Le séga du fait de sa large audience participe à renforcer les liens et le sentiment d'appartenance. Il continue d'évoluer et d'explorer différents champs musicaux.

Le séga de La Réunion est une musique, des chants et danses constituant un des marqueurs culturels pratiqué par l'ensemble des Réunionnais-es. Il est représentatif de l'identité culturelle et patrimoniale de La Réunion. Les musiciens jouent avec différents instruments sous la forme d'orchestres plus ou moins grands. Les danseurs de séga sont en couple ou en groupe. Le rythme oscille dans un mélange ternaire et binaire et peut être plus ou moins modéré ou rapide. La danse est un mouvement des hanches et de pas rythmés sur la musique. Le plus souvent l'homme invite la femme à danser. Les deux personnes sont proches sans être collées et évoluent à leur gré avec des pas (devant – derrière, en tournant sur eux-mêmes sans se dissocier et en pliant les genoux dans certaines figures). Lors des bals, plusieurs couples dansent ainsi en même temps. Le séga se pratique dans la sphère familiale, en amateur ou en invitant des professionnels, à l'occasion des événements festifs tels que baptême (chrétien), communion, mariage, anniversaire, déjeuner et dîner dansant ou autre célébration. Il se pratique également dans la sphère publique. Il s'agit là davantage de danse de groupe pour des représentations ou tout simplement en couple, seul ou groupe lors de concerts donnés par des musiciens de séga. Les chants du séga sont majoritairement en créole et s'inspirent de la vie quotidienne, de l'observation de la nature et aussi de la vie politique. Souvent les textes sont abordés de façon humoristique voire sur le ton de la dérision. Le séga du fait de sa large audience participe à renforcer les liens et le sentiment d'appartenance. Il continue d'évoluer et d'explorer différents champs musicaux.

La communauté du séga est constituée de l'ensemble de la population réunionnaise, soit plus de 840 000 habitants, et de sa diaspora. À un moment ou un autre de sa vie, chaque Réunionnais(e), sauf interdit confessionnel, se retrouve à fredonner, chanter, écouter et/ou danser voire simplement regarder et se sentir « en être ». Du côté des musiciens, la communauté est à majorité masculine. Mais, globalement, le séga est partagé par les femmes et les hommes tant comme instrumentiste, chanteur, chanteuse, danseur ou danseuse.
Toutes les tranches d'âge sont concernées. Une approche par catégorie permet de voir l'étendue de la communauté et les différentes manières de faire séga :

• les artistes : compositeurs (musiciens et musiciennes, chanteurs et chanteuses, chorégraphes, comédiens et comédiennes) créent et font évoluer la pratique (musique, chant et danse) ; interprètes (musiciens et musiciennes, chanteurs et chanteuses, danseurs et danseuses) se produisent au sein de groupes folkloriques lors de spectacles (publics ou privés) allant jusqu'à la création de vidéo clips ;
• les danseurs et danseuses en pratique amateur, pour soi, chez soi ou à l'occasion ;
• les studios d'enregistrement ;
• les diffuseurs : radios et télévision régionales, internet avec les supports de réseaux sociaux, les organisateurs de festivals et autres spectacles ;
• les institutions publiques (collectivités) ou organismes privés (SACEM, Pôle régional des Musiques actuelles), qui soutiennent la pratique (diffusion, production et export) ;
• les musicologues et autres chercheurs et chercheuses (amateurs et professionnels), les collectionneurs, les formateurs du Conservatoire à rayonnement régional et d'écoles de musique associatives ;
• les orchestres familiaux.

Cet inventaire a impliqué des membres actifs et représentatifs de la pratique, du fait de leur notoriété et de leur forte implication.

Lieu(x) de la pratique en France

Le séga réunionnais se pratique dans l’île de la Réunion, dans le sud-ouest de l'océan Indien.

 

Pratique similaire en France et/ou à l’étranger

Le séga, sous cette dénomination ou en des termes approchants, se pratique dans les archipels de l'océan Indien : les Mascareignes, avec l'île Rodrigues et l'île Maurice, et les Seychelles. Il se pratique également dans quelques îles éparses de la zone, telles que Agaléga, St-Brandon...Chaque île a son propre séga : le séga tambour et ségakordéon à Rodrigues, le séga ravanne ou le séga tipik ou encore le séga moderne à l'île Maurice. Le séga tremblé, séga kanmtolé, le séga moderne et le moutya aux Seychelles. Ces formes se différencient par les instruments, les rythmes et les danses mais sont issues du même processus de créolisation, tel que l'on peut l'observer dans d'autres lieux, à l’instar du fandango. Le séga traditionnel mauricien et le séga tambour de Rodrigues ont été inscrits sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, respectivement en 2014 et 2017.

Le séga est intimement associé aux pratiques culturelles de La Réunion. Trois éléments principaux structurent la pratique.

La musique

Le rythme particulier mélange binaire et ternaire. Cette juxtaposition de métriques crée un effet syncopé. Elle résulte de la rencontre des rythmes binaires des quadrilles européens et des héritages afro-malgaches, qui donne cette particularité difficilement réductible à l'une ou l'autre des deux sources. La pratique musicale peut être exclusivement instrumentale.

Le texte

Lorsque le séga est chanté, le texte majoritairement en créole réunionnais raconte une histoire organisée avec des refrains et couplets. Il traite de plusieurs thèmes qui peuvent être classés selon les catégories suivantes :

• la vie quotidienne (scènes de vie, histoires de quartier, pratiques sociales) ;
• l'amour et l'un de ses pendants, le dépit amoureux ;
• le portrait d'un personnage, parfois de façon caricaturale ;
• les paysages, sites, cirques, fruits, faune de l'île ;
• la politique (le président de la République Valéry Giscard d'Estaing a écouté plusieurs ségas composés pour sa visite à La Réunion en 1976), le sport (un séga a été composé en janvier 2020 par Guillaume Imare pour l'équipe de football « La Saint-Pierroise », qui faisait un excellent parcours en coupe de France) ;
• l'humour et les anecdotes ;
• la revendication identitaire, l'héritage historique ou la contestation sociale ;
• les croyances.

La danse

Le séga se danse de manière libre ou codifiée, sous forme de figures pour les groupes. Il se danse en couple traditionnellement, mais peut aussi se danser seul. Il existe plusieurs « figures », ou manières de danser : « le piké », le « dos à dos », le « tèr à tèr » et le « chaloupé ». Ces formes représentent un jeu de séduction entre la femme et l'homme, où il s'agit de montrer son talent. Les formes peuvent se combiner. Dans le quadrille (la danse de société), en général, quatre couples effectuent cinq figures : les quatre figures codifiées précitées et une cinquième figure laissée à leur improvisation. Lors des bals et d’autres rencontres dansantes, le séga est l’une des séries de différents genres musicaux. Quand débute une série, sur invitation (le plus souvent l'homme vers la femme), les danseurs vont sur la piste. Il n'y a de limite que la capacité de la piste et l'endurance des danseurs (cavalier – cavalière). Le séga est très présent dans les rencontres des seniors organisés en clubs dits du troisième âge. Lors des concerts, comme pour toutes manifestations de ce genre, les personnes dansent librement devant la scène, seules ou en couple avec compagne, compagnon, voisin du moment.

