles ne permettent pas une identification précise du nombre d’alpinistes. Bien que les statistiques soient lacunaires, on estime approximativement le nombre de pratiquants à 150 000 personnes en France, amateurs et professionnels confondus. Cet effectif modeste, qui reste très en-deçà des estimations relatives aux autres pratiques sportives de nature2, est une condition favorable au développement et au maintien d’une forte identité de groupe. Les activités de nature sont socialement et géographiquement différenciées (Bourdeau & al.). Traditionnellement, les cadres et les professions intellectuelles y sont sur-représentés ; toutefois, durant les dernières décennies, on a observé une ouverture de ces pratiques à d’autres milieux sociaux, mais aussi en direction des jeunes, des femmes, des enfants, des seniors, voire des personnes handicapées. L’ouverture de pratiques similaires, mais différentes car en milieu aménagé, à l’exemple des via ferrate ou des parcs aventure, et le développement de pratiques plus ludiques à l’exemple du canyoning ont joué un rôle important dans ce processus. La répartition géographique des activités de nature ne se limite pas aux massifs de montagne, se retrouvant dans tout le territoire, y compris en région parisienne.
Plusieurs institutions ont joué un rôle décisif dans la diffusion de la pratique sociale de l’alpinisme et l’adoption de normes et de valeurs associées. Les clubs alpins, nés au XIXème siècle, sont regroupés aujourd’hui dans la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne. Elle comptait au 30 septembre 2014, 83939 licences annuelles sur le territoire national, dont 36 % de femmes et 64 % d’hommes, et dont l’âge médian est de 44 ans pour les hommes et de 42 ans pour les femmes. Plusieurs autres associations nationales ou internationales sont nées tout au long du XXème siècle (voir plus bas pour des détails); certaines fédèrent des clubs à une échelle transfrontalière, comme le Club Arc Alpin (6 pays), d’autres au niveau mondial comme l’Union Internationale des Associations d’Alpinisme (UIAA-53 pays); d’autres encore, comme le Groupe de Haute Montagne, couplent des objectifs de pratique de très haut niveau et la popularisation d’une éthique de la pratique.
La pratique professionnelle de l’alpinisme est organisée par plusieurs institutions : le Syndicat National des Guides de Montagne regroupe la quasi-totalité des guides de haute montagne en France. En 2013, il comptait 1644 adhérents, dont 1549 guides actifs, près de 57 % d’entre eux travaillant de manière indépendante, 37% exerçant dans le cadre de compagnies de guides ancrées localement et 6% de salariés et sympathisants. Par ailleurs, des corps spécialisés se sont constitués au sein de la Gendarmerie françaises, des CRS et des sapeurspompiers. A l’échelle mondiale, l’Union Internationale des Associations de Guides de Montagne (UIAGM) compte près de 6000 guides de 26 pays d’Europe, d’Asie, d’Amériques et d’Océanie. Enfin il existe dans beaucoup de communes et vallées de montagne des groupements d’amateurs et de professionnels qui cultivent un même attachement à cette activité et interagissent volontiers au sein de cette communauté de pratique. C’est en particulier le cas dans la région du Mont-Blanc où l’on trouve plusieurs compagnies de guides de haute montagne, dont la plus ancienne et la plus importante de toutes, celle de Chamonix, regroupe 260 membres.
L’alpinisme tel que nous le connaissons aujourd’hui est né dans les Alpes centrales (entre Haute-Savoie et Tyrol), et en particulier dans le massif du Mont-Blanc, à la fin du XVIIIème, et sur les sommets environnants de Suisse, d’Italie et de France. La première ascension de ce sommet en 1786, impulsée par le savant genevois Horace Bénédicte de Saussure, est réalisée par deux jeunes Chamoniards. Cette ascension est généralement considérée comme l’acte fondateur de l’alpinisme. Par l’écho qui sera donné à cette performance, le massif du Mont-Blanc attirera bon nombre de visiteurs et de curieux, les populations locales se chargeant des aménagements (chemins, hébergements, services, etc.) nécessaires à l’accueil des premiers touristes.
Parmi les oeuvres qui ont contribué à populariser le Mont Blanc et l’alpinisme, notamment au sein des élites anglaises, on peut citer à titre d’exemple Albert Smith, qui, à son retour de Chamonix, mettra en scène l’ascension du Mont-Blanc (2000 représentations à Londres et 800 000 spectateurs de 1852 à 1868). L’alpinisme acquiert ainsi ses premières lettres de noblesse et une grande visibilité dans l’Europe de son temps. Le massif du Mont-Blanc qui s’étend sur 600 km2, et dans lequel sont concentrés 101 glaciers, 150 sommets, 4000 itinéraires rocheux et glaciaires, devient dès lors le lieu emblématique de l’alpinisme dans toutes ses formes de pratique et de techniques.
À partir du massif du Mont-Blanc, l’alpinisme s’est rapidement diffusé dans les massifs alpins les plus élevés, notamment en Suisse (Oberland bernois, Haut Valais, Engadine, etc.), en Autriche (principalement au Tyrol) et en Italie (Val d’Aoste, Alto-Adige, Dolomites, etc.), mais aussi dans les Alpes Dauphinoises(notamment Ecrins-Pelvoux), les Pyrénées et quelques autres massifs européens (Tatras polonaises et slovaques, Slovénie, Ecosse, Norvège, etc.). Dès le milieu du XIXème siècle, il a gagné aussi des massifs situés hors d’Europe (Caucase, Andes, Himalaya, Rocheuses, Alaska, etc.). La pratique de l’alpinisme, toujours très active dans la région qui l’a vu naître, s’est donc diffusée à l’échelle des principales régions de montagnes du monde, soulignant ainsi le caractère universel de ses valeurs.
