Chanter « à la marche » correspond en Haute‐Bretagne à une pratique bien précise.
Pratique de chant à répondre effectuée en marchant, utilisant un répertoire spécifiquement dédié à cet usage, et facilitant l’effort de la marche sur de longues distances.
Pratique de chant à répondre effectuée en marchant, utilisant un répertoire spécifiquement dédié à cet usage, et facilitant l’effort de la marche sur de longues distances.
Chanter « à la marche » correspond en Haute‐Bretagne à une pratique bien précise : il s’agit d’une pratique de chant à répondre effectuée en marchant et utilisant un répertoire abondant et spécifiquement dédié à cet usage. La finalité de la pratique, outre le plaisir du chant pour lui‐même, est de faciliter l’effort que constitue la marche sur de longues distances.
Déroulement :
Un (ou quelques) meneur(s) mènent le chant qui est répété par l’ensemble de l’assistance. Le chant s’effectue en marchant sur des distances relativement longues (plusieurs kilomètres). Une fois le chant bien installé, les marcheurs se mettent au pas en suivant la cadence du chant, consciemment ou non. Chacun peut mener un chant quand il le souhaite, même si certains chanteurs réputés peuvent être plus sollicités, en fonction des circonstances. Les chants utilisés sont spécifiquement adaptés à la cadence propre à la marche, patinés en quelque sorte par l’usage et la tradition orale, au point que beaucoup sont immédiatement reconnaissables comme étant des « marches ». Leur effet pour donner de l’entrain, pour faire « lever le pied », pour créer une forme de cohésion entre les marcheurs et pour faire oublier l’effort est très directement perceptible, et est encore accentué par le savoir‐faire du meneur. Dans certaines circonstances, et lorsque la largeur du chemin le permet, les chanteurs se tiennent bras dessous, bras dessous, accentuant encore par là l’effet de cohésion et l’entraînement collectif dans le mouvement de marche.
La zone géographique dans la pratique traditionnelle :
Si la pratique de « chanter en marchant » peut se retrouver un peu partout en Haute‐ Bretagne (on entendra par là dans certaines régions l’habitude de chanter deux ou trois chansons, toujours les mêmes, tous ensemble, les jours de noces essentiellement, et le plus souvent accompagnés d’un sonneur d’accordéon), la véritable pratique du chant « à la marche » correspond à une zone bien précise en Haute‐Bretagne . Cette zone se situe entre la frontière linguistique à l’ouest (qui va de l’ouest de Saint‐Brieuc à l’est de Vannes en passant près de Pontivy) à une ligne qui part de l’est de Dinan pour rejoindre le nord de Châteaubriant en passant par Saint‐Méen‐le‐Grand et Guichen. La zone inclut donc la quasi totalité des Côtes‐d’Armor gallèses, la totalité du Morbihan gallo, la pointe sud‐ouest de l’Ille‐et‐Vilaine et de la quasi‐totalité de la Loire‐Atlantique. Elle exclut donc le bassin de Rennes, le nord et l’est de l’Ille‐et‐Vilaine, ainsi qu’une petite frange est des Côtes‐d’Armor et le sud et sud‐est de Nantes. Les enquêtes faites sur le terrain montrent que la pratique et la richesse du répertoire ne connaissent pas la même intensité partout dans cette zone. Les régions de Redon et de Ploërmel semblent être les plus riches : on a pu y enregistrer fréquemment des porteurs de tradition qui connaissaient jusqu’à une centaine de chants «à la marche» (chants à décompter et chants à textes cumulés). proximité de la ligne orientale de la zone, surtout dans les parties sud et nord, il est plus fréquent de trouver des répertoires de 5 à 10 chants à décompter au maximum.
La zone géographique dans la pratique actuelle :
La pratique actuelle du chant à la marche dans le cadre de « randonnées chantées » s’est aujourd’hui répandue dans toute la Haute‐Bretagne, même si la pratique reste plus forte dans la région où le chant à la marche était connu traditionnellement. La pratique s’est aussi exportée dans des zones où elle n’était pas connue traditionnellement (Basse‐Bretagne, Haute‐Normandie).
Le répertoire :
Dans la zone où le chant « à la marche » était ancré dans la tradition, un répertoire très important a été recueilli. Le nombre de versions recueillies se compte par milliers. On peut distinguer dans ce répertoire deux types de chants : les chants à texte et les chants énumératifs « à décompter ». Parmi les chants à texte, on trouve essentiellement des chants « en laisse », c’est à dire des chants construits sur une succession de couplets courts (un ou deux vers) assonancés et combinés avec un refrain soit interne (ritournelle ou onomatopée insérée dans le couplet), soit externe. Très souvent, la mélodie combine un premier vers qui est répété par l’assistance avec un deuxième qui est chanté seul par le meneur puis un refrain qui est répété. Le deuxième vers est alors repris pour devenir le premier vers du couplet suivant et ainsi de suite. Cette technique est extrêmement favorable pour la mémorisation et pour faciliter les réponses. On trouve par ailleurs dans le répertoire des chants de marche les chants « à décompter », souvent appelés « chants à dizaine ». Il s’agit de chants construits sur un seul couplet contenant un élément qui est compté ou décompté, que l’on répète dix fois en allant le plus souvent de dix à un (exemple : « C’est à dix heures dans la plaine... » , puis « C’est à neuf heures dans la plaine... », etc.) Cette tradition de chants à décompter est extrêmement forte dans la région du chant à la marche. Cette technique est aussi utilisée pour le chant à danser. Elle permet aux chanteurs de disposer d’un répertoire d’airs important avec un effort de mémorisation de paroles minimum. On peut aussi penser que l’aspect répétitif de cette façon de faire a son importance, d’une part pour faciliter l’apprentissage global du répertoire, d’autre part pour installer le marcheur ou le danseur dans une sorte d’état second, ou de « lâcher‐prise » favorable à la détente, à l’oubli de l’effort en cours.