Lors des spectacles donnés par des groupes folkloriques, le spectacle est donné par les dansseuses. En famille, la pratique se déroule dans le salon, sur la terrasse ou en pique-nique. Une sonorisation supporte la musique. S’ils en disposent, les membres de la famille peuvent jouer eux-mêmes leurs instruments.

La langue principalement utilisée est le créole réunionnais. On trouve quelques rares textes en français.

Patrimoine bâti

Le séga se joue en plein air, dans des pubs, hôtels, dancings, à la maison et dans les grandes salles de concert. Le lieu idéal est couvert et il est possible d’y brancher des instruments électriques. Objets, outils, matériaux supports Les instruments de musique associés apparaissent progressivement en trois grandes périodes.

Les premiers instruments (XVIIIe-XIXe siècles)

Caïambre (Kayamb) : idiophone par secouement, ce grand hochet en radeau est fait de deux panneaux formés de tiges de fleurs de canne à sucre liées ensemble et montées sur un cadre en bois léger. À l'intérieur, on trouve des graines de cascavelle (Arbrus precatorius) ou de conflore (Canna indica), qui produisent un son caractéristique lorsqu'elles s'entrechoquent (bruit des vagues).

Rouleur (Oulèr ou Roulèr) : gros tambour frappé à deux mains, composé d'un vieux baril (initialement, un tronc d'arbre creusé) dont le diamètre moyen correspond à des tonneaux de 60 litres et d'une peau d'animal (généralement le boeuf). Le tonneau est formé de lamelles de bois, cintrées par trois cercles de fer. Le montage de la peau est quant à lui réalisé avec une technique de cordage à la main ou à l'aide de clous (facture ancienne). Cette technique permet d'agir sur la tension de la peau et ainsi d'accorder l'instrument. L'exécutant est assis à cheval sur le tonneau et peut modifier le timbre en appuyant d'un de ses talons sur la peau.

Bobre (Bob) : arc musical, il est composé d'un long arc de bois mesurant 1 à 2 m, parfois plus, d'une corde végétale ou métallique tendue et d'une calebasse séchée et trouée servant de caisse de résonance. Celle-ci est placée contre l'abdomen du joueur qui frappe la corde en rythme avec une longue baguette et fait vibrer la calebasse en la plaquant et en l'éloignant alternativement de son ventre. Il peut produire divers sons et résonances.

Xylophone traditionnel en bois : cet instrument a figuré dans l'instrumentarium de La Réunion au titre de la présence mozambicaine à la fois sur la période de la mise en esclavage et celle des contrats d'engagés. Le Timbila des Chopi (communautés d'Inhambane situé au sud du Mozambique) est inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité (2008).

Le début du XXe siècle

De nouveaux instruments font leur apparition : l'accordéon diatonique puis chromatique et « lakordéon à boush » (harmonica). D’autres sont aussi joués de façon nouvelle : le violon, la guitare, le banjo, la mandoline, le piano, la trompette, le trombone à pistons, le saxophone, le saxhorn (petit tuba), la basse cuivre (hélicon ou soubassophone), le simple peigne à cheveux entouré d'une fine feuille de papier, sur laquelle le musicien souffle en produisant de sa bouche l'air du morceau.

À partir des années 1950

L'instrumentarium s'est enrichi enfin d'autres instruments électriques : guitare, basse, claviers, batterie et contrebasse.

L'apprentissage et la transmission du séga, sur les deux plans de la musique et de la danse, se font principalement de manière informelle à la fois au sein des familles et dans les relations de camaraderie. On regarde et on fait. Dans cette transmission inter-générationnelle, les plus « grands » apprennent aux plus jeunes et intra-familiale. On parle ainsi de « familles de séga » : plusieurs membres de la famille (parents – enfants, compagnon – compagne, frères – soeurs, neveux – nièces, cousins – cousines...) jouent ensemble, constituent des duos, trios et plus, jusqu'à former des orchestres (famille Lahope, famille Pitou, famille Lacaille, famille Manyan, par exemple).

Il est aussi possible d'apprendre au sein de structures d'enseignement. Sauf pour le cas du Groupe folklorique de la Réunion, actif depuis les années 1960, les structures sont assez récentes et existent depuis trente à quarante ans. Les enseignements se distinguent entre cours de musique et cours de danse. Les cours de musique dispensent les bases aux participants et aux participantes : tenue des instruments, formation musicale, répertoire. Ces cours forment de futurs musiciens (instruments et chant). Le séga dispose de partition écrite par les musiciens. Les cours de danse enseignent aux participants et aux participantes l'histoire du séga-maloya, les pas, les différentes figures (en couple ou en groupe). Ces cours forment à devenir danseur ou danseuse pour sa propre pratique ou pour intégrer des ensembles et se produire lors de spectacles. 6

Cette liste non exhaustive présente des personnalités particulièrement actives au sein de la communauté et qui ont participé à l'inventaire.

Bernadette LADAUGE (à gauche dans la vignette), du Groupe folklorique de La Réunion (GFR), est la dirigeante co-fondatrice du groupe depuis 1966. Cette initiative est partagée avec Vonnette Manès et Fatou Payet. Elle enseigne aussi au Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR). Le GFR enseigne les danses traditionnelles de La Réunion. Les cours sont ouverts à tous les publics sous forme d'ateliers. Le GFR se produit également en spectacle avec ses danseurs-ses ou les propose à des organisateurs.

Henry-Claude MOUTOU, musicien et professeur de jazz au CRR, est aussi compositeur, arrangeur et chef d'orchestre. Il est l'un des piliers du séga. Avec sa soeur, Marie-Armande Moutou, et Pierrette Payet-Ducap, ils se présentent souvent en représentation dans les festivals de séga. Il est également membre de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) de la Réunion.

Arnaud BAZIN, collectionneur de disques (78 et 33 tours) de séga de l'océan Indien et professeur de musique, a collaboré au Pôle régional des Musiques actuelles (PRMA). Il anime une émission de radio sur « Radio la 1re », sur le thème des musiques « lontan ». Elle couvre les musiques traditionnelles, dont le séga. Au sein de l'association Kréolart, il circule aussi dans toute l'île avec son Kombi Sound System pour partager et rendre accessible le séga au plus grand nombre.