L’alpinisme repose sur la maîtrise de connaissances techniques et de savoir-faire et sur un certain nombre de références culturelles et de valeurs dans lesquelles se reconnaissent aussi bien les touristes les plus engagés, que les compagnies de guides et les sociétés locales dont ces compagnies constituent des institutions importantes. Il ne s’agit pas tant d’un sport que d’une culture du corps et du rapport à la haute montagne ; sa pratique est étrangère à tout esprit de compétition structurée ou réglementée, et s’exerce en dehors de tout cadre aménagé ; il s’apparente ainsi plutôt à une éthique, à un style de vie et à une pratique sociale à fort caractère identitaire, voire à un« art de l’espace ».Au plus haut niveau, il est présenté de façon exemplaire dans la charte éthique du Groupe de Haute Montagne et celle des Piolets d’Or (annexe 2). Appréhendé sur un mode technique, l’alpinisme de haut niveau se caractérise par la recherche d’itinéraires d’ascension nouveaux, ou leur répétition délibérée, dans un environnement de haute montagne. Il requiert donc un ensemble de connaissances et de savoir-faire relatifs à ce milieu particulier, la maîtrise des techniques de progression, le maniement d’instruments et d’artefacts divers. La mobilisation de ce savoir-faire est perceptible autant au stade de la conception et de la préparation d’une ascension (par l’étude des éléments topographiques, des voies déjà parcourues et descriptions dans les « topo-guides » et des récits s’y rattachant, des photographies, enfin de la situation et des évolutions météorologiques et d’enneigement, etc.) qu’à celui de l’ascension elle-même.
Mais l’alpinisme se caractérise surtout par les dimensions esthétiques et éthiques qui lui sont attachées. Il valorise la beauté des itinéraires et l’élégance des pratiques corporelles. Il met en valeur le goût de l’aventure, le sens de l’exploration, la prise de risque mesurée, mais aussi la connaissance des capacités et des limites du pratiquant.
Il se singularise par la nature des interactions sociales, guidées par des valeurs de solidarité et d’entraide qui conditionnent et accompagnent la pratique. L’alpinisme requiert une forte acculturation (autrement dit un processus d’acquisition d’une nouvelle culture)aux milieux des pratiquants par laquelle les connaissances, les valeurs et les savoir-faire se transmettent. Rarement solitaire, l’alpinisme s’exerce aussi dans des conditions particulières de sociabilité ; il est le vecteur d’échanges nombreux et intenses entre guides et touristes, populations de montagne et populations citadines, jeunes et anciens ; il est aussi propice à des échanges entre des pratiquants originaires de régions du monde très différentes qui partagent une même passion pour un milieu par nature très cosmopolite.
Le sentiment d’appartenance commun aux pratiquants facilite le transfert de connaissances et la transmission de compétences, ainsi que le dialogue et l’échange interculturel. Il cultive des formes de respect mutuel dans plusieurs types d’interactions: - entre compagnons de cordée, qui sont plus que de simples partenaires d’ascension. En effet, la cordée, dont le philosophe Michel Serres (2002) a rédigé un éloge vibrant, actualise et symbolise à la fois la très forte complémentarité de ses membres, liant leur destin dans la prise de risque et la réalisation d’un objectif commun. L’alpinisme implique la complicité et la confiance mutuelle ;
- entre alpinistes de cordées différentes, le long d’un itinéraire ou dans les lieux de repos;
- entre pratiquants et populations locales dans la mesure où ils coopèrent et se rendent des services mutuels.
À cette éthique sociale s’ajoute une éthique environnementale. L’alpinisme se pratique dans un milieu à la fois rude et fragile. Il requiert une connaissance approfondie de ce milieu, mais aussi un fort lien sensible et affectif. Tout en exigeant certaines qualités sportives, l’alpinisme consiste avant tout de vivre un acte de communion partagée avec le milieu. Cette attitude contribue à cultiver le souci de maintenir les sites de pratiques dans un état de naturalité, et de limiter de ce fait les impacts paysagers et environnementaux dans les sites de pratique de l’alpinisme. Par exemple, les techniques d’assurance adoptées par les puristes privilégient les coinceurs3 aux spits4 et aux pitons que les pratiquants considèrent comme agressifs pour le milieu et irrespectueux de leur éthique environnementale. Dans les grands massifs (expéditions à très haute altitude), on parle même d’ « alpinisme de style alpin » lorsque l’ascension est réalisée sans soutien logistique lourd, équipements conséquents, usage d’oxygène, cette pratique étant majoritaire dans les Alpes aujourd’hui.
La pratique de l’alpinisme requiert un équipement spécifique
- cordes, piolets, coinceurs, crampons, cartes, pelle à neige, baudrier… dont la maîtrise requiert une phase d’apprentissage. Mais l’esprit qui guide cette activité conduit à limiter au mieux le volume de cet équipement.