Dans toute la zone décrite ci‐dessus, la pratique du chant à la marche se fait bien évidemment sur les routes ou les chemins, d’une largeur suffisante pour que les chanteurs puissent être relativement groupés, et dans la limite d’une circulation automobile réduite pour ce qui concerne la pratique actuelle.
Dans la tradition, l’apprentissage se faisait uniquement par imprégnation, par la pratique. L’apprentissage du répertoire (textes et mélodie) se faisait exclusivement oralement. L’apprentissage du « savoir‐faire », de la maîtrise du style et des subtilités rythmiques propres à entraîner davantage le mouvement des marcheurs se faisaient également uniquement par l’imprégnation, et la pratique. Dans la pratique actuelle, l’apprentissage du répertoire, s’il peut encore se faire en partie directement par imprégnation, dans la pratique de la « randonnée chantée », se fait plus généralement dans le cadre plus formel des ateliers de chants et dans les stages organisés par les associations ou les écoles de musique. L’apprentissage y reste entièrement oral pour ce qui concerne les mélodies. En revanche, l’apprentissage des textes utilise très généralement le support écrit. L’apprentissage du savoir‐faire, s’il peut‐être un peu évoqué dans ce cadre formel, continue pour l’essentiel de s’acquérir par la pratique.
Dans la société traditionnelle, avant la généralisation de l’automobile, avant même la généralisation de la bicyclette qui n’intervient dans les campagnes bretonnes que relativement tardivement au cours du vingtième siècle, les déplacements à pied sont importants et quotidiens : déplacements de la ferme aux champs qui peuvent parfois être éloignés de quelques kilomètres, déplacement du hameau au bourg au moins le dimanche pour la messe, déplacements plus importants fréquents pour diverses activités économiques, notamment les déplacements aux marchés et aux foires, déplacements aux veillées des hameaux voisins l’hiver, déplacements pour les pardons, les visites à la famille ou encore pour les noces. La pratique du chant à la marche s’est donc développée dans un contexte ou la marche relativement longue est habituelle, quotidienne. Elle est plus particulièrement pratiquée lors des déplacements collectifs, plus propices à une ambiance de chant, même si les témoignages de chanteurs chantant seuls en rentrant des champs ne manquent pas. C’est surtout dans le contexte du cortège de noce que le chant à la marche prend une dimension particulièrement forte. Les déplacements peuvent parfois être importants (parcours de chez le marié à chez la mariée le matin, puis déplacement jusqu’au bourg, puis retour à la ferme pour le repas). C’est à l’évidence le contexte de marche où les marcheurs sont le plus nombreux, et où l’ambiance est la plus propice à la fête et au chant. C’est en général au sonneur (quelque soit son instrument) que revient la responsabilité de mettre le cortège en ordre et d’assurer l’ambiance, notamment les airs de marche. Selon les cas et les régions, le sonneur peut jouer une partie plus ou moins importante des airs avec son instrument, mais dans la zone qui nous concerne ici, les airs de marche uniquement instrumentaux sont rares. Le plus souvent, soit l’instrument se contente d’accompagner les chants lancés par le sonneur lui‐même ou par des convives de la noce, soit il se tait et laisse place aux chanteurs. Dans certaines régions où la tradition chantée était particulièrement forte (comme dans la région de Josselin), on trouve même des exemples de noces où aucun sonneur n’était engagé, mais où l’on engageait des chanteurs réputés et chargés d’assurer le même rôle. La pratique du chant à la marche a peu à peu décliné après la seconde guerre mondiale, sous l’action conjuguée de la modernisation des campagnes, de la généralisation de l’automobile et du déclin progressif des traditions orales. On a pu encore entendre exceptionnellement quelques chants de marche lors des noces pour de petits déplacements (par exemple entre l’église et la mairie) jusque dans les années 1970 ou 1980, mais on peut dire que la pratique s’est entièrement éteinte dans le dernier quart du vingtième siècle.
