Tous les 21 août, depuis 1856, l’alcade d’Isaba et les maires (ou leurs représentants) des communes françaises qui partagent une frontière commune avec Isaba, se retrouvent à « La Pierre Saint-Martin » pour signer un acte de reconnaissance des bornes frontières et partager un repas. Les communes françaises concernées sont, d’ouest en est, Sainte-Engrâce (vallée de Soule), Arette et Aramits (vallée de Barétous) et Lées-Athas (vallée d’Aspe). Les documents signés sont des Procès verbaux de bornage international, en exécution de l’article 19 du Traité des limites du 14 avril 1863. Des bergers s’y rendent également spontanément, ainsi que des amis des participants, des curieux, des invités (chercheurs, journalistes). Le RV est donné à midi. En arrivant dans la cabane (ou refuge) à proximité de la borne frontière 262, deux cuisiniers s’affairent déjà depuis quelques heures autour du ragoût de mouton. Dans la salle, à côté de la porte, une table est couverte de victuailles et de boissons pour l’apéritif. Les délégations des communes françaises y déposent en entrent leur « offrande » : traditionnellement une poule au pot ou poule confite, et de façon plus récente des bouteilles d’Armagnac. Deux autres grandes tables sont dressées, prêtes à recevoir les convives, et dans un coin, entre la cuisine et la fenêtre, l’alcade d’Isabe s’asseoit devant une petite table. Il invite alors de toute sa voix les délégations à le rejoindre à tour de rôle. D’abord Arette, Lées-Athas, Sainte-Engrâce et Aramits. A chaque fois tous signent les différents exemplaires de l’acte et y apposent les sceaux de leur commune. L’affaire ne dure pas plus de quinze minutes.

Ensuite l’apéritif est servi et chacun fait connaissance avec les autres. Car d’une année sur l’autre certains représentants changent, soit à la suite d’élections municipales, soit par un roulement prévu (c’est le cas à Sainte-Engrâce), soit que l’un des représentants habituels (c’est le cas à Arette) ait un empêchement. S’en suit un repas convivial, à la fin duquel des chants s’élèvent, avant que chacun ne reparte vers son village.

Au moment de l’enquête, personne ne va plus vérifier la présence et l’état des bornes le jour même. Seule la borne 262 toute proche est visitée par le maire d’Arette. L’acte de reconnaissance est devenu symbolique. Dans les faits, ce sont les bergers (dont certains sont eux-mêmes des élus délégués au jour des limites) qui au cours de l’été, en fonction du parcours de leurs troupeaux visualisent ces bornes frontières. Si l’une d’elles venait à manquer, à être déplacée ou détériorée, les édiles en seraient aussitôt avertis. La confiance est ainsi de mise, dans un contexte parfaitement apaisé contrairement à celui précédant le Traité des Pyrénées. En définitive, au-delà de son caractère officiel, le jour des limites est une également une occasion supplémentaire de célébrer la paix et l’amitié transfrontalière. Particulièrement confidentielle, cette pratique est souvent décrite par comparaison avec la Junte de Roncal qui se tient au même lieu, par les personnes rencontrées. Le jour des limites est ainsi moins connu, il y a moins de personnes présentes. Le jour des limites est plus administratif, il y a moins de protocole et moins de folklore (il n’y a ni costume traditionnel, ni musiciens ou danseurs invités). Il concerne surtout les maires, et peu les bergers.

Procès-verbaux, cachets des mairies.

Actes juridiques, renouvelés annuellement, relevant la présence des bornes frontières entre la France et l’Espagne. Ici plus particulièrement les actes émis rassemblent les communes françaises ayant confronts avec la commune espagnole d’Isaba.

Dans le refuge à proximité de la borne frontière 262, au lieu-dit « La Pierre Saint-Martin » sur la commune d’Isaba, vallée de Roncal en territoire Espagnol.

Plusieurs maires interrogés ont fait remarquer qu’il n’y a pas « grand-chose à faire ». En effet, il s’agit essentiellement de signer un document en plusieurs exemplaires. Tous ont été informés du protocole par leurs prédécesseurs.

Historique général :

 La signature de la reconnaissance des bornes frontières entre la France et l’Espagne est liée à la modification et à l’actualisation du Traité des Pyrénées dit « Traité de Bayonne » en date du 2 décembre 1856. Ce Traité, faisant suite à de nombreux conflits entre agropasteurs sur les prairies d’estives et pêcheurs sur l’embouchure de la Bidassoa et le port de Bayonne, fixe les droits des populations frontalières ainsi que les limites des deux Souverainetés depuis le sommet d’Analara (confins du département des Basses-Pyrénées, et des provinces de Navarre et d’Aragon) jusqu’à la Bidassoa. Ce premier Traité sera suivit de deux autres, en 1862 et 1866, poursuivant le travail de fixation de la frontière depuis le sommet d’Analara jusqu’à la Méditerranée.