En effet, les adeptes ne cherchent pas à parvenir au sommet à tout prix en recourant à tous les artifices à disposition ; ils privilégient plutôt la connaissance de l’environnement,leur complémentarité et la réflexion sur soi pour atteindre l’objectif visé. Le recours à l’équipement technique vise principalement à gagner de l’autonomie dans sa pratique de la haute montagne. Mais il a aussi une valeur rituelle:le choix minutieux avant l’achat, l’entretien de ce matériel, la sélection de ce qui va être emporté en fonction de l’objectif, la mise en place de cet équipement lors de l’ascension, sont souvent l’occasion de partager avec d’autres une culture de la pratique au moins autant que lors des interactions in situ qui scandent l’ascension.
Les refuges de haute montagne (la FFCAM en gère 140 en France qui totalisent 238 000 nuitées par an) sont des lieux privilégiés de ce type d’interaction. Ils répondent certes à des besoins d’hébergement et d’assistance.
Mais ils constituent aussi le cadre privilégié d’interaction entre les pratiquants (partage d’un repas, échanges sur les ascensions réalisées ou prévues, transmission d’informations pratiques, échanges avec les gardiens, notes laissées dans le registre du refuge, etc.) tout en véhiculant parfois une valeur patrimoniale pour les plus anciens d’entre eux.
De la sorte, l’alpinisme constitue une pratique sociale à forte dimension identitaire qui valorise la solidarité, l’échange, le partage, le respect mutuel, la prise de responsabilité, la connaissance et le dépassement de soi. Ces valeurs qui sont explicitement vécues comme participant d’une tradition et d’une culture partagée sont constamment réinterrogés par les alpinistes dans le cadre d’une réflexivité individuelle et collective, comme par exemple à l’occasion des Assises de l’alpinisme organisées en 2010 (www.ffme.fr) et de « l’Appel pour nos montagnes » lancé en 2011 (www.appelpournosmontagnes.org).
Cependant, cette vision idéalisée de l’alpinisme ne doit pas sous-estimer la présence de différents styles de pratique que dévoilent les enquêtes réalisées en montagne. Les travaux de recherche de B. Lefèvre (2004) et de J. Corneloup (2014) ont permis d’identifier plusieurs catégories de pratiquants qui ne partagent pas la même relation à la montagne. Entre les approches plus contemplatives, ludiques, sportives, prométhéennes ou spirituelles, des différences apparaissent qui participent à alimenter les débats sur l’avenir de la montagne.
La question de l’engagement, du risque et de la sécurité sont aussi l’enjeu de controverses non seulement concernant le rapport légitime et accepté à la mort mais aussi le coût public des opérations de secours. La définition légitime de l’alpinisme est l’objet de nombreuses discussions qui alimentent sans cesse les points de vue portés à cette pratique depuis sa création . Les conclusions de différents colloques contribuent à la réflexion sur l évolution de l alpinisme :
- “Montagne et Alpinisme , une charte pour l’ an 2000” - Mountain Wilderness (1998)
- “Déclaration du Tyrol” Union Internationale des Associations d’ Alpinisme (2002)
- “Charte des Piolets d Or” Groupe de Haute Montagne (2008)
La pratique de l’alpinisme requiert apprentissage et transmission que l’on distinguera ici selon qu’il s’agit de l’acquisition de compétences techniques ou du partage de valeurs associées à la pratique.
L’apprentissage de l’alpinisme passe par la maîtrise et le maniement d’un équipement spécifique (cordes, piolets, crampons, coinceurs, matériel d’assurance et de secours,cartes, boussole, GPS). Il passe aussi par la maîtrise de connaissances variées sur le milieu d’exercice qui se caractérise par des obstacles naturels (pente, verticalité, crevasses.), des conditions changeantes (vent, neige, brouillard, etc.) et des évènements physiques aléatoires (météorologie, nivologie, avalanches, chutes de pierres et de séracs). Ce double apprentissage passe par le dialogue et l’échange entre les experts et les novices, et entre les diverses générations de pratiquants. Il prend place tantôt dans des centres de formation (par exemple l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme, ENSA), des clubs et des associations (par exemple la FFCAM, l’UCPA, Sport & Nature) et d’autres institutions tournées vers l’enseignement, mais aussi hors des cadres institutionnels, par exemple dans le contexte familial ou de groupes intergénérationnels.
L’alpinisme valorise le développement personnel (confiance en soi, préparation physique, recherche de dépassement de soi), l’acquisition d’autonomie, la socialisation et la solidarité entre les pratiquants. Son apprentissage est donc à la fois symbolique et technique. Sa contribution symbolique requiert l’acquisition de connaissances sur l’histoire de l’alpinisme et les formes sociales de la pratique, autrement dit un haut degré de réflexivité. Il exige donc une profonde imprégnation culturelle par les individus qui le pratiquent.
L’apprentissage et la transmission requièrent, selon les individus, entre 2 et 3 ans de pratique sérieuse et régulière. Il s’agit de s’approprier les acquis des entraînements et surtout d’accumuler les expériences, car rien ne remplace les situations vécues et maîtrisées sur le terrain. Sides activités connexes en terrain sécurisé (escalade en salle, via ferrate,) peuvent constituer une première approche, la pratique in situ joue un rôle décisif car c’est là que l’autonomie s’acquiert véritablement.
