Jeu consistant à abattre trois quilles alignées avec une boule en bois.
Les quilles de trois sont un jeu de quilles pratiqué dans la basse vallée de l’Adour, plus communément nommée "bas Adour".
Les quilles de trois sont un jeu de quilles pratiqué dans la basse vallée de l’Adour, plus communément nommée "bas Adour". Elles y sont restées la principale activité ludique jusque dans les années 1960.
Description de l’aire de jeu1
Ce jeu de quilles est aujourd'hui exclusivement pratiqué en extérieur, dans un "quillier" (ou "quilhè". L’aire de jeu est recouverte de gravillons et mesure environ vingt mètres de long sur quatre mètres de large.
À une extrémité se trouve la zone de tir. À Saint-Jean-de-Marsacq, elle est formée d’une dalle de ciment d’un mètre sur cinq. Dans le prolongement de cette dalle, sur cinq mètres il n’y a que du gravier, puis un madrier (500x30x30cm) en pin est enterré, affleurant à peine à la surface du sol. Un mètre après le madrier, le "butoir" - palissade de planches en bois disposées en arc de cercle (vraisemblablement empruntée au jeu de quilles de six et qui a remplacé celui décrit par Jean Camy en 19952) - arrête les boules. À Saint-Jean-de-Marsacq, sa partie centrale est recouverte de caoutchouc pour absorber les chocs, protégeant ainsi la boule et limitant le bruit. Aujourd'hui, on l’appelle plus souvent "le fond", "l’arrêtoir" ou "le mur". Cette installation est très discrète, en l’absence des joueurs et de leur matériel rien n’indique l’usage de cet espace.
Trois quilles sont alignées : la première est positionnée à l’extrémité de la zone de tir, la seconde et la troisième à chaque extrémité du madrier (chacune sur une petite et fine plaque de zinc vissée dans le bois), de sorte qu’une distance de cinq mètres soit respectée entre chacune des trois quilles.
La première quille - appelée simplement "la première" (ou "prumère" en gascon) - et la seconde - surnommée "le neuf" ou "lou nau" - sont constituées d’une branche fine ou baguette de houx (1 à 1,5 cm de diamètre3 pour 62 à 63 cm de hauteur) enfoncée dans un support carré en caoutchouc (de 6 à 8 cm de côté sur 2 cm de haut à peu près) pour la stabiliser.4
La troisième quille est appelée "la vieille" ("bielhe" en gascon) ou "la grosse". Elle mesure elle aussi 62 à 63 cm de hauteur, pour un diamètre d’environ 8 cm à sa base et 2 cm à son sommet (car elle est de forme légèrement conique). Sa partie basse peut être entourée d’un morceau de caoutchouc en guise de protection.
Les boules pèsent de trois à quatre kilogrammes et mesurent de 66 à 72 cm de circonférence. La variation dépend de l’essence utilisée et de sa qualité. Certaines boules sont perforées pour les alléger et atteindre le poids voulu. Elles sont cerclées de fer pour les protéger de l’éclatement sous les chocs car les poignées creusées dans la boule la fragilisent. Celles utilisées aujourd'hui ont été fabriquées par un sabotier ou par un tourneur sur bois, dans du bois de vergne ou de frêne. Les pièces en fer peuvent être disposées de diverses manières. Deux ou trois trous de forme ovale et de tailles différentes, creusés dans la boule, servent à la prise en main. On positionne son pouce dans l’un d’eux et les quatre autres doigts dans un autre. Ces poignées sont appelées "mortaises".
Les règles et techniques du jeu
Le but du jeu est de renverser un maximum de quilles, chaque quille valant un point.
Dans les parties "amicales" on peut être aussi nombreux que l’on veut. On forme alors des équipes de trois ou quatre joueurs. Tout dépend du nombre de joueurs présents.
Une partie se joue en équipe5, en dix "pits"6 ou "positions".
La partie débute. Tous les joueurs de l’équipe 1, à tour de rôle, se placent à un mètre de la première quille pour effectuer un lancer. Entre chaque joueur les quilles sont "repitées", c'est-à-dire redressées à leur emplacement d’origine. On additionne les points marqués. Puis l’équipe 2 procède de même (et éventuellement l’équipe 3). Ces scores par tour ne sont pas inscrits. À la fin du tour, l’équipe qui a marqué le moins de points inscrit un pit sur le boulier ou mercadet. L’équipe qui arrive à dix pits perd la partie.
En cas de "rampeau" (égalité) on rejoue sur le même pit (à la même marque), jusqu’à ce qu’une équipe se démarque.
L’équipe qui vient de perdre, "mande" pour le tour suivant, c'est-à-dire qu’elle décide d’où seront lancées les boules. La ligne de tir, "la mande", est marquée par une petite fourche (ou un morceau de bois ou de plastique).