 

Historique particulier de l'entreprise, de la personne ou de l'organisme, de la forme d'expression ou de l'espace culturel faisant l’objet de la fiche :

Le jour des limites tel qu’il se déroule à La pierre Saint-Martin, tous les 21 août depuis 1856, répond à d’autres accords similaires et toujours vivants le long de la frontière sur l’ensemble du département des Pyrénées-Atlantiques. Si cette journée n’a pas retenu l’attention des historiens et des chercheurs de terrain, elle n’en est pas moins importante pour ceux qui y participent. Elle permet, en fin de saison d’estive, de faire le point sur les troupeaux en présence et les difficultés rencontrées durant la campagne estivale. Aujourd’hui, si ce point est toujours présent, il est intéressant de remarquer qu’autour du repas se préfigurent un certain nombre d’actions d’aménagement territoriaux transfrontaliers et de traitement de dossiers européens. La date des rencontres est immuable, elle voit ainsi converger des élus d’autres municipalités, venus régler des affaires en souffrance ou prendre rendez-vous avec l’alcalde d’Isaba.
L’enquête de terrain révèle que la transmission de cette journée aux générations précédentes fonctionnait comme un rite de passage : l’élu qui se rendait au rendez-vous annuel amenait avec lui un enfant âgé de 7 à 12 ans, la route n’existant que depuis les années 1960, c’est à pied que le chemin était parcourus. La marche qui pouvait durer de 4 à 6 heures était l’occasion de faire découvrir au jeune enfant les confins de la commune ainsi que les bornes frontières. Sur le lieu du rendez-vous, avant la signature des procès-verbaux, si les bornes n’avaient pas été « vues » lors de la montée, les enfants partaient en cohorte à la découverte de celles-ci puis revenaient annoncer la nouvelle qu’elles n’avaient pas bougées. Les documents étaient signés et le repas débutait. Avant la construction du refuge, jusque dans les années 1970, le repas se prenait au lieu dit « le Civadèr », versant sud (commune d’Isaba), replat aménagé et couvert d’une toile tendue en cas de mauvais temps. Dans la matinée les bergers d’Isaba avaient préparé un navarin d’agneau (cordero al chilindron) dans une grande marmite, en remerciement de ce plat, ils recevaient des poules farcies fraichement préparées et garnies pour être cuisinées en « poule au pot », du café et de l’armagnac.
Au moment du repas, chacun coupait une épaisse tranche de pain et, muni de ce tranchoir, puisait avec la fourchette dans la grande marmite. Actuellement tout se déroule dans le refuge construit par la municipalité d’Isaba, les agropasteurs sont moins nombreux et la déprise du milieu agricole est plus profonde en vallée de Roncal que de Barétous, pour preuve, il n’y avait pas de berger espagnol lors des rencontres du 21 août 2014. Les procès-verbaux sont conservés dans les communes concernées, un double est envoyé à la Préfecture de Pau.

ASSIER-ANDRIEUX Louis, 2001« Penser le temps culturel du droit. Le destin anthropologique du concept de coutume », L’Homme, n° 160, pp. 67-90.

DESPLAT Christian, 1993, La guerre oubliée. Guerres paysannes dans les Pyrénées (XIIe-XIXe siècle), Pau, Editions J&D.

DESPLAT Christian, 1996, « La guerre des Limites, 1827-1836 », Pyrénées terres-frontières, Paris, Editions du CTHS, pp. 27-42.

VAYSSIERE Bertrand, 2007, « La frontière franco-espagnole et l’Europe : le dépassement des limites ? », Annales du Midi,119, 259, pp. 351-371.

Dates et lieu(x) de l’enquête : 21 août 2012, 2013 et 2014, à La Pierre Saint-Martin.
Date de la fiche d’inventaire : 30 septembre 2014
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Jean-Jacques Castéret, Patricia Heiniger-Castéret, Mathilde Lamothe et Cendrine Lagoueyte, Laboratoire ITEM, EA 3002.
Nom du rédacteur de la fiche : Cendrine Lagoueyte, Laboratoire ITEM, EA 3002, programme de recherches « Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel en Aquitaine », Université de Pau et des Pays de l’Adour.

 

 

N° d'inventaire Ministère Culture : 2014_67717_INV_PCI_FRANCE_00329

Identifiant ARK :  ark:/67717/nvhdhrrvswvk29c

Généré depuis Wikidata