Dans les multiples dimensions qui sont les leurs (techniques, corporelles, culturelles), l’apprentissage et la transmission s’effectuent par différents vecteurs sociaux :
- L’environnement social direct (famille, amis, connaissances) est très important dans la transmission de l’élément : les savoir-faire passant souvent de génération en génération, on rencontre fréquemment en haute montagne des jeunes qui ont été initiés par leurs parents ou des membres de leur famille, les uns et les autres ayant ainsi conditionné leur première approche à la montagne. Il est ainsi courant de voir de véritables lignées familiales d’alpinistes dans les Alpes – chez les professionnels comme chez les amateurs. Le processus par lequel les jeunes pratiquants accèdent au statut professionnel, en accompagnant des guides pendant plusieurs saisons avant de devenir autonomes, est une illustration de cet apprentissage-transmission par les pairs.
- Les médias liés à l’alpinisme sont un vecteur important de transmission :
Plus que les topoguides et les sites web spécialisés (comme www.camptocamp.org ou www.kairn.com ) qui mettent à disposition des informations pratiques, les récits d’ascension contiennent des descriptions de scènes d’action, d’expériences sensitives et émotionnelles ou d’exploits techniques qui participent à la transmission d’un type de récit mais aussi d’un savoir et d’un savoir-faire qui donne un cadre dans lequel les expériences pratiques de l’apprenant se déploient et prennent sens. Les adeptes de l’alpinisme sont de grands producteurs de littérature de montagne, un genre à part entière qui a connu une véritable explosion éditoriale au cours du 20ème, avec des auteurs comme R. Frison-Roche, W. Bonatti, L. Terray, J. Kugy, G. Rey, G. Lammer, G. Rébuffat, C ; Bonington... Il existe plus de 4000 livres écrits en langue française ou traduits qui ont été édités depuis les débuts de l’alpinisme (Perret, 1997). Aussi, plusieurs éditeurs se sont spécialisés dans ce genre de littérature, ou possèdent une collection qui lui est dédié (Arthaud, Glénat, la Fontaine de Siloé, Éditions du Mont-Blanc, Guérin Editions, Hoebecke, …) ;
En France, plusieurs magazines dédiés aux pratiques de montagne ont vu le jour depuis plus d’un siècle et se sont multipliés depuis ces quarante dernières années (La Montagne et Alpinisme, Montagnes Magazine, Vertical, Grimper, Alpes magazine, tirés à 350 000 exemplaires papier par an), et des magazines plus généralistes donnent souvent écho à ce type de pratique (Alpes Loisirs, L’Alpe, Alpes Magazine, Alpinisme, tirés à près de 100 000 exemplaires) ; ils contribuent à la popularisation de modèles de pratiques et d’une érudition prisée par un large public composé de pratiquants et de « sympathisants » ; n Plusieurs chaînes de télévision et de radio : en France : Montagne TV, TV8 Mont-Blanc, France 3 (avec un magazine hebdomadaire consacré à la montagne).
- Les institutions muséales et les centres de documentation: des équipements culturels, certains créés durant les dernières décennies, constituent une ressource majeure dans la transmission des valeurs, des savoirs et des savoir-faire de l’alpinisme. Dans la seule vallée de Chamonix-Mont- Blanc, on en trouve plusieurs : l’Espace Tairraz présente l’histoire de l’alpinisme de manière très interactive et ludique pour les plus jeunes générations ; la Maison de la Mémoire et du Patrimoine dispose d’archives photographiques importantes(archives Frison-Roche, famille Tairraz) régulièrement exploitées dans des expositions ; le Musée Alpin propose une exposition permanente sur l’histoire et le développement des activités de montagne dans la vallée de Chamonix, ainsi que des expositions temporaires. Il existe des institutions de ce type dans d’autres régions des Alpes françaises (Saint-Christophe-en-Oisans, Chambéry, Grenoble, Annecy, Gap) ainsi que dans les Pyrénées (Musée de la Montagne de Lourdes). Il en va de même dans les principaux pays à forte activité alpinistique (Musée des Guides de Courmayeur ; Museo della Montagne à Turin, Alpines Muséum de Berne et de Münich,etc.)
- L’environnement scolaire offre des occasions diverses de découverte des pratiques de la montagne sous la forme de sorties de terrain et de journées ou de séjours d’initiation.
- Les associations :
Compagnies et groupements locaux de guides : Jusque dans les années 1940, la formation des guides était assurée par cooptation au sein de compagnies et groupements locaux. Les candidats étaient la plupart du temps initiés par un proche, le plus souvent au sein du noyau familial. Tout d’abord porteurs, ces aspirants-guides devaient, au bout d’une période de trois ans, passer un entretien devant un jury composé de pairs et de représentants des autorités locales en présentant la liste de leurs courses, pour recevoir leur diplôme ; en parallèle le Club Alpin Français et la Société des Touristes du Dauphiné délivraient des brevets de porteurs et de guides. En raison du développement de la pratique et pour garantir le haut-niveau de ces professionnels, le Ministère de l’Education Nationale a fondé en 1945 l’Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme, installée à Chamonix-Mont-Blanc (voir ci-après).