Jean-Max CAZANOVE, musicien, a co-fondé et dirige l'association les Compères créoles, qui délivre un enseignement sur la danse sous forme d'ateliers dans deux villes de La Réunion (La Possession et L'Entre-Deux). Les cours sont ouverts à tous, enfants et adultes. Les Compères créoles font leurs propres spectacles et proposent leurs danseurs et danseuses à d'autres organisateurs de spectacles. Ils font aussi de la recherche pour mieux faire connaître les musiques traditionnelles de La Réunion et de l'édition pour vulgariser la pratique.

Christian BAPTISTO, musicien, chanteur et compositeur, organise régulièrement des spectacles de séga dans le réseau des grandes salles de diffusion de La Réunion (théâtre de Champ Fleuri à Saint-Denis, théâtre Plein Air de Saint-Gilles et théâtre Luc-Donat au Tampon). Membre de la SACEM Réunion, il a coordonné les premiers ateliers d'insertion par la musique et dispose d'une longue carrière de musicien dans les orchestres de bal (Les Kids, les Play Boys, les Asters, le Club rythmique) et troupes folkloriques (Créolie, Takamaka et Mascareignas).

André Maurice MAUNIER, dit Dédé Maurice, est reconnu pour son implication dès les années 1960 pour les musiques traditionnelles de l'océan Indien et particulièrement le séga. Il a souvent permis à de jeunes talents de se lancer (exemples des Jokarys, Max et Jo Lauret, Jean-Pierre Boyer, tous des musiciens renommés). Son support est l'émission de radio. En 1990, il crée l'association des radios et télévisions de l'océan Indien qui présente l'actualité musicale des îles de l'océan Indien dont la diffusion se fait à l'île Maurice, Rodrigues et les Seychelles.

Jean-Bruno ESCYLE, musicien, chanteur et compositeur du groupe Apolonia, est membre co-fondateur du collectif la Klarté, qui a vocation à faire de la recherche et valoriser la musique réunionnaise par des rencontres dans les quartiers, chez l'habitant (réunions citoyennes). La Klarté prône l'unité du séga et du maloya, ce dernier étant historiquement issu du premier.

Jean-Luc TRULÈS, musicien, danseur, comédien et compositeur, compose la plupart des musiques de scène du Théâtre Vollard (compagnie de théâtre), dont les ségas sont devenus célèbres, tel que séga tremblad... Il aborde le séga à la fois dans sa forme traditionnelle et est porteur de passerelles. Il explore, part de la fanfare, côtoie les genres (classique ou opéra) et assoie les enfants dans de nombreux spectacles de grande ampleur. En 2019, avec sa fille Yaëlle Trulès, ils écrivent le spectacle musical Boudoum Banm, qui allie chant, théâtre et percussions en reprenant les standards du répertoire de la musique réunionnaise. C'est un passeur-découvreur.

Serge DAFREVILLE, musicien, formateur, comédien, organisateur de festival de musique, a fondé l'association Lékol la Mizik Larényon, qui délivre un enseignement auprès des jeunes sous forme d'ateliers et d’interventions dans les écoles. Professeur au CRR, il continue de se produire en spectacle et de contribuer à relier le séga et le maloya. Il joue avec l'une ou l'autre des formations des deux genres. Son association anime aussi des rencontres musicales au sein des hôpitaux pour les jeunes hospitalisés.

Ces personnalités et d'autres encore interviennent au titre des projets d'éducation artistique et culturelle (PEAC) dans les établissements scolaires des premier et second degrés, qui favorisent la transmission du patrimoine commun aux Réunionnais et développent la curiosité pour d’autres disciplines (histoire, géographie, langue, littérature). Le séga est une pratique pluridisciplinaire.

Le texte est, pour l’essentiel, issu des travaux de Fanie Précourt, ethnomusicologue au Pôle régional des Musiques actuelles.

Les origines de la pratique

Les origines du mot séga sont encore incertaines, même si des hypothèses existent. De plus, il a subi plusieurs transformations phonétiques. Des textes anciens à nos jours, il est appelé « Tschiéga », « tsiega », « tchéga », « chéga », « shéga », « ségha » et enfin « séga ». Il est attesté pour la première fois en 1770 dans un texte de Bernardin de Saint-Pierre écrit à l’île de France (actuelle île Maurice).

Le séga désignait, tout d’abord, la pratique des « esclaves Noirs » et serait issu d’un mélange à la fois malgache et mozambicain, enrichi d’un apport indien après l’abolition de l’esclavage et l'arrivée des engagés. « Né d’un exil forcé d’une population servile aux origines diverses, le séga (…) incarne une expression libératrice, une forme d’exutoire, visant à retrouver une part d’humanité face à la dureté du quotidien » [Précourt].

Avant sa créolisation, le terme « séga » pourrait venir de la langue swahili, utilisée en Afrique orientale, qui désigne l’action de retrousser ses habits jusqu’aux genoux pour ne pas les salir. Ce geste est caractéristique des danses bantoues (peuples d’Afrique) et également typique des danseurs et danseuses de séga de l’île de La Réunion. Néanmoins, différents auteurs font remarquer qu'au Mozambique, le « tchega » se rapporterait à une danse très proche du fandango dansé au XVIIe siècle au Portugal (pays colonisateur du Mozambique), en Espagne et au Pays basque. Le fandango, d’origine africaine et ramené en Europe par les Portugais et les Espagnols, nécessite également que les danseuses relèvent leurs jupes. Le fandango est lui-même comparable à la manchega (sorte de fandango bien plus vif et animé), dansée au Portugal et en Espagne, aussi connue sous le nom de séguedille ou ségegilla. Coïncidence phonétique troublante, Manchega désigne aussi un ruban de laine de différentes couleurs, dont on fait des jarretières, donc accessible en retroussant ses habits. Cela se recoupe avec la posture des danseurs-ses et à la définition du mot swahili initial.

En Afrique du Sud, « tshega » définit un pagne triangulaire de peau de chèvre ou de céphalophe, avec une ceinture autour des hanches et la pointe inférieure passant entre les jambes. À la Réunion, les premières iconographies de la danse montrent l’utilisation sur les hanches d’un foulard en guise d’accessoire (cf. lithographie infra).