Au moment même où la pratique disparaissait, un important mouvement de collecte des traditions orales se développait dans toute la Bretagne, initiée essentiellement par de nombreux musiciens et chanteurs passionnés et bénévoles, donnant naissance en 1972 à l’association Dastum qui allait devenir le centre d’archives du patrimoine oral de Bretagne. Parmi les nombreuses collectes effectuées près de chanteurs figurent de nombreux chants à la marche. Si le contexte du renouveau du fest‐noz permet à une grande partie du répertoire recueilli, le répertoire à danser, de trouver un nouveau lieu d’expression dès les années 1960, les chants à la marche restent longtemps confinés dans les bandes magnétiques et ne sont pas repris par la jeune génération de chanteurs, faute d’occasions de pratique. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 qu’apparaît l’idée de « randonnée chantée » (voir la fiche d’inventaire consacrée à ce sujet) qui part du constat que si les gens ne se déplacent plus à pied au quotidien, beaucoup pratiquent la marche dans le cadre de leurs loisirs et pratiquent la randonnée. Ils se retrouvent donc dans un contexte de marche en groupe, tout à fait favorable à la pratique du chant à la marche. Plusieurs associations de collecte et de transmission du patrimoine oral ont donc lancé les randonnées chantées, animées par un noyau de chanteurs qui entraînent l’ensemble des participants à répondre les chants. Ces randonnées chantées se comptent annuellement désormais par dizaines en Haute‐Bretagne. C’est aujourd’hui le contexte principal de la pratique du chant à la marche.
L’intérêt patrimonial du chant à la marche réside, d’une part dans la grande richesse du répertoire spécifiquement adapté à cet usage, d’autre part dans les savoir‐faire et dans les styles liés à cette pratique (placement de voix, capacité à mener et entraîner le mouvement des marcheurs, à susciter les réponses, à maîtriser la cadence et les subtilités rythmiques, etc.) Au‐delà des nombreuses publications sonores ou écrites sur les traditions orales de Bretagne qui contiennent un ou plusieurs chants à la marche, deux publications sonores sont spécifiquement dédiées à ce sujet : « Chants à la marche en Loire‐Atlantique » (édition Dastum 44, 2003), et « Les chantous de Poliac – Balades entre Oust et Arz » (autoproduction, 2008). Au‐delà des publications, les archives sonores de Dastum contiennent déjà plus de 2000 versions de chants identifiés comme « chants à la marche », et plusieurs milliers d’autres chants à la marche qui ne sont pas encore identifiés comme tels, ou encore en attente de traitement. Enfin parmi l’ensemble des manifestations culturelles liées au patrimoine oral de Bretagne qui ont un impact touristique, notamment en période estivale, le chant à la marche pratiqué dans les randonnées chantées tient une place de plus en plus importante : il a comme atouts principaux l’intérêt musical et esthétique, la simplicité d’accès et la convivialité (on peut répondre les chants dès la première participation et sans aucune formation), et la possibilité de s’allier facilement à d’autres aspects de valorisation du patrimoine, notamment par le biais des randonnées. C’est pour beaucoup de gens un véritable moyen de découverte, d’introduction aux traditions orales de Bretagne.
La première des mesures de sauvegarde est la collecte du répertoire qui a commencé dès les années 1960 et qui se poursuit toujours près des porteurs de tradition. Le nombre de porteurs de tradition différents à avoir transmis des chants à la marche se compte au moins par centaines, et probablement par milliers si l’on prend en compte l’ensemble des fonds encore en attente de traitement. La seconde mesure de sauvegarde est bien sûr l’archivage de ces collectes, leur duplication et leur mise à disposition du public par l’intermédiaire de la base Dastum. Enfin la troisième mesure essentielle, propre à assurer une véritable sauvegarde au sens du maintien d’une pratique vivante, est la relance à la fin de années 1980 d’un nouveau contexte de pratique régulière : la randonnée chantée (voir la fiche d’inventaire sur ce sujet).
- Auneau (Jean‐Louis), « Randonnées chantées. La tradition en marche », Musique Bretonne, n°181, novembre 2003, p.9.
‐ Poulain (Albert), Carnets de route – Chansons traditionnelles de Haute‐ Bretagne, édition Dastum / PUR / L’Epille / GCBPV, 2011 (description de la pratique du chant à la marche, p. 37, et répertoire tout au long de l’ouvrage).
‐ Chants à la marche. En Loire Atlantique, édition Dastum 44, 2003 [CD].
‐ Les chantous de Poliac – Balades entre Oust et Arz, autoproduction, 2008 [double‐CD, 52 titres].
Si peu de publications sont consacrées spécifiquement aux chants à la marche, beaucoup de publications présentant du répertoire de chants (livres ou Cds) contiennent un ou plusieurs exemples, notamment dans les publications de Dastum, Dastum 44, La Bouèze, le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine et L’Epille.
Nom de l’enquêteur ou des enquêteurs : Vincent Morel
Supports audio :
- Louis Bloyet, d’Allaire (56), in 10 ans de Fête du Chant à Bovel, édition L’Epille,
2005.
- Albert Poulain, Pipriac (35), in Albert Poulain – Y a rien de plus charmant...,
édition Dastum, 2000.
N° d'inventaire Ministère Culture : 2013_67717_INV_PCI_FRANCE_00304
Identifiant ARK: ark:/67717/nvhdhrrvswvk2dj
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : ???
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