- Les écoles et les associations professionnelles:
Aux XVIIIème et XIXème, les paysans des hautes vallées alpines, habitués à la chasse aux chamois et à la recherche des cristaux, posèrent les premiers gestes de l’alpinisme. Sollicités pour guider les visiteurs, scientifiques, humanistes ou passionnés venus découvrir « les glacières de Savoie », ils deviendront de fait les premiers guides. L’alpinisme pratiqué par les populations montagnardes était caractérisé par un matériel sommaire: un bâton ferré, un sac à dos, l’autonomie de la caravane, le choix judicieux des itinéraires et une intime connaissance des techniques de déplacement dans un milieu accidenté. Si quelques sommets remarquables ont été gravis entre le XIVème et le début du XVIIème siècle, pour le seul plaisir d’atteindre leur cime (Ventoux en 1336, Rochemelon en 1358, Mont Aiguille en 1492, Pilate en 1555), on considère que le véritable acte fondateur de la pratique est la première ascension du Mont-Blanc, en 1786. Dans un esprit de découverte scientifique, le savant H. B. de Saussure avait promis une récompense à qui découvrirait la voie d’accès – ce qui fut réalisé le 8 août par deux Chamoniards : le docteur M.-G. Paccard, 28 ans, et le cristallier J. Balmat, 24 ans. Progressivement, de toute l’Europe, vinrent alors curieux et candidats à l’ascension. Par la suite, la vallée de Chamonix-Mont-Blanc s’adapta rapidement à l’affluence des visiteurs : touristes, scientifiques, artistes, aspirants alpinistes. Le premier abri fut construit en 1853 à mi-parcours de l’ascension du Mont-Blanc ; des artisans se spécialisèrent dans la fabrication de matériel de montagne – à l’image du forgeron chamoniard François Simond qui, dès 1860 adapta sa maîtrise du métier à la fabrication des premiers piolets et crampons. L’entreprise demeure aujourd’hui un des leaders mondiaux du matériel technique pour les alpinistes.
La progressive institutionnalisation de la pratique est due, en grande partie, aux premiers accidents. La Compagnie des Guides de Chamonix est créée en 1821 au lendemain du décès de trois guides dont les services avaient été commandés par le Dr Hamel. Cette compagnie instaure alors des conditions d’exercice et des règles de fonctionnement qui visent autant à assurer la sécurité de tous qu’à promouvoir des valeurs de solidarité entre ses membres.
La Compagnie des Guides était, à l’époque, une structure unique en son genre. L’utilité d’une telle structure pour accueillir et accompagner les touristes et les règles communautaires qui la caractérisent (répartition équitable du travail, caisse de secours) conduiront à la mise en place de structures équivalentes dans les communes des Alpes où l’alpinisme prenait de l’importance (Zermatt ou Grindelwald, 1849, Courmayeur 1850, Saint-Gervais 1864), dans les Pyrénées et, plus tard, dans d‘autres massifs du monde. La Compagnie des Guides de Chamonix forte de 260 membres reste aujourd’hui une référence dans le milieu et la plus grande de toutes.
De 1854 à 1865, la plupart des sommets des Alpes de plus de 4000 mètres furent conquis. L’année 1865 marqua l’apothéose de l’alpinisme dans l’arc alpin avec la première ascension réussie des Grandes-Jorasses, de l’Aiguille Verte, du Cervin et du Mont-Blanc (versant italien) et de 82 autres sommets des Alpes. En 2015 est célébré, à Chamonix-Mont-Blanc, le 150ème anniversaire de cette année exceptionnelle. Ces ascensions furent réalisées par des alpinistes amateurs accompagnés par des guides locaux. Par ailleurs, l’alpinisme se féminise progressivement : deux femmes gravirent le Mont-Blanc en 1809 puis en 1838, et c’est aussi une femme qui réalisera la première ascension hivernale de ce sommet en 1874. Dès les années 1880, la volonté de conquérir des sommets par leurs faces rocheuses – dans l’esprit de découverte d’itinéraires nouveaux – voit le jour, comme en témoigne la première ascension purement rocheuse de l’aiguille du Grépon, en 1881,ainsi que des prouesses aujourd’hui encore étonnantes dans les massifs de l’est de l’arc alpin (Tauern, Dolomites, etc.).Elle a naturellement impliqué de plus en plus l’escalade de parois rocheuses en haute montagne, rendue progressivement plus accessible par la possibilité de s’entraîner et pratiquer toute l’année sur des blocs et des falaises situés en plaine comme à Fontainebleau par exemple.
Les alpinistes se tournèrent par la suite vers les massifs extra-européens. En 1868 l’Anglais Douglas Freshfield, accompagné du guide chamoniard François Devouassoud, réalisa l’ascension du sommet oriental de l’Elbrouz (Caucase, 5621 m.). Puis, avant la fin du XIXème siècle, s’amorcera l’exploration des Andes, des montagnes de l’Afrique de l’Est, de l’Alaska. Au XXème siècle, c’est en Himalaya que se porte surtout la curiosité des alpinistes. En 1920 a lieu la première expédition à l’Everest. A la suite de la deuxième guerre mondiale, des expéditions nationales mobilisent toute leur énergie pour vaincre les 14 sommets de plus de 8000 mètres de la planète. En 1950, une expédition légère, française, réunissant quelques-uns des meilleurs alpinistes de l’époque (trois amateurs et trois guides de Chamonix), sera la première à atteindre le sommet d’un 8000, l’Annapurna, en style alpin. En 1953, un Néo-Zélandais et un sherpa népalais, membres d’une expédition lourde, britannique, atteignent le sommet de l’Everest. C’est en 1964 qu’une expédition chinoise vaincra le dernier des quatorze 8000 mètres encore vierge. Situé en territoire chinois, le pays s’était réservé ce sommet jusqu’alors interdit. A cette époque, vaincre un 8000 ou l’une de ses grandes faces relevait du prestige national. Ces expéditions nationales ne sont plus d’actualité mais les expéditions commerciales ont pris le relais, marquant une nette inflexion par rapport à l’esprit de l’alpinisme. Pour autant, dès 1978, l’Autrichien Peter Habeler et l’Italien Reinhold Messner renouent avec cette éthique : ils réalisent la première ascension de l’Everest sans oxygène, et sans assistance, prouvant ainsi que cette pratique se révèle tout à fait possible sur les hauts sommets himalayens. Cet attachement au « style alpin » conduit aujourd’hui des alpinistes à mettre un point d’honneur à privilégier ce type d’ascension légère et aux très faibles impacts sur l’environnement. Depuis les années 1980, l’alpinisme n’a cessé d’évoluer grâce aux progrès de l’escalade glaciaire et rocheuse.