Un autre lien est fait par les chercheurs, notamment le linguiste Robert Chaudenson, entre le séga et le chica (nommée « danse des Nègres » aux Antilles), danse venue d’Afrique et connue dans les colonies d’Amérique. Les auteurs décrivent des similitudes entre les deux danses : utilisation d’un mouchoir, lascivité, déhanchement… : « (…) Il faudrait voir le mot séga comme une appellation générique désignant toutes formes de manifestations musicales et dansées que les esclaves auraient apporté, puis qui auraient muté graduellement au sein de la société coloniale de l’époque, plutôt qu’un seul genre musical précis qui se serait diffusé d’une île à l’autre. Au moment où les îles de l’océan Indien se différenciaient, des styles musicaux locaux ont pu se développer et se distinguer des pratiques voisines tout en conservant le même nom : séga. »

À l’inverse, une homogénéisation s’est produite en raison des mouvements de populations entre les îles. Ainsi, il est toujours question d’un chant monodique (à une seule voix), accompagné de percussions, qui jouent une rythmique ambiguë caractéristique et de danse pour tous les ségas les plus anciens de l’océan Indien. Au XXe siècle, les ségas ont évolué vers des versions modernes, popularisées, harmonisant des formes musicales antérieures.

 

Dans l’île de la Réunion

Le séga originel, également appelé « danse des Noirs », a évolué de deux façons.

• Du t’siega, ou danse des Noirs, au maloya

Au début du XVIIIe siècle, avec l’émergence de l’économie et de la société de plantation, La Réunion est le centre de la production du café destiné à alimenter le marché français. Pour disposer d’une main d’oeuvre nombreuse et bon marché, le pouvoir colonial développe la traite des esclaves depuis Madagascar et la côte est de l’Afrique. De 1773 à 1810, la traite déporte quelque 50 000 personnes, mises en esclavage à La Réunion. Dans ce cadre social formé par la plantation naît, dans les camps des mis en esclavage, une première forme du séga associant les trois éléments constitutifs essentiels de ce genre musical : une musique particulière, une danse originale et une langue spécifique, le créole.

Durant la période de l’esclavage, les Malgaches et Africains déportés perpétuent certains rites et musiques de leurs cultures originelles qui vont se créoliser. À La Réunion, le séga primitif, ou « danse des Noirs », se pratique dans des contextes sacrés ou profanes : les services kabaré (service malgache, service Kaf), lorsqu’il s’agit de rendre hommage aux ancêtres ou dans les bals des esclaves, « bals des Noirs », devenus « kabars » par la suite. Il se joue sur une musique rythmique faite à partir d’instruments de percussions : tambour rouleur, idiophones « sati » ou « pikèr », triangle, « kayamb » (anciennement caïambre) et parfois d’un arc musical, le « bobre » et d’un lamellophone (le « timbila »).

Les écrits connus à ce jour situent l’apparition du mot maloya au début du XXe siècle, dans le Bulletin de l’Académie des sciences et des arts (1921). Au cours du XXe siècle, ce terme supplante celui de séga des origines, pour désigner le séga des Noirs. Il évoque en malgache les notions de malêtre, de douleur, de tristesse, de plainte. Après l’abolition de l’esclavage (1848), le maloya s’essouffle car trop éloigné de la culture dominante et n’est plus pratiqué qu’à travers les cultes aux ancêtres ou les festivités de l’abolition de l’esclavage. Puis, il prend une dimension politique, notamment avec le Parti communiste réunionnais (PCR), qui le met au-devant de la scène et produit les premiers enregistrements vinyle entièrement consacrés au genre en 1976 (enregistrement de Firmin Viry, lors du 4e Congrès du PCR au Port). Le maloya incarne alors une forme de résistance culturelle. Dans les années 1980, la politique culturelle nationale en faveur de la reconnaissance des identités régionales permet d’inscrire durablement le maloya comme marqueur musical de l’identité réunionnaise. Pour autant, il ne bénéficie que faiblement des ouvertures médiatiques et reste en marge de la production et commercialisation, intimement associé à la lutte et la résistance. Depuis le 1er octobre 2009, le maloya connaît une reconnaissance internationale par son inscription par l’Unesco sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Le lien étroit entre le séga et le maloya explique la volonté des membres de la communauté à voir le séga obtenir la même reconnaissance.

• Du t’siega au séga festif, contemporain avec des apports européens

« Au milieu du XIXe siècle, le quadrille (danse d’origine européenne et à la mode en France) et les danses de salon européennes (contre-danses, valses, polkas, mazurkas, scottish, gavotte…) sont introduites à la Réunion par la bourgeoisie coloniale, principalement composée de militaires issus de différentes couches de la population colonisatrice. Les instruments introduits par les Européens (banjo, mandoline, accordéon, violon, piano…) arrivent avec les danses et musiques. Ces dernières vont se créoliser dans les salons de la bourgeoisie locale puis dans les bals populaires. Elles sont en effet le plus souvent exécutées par des jouars (musiciens routiniers et ménétriers) noirs parfois associés à des musiciens blancs. À travers le mélange progressif des influences afro-malgache et européenne, la cinquième figure du quadrille, rythmiquement plus marquée car teintée de l’héritage afro-malgache, est l’occasion de s’adonner à une chorégraphie plus libre, de couple, propre au séga actuel. » [Frécourt]

Une variante de ce processus de créolisation se déroule quand, au lieu de jouer des mélodies européennes avec une rythmique différente, les musiciens populaires se mettent à jouer sur des instruments européens des airs de leur composition avec des paroles en créole. Ce nouveau séga ou « séga réunionnais » se caractérise « par la conjugaison du rythme africain d’origine, des instruments européens et des airs de morceau – quadrilles de composition locale appelés aussi ségas, qui seront toujours joyeux et de tonalité majeure » [Jean-Pierre La Selve].

À la fin du XIXe siècle, des productions locales voient le jour. Le séga évolue et incarne des quadrilles sur des airs créoles, des paroles sont ajoutées aux airs qui traditionnellement n’étaient qu’instrumentaux. Le séga contemporain est né. À partir de la première moitié du XXe siècle, le séga s’implante au sein du paysage musical réunionnais, aux côtés des danses de salon en vogue (quadrille, polka, valse, mazurkas…), de la musique classique et militaire, des romances d’origine européennes et du maloya, qui a perdu son nom de « danse des Noirs ».

Les premiers enregistrements de séga apparaissent vers 1915. « Les ségas Bourbon », encore sous forme de quadrilles créoles avec des figures composées par Joseph Barre sont alors enregistrés par la maison de disques Pathé.