En concours, à l’occasion des fêtes de village par exemple (en 2012 à Saint-Jean-de-Marsacq, Saint-Paul-lès-Dax, Ondres, entre autres), on joue individuellement en cinq positions déterminées avant le début de la partie. À chaque position le joueur tire deux fois. Ainsi le maximum de point atteignable étant de trente, les meilleurs joueurs en marquant généralement vingt-sept.
Le geste
Le joueur (droitier) tient la boule dans sa main droite par la poignée creusée. Il positionne son pied droit au niveau de la marque (ou le pit) et recule le pied gauche. Il se penche plus ou moins en avant et balance la boule d’avant en arrière, trois à quatre fois pour se positionner correctement dans l’axe et stabiliser son centre de gravité. Puis il tend son bras droit vers l’arrière et le ramène vivement, toujours tendu, vers l’avant pour lancer la boule, la lâchant idéalement au moment où son bras se trouve parallèle au sol. En même temps qu’il tend son bras droit vers l’avant, il avance son pied gauche, le faisant passer devant le droit, pour ne pas se déséquilibrer au cours du lancer et donner un peu plus d’élan à son projectile.
Une autre façon de lancer la boule est de "tirer à la course", c'est-à-dire de prendre quelques pas d’élan. Il existe aussi une technique qui consiste à "tirer au jeté", c'est-à-dire à prendre de l’élan et, en arrivant à la marque, se jeter en avant (ou "plonger"). Le corps alors parallèle au sol, le joueur lance la boule avant de retomber ce qui lui permet de gagner quelques dizaines de centimètres et impulser plus de force à son tir.
Le joueur qui s’apprête à tirer vise toujours la quille du fond, plus grosse que les deux premières situées dans son axe, elle constitue un meilleur repère visuel et doit de toute façon être impérativement "décanillée".
La boule "tirée" renverse idéalement la première quille puis arrive obligatoirement à la volée sur la deuxième quille (qu’elle renverse ou non) avant de soit poursuivre sa volée vers la troisième quille, soit atterrir sur le madrier et rouler jusqu’à celle-ci. Régulièrement on verse de l’eau à l’aide d’un arrosoir sur le madrier pour faciliter la glisse de la boule vers "la vieille".
Toute boule qui toucherait le sol hors du madrier avant d’abattre "la vieille" devient fausse. D’ailleurs juste devant le madrier on place un morceau de caoutchouc (un morceau de câble par exemple ou une pièce de métal) : le "passe naou". Si la boule touche trop tôt le sol elle bute sur le caoutchouc ou rebondit dessus, le signal de la faute est donc visuel. Dans le cas d’une pièce de métal le signal est sonore. Si la boule quitte le madrier, rebondit sur la palissade puis revient abattre la vieille, elle demeure fausse.
Si la première quille "part en l’air" et renverse la deuxième, tandis que la boule va abattre la troisième, le coup est bon.
Chaque quille abattue vaut un point à condition que la vieille l’ait aussi été. Si tel n’est pas le cas, les deux premières ne se pas comptabilisées.
Les quilles sont redressées entre chaque joueur : c’est le "pitage".
Certains coups portent des noms précis, même s’ils sont peu utilisés. Ainsi, le coup qui consiste à faire tomber la première et la dernière quille (sans toucher la deuxième ou le madrier) s’appelle "l’anguille" ou "le saut de corne". Faire tomber uniquement la deuxième et la troisième quilles s’appelle faire "un bec de neuf" ("au bec dou nau").
"Tirer bec à bec" ou "tirer aux becs" signifie faire tomber les trois quilles en touchant seulement leur sommet (le "bec").
Les joueurs rencontrés ont aussi "inventé" une variante qu’ils appellent "la mort subite". Ils y jouent en individuel. Tout le monde tire une boule. À chaque tour, celui qui marque le moins de points est éliminé. S’il y a plusieurs perdants, ceux-ci tirent une deuxième fois. Si tout le monde marque trois points (le maximum possible donc) lors d’un tour, la partie est finie.
Sociabilité
À Saint-Jean-de-Marsacq, entre mars et fin octobre, une quinzaine de personnes se réunissent chaque jeudi à partir de seize heures, et jouent généralement jusqu’à dix-neuf heures (le temps nécessaire à deux parties). L’après-midi est prolongée par un "apéro" pour lequel chacun apporte à tour de rôle de quoi manger et boire car il n’y a plus de bistrot au village. Le quillier est situé sous les platanes de la petite place en face de l’église, au bord de la route. Il y a donc un peu de passage (automobiles), les enfants ou petits-enfants des joueurs s’arrêtent parfois un moment, de même que les épouses. Quatre fois par an, ils partagent également un repas tous ensemble.