La réalisation de solitaires en hiver, les enchaînements des plus grands itinéraires, la rapidité des ascensions, le ski extrême renouvellent l’image de l’alpinisme, attestant ainsi de son caractère de culture vivante. La nécessaire recherche – pleine de succès– de nouveaux défis renforce l’exigence de créativité qui est une des principales caractéristiques de l’alpinisme.
L’histoire de l’alpinisme est largement connue des pratiquants. Elle a motivé quantité d’ouvrages et d’articles, de films et d’expositions. Beaucoup de ces productions participent elles-mêmes de l’histoire de l’alpinisme, voire plus largement de l’histoire culturelle de notre civilisation tant elles ont pu marquer la littérature, le cinéma, la peinture et la photographie. Cette histoire telle quelle racontée entre les alpinistes eux-mêmes joue aussi un rôle central dans l’interaction entre les communautés de pratiquants. En effet, l’importance de la narration dans l’expérience de l’alpinisme est centrale : elle inscrit la pratique dans le temps du récit, et lui permet de développer et d’entretenir un sentiment d’appartenance à une communauté de pratiquants qui se veut à la fois ancrée dans des lieux et inscrite dans une histoire en constant renouvellement.
L’histoire de l’alpinisme a un caractère culturel et patrimonial : nombre d’organismes publics ou associatifs entretiennent des centres d’archivages, des bibliothèques, des musées. Des lieux de commémoration tels les pierres tombales des cimetières alpins, qui racontent la carrière alpine du défunt (voir la publication « Lieux de mémoire à Chamonix-Mont-Blanc » éditée par la Ville de Chamonix), et des rituels collectifs, à l’image des Fêtes des guides organisées ici et là, contribuent à cette mise en récit de l’alpinisme et à l’entretien de ces récits. Ainsi, chaque année depuis 1924, la fête annuelle (le 15 août) des guides de la Compagnie des Guides de Chamonix-Mont-Blanc combine hommage aux disparus, remises de médailles aux nouveaux guides diplômés et à leurs compagnons de cordée, bénédiction des cordes et des piolets. Tous les bénéfices des ventes effectuées ce jour-là sont reversés à la Caisse de Secours. Ce genre d’événement, qui a des équivalents dans d’autres communes alpines, constitue un moment fédérateur non seulement pour les professionnels et les amateurs, mais aussi pour l’ensemble des populations locales, compte tenu de l’importance sociale que jouent souvent les guides en leur sein.
D’une manière plus générale, dans les villes alpines, l’histoire de la pratique fait partie d’une mémoire partagée : à Chamonix-Mont-Blanc, par exemple, les rues et places principales portent le nom d’alpinistes célèbres (Balmat, Croz, Whymper, Vallot, Paccard). Sur la place centrale ont été érigés deux monuments en hommage aux premiers ascensionnistes du Mont-Blanc ; le premier, associant le savant genevois Horace Bénédicte de Saussure et le Chamoniard Jacques Balmat, fut inauguré en 1887 avec le concours des Clubs alpins français, suisse, italien, anglais, et avec l’aide de l’Académie des Sciences de Paris. Le second, en l’honneur du docteur chamoniard Michel-Gabriel Paccard, fut érigé lors des festivités du bicentenaire de la première ascension en 1986.Les récits de l’alpinisme trouvent donc place autant dans les publications que dans les rituels et l’agencement des lieux des principales communes touristiques de haute montagne.
Viabilité de l’élément : les menaces
Plusieurs types de menaces planent sur l’alpinisme depuis quelques décennies ; plusieurs correspondent à des tendances bien connues d’évolution de nos sociétés contemporaines : exigence de sécurité, artificialisation du rapport à la nature, marchandisation,judiciarisation, recherche de compétition.
L’artificialisation de l’accès et de la pratique de la haute montagne :
L’accès à la haute montagne tend à être toujours plus aménagé (routes, remontées mécaniques) ; la haute montagne elle-même est toujours plus équipée et balisée, pour des motifs de sécurité et de développement touristique. De leur côté les alpinistes tendent à recourir à des instruments toujours plus sophistiqués (GPS, téléphones portables, radios, etc.). Par ailleurs, les aménagements en haute montagne ont eu progressivement recours à des techniques toujours plus lourdes : hélicoptères pour la construction des abris, perforateurs pour la pose de spits d’assurance et de sécurité. Cette double évolution a conduit à artificialiser le milieu de la haute montagne, au moment où une autre évolution majeure – le changement climatique – en fragilise plusieurs composantes. Acette artificialisation de l’environnement de la pratique constitue moins une menace pour la pratique elle-même, qui de fait s’adapte et se diversifie en conséquence (ski de montagne, drytooling5, trails6 et raids), qu’une menace pour le type de rapport à la nature qui était constitutif de la pratique originelle de l’alpinisme. L’esprit de découverte, voire d’exploration, l’immersion dans un environnement sauvage et la recherche d’un contact non médiatisé entre le pratiquant et son milieu tendent à jouer un rôle moindre dans l’utilisation de la montagne, au détriment de la culture de l’alpinisme. Force est de constater qu’aujourd’hui, du fait de l’artificialisation et des utilisations concurrentes de l’espace montagnard, ainsi que de l’affaiblissement de la connaissance par le grand public des bénéfices humains et sociétaux d’une immersion dans l’altérité de la haute montagne, la recherche de ces bénéfices devient de plus en plus difficile, voire même aléatoire.