Georges Fourcade, le barde créole, est immortalisé par la firme Pathé pour l’Exposition universelle de Paris en 1926. Plus tard, les morceaux de séga sont enregistrés dans les studios de la radio pu-blique à Saint-Denis. À partir de 1950, plusieurs radio-crochets, concours de chants populaires en vogue jusqu’aux années 1970-1980, révèlent une longue série de succès qui sont gravés par de nombreux producteurs de phonogrammes jusqu’à l’aube du XXIe siècle (Dindar, Jackman, Disques Royal, Soredisc, Piros, Oasis...). Les bals populaires ainsi que les disques vinyles, les orchestres et la radio, popularisent le séga sur toute l’île. Les bals populaires fleurissent à partir de la seconde moitié du XXe siècle (bal salle verte, bal de l’Hotel d’Europe, bal zarico, bal roz…). Mais, dans les bals de mariage, jusque dans les années 1960, les musiciens doivent attendre l’autorisation des mariés (ou des parents des mariés) pour jouer du séga. En effet, à cette époque, les valses, quadrilles ou airs français et internationaux sont préférés au séga, à l’exception de certains événements [témoignage de Narmine Ducap, musicien renommé, à propos des mariages « malbars » - disque PRMA- Takamba]. Les orchestres de renom, tels que ceux de Jules Arlanda (père et fils), Loulou Pitou, Luc Donat, Serge Barre, des frères Legros, André Philippe, Taquet, Jules Joron, Vinh San ou Le Club rythmique, mettent en avant des chanteurs, tels que Maxime Laope, Benoite Boulard, Michel Admette, Pierrette Payet, Michel Adelaïde…

La période allant du milieu des années 1960 à la fin des années 1970 représente l’âge d’or du séga. Du séga épuré de Georges Fourcade au séga populaire de figures emblématiques, telles que le Roi (Luc Donat) et le Prince (Michel Admette), en passant par le séga de rue (Henri Madoré), le « séga canot », chaloupé faisant référence au tangage des canots de pêcheurs, ou le « séga piqué », avec une accentuation rythmique, ce répertoire varié connaît un franc succès et devient vecteur de sociabilité, favorisant le sentiment d’identité commune.

Les fusions musicales et les ségas d’aujourd’hui

À partir du milieu des années 1970, sous l’impulsion d’une génération de jeunes musiciens talentueux et ouverts aux musiques du monde, dont le plus emblématique est Alain Peters, le séga et le maloya fusionnent en partie, en se teintant d’une grande variété d’influences. Souvent issus d’écoles de musique (Alain Peters a suivi l’enseignement de J. Arlanda fils), de lignées familiales (René Lacaille, Narmine Ducap) ou de groupes jouant dans les bals populaires (M. Fock), ces jeunes, tout en pratiquant le séga, s’ouvraient aux musiques internationales (rock, jazz, soul). L’enregistrement de la cassette « Chante Albany », occasion d’une rencontre entre la poésie créole de Jean Albany et l’expression musicale foisonnante de jeunes Réunionnais, illustre bien ce mélange, fusion de séga et maloya.S’appuyant sur les héritages afro-malgaches et européens des anciens qu’ils réactualisent, ces artistes (divers groupes, dont Les Jokarys, Les Caméléons, Caroussel, Gaby et les Soul Men , René Lacaille, Bernard Brancard, Mascotte, Zoun Toquet, Hervé Imare, Jean-Claude Viadère, Teddy Baptiste, Kiki Mariapin, Bigoun, Joël Gonthier et bien d'autres) donnent un nouveau tournant à la musique locale.

À travers l’électrification des instruments, l’évolution de la structure musicale sous l’influence des musiques internationales, ces précurseurs replacent le métissage au coeur du courant de musique réunionnaise naissant et ouvrent la voie à toute une nouvelle génération de groupes, à l’image de Ziskakan, Bastèr, Ravan’ ou Oussanoussava, ou de compositeurs qui osent désormais faire évoluer le séga en lui associant de nouvelles influences. Cette évolution fait suite à celle observée dans les années 1950, notamment avec l’influence des musiciens malgaches (ensembles Serge Barre, Luc Donat) ou encore l’expérience de Luc Donat (jazz, musiques tzigane, sud-américaine), des musiciens de bal (L. Pitou, Narmine Ducap) ou de groupes, tels que le Club rythmique avec J. Rabeson.

Parmi les courants mondiaux au coeur de ce mouvement de fusion musicale né au cours des années 1970, on retrouve la soul (soul séga), la pop (pop séga), voire le rock, le disco, le reggae et le jazz. Le passage (furtif ou prolongé) dans l’île de musiciens de jazz chevronnés et la mise en place d’un Conservatoire régional de musique (avec son département de jazz) au cours des années 1980 contribuent à favoriser les rencontres entre les musiques réunionnaises et les musiques du monde. Ce brassage a donné lieu à de belles expériences, comme les formations expérimentales autour de F. Jeanneau et Ph. Macé notamment, et à l’éclosion d’une génération de musiciens de jazz ne reniant pas leur héritage séga-maloya (F. Baret, O. K/ourio, M. Gerville…).

Aujourd’hui, le séga est toujours fusion. Il est question de plus en plus de séga-maloya avec les groupes et chanteurs modernes, tels que Apolonia, Séga’El, Missty… Le séga reste populaire, car associé aux ambiances festives créoles, et les chanteurs à la mode (Missty, Séga’El, Dominique Barret, Alain Ramanisum…) sont sollicités dans de nombreuses manifestations locales (foire agricole de Bras-Panon, Miel vert et les Florilèges au Tampon…) ou organisent eux-mêmes des spectacles sur scène, comme la famille Ivara du groupe Manyan.

Les travaux de l'économiste Ho Hai Quang montrent très bien les grandes évolutions et adaptations de la pratique. On retrouve ce travail dans le coffret livre-cd-dvd Le Séga de La Réunion. Danses, codages, illustrations, édité par l'association Les Compères créoles en 2015. La première évolution, musicale, se situe à la croisée entre une question économique et une question de tendance. Le coût du travail est moins élevé à l'île Maurice : aussi, beaucoup de musiciens de séga de la Réunion y font leurs enregistrements en studio. Dans le même souci de réduire les coûts, pour les accompagner, ils s'associent des musiciens mauriciens, qui jouent à partir de leurs références musicales. Le séga mauricien est plus entraînant que celui de La Réunion et trouve de plus en plus de faveur auprès des Réunionnais. Aussi, quand les disques enregistrés à Maurice reviennent avec leur teinte mauricienne, ils ont du succès à La Réunion. Ce fait pousse les musiciens réunionnais à faire évoluer le séga dans ce sens. Ce processus est engagé depuis une vingtaine d'années, à tel point que, parmi les plus gros festivals de séga à La Réunion, les soirées Fiesta mauricienne drainent le plus de public. L'artiste le plus apprécié des Réunionnais est le Mauricien Désiré François du groupe Cassiya.