Les joueurs ne vivent pas nécessairement dans le village où ils jouent puisqu’il n’y a pratiquement plus de quilliers. Ils se retrouvent régulièrement sur celui de Saint-Paul-lès-Dax ou de Saint-Jean-de-Marsacq, voire les deux. Il n’existe pas de club à proprement parlé. À Saint-Jean-de-Marsacq, les quilles de trois sont une section du Foyer Rural (qui en comporte sept ou huit), ce qui permet aux joueurs de bénéficier d’une assurance.
Une seule femme (âgée de 49 ans) joue régulièrement. Elle travaille à proximité et peut donc les rejoindre assez tôt. Son époux est souvent présent mais ne joue pas. Quatre autres habitués ont entre 41 et 50 ans. Les autres sont à la retraite et "le doyen" est âgé de 86 ans. Quelques uns des joueurs sont désormais trop âgés pour pratiquer un sport physique, les quilles s’avèrent une bonne option pour "prendre l’air" et s’occuper. D’autres jouent encore par exemple à pala (spécialité de pelote basque) mais ne s’en contentent pas car ils trouvent dans le jeu de quilles "un complément".
Les parties sont animées et quelque peu bruyantes : on commente, on "chicane", on taquine gentiment celui qui rate son tir. Même si un minimum de concentration est nécessaire, "on est entre copains", la détente reste l’objectif premier.
Le jeu de quilles de trois ne ferait plus l’objet de paris d’argent depuis des décennies. Des témoins se souviennent d’une époque où à Saint-Paul-lès-Dax par exemple, "on jouait le litre de vin en cinq pits".
La pratique n’est pas institutionnalisée. Il n’existe pas de règlement écrit7. Les joueurs s’accordent entre eux. L’esprit de compétition n’est pas absent mais remporter la partie n’est pas une fin en soi.
Plus qu’un jeu ou une pratique ludique, c’est une forme de sociabilité qui perdure (tout en évoluant) sur les quilliers du Bas-Adour.
1 La description qui suit est plus précisément celle du quillier de Saint-Jean-de-Marsacq, puisqu’il n’y a jamais eu de codification de l’aire de jeu ou du matériel toutes les mesures données sont variables dans le temps et dans l’espace. L’ouvrage d’André Bareigts (2004) donne des indications sur l’évolution de la configuration des quilliers.
2 "Une de ses extrémités comporte un butoir composé de pieux en bois juxtaposés et placés en arc de cercle entre lesquels on a tressé des cordages ou parfois de façon plus rustique de simples branchages, pour amortir le choc de la boule." (CAMY Jean, 1995. "Les quilles en Gascogne. Entre jeu et sport ", in Terrain, n° 25 : 61-72.)
3 En fait cela dépend de la largeur de la branche coupée, après écorçage.
4 À propos de ces deux premières quilles, Bareigts décrit des quilles de "20 cm au tour de pied", c'est-à-dire bien plus larges que celles utilisées aujourd'hui. Certains joueurs âgés de plus de soixante-dix ans ont connu ces quilles plus larges, alors que d’autres du même âge n’ont connu que les fines ; les deux semblent avoir coexisté à un moment avant que les fines ne supplantent les grosses. Jean (75 ans) se souvient qu’à l’époque où il jouait avec des quilles plus grosses, "il fallait attraper les quilles bec à bec, sinon tu ratais tous les coups".
5 Bareigts décrit une forme différente du jeu en équipe. Il y a donc eu une évolution à ce niveau aussi.
6 Bareigts parle lui de "pic" et non de "pit". Après vérification auprès des joueurs enquêtés, il s’agit de la même chose mais eux utilisent bien le mot "pit".
7 Il y a par contre eu des règlements écrits de concours.
- Le quillier : le madrier et le butoir
- Les quilles
- Les boules
- Le marqueur de score ou boulier ou mercadet
- Un arrosoir
- La "marque" : par exemple une petite fourche
Les quilliers municipaux où l’on joue régulièrement sont :
- Saint-Paul-lès-Dax : tous les dimanches à partir de 15h.
- Saint-Jean-de-Marsacq : tous les jeudis (d’avril à octobre) à partir de 16h.
- Guiche, tous les samedis après-midi.
L’apprentissage est relativement rapide et se fait "sur le tas", par imitation. La transmission par contre s’avère difficile.
Les enfants du centre aéré, âgés de dix à onze ans sont déjà venus voir une partie et essayer d’y jouer mais "ils ne s’y mettent pas". Une des raisons serait que pendant que l’un tire, tous les autres sont inactifs et que ce type d’activité ne correspond pas à leurs habitudes.
Les jeunes ne seraient pas attirés par les jeux de quilles traditionnels, quels qu’ils soient, car ils les considèreraient comme "un truc de vieux". Ils leur préfèrent de multiples autres sports et activités de loisir. Les joueurs eux-mêmes estiment qu’il s’agit davantage d’un jeu d’adresse que d’un sport.