La recherche de sécurité
Ces modifications des conditions d’accès à la haute montagne ont conduit aussi à atténuer le sentiment de danger et augmenter parallèlement la prise de risque inconsciente, la haute montagne paraissant d’autant plus accessible que son approche et sa pratique se sont banalisées. Le risque associé à la pratique de l’alpinisme tend ainsi à évoluer, et ceci au moment même où nos sociétés contemporaines tendent à condamner la prise de risque elle-même. Le traitement par la presse des accidents de montagne est révélateur de cette tendance ; l’amplification médiatique des accidents sur le thème de l’ « Alpe homicide », devenu un sujet récurent de la presse grand public, donne une image erronée et négative de l’alpinisme (Cf. « Accidentologie des sports de montagne », ouvrage collectif édité par la Fondation Petzl).Cette évolution, ainsi que le recours croissant de la société aux procédures juridiques, ont incité les pouvoirs publics à introduire des formes toujours plus nombreuses de régulation des pratiques. On observe ainsi une propension des autorités de l’Etat à vouloir limiter la liberté d’action des alpinistes, et des autorités judiciaires à faire évoluer la notion de responsabilité en cas d’accident, notamment la notion de responsabilité partagée au sein de la cordée. Ces évolutions sociales, politiques et juridiques ont eu des effets sur les conditions d’apprentissage des sports de nature et conduit à supprimer bon nombre de centres d’accueil et de formation de jeunes à la montagne. A titre d’illustration, les contraintes toujours croissantes imposées aux sorties scolaires, en particulier quand elles concernent l’accès aux glaciers ou aux refuges, ont conduit à une baisse spectaculaire des journées d’initiation à la haute montagneoffertes aux jeunes Français.
La pression sur le milieu naturel : la tendance à l’artificialisation de l’accès et de la pratique de la haute montagne a conduit à réduire l’importance des aires libres d’équipement alors qu’elles constituent l’environnement requis pour la pratique d’un véritable alpinisme. Ainsi la diversification des modèles et des modalités des pratiques physiques et sportives de montagne, spectaculaire depuis les années 1980, a conduit à la multiplication d’équipements in situ :par exemple, entre 1986 et 2002, les sites d’escalade équipés sont passés du nombre de 870 à 2200.
Cette pression accrue sur le milieu naturel est aussi le fait des alpinistes eux-mêmes. Si la tendance à la concentration spatiale des pratiques sur quelques massifs et lieux privilégiés a conduit les institutions à sensibiliser les pratiquants à redescendre leurs déchets et à prendre en compte les impacts paysagers et écologiques, on assiste aussi à la diffusion de pratiques hors cadres institutionnels (associatif, accompagnement professionnel) parfois peu soucieuses des nuisances qu’elles engendrent.
La montée en puissance de la médiatisation et d’activités de compétition : l’attention croissante des sociétés contemporaines pour les diverses formes de compétition sportive a progressivement distillé son influence dans le monde de l’alpinisme. Il en a résulté l’introduction et la multiplication de compétition de ski en haute montagne (par exemple : l’Alpi ski tour, la Pierra Menta, la Patrouille des Glaciers). En outre, l’attention privilégiée des médias et des réseaux sociaux pour les records et les événements a encouragé la réalisation de performances individuelles toujours plus spectaculaires. Ces évolutions diverses constituent autant de menaces pour l’alpinisme qui met plutôt en avant une éthique de vie, le primat de la solidarité, l’engagement personnel, l’autonomie et une pédagogie de la prise de risques calculée, éléments essentiellement immatériels, non mesurables en mètres ou secondes, et donc moins immédiatement médiatisables de façon simple, sinon simpliste.
Au contraire, la médiatisation croissante des pratiques de haute montagne a conduit à son instrumentalisation dans des contextes qui n’ont plus rien à voir avec l’éthique de l’alpinisme. Des sommets sont investis par des campagnes de publicité, des manifestations politiques, des démonstrations de force en raison de l’impact des images auxquelles ces pratiques peuvent donner lieu.
Ce primat de l’image et de l’événement étend aussi son influence sur les modalités de la pratique de l’alpinisme amateur: au Mont-Blanc comme à l’Everest, on observe qu’une proportion croissante d’ascensionnistes est motivée par le seul souci d’avoir atteint un sommet remarquable, sans grand souci de familiarisation avec la culture de l’alpinisme et avec son environnement social et naturel.