L'évolution musicale tient aussi à l'apport de nouveaux instruments. Créole, l'identité culturelle réunionnaise résulte d’un processus de créolisation, dans un contexte historique contraint : le capitalisme colonial, avec l'esclavage, puis l'abolition (1848) et l'engagisme. Les apports culturels sont divers entre l'Afrique, Madagascar, les Comores, le monde musulman, l'Asie et l'Inde pour les principaux. Ce creuset de diversités en lutte favorise la création du neuf, en l'occurrence le séga. Au fil du temps, les différentes créations culturelles réunionnaises, après avoir été niées et ostracisées, ont fini à force de lutte et de résistance par s'affirmer. C'est l'opportunité pour le séga d'élargir encore son spectre avec les courants indiens (Ziskakan) et les musiques de la Louisiane et du Québec (Pat' Jaunes). Cette évolution témoigne d'une sorte de complétude après une sorte d'amputation de parts enfouies.

La transformation est partie intégrante des créations culturelles réunionnaises, mais le débat est parfois vif entre les tenants de la tradition et ceux qui incarnent ces évolutions, tout en reconnaissant l'héritage indéniable de la tradition. Jusqu'où les nouvelles créations seront encore séga ?

Vitalité

Le séga réunionnais est dynamique. Il a connu une discrétion, une effervescence puis un essoufflement. De nouveau, la pratique connaît un regain car les membres de la communauté sont motivés pour faire face à l'évolution musicale et atteindre la même reconnaissance internationale que le maloya. La pratique est enseignée et les jeunes, avec leurs transformations, prennent plaisir à faire du séga. Le séga compte toujours parmi l'offre musicale majeure des événements familiaux. Internet donne une forte visibilité par la création de vidéoclips à la pratique portée par les jeunes.

 

Menaces et risques

La pratique n'est pas en danger et parvient à se maintenir malgré le sentiment de mise en concurrence avec des musiques venues d'ailleurs (séga mauricien, zouk…), un appauvrissement de la création dans les textes (répétitifs mais peu élaborés) et la mélodie (standardisée pour plaire), l'impact de la mondialisation sur les valeurs de représentation (marchandisation tropicale pour satisfaire à l'idée que l'on se fait des attentes des touristes) et l'effritement de la transmission du séga traditionnel aux jeunes générations.

Modes de sauvegarde et de valorisation

• Enseignement dans les écoles associatives et au CRR
• Promotion par des spectacles et l'édition d'ouvrages
• Recherche et promotion entre les îles du sud-ouest de l'océan Indien
• Travail engagé au sein des établissements d'enseignement auprès des scolaires et des publics empêchés
• Collaborations avec les acteurs culturels nouveaux, tels les musées Actions de valorisation à signaler
• Exposition T'Schiéga Ségas au musée Stella Matutina à Saint-Leu 2019-2020 présentée par le PRMA
• Festival annuel de séga Le Bourbon All Star dédié aux seniors de la musique réunionnaise organisé par Christian Baptisto
• Soirée annuelle de séga au Théâtre de Champ Fleuri à l'initiative du théâtre pour rendre hommage au genre
• Rencontres annuelle de séga Fé viv nout tradition à l'initiative de l'association Les Compères créoles, réunissant les groupes, musiciens, danseurs et danseuses des îles de l'océan Indien

 

Modes de reconnaissance publique

Le séga est répertorié par l'Union des groupes folkloriques de France et chaque année des représentants de la communauté participent aux rencontres organisées par cet organisme.

Aux Kora Awards, Séga'Èl a été lauréate du prix féminin de la meilleure artiste Europe-Caraïbes en 2012.

Plusieurs salles de diffusion portent le nom de musiciens de séga connus : théâtre Luc-Donat au Tampon, auditorium Pierre-Roselli à Saint-Leu au musée Stella Matutina, centre Maxime-Lahope à Saint-Denis (CRR), centre Jules-Joron à Saint-Pierre (CRR), médiathèque Alain-Peters à Saint- Denis, salle Henri-Madoré à Saint-Philippe…, sans oublier le pont Vinh-San à Saint-Denis.

• Inventaire engagé par le Pôle régional des Musiques actuelles (PRMA), visant à faire la collecte des sons et à créer une phonothèque des musiques traditionnelles de l'océan Indien. Ce projet a démarré en 2019 et s'inscrit dans le cadre d'INTERREG, dispositif européen soutenant, entre autres, les programmes de développement régionaux.
• Inventaire mené par les communautés avec le soutien du Service régional de l'Inventaire de la Réunion depuis juillet 2018.
• Projet d'inscription de la pratique sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité (Unesco).
• Poursuite de toutes les actions précitées, qui participent à la sauvegarde.

Récits liés à la pratique et à la tradition

Pour préparer la présente fiche d’inventaire, un atelier a été organisé le 1er mars 2019, avec plusieurs acteurs du séga, dont Henri-Claude Moutou, Serge Dafreville, Rodolphe Blin, Jean-Max Cazanove et Bernadette Ladauge. Leurs témoignages sont ici retranscrits.

• Arnaud BAZIN

Le séga est une musique de fusion, c’est une réunion de musiques.

• Rodolphe BLIN

À la Réunion, on a encore ce complexe d’infériorité par rapport à ce qui arrive de l’extérieur. Ça nous vient de notre histoire et ça pèse sur tout et donc forcément sur le séga. Nous avons à casser ça auprès de nos jeunes, quand on travaille auprès d’eux dans les écoles et dans les associations, car nous sommes en train de nous autodétruire. Les nouvelles générations doivent être fières de ce qu’on est et de notre culture en général. Avec tous les apports extérieurs qu’ils reçoivent, par internet, l’école et autres, au détriment d’apports sur La Réunion, ils ont très peu de repères. La musique, la danse et le chant sont indissociables et vont évoluer ensemble. Il est important de les codifier pour les transmettre, les enseigner. Il ne faut pas penser que codifier, c’est momifier. J’ai vu comment ça se passe à Cuba au Conservatoire. Ils y apprennent différents styles de musique, mais ils commencent par leur musique traditionnelle. La première chose qu’ils apprennent, c’est la clave. Quand on maîtrise sa musique traditionnelle, on passe à la musique classique et au jazz.