Même si la sociabilité est une composante majeure, le jeu de quilles par sa simplicité apparente et l’absence de véritable compétition ne susciterait pas l’émulation nécessaire à attirer les jeunes. Pourtant les générations de joueurs se renouvellent, certes lentement, mais il faut peut-être indiquer que les jeux de quilles ont toujours été l’apanage des hommes mûrs ou du moins adultes. Les enfants n’étaient pas admis dans les quilliers des auberges qui étaient des lieux de boissons et de paris. Dans certains villages ils construisaient eux-mêmes leurs propres quilliers.
Au début du XXIe siècle, il semblerait que la transmission se fasse davantage entre individus du même âge. À un moment donné, l’un d’eux "se prend de passion" pour les quilles et tente de relancer la pratique dans son village ou alors il rejoint un groupe de joueurs déjà constitué.
À peu près la moitié des joueurs actuels avaient joué aux quilles de trois dans leur jeunesse. Plusieurs d’entre eux ont lu le livre d’André Bareigts. Pourtant, l’interruption de la pratique - coïncidant avec le recul du parler gascon -, a eu notamment pour effet une évolution importante du vocabulaire lié à ce jeu.
Entre 1912 et 1948, on observe une unification et une codification des jeux de quilles en France, voie que n’ont pas suivie les quilles de trois qui, comme tant d’autres jeux traditionnels, subirent la concurrence des sports modernes se diffusant en particulier dans le milieu scolaire.
Il semblerait que comme d’autres jeux de quilles, les quilles de trois aient été jouées dans des quilliers attenant à des auberges ou des cafés, au moins jusqu’aux années 1950. Il y a avait aussi encore à la même époque dans certaines fermes où on y jouait à l’occasion des réunions de familles.
Les joueurs les plus anciens se souviennent avoir gagné un peu "d’argent de poche" en jouant aux quilles (Dédé, né en 1927), mais déjà dans certains villages les paris d’argent n’avaient plus cours, le perdant offrait "un coup à boire au gagnant " (Jacques, né en 1935).
Les témoins ont constaté une rupture de la tradition dans les années 1960.
À Saint-Jean-de-Marsacq, le quillier municipal a été inauguré en 1989 en partie grâce au maire de l’époque qui souhaitait relancer la pratique. D’anciens joueurs de Saint-Paul-lès-Dax ont entendu parler de cette relance et sont venus y participer. En 1992, ils ont inauguré un quillier dans leur ville, tout en continuant pour la plupart à aller jouer aussi à Saint-Jean-de-Marsacq.
Participation à des manifestations culturelles : démonstration et initiation (Festival des Traditions Landaises à Saint-Vincent-de-Tyrosse depuis une dizaine d’année, Journée Landaise des Fêtes de Dax, Festivadour à Saint-Jean-de-Marsacq).
Participation à des fêtes de villages, sur invitation des Comités des fêtes ou des Offices de tourisme.
TVPI (chaine de télévision locale) a réalisé un reportage il y a deux ans.
- BAREIGTS André, 2004. Les quilhes de très dou Bach Adou. Les quilles de trois du Bas Adour.
- CAMY Jean, 1995. "Les quilles en Gascogne. Entre jeu et sport", in Terrain, n° 25 : 61-72.
- LESTIE Georges, 1974. "Les sports et les jeux dans les Landes", in CHABAS David (dir.). Villes et villages des Landes. Tome 4.
- PESQUIDOUX J. (de), 1938 (1923). Chez nous, travaux et jeux rustiques, Plon, Paris.
Personne(s) rencontrée(s)
- Francis Gabarus, Président de l’association de Saint-Jean-de-Marsacq.
- Guy Labeyrie, Président de l’association de Saint-Paul-lès-Dax.
- Des quilhayres (joueurs de quilles).
Localisation (région, département, municipalité)
En Aquitaine : le sud des Landes (Saint-Paul-Lès-Dax) et le Bas-Adour (Saint-Jean-de-Marsacq, Guiche).
Dates et lieu(x) de l’enquête : du 15 juin au 31 août 2012 dans les Landes.
Date de la fiche d’inventaire : 01 septembre 2012
Nom de l'enquêteur ou des enquêteurs : Cendrine Lagoueyte
Nom du rédacteur de la fiche : Cendrine Lagoueyte
N° d'inventaire Ministère Culture : 2012_67717_INV_PCI_FRANCE_00162
Identifiant ARK : ark:/67717/nvhdhrrvswvk2b2
Comment contribuer à l'inventaire : la méthode : http://pcilab-new.huma-num.fr/contribuer
Accéder à la fiche sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Quilles_de_trois
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