La marchandisation exacerbée : les menaces déjà mentionnées ont été amplifiées par la tendance à la marchandisation de la haute montagne et de l’alpinisme lui-même. On observe qu’une part croissante des courses commandées à des guides de haute montagne ne s’inscrit pas dans un processus long de découverte, d’apprentissage et de pratique. Dans de nombreux cas, la course7 de haute montagne tend à s’apparenter à un produit de consommation, vendu clé en main. Cette évolution est aux antipodes de l’objectif d’acquisition d’autonomie et d’éthique de vie qui se trouve au centre de l’alpinisme. Elle contribue aussi à l’artificialisation du milieu de la haute montagne déjà mentionné, la demande commerciale ayant ses propres exigences en matière d’efficacité et de sécurité. On assiste ainsi à la multiplication des équipements fixes (cordes installés à demeure, câbles, échelles métalliques). Elle contribue enfin à changer les attentes des clients à l’égard des guides de haute montagne, il ne serait pas souhaitable que ces derniers soient de plus en plus assimilés à des entraîneurs sportifs alors qu’ils sont de véritables passeurs culturels. Le rôle de vecteur d’apprentissage, de transmission, d’acculturation que l’alpinisme leur attribuait peut s’en trouver profondément altéré.
À la lumière de ces évolutions, il convient d’envisager des mesures de sauvegarde de l’alpinisme et de veiller à la perpétuation de ce « patrimoine culturel immatériel » dans toutes ses dimensions, techniques, éthiques et culturelles. Il revient aux alpinistes qui explorent les montagnes du monde d’en porter les valeurs.
L’affaiblissement de l’alpinisme au profit de pratiques marchandes, médiatiques ou strictement sportives constituerait une menace pour la diversité culturelle de la France et pour une culture professionnelle qui contribue à la diversité sociale et économique de certaines régions françaises. C’est aussi un certain type de relation à la nature montagnarde, et les bénéfices humains et sociétaux de la pratique, qui se trouvent menacés par ces évolutions.
Il existe, dans les Alpes et ailleurs, une série de structures et d’évènements qui visent à valoriser la diffusion de l’élément, sa transmission, et sa conservation.
La Charte de Sauvegarde de l’alpinisme (Charte pour l’an 2000 Grenoble, 25 février) : elle vise à assurer que ses signataires oeuvrent au maintien de l’alpinisme tel qu’il est décrit dans ce document. La charte comprend deux sections, l’une concernant les communautés de pratiquants, et l’autre les collectivités territoriales :
Communauté de pratiquants : la première section propose un programme pour les associations d’alpinistes qui souhaitent défendre et perpétuer le patrimoine dont ils sont porteurs ;
Collectivités territoriales : la seconde section concerne les territoires où se pratique l’alpinisme. La charte définit des orientations dont peuvent s’inspirer les décideurs pour la gestion des supports matériels permettant la pratique de l’alpinisme, tels que les équipements (cordes, câbles et autres matériels fixes), les sentiers, les refuges et les espaces de repos, les secours, la formation et l’information, la liberté d’accès. En ce qui concerne le Massif du Mont-Blanc, un plan de gestion global de ce territoire, à cheval entre trois pays (CH-I-F), est en cours de programmation.
À ces structures et initiatives ciblant précisément l’alpinisme, s’ajoutent quantité d’autres de portée plus large :
Il existe aussi un ensemble de structures de conservation, de documentation, de recherche et de valorisation qui jouent un rôle important dans la sauvegarde de l’alpinisme en France.
Centres d’expositions, d’interprétation et d’information :
Centres de recherche académique et scientifique :
Participation des communautés et groupes d'individus
Les associations, fédérations et organismes concernés par les pratiques de montagne sont favorables à la reconnaissance de l’alpinisme au patrimoine culturel français ; la communauté et ses représentants, à travers ses réseaux institutionnels et associatifs, s’engageront dans les actions prévues.
L’alpinisme correspond à un ensemble de savoir-faire et de valeurs qui comptent dans la société française aujourd’hui ; mais leur portée étant universelle, l’inscription au patrimoine culturel français devrait constituer une première étape pour une reconnaissance comparable dans d’autres pays où la pratique s’est développée.
Un tel élargissement documenterait ainsi le rôle majeur joué par notre pays dans la naissance de l’alpinisme, son développement universel et la sauvegarde de ses principes constitutifs.
Les communautés et groupes participants à la culture et à la pratique de l alpinisme sont :
Nom de la personne, de l’organisme, de la forme d’expression, de l’espace culturel
Nom : Eric FOURNIER
Fonction : Maire de Chamonix
Nom de la personne rencontrée : Claude MARIN
Rôle ou fonction de la personne rencontrée :
Guide de Haute-Montagne, Chargé de mission « Culture Montagne »
Adresse : 62, allée Taberlet
Ville : Chamonix-Mont-Blanc
Code postal : 74400
Téléphone : 04 50 53 11 13
Télécopieur : 04 50 55 87 20
Adresse de courriel :culture.cm@chamonix.fr
Site Web : www.chamonix-mont-blanc.fr
Coordonnées du lieu d’exercice de la pratique
Sommets et parois d’accès malaisé dans le monde.
En France : dans les Alpes et les Pyrénées.
En particulier dans le massif du Mont-Blanc où, après y être née, la pratique est intense, incitant Chamonix-
Mont-Blanc à être le porteur du projet d’inscription au Patrimoine Culturel Immatériel. (3) Localisation générale
Tous les massifs montagneux du monde.
En France : les massifs définis par la «Loi Montagne» (Loi 85-30 du 9 Janvier 1985), en particulier les Alpes et les Pyrénées.
N° d'inventaire Ministère Culture : 2015_67717_INV_PCI_FRANCE_00360
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk263
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