• Jean Max CAZANOVE

Notre force à La Réunion a toujours été de prendre tous les apports extérieurs et de le digérer mais, aujourd’hui, on est face à une machine puissante qui est en train de nous digérer : la mondialisation, qui veut mettre partout la même musique, la même culture. Le grand combat qu’on a à mener, c’est la transmission dans les écoles. Je fais ma part, je forme des enfants en vue de créer une troupe folklorique et puis, à force de répéter « Tu poses ton pied comme ça, puis tu pousses… », j’ai fini par écrire un livre pour leur expliquer comment on danse. J'ai moi-même débuté dans le Groupe folklorique de La Réunion alors, j’ai détaillé, avec des dessins, le code de toutes les figures de danses traditionnelles : le tèr a tèr, le dos à dos, le piké…

• Serge DAFREVILLE

Sur scène, je présente aux spectateurs un séga que je joue en maloya et inversement. Je suis à l’aise dans les deux. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire et en public. Sur le plan rythmique, on peut accentuer plus le côté ternaire ou binaire. On peut dire binaire à subdivision ternaire ou inversement. J’ai créé un mouvement, une association avec une école, « Lékol la Mizik Larényon », où on travaille sur l’axe séga-maloya, sans autres apports extérieurs, et aussi un orchestre qui s’appelle (je n’ai pas peur) « Lorkès Nasional Larényon ». Dans mon école, il y a un intervenant en langue créole, qui travaille sur toutes les graphies : KWZ, étymologique…, en rapportant ensuite la langue à la musique. Un autre intervenant apprend la partie théorique et puis, il y a les « jouar », musiciens qui apprennent à jouer sans passer de A à Z. La principale difficulté, c’est d’inscrire ça dans le cadre, dans les programmes scolaires. Pour l’instant, on contourne, on ruse, on passe par les directeurs d’école ou les enseignants qu’on connaît. On passe aussi des conventions avec un hôpital pour faire un atelier le samedi avec les patients.

• Bernadette LADAUGE

Moi, petite créole blanche de Saint-Denis, j’ai découvert tout un pan de mon identité que je ne connaissais pas, avec Firmin Viry et Simon Lagarrigue, qui me disaient : « Tout sé d’séga » (tout est séga). Le séga et le maloya sont comme un frère et une soeur qui ont le même sang. Le maloya festif, c’est du séga. Le séga créole, c’est du séga kaf (séga des noirs), mélangé avec de la musique française, dont le principal apport est les instruments (piano, guitare, accordéon, violon…). Le folklore, c’est le savoir populaire (science du peuple). Faire du folklore, c’est redonner un sens identitaire à notre patrimoine, à notre séga. La singularité du séga réunionnais réside dans sa triple influence malgache, africaine et européenne.

Ainsi, les danses provinciales folkloriques françaises (gigues, bourrées, gavottes) ont été consacrées par la nouvelle noblesse impériale militaire. On notera la forte influence de la musique militaire en Europe à partir des années 1830 (waltz – volte => valse, brabançonne, mazurka, scot - tish, polka). Toutes ces influences sont ramenées d’Europe par les étudiants bourbonnais puis refaçonnées au rythme des esclaves noirs dans la colonie. L’identité réunionnaise est marquée par une Trinité : le parlé (Kozé) créole, le séga créole et le cari créole ! Le séga constitue là un élément de partage sans frontière, fédérateur dans les bons moments comme dans les temps les plus durs. Le séga est notre sang commun avec les autres îles de l’océan Indien, Madagascar étant comme la Mère dans cette image. Séga et maloya sont des frères siamois, ils ont un seul coeur et le même sang !

• Henry-Claude MOUTOU

La clave du séga, on la voit bien avec le batteur. Quand le morceau commence, il pose sa baguette sur le rebord de la caisse et il frappe la clave qui fait « toc-Toc toc ». Le rythme du séga est ternaire. On a ça aussi dans la musique sud-américaine. On voit la différence quand on voit un zorèy- français (qui reste binaire) ou un créole-réunionnais (ternaire) danser le séga. On le voit aussi avec Maxime Leforestier, qui reprend un séga mauricien « Anbalaba », ou Bernard Lavilliers, qui chante « Rèss là Maloya ! » d’Alain Peters. C’est culturel. Ils n’ont pas grandi dans ce milieu et n’entendent pas notre rythme à notre manière. Ils pourront y arriver à condition de s’ancrer dans notre culture, mais je n’en ai pas vu beaucoup le faire. Il ne faut pas oublier la partie européenne des maîtres, des Blancs qui sont arrivés ici en amenant avec eux une autre musique : une sorte de polka, le quadrille, la scottish… Ce sont les musiciens esclaves qui ont commencé à mélanger leur rythme ternaire avec le binaire des polkas. On l’entend bien dans une chanson « Zoizo », chantée par Les Jokarys, où on passe du binaire au ternaire. Au Conservatoire, je fais travailler mes élèves là-dessus. Je n’enseigne pas la musique réunionnaise, mais j’enseigne à mes élèves qu’il y a un patrimoine de « séga lontan » et je leur apprends le rythme du séga.

• Gilberte ROUGEMONT

Le séga est l’expression d’un peuple, le peuple réunionnais qui évolue. Ma grande fierté, c’est d’avoir appris le plaisir du séga aux enfants du groupe Salazèl. Au début, les enfants appelaient ça « la musique des dinosaures ». Aujourd’hui, ils aiment chanter et danser le séga. Moi, j’ai vécu une autre époque ; j’ai connu les petits bals de quartiers, où j’allais chanter dans des orchestres avec Narmine Ducap, qui était aussi un grand Monsieur, qui faisait de jolies musiques. Je me sens plus proche du séga des années 1970-1980 que de la musique actuelle. Ce qui me fait le plus peur, c’est l’appauvrissement des productions de séga. Certains pensent qu’il suffit de mettre une petite phrase sur une musique pour faire un séga.

• Daniel VABOIS

Le séga et le maloya sont deux branches d’un même arbre. Jean-Pierre Laselve en a parlé : il y a des morceaux de chansons qui sont mis l’un dans l’autre (un peu séga, un peu maloya). Les deux ont une même souche. C’est une erreur d’avoir séparé les deux. On essaie de rattraper cette erreur aujourd’hui et le discours à avoir, c’est de parler des musiques traditionnelles de La Réunion. On parle aussi de musiciens traditionnels réunionnais, pas de ségatier, ni de maloyeur. Il ne faut pas faire de différence entre le séga et le maloya. Cette dualité pose problème. Mon séga coup de coeur, c’est « Voleur canard » de Jules Joron.

 

Bibliographie sommaire

• BAPTISTO Christian et Huguette, Rois, reines, princes, princesses, les grands de la musique réunionnaise, s.l., Association Les Chokas, 2019.
• BAREGE Sandrine, JONCA Fabienne, Petites histoires des musiques réunionnaises, Sainte- Clotilde, 4 épices éditions, 2012.
• CAZANOVE Jean-Max, Le Séga réunionnais, danse, codage et illustrations, La Possession, Les Compères créoles, 2015.
• Coll., Issac Guény, danses créoles, patrimoine de La réunion, musiques oubliées, s.l., Kreol’Art, 2009.
• DAVID Christophe, LADAUGE Bernadette, Un siècle de musique réunionnaise, partitions de partitions réalisées par Jules Arlanda, Guillaume Legras et Christophe Bourgeois, s.l., Association Lacaze, 2004.
• FILLIOL Xavier, Les Musiques à la Réunion, dossier des Cahiers de Notre Histoire, Éditions CNH, août 1993, no 39.
• LA SELVE Jean-Pierre, Musiques traditionnelles de La Réunion, Saint-Denis, Azalées éditions, 1995 ; éd. augm. Kreol’Art, 2015.
• LAOPE Maxime, 32 ans de chansons créoles : recueil de 32 refrains à succès de 1953 à 1985 de la Réunion, mis en musique par Jules Arlanda, s.l., 1985 [Université de La Réunion, SCD, 1MAG 27154].
• LAOPE Maxime, Chapeau l'artiste ! Réédition d'enregistrements originaux de 1949 à 1989, Saint-Denis, Pôle régional des musiques actuelles de la Réunion, 2012. • Lo group Ziskakan, La kopi bann poèm. Romans, séga, maloya : kabaré kréol, s.l., Les Chemins de la liberté, 1980 [Université de La Réunion, SCD, 1MAG 27898]
• MARTINEAU Muriel, éd., Chansons longtemps, séga séga. 21 chansons de l’île de La Réunion, Saint-Denis, Éditions Hi-Land Océan indien, 1994.
• Musée national des Arts et Traditions populaires, Tropiques métis : mémoires et cultures de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion, Paris, Réunion des musées nationaux, 1998.
• PITOU Loulou, accordéon, BOULARD Benoîte, chant, Du quadrille créole au séga, Saint-Denis, Pôle régional des musiques actuelles de la Réunion-Discorama / Paris, CDMail, 2007.
• Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion, Séga maloya : île de La Réunion, Saint-Denis, Éditions Hi-Land Océan indien, 2000 [Université de La Réunion, SCD, REU 780 SEG].
• Pôle régional des musiques actuelles de la Réunion, Luc Donat, le roi du séga, Saint-Denis / Paris, CDMail, 2004.
• SAMSON Guillaume, Réflexions sur le champ musical réunionnais, Paris, Association réunionnaise Communication et culture, 2010 [Université de La Réunion, SCD, S-REU 780 SAM].

 

Filmographie sommaire

• Documentaire

« Le séga de la Réunion. Histoire et témoignages / Les Compères créoles », réal. Ho Hai Quang et Laurent Lindebrings, La Possession, Les Compères créoles, DVD, 2015 [Université de La Réunion, SCD, I-REU 780 HO].

• Reportages sur la fabrication du bobre et du caïmbre

https://www.youtube.com/watch?v=WHf0vgqbl68
https://www.youtube.com/watch?v=dfAyVXzqubo

• Cours de danses traditionnelles de Bernadette Ladauge (Conservatoire à rayonnement régional)

https://www.youtube.com/watch?v=cuuxzfNJnF4

 

Sitographie sommaire

• Articles du blog « Clicanoo »

https://www.clicanoo.re/dossier-sega/Culture-Loisirs/Article/2017/10/29/Comment-le-segaretrouve- enfin-ses-lettres-de

https://www.clicanoo.re/dossier-sega/Culture-Loisirs/Article/2017/10/29/La-saga-du-segareunionnais_ 497925

https://www.clicanoo.re/dossier-sega/Culture-Loisirs/Article/2017/10/29/Avec-le-sega-memedes- grands-musiciens-ont-des

https://www.clicanoo.re/dossier-sega/Culture-Loisirs/Article/2017/10/28/Un-retour-debalancier- logique_497891

https://www.clicanoo.re/dossier-sega/Culture-Loisirs/Article/2017/10/29/Ces-portraitsmarqueront- lhistoire_497894

https://www.clicanoo.re/Societe/Article/2013/06/20/Sully-Fontaine-du-Waki-Band-Beaucoupde- gens-sont-nostalgiques_251068

 

• Article « Le chaînon manquant du séga maloya »

http://7lameslamer.net/le-chainon-manquant-du-sega-maloya-1539.html

• Article

« L’Olympia va vibrer au rythme du maloya et du sega »
journal Culture http://www.journal.re/culture/lolympia-va-vibrer-au-rythme-du-maloya-et-du-sega.html

• Autres sites

http://www.cannedeau-reunion.com  https://comperes-creoles.jimdo.com

• Arnaud BAZIN, collecteur, musicien, professeur de musique et animateur radio, arno.bazin@gmail.com
• Jean-Max CAZANOVE, leader du groupe folklorique « Les Compères créoles », lescomperescreoles@gmail.com
• Bernadette LADAUGE, membre du « Groupe folklorique de La Réunion », formatrice au CCR en danses traditionnelles de La Réunion, commune de Saint-Denis
• Sully FONTAINE, fondateur de l’orchestre de cuivres le « Waki Band », fontainesully@gmail.com
• Michou (Marie-Christiane, Denise DUCAP-ALBAC), compositrice, musicienne, chanteuse de séga, commune de Saint-Denis
• Henry-Claude MOUTOU, musiciens, professeur de jazz au CRR, moutou.henry-claude@orange.fr
• Fanie PRECOURT, ethnomusicologue, responsable du Patrimoine au PRMA, patrimoine@prmareunion.fr 
• Gilberte ROUGEMONT, enseignante à la retraite et fondatrice du groupe folklorique « Les Salazel » (groupe de jeunes chanteurs et danseurs issu du Cirque de Salazie), commune de Salazie
• Daniel VABOIS, auteur, chanteur humoriste, membre de l’Association de sauvegarde de l’identité réunionnaise, commune de Trois-Bassins

Rédacteur(s) de la fiche

• Frédérique BELAIR, consultante indépendante, danseuse amateur, eurekaconseil.fb@gmail.com

• Valérie GERMAIN-PAYET, chargée de mission Valorisation du patrimoine, Secrétariat général Hauts, danseuse de séga, valerie.germain@sghauts.re

• Daniel GUERIN, chef de projet Porte de Parc (PNR) pour le développement touristique, commune de Sainte-Marie, Daniel.GUERIN@ville-salazie.fr

• Raymond LEBON, chargé de mission et responsable pôle Développement du patrimoine dans les Hauts, Secrétariat général Hauts, raymond.lebon@sghauts.re

• Jean-François REBEYROTTE, chargé de l'Observatoire régional des publics, pôle muséo, Région Réunion, jean-francois.rebeyrotte@cr-reunion.fr

Enquêteur(s) ou chercheur(s) associés ou membre(s) de l’éventuel comité scientifique instauré

Éric ALENDROIT, chargé de mission Inventaires et référent PCI au Service régional de l’Inventaire de la Réunion

Lieux(x) et date/période de l’enquête :  Île de La Réunion, juillet 2018-février 2020
Date de remise de la fiche : 12 février 2020

Année d’inclusion à l’inventaire : 2020
N° de la fiche: 2020_67717_INV_PCI_FRANCE_00464
Identifiant ARKH: ark:/67717/nvhdhrrvswvk25d

Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
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